- Manufrance a déposé son bilan. Et cela
malgré les efforts du PCF et de la CGT, qui depuis
huit ans,
- mettent en pratique leurs " nouveaux
critères de gestion ", GERENT EUX- MEMES les
affaires de Manufrance. En deux mots " produisent
français " ! Les réformistes s'y sont
cassé les dents. Ceci après avoir perdu la
mairie de Saint Etienne, au profit de la droite ( en 83
). On ne peut tromper indéfiniment sans payer
l'addition. Combien de luttes détournées,
brisées lamentablement, au prix
d'écoeurement chez les ouvriers. Des mineurs aux
sidérurgistes, de la Chapelle-Darbley à
Montupet, de Talbot à Dufour... Aujourd'hui
Ducellier. On baptise à grands cris une nouvelle
lutte, exemplaire, et on enterre en silence dix
années de tromperies réformistes,
d'illusions, d'échecs, à la " Manu ".
- Rappelez-vous : 1977, 4000 travailleurs chez
Manufrance, qui vacille sous les effets de la crise.
- PCF/CGT conquièrent la mairie de Saint-Etienne
avec des mots d'ordre comme " pas un seul licenciement
à Manufrance ". 1978, reste 2400 travailleurs.
PCF/CGT approuvent le plan Gadot-Clet qui décide
de 374 licenciements pour" mieux rentabiliser et
organiser" la production. Sans oublier le millier de
licenciements, sous différentes formes, qui en un
an, rajeunit " la vieille dame ". Juin 81, reste 500
rescapés de la purge. Mais la gauche
c'était l'espoir ! Sous l'impulsion du PCF et de
la CGT, une SCOPD est créée (1).
Krasucki déclare: " Bien gérée,
ambitieuse, entreprenante, la SCOP Manufrance
créera progressivement de nouveaux emplois pour
atteindre les mille dans les trois mois ". C'est le
temps de l'union de la gauche, d'accéder aux
promesses. 25 milliards sont fournis par l'Etat,
du baptême à l'enterrement. " On va voir ce
qu'on va voir" affirme la CGT. On a vu. Les ouvriers de
Manufrance ont vu. Le gouvernement PS lâche la
SCOPD. Le Conseil d'Administration PCF/CGT
également.. Il a " constaté
l'impossibilité pour la coopérative de
poursuivre ses activités ". Krasucki n'a rien
déclaré... L'Huma reste silencieuse. 396
salariés sont à la rue. Et non des
moindres: (
voir encart ).
- Nous proposons dans cet article, d'aborder la
solution retenue chez Manufrance pour parer aux diffi-
- cultés économiques de l'heure."
Sauver l'emploi " sans trop de remise en cause.
Créer une SCOP " pour s'en sortir ". Avec
l'aggravation de la crise, cette idée fait du
chemin. Creusons-là.
HISTOIRE ANCIENNE
- Les premières SCOP apparaissent au
début du XIXème siècle (1830). Leur
création n'est donc pas
- nouvelle. Elles sont alors un des moyens associatifs,
collectifs, que se donnent les " ouvriers de
métiers " (2)
(typographes, horlogers, menuisiers, charpentiers,
bijoutiers, etc... ), pour résister au
développement du capitalisme. Celui-ci
étend à toute l'Europe concurrence,
échanges marchands, manufactures et salariat. Les
artisans sont poussés à la faillite. Les "
ouvriers de métiers " sont jetés au
chômage.
-
- Ils traversent l'époque où le
capitalisme les fait passer de l'atelier à la
grosse fabrique, les dépossède de
- LEUR travail. Les habitudes sont laminées.
Aussi s'associent-ils en coopératives, "
opposant la libre association des personnes à
celle du regroupement des capitaux ", pour faire face
aux lois du marché, ne pas disparaître. Pour
refuser un autre mode de vie et de travail que le
capitalisme leur impose.
-
- Bien entendu, cette réaction pratique au
capitalisme est liée aux idées politiques
du moment, dans l'état
- de développement de la société.
C'est-à-dire, début du capitalisme,
dominance de la petite production.
