Front Rouge -Revue théorique et politique du Parti Communiste Révolutionnaire marxiste-léniniste n°6 (nouvelle série) mai 1979.

 

CHINE-VIETNAM : LES RAISONS DU CONFLIT

L'opération de contre-offensive de la Chine à la frontière vietnamienne aura duré un mois, du 11 février au 16 mars. Elle a concerné, de Lao-cai à Langson, la région montagneuse bordant la frontière, qui avait servi de base d'agression contre les deux provinces chinoises du Guangxi et du Yunnan. Le caractère même de cette opération "limitée dans l'espace et dans le temps" a été largement dénaturé par la presse. France-Soir n'hésitait pas à titrer "Les Chinois à Dien Bien Phu", tandis que L'Humanité faisait état de "menaces sur Hanoï". Il est pourtant clair aujourd'hui que le but n'a jamais été une invasion, ni une occupation durable du territoire vietnamien conformément à ce que le gouvernement chinois avait annoncé dès les premières heures de cette riposte.

Le conflit sino-vietnamien a soulevé de nombreuses interrogations, particulièrement chez ceux qui ont soutenu la lutte de libération du peuple vietnamien contre l'impérialisme américain. Etait-ce en raison d'un conflit frontalier que deux pays considérés comme socialistes en venaient à une confrontation armée ? La Chine, qui a si souvent dénoncé les interventions extérieures allait-elle adopter des méthodes semblables pour imposer une ligne politique aux dirigeants vietnamiens ? Ou bien fallait-il croire, suivant une thèse assez répandue, que la Chine allait prendre en gage une partie du territoire vietnamien pour obtenir, en échange, l'évacuation des troupes vietnamiennes du Cambodge ?
Il était d'autant plus difficile de se faire un point de vue que les origines immédiates et lointaines de ce conflit, les positions de la Chine étaient passés sous silence ou déformées. En fait, pour porter une appréciation fondée sur ce problème, il faut bien examiner la nature de la politique actuelle des dirigeants vietnamiens en Asie du Sud- Est et de ses liens avec les visées mondiales de l'URSS.

L'EVOLUTION DU VIETNAM

En 30 ans de lutte de libération, 70 contre le colonialisme français, puis contre l'impérialisme américain, le peuple vietnamien a joué un rôle historique considérable. La guerre populaire qu'il a menée a constitué un exemple créateur pour de nombreuses luttes de libération dans le monde. La défaite qu'il a infligée à l'impérialisme américain a mis en branle son système de domination du monde, provoquant même une crise interne sans précédent aux USA: la victoire du peuple vietnamien, en même temps que celle des autres peuples d'Indochine a sanctionné la fin d'une période où l'impérialisme US se croyait en mesure d'imposer directement par la force sa loi aux peuples en lutte pour leur libération.

Mais aujourd'hui, quatre ans après la libération, quelle est la réalité du Vietnam ? Qu'en est-il de la construction d'une nouvelle société, alors que des dizaines de milliers de Vietnamiens continuent à, fuir le pays par tous les moyens, d'abord les Hoas, maintenant tous ceux qui veulent fuir la conscription de 18 à 45 ans ?
Qu'en est-il de l'indépendance, alors que le Vietnam est intégré au COMECON, que le nombre des conseillers soviétiques se multiplie et que l'ancienne base américaine : de Cam Ranh est visitée par la flotte de Brejnev ? Qu'en est-il de la solidarité et de la non-ingérence alors que près de 200 000 soldats vietnamiens ( 1/3 de l'armée régulière) sont engagés au Cambodge et au Laos ? Tous les arguments souvent donnés sur l'état désastreux dans lequel le Vietnam avait été laissé par l'agression américaine ne peuvent justifier cette politique des dirigeants vietnamiens. Cette situation exigeait au contraire qu'ils mobilisent toute l'énergie du peuple pour reconstruire le pays. Il faut reconnaître aujourd'hui qu'ils ne l'ont pas fait.

Pourtant, les dirigeants de Hanoi, pour l'essentiel, sont ceux qui, depuis plusieurs dizaines d'années, ont été à la tête de la lutte de libération et l'ont conduite à la victoire. Malgré la fermeté de leurs positions dans le cadre de cette lutte de libération, ont-ils pour autant mené de façon conséquente la lutte contre le révisionnisme ? Devant faire face à des problèmes nouveaux, ceux de la reconstruction du pays dans le cadre d'une situation internationale profondément bouleversée par rapport à 1945 et même à 1965, ils ont eu à faire rapidement après la libération des choix décisifs. Pour comprendre aujourd'hui l'évolution rapide de leur politique, il faut prendre en compte l'existence de la lutte entre les deux voies au sein d'un mouvement de libération, d'un parti communiste. Il n'est pas dans notre propos ici de retracer cette lutte dans le parti vietnamien, ce qui demanderait toute une étude. Il est cependant possible d'examiner, à partir de quelques points de repères, comment ce parti a pu passer de la dénonciation de certaines positions du révisionnisme khrouchtchévien à des positions révisionnistes exprimées notamment dans les textes du congrès de 1976.

