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par Luis Arce Borja
En novembre 1994, nous rédigions un article d'investigation (1), où nous tentions de nous approcher de la vérité concernant les "lettres de paix" que le gouvernement attribuait faussement depuis 1993 au président Gonzalo. Nous retracions méticuleusement les agissements du Service de renseignement national (SIN) pour fabriquer les lettres de la capitulation. Là, nous dressions un aperçu des relations entre les plans du SIN et la participation de certains prisionniers et militants du Parti Communiste du Pérou (PCP) qui avaient succombé à la tentation de la capitulation et de la trahison. Osman Morote Barrionuevo, présenté depuis 1988 par la presse officielle comme un "dirigeant historique" du PCP, méritait à ce titre notre plus grande attention. A son sujet, nous en déduisions le lien secret qu'il avait entretenu avec les plans du SIN pour arreter la guerre populaire et assassiner le chef de la guérilla maoiste. Nous disions à cette époque que Morote était le meneur des groupes de traitres qui depuis le début du gouvernement fujimoriste étaient passé à la collaboration avec les plans anti-subversifs de l'armée et de la police. Nous signalions aussi que le groupe dirigé par Morote, avant mai 1992, avait élu son quartier-général dans la prison de Canto Grande où ils se réunissaient clandestinement avec les agents du Service de renseignement national (SIN). Cette déduction nous l'expliquions ainsi : "...le Service de renseignement national (SIN) est arrivé à un accord avec certains éléments traitres qui se trouvent dans différentes prisons du pays. Au cours des mois de septembre et d'octobre 1992 a débuté les premières rencontres et conversations entre les agents du SIN et les capitulateurs... Les contacts sont clandestins et se réalisent à la prison de Canto Grande..." (Opération Capitulation, novembre 1994). Nous dénoncions aussi, et c'est extremement grave, le fait que l'assassinat de 100 prisonniers de guerre commis en mai 1992 par le gouvernement de Fujimori, s'était déroulé avec la complicité de Morote et de ceux qui le suivaient. Au cours des évènements sanglants à la prison de Castro Castro (mai 1992), un commando criminel du Service de renseignement national (SIN) était intervenu. L'objectif de ce commando dirigé depuis le palais gouvernemental était d'éliminer les 14 cadres et hauts-dirigeants du PCP qui se trouvaient dans cette prison. Tous les dirigeants emprisonnés du Parti furent fusillés lorsqu'ils sortirent à l'extérieur pour montrer qu'ils arretaient la bataille. Le coté illogique et curieux de ce crime massif fut que Osman Morote, catalogué comme le "numéro 2" des dirigeants du PCP, s'en était sorti avec seulement une égratignure à la fesse. Il a tranquillement survécut et a ensuite travaillé avec Vladimiro Montesinos et préparé des cadeaux qu'il envoyait à Fujimori depuis la prison . Dans l'analyse que nous avons fait en 1994, nous avons interprété l'étrange invulnérabilité de Morote comme un élément supplémentaire qui prouvait son lien avec les plans des forces contre-insurectionnelles. Ceci, nous l'expliquions ainsi : "Il est quasiment sur que, bien avant mai 1992, il existait déjà un accord secret entre les agents du SIN (Service de renseignement national) et les capitulateurs. Lors du massacre de la prison de Canto Grande (mai 1992), la police et l'armé ont assassiné sélectivement près de 100 prisonniers de guerre. La majeure partie des victimes étaient considérées comme des "MEMBRES DE LA DIRECTION SENDERISTE". Les assassins, une liste en main, cherchaient les "DIRIGEANTS" qu'ils fusillaient, après les avoir trouvé. Curieusement, certains "DIRIGEANTS" qui ont réchappé à ce massacre, sont ceux qui aujourd'hui travaillent pour les "accords de paix". Ils sont apparus y compris à la télévision en s'embrassant et en offrant des cadeaux à Fujimori. Ils ont, avec l'appui de la police, agi dans les différentes prisons du pays. Certains des capitulateurs ont été présenté comme faisant partie du "CONTINGENT HISTORIQUE" du Parti Communiste du Pérou (PCP)..." (Opération Capitulation, novembre 1994). Morote, la trahison et le massacre des dirigeants du Parti. Notre analyse rédigée il y a presque 6 ans, n'a non seulement rien perdu de son actualité, mais les arguments que nous livrions à cette occasion se sont vérifiés. Ce que nous disions en 1994, et qui pour certains était un excès de journalisme d'investigation, s'est confirmé dans les faits et dans la réalité. Depuis la chute de Fujimori en 2000, et avec la sortie des fameuses vladividéos (2), on a pu constater que Osman Morote, Maria Pantoja, et d'autres prisionnniers traitres, se sont convertis avant meme 1992 en agents secrets du SIN. Rivas fut le bras droit de Vladimiro Montesinos et le chef des opérations du groupe paramilitaire dénommé "Groupe Colina" que le gouvernement de Fujimori avait mis sur pied pour exécuter clandestinement des groupes ou des personnes catalogués