-
- Le mouvement ouvrier se constitue. Le socialisme en
tant que perspective, fait ses premiers pas. Les
- tendances communautaires, anarchistes, sont
dominantes (3).
La classe ouvrière, si l'on peut dire, se compose
de deux couches distinctes. D'abord les " ouvriers de
métiers ", " instruits ", sensibles et influents
sur les idées socialistes naissantes. Puis une
armée de " sans-métier ", chassée
des campagnes, qui vient s'embaucher dans les fabriques
des villes. Traditions et histoire différentes.
Conditions de travail et rapports au travail
différents. Différences donnant à
ces couches ouvrières des aspirations autres que
celles des " ouvriers de métiers ".
Le capitalisme va
transformer le travail
- Aussi, si le mouvement coopératif et le
mouvement syndical sont très proches à leur
origine, le divorce
- ne se fera pas attendre. La masse d'ouvriers
brassée par le capitalisme ne se retrouvant pas
unie sur les moyens et les buts de la lutte contre les
exploiteurs. La création de coopératives
d'abord reprise par le mouvement ouvrier et inscrite dans
le manifeste de la 1ère Internationale
créée en 1864, fut par la suite
rejetée, " accusée de favoriser
seulement un petit nombre de
privilégiés " ( Congrès ouvrier
de Marseille de 1879 ).
-
- Les ouvriers des manufactures sont face à un
industriel exploiteur. Ils veulent améliorer leurs
conditions
- de travail. Gagner sur les salaires. Faire
l'unité de tous les ouvriers contre tous les
exploiteurs.
-
- Les " ouvriers de métiers ", eux, se
considèrent " libres " ( car ils ont un
métier) face aux industriels.
- Cette considération divise plutôt que
d'unir. Développe le corporatisme. Ils opposent
l'atelier à la manufacture. Par les
coopératives, ils veulent " faire
disparaître les intermédiaires et introduire
le mode de travail par association (...), l'association
dans le travail est le véritable moyen
d'affranchir les classes salariées, en faisant
disparaître l'hostilité qui existe
aujourd'hui entre les chefs d'industrie et les
ouvriers " ( Société Coopérative
des Bijoutiers Parisiens, 1834 ). Nous reviendrons dans
la suite de cet article sur le contenu de cette
association, en analysant les " SCOP d'aujourd'hui ",
dont les principes généraux restent les
mêmes.
-
- Ce qui marque l'idéologie de ces " ouvriers de
métiers " tout comme leurs théoriciens,
c'est la lutte pour
- la survie de la petite production," la petite affaire
". Etre un maçon de l'artisanat défendant
le passé et non un fossoyeur du capitalisme
porteur de l'avenir. "L'association dans le
travail" remplace l'abolition du salariat comme
chemin à prendre pour se libérer de
l'exploitation. Raccourci qui réduit celle-ci au
non-respect de la libre entreprise, à la mort du
petit capitaliste face au gros. Ces petits producteurs
réclament le respect de la démocratie
bourgeoise, celle de 1789, de la Marseillaise et des
Droits de l'Homme.
-
- Ils ne perçoivent pas plus loin, que les
fenêtres de leur atelier. Sentez l'odeur de sapin
sous la scie,
- écoutez la chanson du marteau sur l'enclume,
disent-ils aux ouvriers des manufactures. Il faut se
battre pour cela. Joignez-vous à nous !
-
- Mais dans les manufactures, une classe
ouvrière se constitue, grossit, se syndicalise.
Elle voit se dessi-
- ner des intérêts et des objectifs de
classe, internationaux. Le mouvement ouvrier vit des
moments importants: la révolution de la
1ère Internationale en 1874, la parution du
Manifeste du Parti Communiste de Marx et d'Engels. Autant
d'évènements qui aident le socialisme
scientifique ( le marxisme) à
pénétrer le mouvement ouvrier, à lui
montrer qu'en finir avec les exploiteurs ce n'est pas
retourner vers l'atelier de l'artisan, mais commencer
à entrouvrir les portes du socialisme.
- (1) SCOPD :
Société Coopérative Ouvrière
de Production et de Distribution.