De la dénonciation de Khrouchtchev au congrès de 1976

En 1963, le Parti communiste chinois dénonçait le révisionnisme soviétique, et en particulier les thèses de Khrouchtchev selon lesquelles les luttes de libération doivent être subordonnées à ce qu'il appelle "la coexistence pacifique", en fait les marchandages entre USA et URSS. Le P.C.C. apporte alors un soutien politique au peuple vietnamien qui entre dans les faits en contradiction avec la politique extérieure de l'URSS. A cette époque, alors que le parti soviétique provoque la scission au sein du mouvement communiste international, le parti vietnamien se refuse à condamner la Chine. Mais, plus encore, le parti vietnamien apporte une critique de certaines thèses révisionnistes. C'est ainsi que, commentant la Déclaration des 81 partis communistes de 1960, Le Duan déclarait: "Si l'on insiste de façon unilatérale sur la défense de la paix et les efforts en vue de la coexistence pacifique, sans s'attacher à donner une forte impulsion à la révolution dans les pays relevant du système capitaliste -ou que l'on freine le mouvement révolutionnaire par désir de défendre la paix et de gagner la coexistence pacifique - on causera un tort non négligeable aux masses..."
Dans un texte de 1963, Le Duan critiquait également la thèse du "passage pacifique" : "La bourgeoisie utilise jour par jour, heure par heure la violence et la violence la plus cynique et la plus brutale. Dans ces conditions, si l'on ne brise pas l'appareil de violence bourgeois, il n'y a aucun moyen pour la classe ouvrière de s'emparer du pouvoir d'Etat".
Ce dirigeant du parti vietnamien déclarait également: "A l'heure actuelle, devant la situation difficile et complexe de la nouvelle étape révolutionnaire dans notre pays, et devant la situation complexe du mouvement communiste international, certains membres de notre Parti, ainsi que l'ont déclaré beaucoup de camarades, ont subi l'influence du révisionnisme moderne. Ce nombre est infime, mais reste un mauvais signe qui doit retenir notre attention".

Toutefois la critique portée alors par le PTV porte essentiellement sur certains aspects de la politique révisionniste, celle de Khrouchtchev qui entrent en contradiction directe alors avec les objectifs fondamentaux de lutte de libération du Vietnam. A plusieurs reprises, le parti vietnamien rejette la ligne de capitulation que tente de lui imposer l'URSS. Fait révélateur: en novembre 1967, Ho Chi Minh renvoie au Comité central du parti soviétique l'Ordre de Lénine qu'il lui avait décerné. Mais la critique du révisionnisme effectuée par le parti vietnamien ne s'étendra pas à une caractérisation de la restauration du capitalisme, ni à plus forte raison par la suite à celle de la constitution de l'URSS en superpuissance. C'est ainsi qu'en 1968, Hanoï, comme Cuba, approuve sans réserves l'invasion soviétique de la Tchécoslovaquie, présentée comme une "mesure de fermeté à l'égard de l'impérialisme et de sauvegarde du socialisme". En effet, il semble que, loin de caractériser cette intervention comme l'amorce d'une politique social-impérialiste, la direction vietnamienne l'approuve en tant qu'attitude "dure" corrigeant la politique de collaboration avec l'impérialisme de Khrouchtchev.

En 1969, dans le testament d'Ho Chi Minh, il est écrit: "Je souhaite que notre Parti oeuvre de toutes ses forces et contribue de façon efficace au rétablissement de l'union entre les partis frères sur la base du marxisme-léninisme et de l'internationalisme prolétarien selon les exigences de la raison et du coeur". Ces lignes étaient publiées au moment même où l'URSS agressait la Chine sur la frontière de l'Oussouri, Il semble que le parti vietnamien se réfère toujours à une vision figée des contradictions dans le monde, telles qu'elles se présentaient au début des années 60 au moment de la scission du mouvement communiste international, au moment où l'impérialisme américain était encore "le gendarme des peuples", Pendant la période où la ligne révisionniste triomphe en URSS, où ce pays jette les bases d'une politique impérialiste, puis au début des années 70 commence à pratiquer une politique offensive de superpuissance, le Vietnam est directement confronté à l'impérialisme américain. Les dirigeants vietnamiens analyseront, semble-t-il, la situation internationale uniquement en fonction des intérêts directs de la guerre de libération dans laquelle ils sont engagés. Ils critiquent l'URSS quand elle met obstacle directement à cette lutte de libération. Mais à partir du moment où l'URSS apportera au Vietnam une aide limitée et conditionnelle, les divergences paraissent se résorber.