comme "senderistes". Le témoignage de Rivas a une résonnance spéciale dans le cadre de la reconstruction des événements de 1992 dans la prison de Canto Grande. Pourquoi ? Parceque Rivas fut non seulement un chef important du SIN et du groupe Colina, mais parce qu'il a pris part activement à la planification et au massacre des dirigeants du PCP emprisonnés. Que dit Martin Rivas ? L'exécuteur du Groupe Colina s'est confessé au journaliste Humberto Jara (3), et a narré avec luxe détails comment s'organisa le massacre des prisonniers de guerre. Selon le témoignage de Rivas, "Alberto Fujimori, alors Président de la République, a eu connaissance et a autorisé le plan d'élimination extrajudiciaire des prisonniers de la prison de Canto Grande... La planification pour prendre la prison de Canto Grande fut conçue par le SIN (Service de renseignement national)... L'objectif était d'en finir avec la Lumineuse Tranchée de Combat et de restaurer le principe d'autorité..." (La Republica, 24/09/03) Selon Martin Rivas : "Un peloton militaire entra dans la prison (qui fut dirigé par lui-meme) avec pour objectif défini de liquider chacun des membres de la direction senderiste, en laissant sauf un seul parmi eux : Osman Morote Barrionuevo". "Treize membres de la direction senderiste furent achevés par balles sans accepter leur rendition et leurs morts furent officiellement présentées par le président Fujimori comme le résultat de "pertes causées par l'engagement qui a eu lieu". Selon ce témoignage, "Osman Morote fut évacué avec une blessure par balle dans la fesse droite. Il eut la vie sauf pour une raison militaire non exempt de logique." Selon le résumé de La Républica : "Ce samedi 9 mai 1992, par ordre de Fujimori et Montesinos, les membres de la direction senderiste furent soumis à des exécutions extrajudiciaires : Deodato Juarez Cruzatt, Yovanko Pardavé Trujillo, Tito Valle Travesano, Janet Talavera Arroyo, Elvia Zanabria Pacheco, Ana Pilar Castillo Villanuevo, Andrés Aguero Garamendi, José Antonio Aranda Company, Victoria Trujillo Abanto, Ramiro Mina Quispe Flores, Servio Campos Fernadez, Fidel Rogelio Castro Palomino et Marcos Ccallocun Nunez". Le nombre total de dirigeants du Sentier Lumineux était de 19. Quatorze étaient emprisonnés. Un seul eut la vie sauve. Treize des fondateurs du groupe terroriste furent éliminés. Ils ont laissé en vie Osman Morote. "Lors de la réunion finale avant la réalisation du plan - confesse Martin Rivas- deux décisions furent prises. L'une, de laisser en vie Osman Morote. Il était l'ennemi d'Abimael parceque son propre chef l'avait dénoncé et envoyé en prison à cause des dissensions avec lui. Ainsi, il devenait très utile pour nous, il nous devrait la vie et nous traiterions avec lui. Rappelez-vous que cette fois Morote en sorti blessé ? Ce fut fait à cette intention." "Tous les dirigeants moururent, sauf lui. S'il en était sorti indemne, on aurait eu des soupcons, c'est pour cela qu'il reçu une balle dans les fesses, sans danger. Ensuite la presse s'est chargé de broder l'histoire selon laquelle Morote était un lache et voulait fuir et c'est pour cela qu'il a pris une balle dans le derrière. Mais cela ne s'est pas passé ainsi. Il y avait une raison pour quoi il avait été laissé vivant." "Cette fois le message était très claire : nous sommes en guerre totale, comme tu élimines mes cadres les plus élevés, je te prends tes dirigeants historiques, ta colonne vertébral, mais je laisse en vie ton dissident : Morote est maintenant mon ami" (La Republica, 24/09/03) Nous ne fairons aucun commentaire supplémentaire à ce qui dit Martin Riva, résumé par le journal La Republica. Nous ajouterons seulement une chose. Martin Rivas, le criminel sanguinaire à la solde de l'Etat péruvien, a beaucoup d'autres choses à révéler. Par exemple, il devra dire (c'est sur qu'il le sait) ce qui s'est passé avec le chef de la guerilla maoiste, et révéler l'identité de cet homme de paille qui se présente comme le président Gonzalo et qui depuis 1993 rampe aux pieds des gouvernants. Bruxelles, 24 septembre 2003
(1) Luis Arce Borja, Opération Capitulation, histoire secrète des lettres de paix, publié par El Diario Internacional, numéro 24, novembre 1994. Cet article fut largement diffusé en espagnol, anglais, français, italien et portugais (2) On appelle Vladividéos les films en vidéos cassettes que Vladimiro Montesinos a réalisé sur toutes ses activités à l'intérieur du service de renseignement national (SIN). Dans ces vidéos apparaissent, à part les prisonniers traitres, quasiment tous les politiciens péruviens, ainsi que de nombreux journalistes, propriétaires des chaines de télévision, propriétaires et directeurs de journaux et de revues. (3) Umberto Jara a recueilli le témoignage de Martin Rivas dans un livre intitulé "Oeil pour oeil", et un commentaire de ce livre a été fait par La Republica dans son édition du 24 septembre 2003. Les extraits que nous reproduisons ici, viennent de ce moyen de communication. |