- SCOT: Société Coopérative
Ouvrière de Travailleurs, concerne uniquement les
services ( bureaux d'études, cabinet-conseils,
théâtre, entreprises de nettoyage... ).
- La Confédération Générale
des SCOP s'est crée en 1937. Elle est issue de la
Chambre Consultative des Associations Ouvrières
née en 1884. Elle regroupe la majorité des
SCOP et a pour fonction de les représenter
auprès des pouvoirs publics. Cette
Confédération est divisée en Unions
Régionales. Un Congrès tranche les
orientations et élit les représentants. Les
SCOP d'une même branche sont également
regroupées en Fédérations
Professionnelles.
-
- (2) Par "
ouvriers de métiers ", nous entendons les ouvriers
qualifiés travaillant avec des apprentis, pour un
maître-artisan.
-
- (3) Sur les
premiers pas du socialisme, retenons quelques noms:
Fourrier en France et Owen en Angleterre. Ils furent
proches du mouvement coopératif, dont ils
reprenaient les thèmes principaux, qu'ils
opposaient à la révolution violente,
dirigée par un prolétariat organisé.
Marx les appelait des socialistes utopistes (contraire de
scientifiques). Buchez qui fut un des apôtres de
l'association ouvrière en coopérative.
Proudhon, un des précurseurs de l'anarchisme. Il
était un fidèle défenseur de la
petite production contre la grande, espérait un
capitalisme sans contradictions, donc sans
révolution. Les grands événements de
la fin du XIXème siècle ( 1840-1900 )
forgèrent la conscience ouvrière,
aidèrent le mouvement ouvrier naissant à
rompre relativement avec des courants utopistes.
Notamment la Commune de Paris, qui montra au monde entier
que la classe ouvrière ne pouvait s'accommoder ne
serait-ce que d'une seule parcelle de capitalisme. Mais
construire un autre Etat, une autre
société. Pour cela, se doter d'une
armée ouvrière internationaliste,
dirigé par un Parti Communiste. Conséquence
de cette avancée, la 1ére Internationale
fut dissoute en 1864. Les courants utopistes y
étaient largement représentés.
LES SCOP AUJOURD'HUI
- Avec l'aggravation du chômage, les SCOP se
multiplient. Cela n'est pas nouveau non plus. Durant la
- crise de 1929, l'Etat bourgeois relança ce
type de création d'emplois. Aussi depuis le
début du tunnel en 73 les SCOP sont en ascension.
Et surtout depuis que la gauche est au gouvernement. Mai
81 a vu s'établir une reconnaissance." officielle
" du mouvement coopératif avec la création
du secteur dit d' " économie sociale ",
regroupant les mutuelles, les entreprises
d'intérêt collectif ( tout ce qui est
association pour créer quelque chose loin des
courbes du chômage) et les SCOP, le tout sous la
responsabilité d'un Secrétaire d'Etat,
chargé de promouvoir. Pourtant depuis 84, le
gouvernement socialiste freine ses aides
financières. Les SCOP connaissent elles aussi les
difficultés de la crise et les canards boiteux ne
recevront plus rien. Ainsi en ont décidé
les Ministères.
-
- Le mouvement coopératif a connu ces cinq
dernières années les chiffres record,
depuis sa création:
- 1300 SCOP adhérentes à la
Confédération Générale des
SCOP ( 40000 travailleurs 10 milliards de francs de
chiffre d'affaires, 9 500 emplois créés en
cinq ans ).
-
- Création d'emplois, mais aussi suppression.
Car il ne suffit pas de vouloir " travailler autrement ",
sous
- le capitalisme, pour se mettre à l'abri de ses
côtés néfastes. Le capital est un
rapport social de production. Cela signifie produire une
marchandise, avec un coût le plus bas possible, car
il y a concurrence. Et il faut gagner les marchés,
obtenir des prêts des banques, etc... Tout ceci
conditionne, dicte les rapports qu'échangent les
hommes dans une SCOP, ou dans une usine quelconque.
L'exemple de Manufrance le prouve. Des ouvriers
licencient d'autres ouvriers. Mais ne traitons pas ici de
ce qui le sera dans les prochains numéros de
Partisan. Arrêtons-nous ici sur les
conséquences.
