Partisan
n°180 -novembre 2003-
mensuel de l'OCMLVP
Rejeter le
travail avec la société de consommation
?
Au travail, nous sommes
exploités, aliénés : nos
capacités créatrices sont niées. Pour
loisirs, on nous propose principalement le repli
individualiste, la consommation aveugle et maximale, avec
repos du corps pressuré mais aussi lavage de cerveau
! Voilà deux faces bien noires de la
société capitaliste. Rejeter la «
société de consommation », mais comment ?
Faut-il aussi rejeter le travail, contrairement à ce
que nous disent des Raffarin qui se plaignent de l’abandon
de la « valeur travail » ?
Les tendances au rejet du travail,
de l’effort
Travail d’un
côté, loisirs de l’autre : voilà une
séparation très ancrée dans la
société capitaliste moderne, en particulier
dans les pays impérialistes. Le travail est
pénible, stressant. Les loisirs sont utilisés
pour décompresser, physiquement ou moralement. De
cette division, un phénomène émerge :
pendant les loisirs, nous consommons, et nous avons tendance
à vouloir que ce que nous consommons demande le moins
d’effort possible. La société marchande nous
propose par-ci des plats tout préparés, des
livraisons à domicile, des voyages
avion-hôtel-restaurant, par-là des
émissions, des films de divertissement sans
réflexion, des jeux vidéo… On en vient parfois
à rejeter le travail. Ce qui compte, ce n’est pas le
travail, mais la voiture, la télé, le voyage
qu’on va pouvoir s’acheter, les loisirs en
général. Rares sont cependant ceux qui
théorisent le rejet de la valeur sociale du travail,
mais cela arrive parfois, comme dans le film récent
« Attention
! Danger travail ». On y voit quelques
chômeurs qui se satisfont de leur situation, et
préfèrent vivre avec le RMI que de retrouver
un travail, ils en font un mode de vie.
Alors, doit-on rejeter le travail
?
Dans la
société capitaliste, le travail est souvent
aliénant. Un travail d’exécution, qui
dépouille le travailleur de ses capacités
créatives. C’est un travail forcé, qu’on fait
pour vivre ou pour survivre, c’est un travail policé,
étroitement réglementé, cadencé…
Pas étonnant qu’en tant que tel, on le
rejette.
Et cela vient de loin. Les
religions, issues du passé pré-capitaliste,
nous « enseignent » que le travail est un
fléau imposé aux hommes, par Dieu ou par les
dieux, que ce soit à cause d’une faute que les hommes
auraient commise, ou autre chose. Le mot lui-même, du
latin trepalium qui désignait un instrument de
torture (fait de trois pals), est évocateur.
Le travail unit, la
propriété divise
Pour sûr, nous
aspirons à une société où la
torture du travail n’existerait plus. Mais on conçoit
bien que le travail sera de toute façon
nécessaire, pour continuer à transformer la
nature pour subvenir aux besoins des hommes. Alors que
faut-il changer dans le travail ? Rejeter en bloc le travail
tel qu’il existe dans la société capitaliste
?
« Le travail unit, et la
propriété divise », écrivait
Lénine. C’est que le travail — même dans la
société capitaliste — a aussi des aspects
positifs. Le travail, c’est le moment où nous
contribuons à la société tout
entière, où nous mettons nos efforts en
commun, à plusieurs, pour apporter du bien-être
à ceux qui bénéficieront du produit de
notre travail : et ceux-là ne sont pas uniquement les
capitalistes !
Le travail est un acte
essentiellement collectif. Le travail individuel de
l’artisan ou du paysan des sociétés
pré-capitalistes tend à disparaître. La
grande industrie regroupe de vastes ensembles collectifs,
mais aujourd’hui les moyens et le résultat du travail
sont la propriété privée du
capitaliste.
Nous pourrions aussi
écrire: le
travail unit, les loisirs divisent. Les loisirs tels qu’ils sont
organisés dans la société, sont
probablement encore plus aliénants que le travail !
Ils sont le moment où la société
capitaliste fait une énorme propagande
réactionnaire (médias, activités
stéréotypées, réglées
elles aussi comme des horloges…). Ils n’ont pour la plupart
pas de dimension collective, ni créatrice, et
conduisent plutôt au repli individualiste. Pour les
quelques loisirs un peu collectifs et/ou créateurs
(activités sportives, artisanales, artistiques…), la
dimension collective est très restreinte (quelques
personnes), et le produit de ces activités ne
bénéficie là aussi qu’à peu de
monde.
Rejeter le travail : un repli
individualiste
Le rejet
théorisé est donc l’expression d’un repli
individualiste, marqué par la société
de consommation. C’est finalement ce qu’exprime le film
« Attention !
Danger travail
». Même lorsque la critique de
l’aliénation du travail capitaliste est juste, et
même salutaire, le rejet en bloc du travail ne peut se
faire qu’en sous-estimant le fait que tout ce qui nous entoure est le
produit du travail humain. Pire, ça ne peut se faire
qu’en méprisant l’ensemble des travailleurs, victimes
de l’exploitation, de l’aliénation, mais qui pourtant
ont une certaine fierté à contribuer à
l’ensemble de la société par leur travail
!
Quant au rejet de tout
effort pendant les temps de loisirs, il se comprend
après le travail épuisant, mais il peut aussi
mener au consumérisme : cela conduit par exemple
à exiger le service impeccable d’un serveur de
restaurant, d’un employé de la Poste, ou de quelqu’un
d’autre, de la même manière qu’un patron exige
de ses exploités, pour la satisfaction aveugle de ses
besoins personnels. Exploité dans le travail,
bourgeois dans les loisirs… c’est ce qu’il risque d’arriver.
Plus grave, cela conduit à refuser l’effort
nécessaire pour acquérir de nouvelles
connaissances,… pour se politiser, pour militer…
Le travail socialiste : un droit,
un devoir, et collectif
Les marxistes ne rejettent
donc pas le travail en tant que valeur sociale, une valeur
essentielle. Le travail désigne pour nous toute
activité collective destinée à
améliorer d’une façon ou d’une autre le
bien-être de l’humanité, ou d’une partie de
l’humanité.
D’ailleurs, il n’est pas
question pour nous de préconiser un travail plus
« local », à petite échelle, style
« élever des chèvres
dans le Larzac
». Ce n’est pas une alternative à
l’aliénation capitaliste. La dimension collective,
mondiale et universelle que le travail a atteinte avec le
capitalisme est la base sur laquelle l’humanité peut
acquérir une maturité supérieure. Une
base sur laquelle elle peut édifier une nouvelle
société qui maîtrisera globalement la
nature pour le bien-être accru de tous les hommes et
femmes, mais sans la détruire. Cela ne pourra se
faire bien sûr qu’en abolissant le capitalisme, sa
concurrence et sa compétition ; en le
remplaçant par la coopération collective et en
supprimant l’aliénation et l’exploitation liée
au travail capitaliste.
Dans la
société socialiste, le travail sera un
droit absolu.
Alors qu’aujourd’hui ce droit n’est que formel mais pas
réel (il y a des millions de chômeurs
forcés !). Il ne sera pas question dans la
société socialiste d’empêcher des
individus d’apporter leur pierre à l’édifice
social par leur travail !
Dans la
société socialiste, les moyens du travail seront
collectifs. La
propriété privée des moyens de
production sera abolie. Il n’y aura plus d’actionnaires, de
patrons, et encore moins de rentiers. Les outils de
production appartiendront à la société
dans son ensemble.
Dans la
société socialiste, le travail sera géré
collectivement.
Dans chaque lieu de travail, les travailleurs
désigneront (par des élections) des
délégués pour superviser telle ou telle
activité, et l’ensemble des activités. Ces
délégués seront révocables, si
la collectivité des travailleurs juge qu’ils ne
remplissent pas correctement leur tâche. En d’autres
termes, le pouvoir
sera partagé, collectif : il s’agira de
décider ce qui doit être produit, comment cela
est produit…selon un plan économique
d’ensemble.
Dans la
société socialiste, le travail sera cependant un
devoir. Tout le
monde aura l’obligation de contribuer par son travail au
fonctionnement de la société. «
L’oisif ira loger
ailleurs »,
dit L’Internationale, car on ne peut tolérer des
personnes en pleine santé qui seraient des «
parasites », en profitant des produits du travail des
autres sans participer eux-mêmes au travail ! L’oisif
sera « forcé » de travailler. C’est aussi
pour cela qu’on parle de dictature du prolétariat sur
la bourgeoisie : les travailleurs imposent le travail aux
anciens capitalistes parasites.
Dans la
société socialiste, l’aliénation du travail sera
supprimée.
Aucun travailleur ne sera astreint à un travail
d’exécution, répétitif et avilissant.
La dimension créatrice du travail sera
développée pour et par chacun. Bien sûr,
il y aura toujours des tâches peu réjouissantes
à remplir : des tâches pénibles
physiquement et moralement (par exemple le ramassage des
poubelles, des travaux répétitifs…), voire
dangereuses (par exemple le travail de pompiers, le
nettoyage de cuves chimiques ou autre…). Mais ces
tâches devront être partagées : il n’est
pas question que ce soit toujours les mêmes, toute
leur vie, qui les exécutent.
Parallèlement, les
loisirs pourront encore être des temps de repos ou
consacrés à des activités personnelles
ou ne concernant qu’un petit nombre d’individus (par exemple
les amis) pour le bonheur de chacun. Mais la
différence entre loisirs et travail, étant
donné la satisfaction accrue qu’apportera le travail
débarrassé de son aliénation,
s’estompera.
Le travail communiste : volontaire
et spontané
Ainsi, la
société socialiste devra s’acheminer vers la
société communiste. A ce stade de nouvelle
maturité de l’humanité, il n’y aura plus
aucune différence entre travail et loisir. Le travail
ne sera plus obligatoire car il sera pris en charge
volontairement et spontanément par chacun, avec la
pleine conscience de participer au bien-être social de
tous.
Arrivera-t-on à
atteindre cette maturité ultime ? Nous avons du mal
à le concevoir, tant nous observons autour de nous
l’égoïsme, l’individualisme,
particulièrement développés dans la
société capitaliste. Pourtant
déjà, beaucoup participent à du
bénévolat, ou décident de consacrer des
efforts gratuits dans leur travail par pure «
conscience professionnelle » (qui souvent rejoint la
conscience de la contribution à un bien-être
collectif). D’autres encore consacrent des efforts immenses
pour le bien-être de l’humanité… en militant
activement pour transformer la société
!
Toutes ces attitudes
peuvent être les embryons d’un nouveau fonctionnement
social. Il n’y a pas de « nature humaine »
fondamentalement égoïste. Au contraire, nous
vivons tous en société, et l’idée ne
nous viendrait pas d’aller vivre seul sur une île
déserte. C’est la société qui fait de
nous ce que nous sommes, et la collectivité humaine
crée en retour la société. Le
capitalisme nous pousse à l’individualisme. Mais par
notre volonté collective, nous avons la
possibilité de le renverser et de construire une
société qui nous poussera à une
conscience collective, balayant l’individualisme.
Quel programme
ambitieux ! C’est pourtant le nôtre, à nous
communistes de Voie Prolétarienne.
Marc
Roux
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