Ducelier doit vivre
- Depuis 81, une centaine de SCOP disparaissent chaque
année. 40% ont cessé d'exister au bout de 4
- à 5 ans. Les SCOP les plus importantes
résistent mieux à la crise. Pourquoi ?
Parce qu'elles se sont mises à la page. Elles ont
été contraintes d'investir, de
dégraisser les effectifs, pour être
concurrentielles. Comme la SCOP Association des Ouvriers
en Instrument de Précision, dont le nombre de
salariés est passé de 4 665 à 1 215
entre 78 et 81. Un sondage de 83, cité dans
l'Expansion, faisait ressortir que 5 SCOP figuraient
parmi les mille premières entreprises
françaises. Pour obtenir un tel résultat,
nul doute qu'il faille faire, non différemment des
autres capitalistes, mais la même chose: exploiter
les ouvriers.
1947-1950:
un bon
cru
Les années 1947-1950, après la
seconde guerre mondiale, virent un essor important
des SCOP. Bien souvent sur des bases issues de la
Résistance. Après avoir tenu les
fusils tant d'années, pas question de
repartir comme avant, pensaient certains ouvriers
et artisans. Mais cette aspiration était
limitée, à un village, au copinage,
à l'artisanat : comme l'horlogerie, la
menuiserie. Ces coopérateurs voulaient "
lutter contre l'emprise de l'argent par
le partage de la vie de travail et participer
à la libération ouvrière
(...), ils cherchaient à promouvoir la
formation des travailleurs, par des cours du soir,
des groupes de travail (...) ".
Peu de SCOP réussirent à tenir
la route. Mises à part celles qui ont su
justement " faire de l'argent ", grossir leur
capital. Inévitablement. Une façon de
s'en libérer ! Cela reste tout de même
une illustration des aspirations que contenait la
Résistance.
|
(encart)
Le PC à la
MANU : t'a ta carte !
- " Ce n'est pas le gouvernement qui
nous licencie, mais le parti communiste et la
CGT " disaient 77 ouvriers
licenciés de la SCOPD Manufrance en
Septembre 83, alors regroupés en
comité d'autodéfense, pour refuser
la nouvelle vague de licenciements. " J'ai
donné l'argent ( primes de licenciement +
ASSEDIC de Juin 81 ) et on m'a dit, toi, tu es
à l'emballage armes et on a repris nos
manettes pour faire tourner la boite. Et
dès qu'on a ouvert la gueule, ils nous
ont claqué la porte ". Pas
question de récupérer quoi que ce
soit, car de toute façon, le PC et la CGT
leur avaient fait savoir " qu'on
déduirait les pertes de la
société de (leur) avoir ".
-
- D'après les ouvriers licenciés
à cette époque, " les
effectifs qui devaient rester stables se sont
gonflés de 496 à 819 en mai
83 ". Mais c'est très bien
pourrait-on dire ! Krasu l'avait promis et il
avait raison. Ah les " nouveaux
critères de gestion " du PCF !
C'est pas du toc comme les T.U.C. Dommage que
ça ait foiré tout de même. "
Tous les postes administratifs ont
été doublés "
révèle le comité
d'autodéfense des ouvriers
licenciés. " Avant c'était
le chef du personnel qui nous envoyait dans tel
ou tel atelier, maintenant cinq personnes font
ce travail ". Bonjour la promotion pour
les camarades du PC et de la CG T. " (...)
d'anciens collègues qui ont
multiplié leur salaire par trois
". Le secrétaire du syndicat CGT est
aussi directeur de la fabrication. Le chef du
personnel est au PC. D'après les ouvriers
licenciés, on a fait appel "
à l'extérieur ". On
a pas réembaucher des gars de Manufrance,
mais fait venir des camarades du Parti. En
veux-tu, en voilà ! Quelques
personnalités parisiennes et la SCOPD
Manufrance se retrouve avec 240 " non
productifs " sur l'effectif de 407
salariés. Nos oiseaux réformistes
quand ils peuvent se nicher ! Voilà le
socialisme auquel ils aspirent. Remplacer les
exploiteurs et nous laisser " les
manettes ".
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