Pendant des années, les textes officiels vietnamiens vont rendre hommage, à parts égales, à l'URSS et à la Chine, faisant référence à un "camp socialiste" dont l'existence est devenue plus qu'hypothétique.
Après la libération, en 1975, le Vietnam entre dans une phase nouvelle et doit décider de choix cruciaux pour le pays désormais entièrement indépendant: comment organiser la reconstruction du pays ? Comment mener à bien la réunification ? Quelle ligne tracer pour l'édification interne du pays ? Ces choix sont inséparables de choix internationaux: quelle place va prendre le Vietnam nouvellement indépendant sur la scène internationale, par rapport au mouvement des pays du Tiers Monde et à l'hégémonisme ?
Une fois l'objectif de la victoire sur l'impérialisme américain atteint, le développement de la lutte entre les deux voies dans le parti vietnamien va semble-t-il s'accélérer, et, avec ces choix pour enjeu, aboutir à la prédominance de plus en plus nette d'une ligne révisionniste.
On perçoit les manifestations de ce processus déjà dans les textes du congrès de 1976 mais surtout dans les mesures politiques qui seront mises en oeuvre par la suite.
On trouvait dans les textes du congrès de 1976, à côté d'affirmations sur la nécessité de "compter sur ses propres forces" et de "donner au peuple le pouvoir de maître collectif" des positions coïncidant dans une large mesure avec celles de l'URSS. Il était écrit dans le rapport : "L'Union soviétique, qui intensifie actuellement l'édification de la base matérielle et technique du communisme, est devenue une grande puissance sur le plan de l'industrie et de la défense nationale... Le système socialiste mondial dispose aujourd'hui d'une force globale supérieure à celle de l'impérialisme". En même temps, le rapport rend hommage à la présence "des représentants des ouvriers dans le Parlement et des autres organismes élus de l'appareil d'Etat capitaliste" dans les pays capitalistes. Dans cette analyse de la situation internationale, il y a donc un "camp socialiste" dont l'URSS est forcément l'élément dirigeant opposé au "camp impérialiste" dont le chef de file est l'impérialisme US.
Le corollaire de ces thèses, c'est que, comme le déclare Nguyen Duy trinh, ministre des Affaires étrangères : "La coopération économique est devenue un aspect très important des rapports entre nos pays et les pays socialistes. Nous devons élargir nos rapports économiques, participer progressivement à la coopération et à la division du travail entre les pays frères, créer des conditions nous permettant d'édifier notre pays avec nos propres forces et de contribuer au renforcement du système socialiste". Une telle déclaration contenait en germe l'adhésion au COMECON réalisée dès juillet 1978.

Des choix décisifs

Le poids, finalement, prédominant de ces orientations révisionnistes dans le parti vietnamien va conduire à un certain nombre de choix politiques allant totalement à l'encontre des mots d'ordre : "Compter sur ses propres forces" et "Nous reconstruirons notre pays en plus beau".
Après plus de trente ans de guerre, les dirigeants vietnamiens pouvaient choisir de procéder à une large démobilisation des troupes pour concentrer les énergies sur la reconstruction du pays. Ils pouvaient choisir, en comptant principalement sur les forces nationales, de diversifier leurs échanges et leurs relations économiques avec de nombreux pays, stratégie en général adoptée par les pays non-alignés pour préserver leur indépendance.

Au contraire, les dirigeants vietnamiens ont maintenu sur pied de guerre une armée de 600 000 hommes doublée de milices. Récupérant l'essentiel de l'arsenal américain livré à Saigon, ils recevaient rapidement un armement sophistiqué de l'Union soviétique. Ils acceptent largement l' "aide" de conseillers venus d'URSS et de pays de l'Est et acceptent en revanche de subordonner leur économie à celle du soi-disant "camp socialiste".
A un type de développement fondé sur la mobilisation populaire pour la reconstruction nationale est substitué une sorte d'économie de guerre. A un développement de la démocratie socialiste rendu possible par la victoire sur l'impérialisme et la réaction, se substitue une politique très autoritaire. Il s'agit de mettre rapidement au pas tous ceux qui pourraient faire obstacle à ces projets.

La mise au pas

Cette politique autoritaire s'est rapidement manifestée avec la réunification du Vietnam, dès avril 1976. La population du Sud-Vietnam -séparé du Nord-Vietnam par la politique impérialiste -a consenti de très grands sacrifices dans la guerre de libération et lui a fourni de nombreux cadres. Bien que la réunification du pays fut une aspiration de tout le peuple, inscrite dans le programme de sa lutte, la personnalité du Sud était cependant reconnue par l'existence d'organisations distinctes, le Parti populaire révolutionnaire, le FNL, le G.R.P. On pouvait donc s'attendre à une fusion par étapes avec une participation équitable des cadres du Nord et du Sud au nouveau pouvoir. Or, cette réunification, effectuée à la hâte en un an, a pris pour l'essentiel la forme d'une mainmise du Nord sur le Sud. De nombreux cadres patriotes du Sud se sont vus rapidement exclus du pouvoir au profit d'administrateurs venant du Nord. Des communistes ayant adhéré au parti au cours de la lutte de libération étaient exclus en fonction de critères venus d'en haut. Cette politique s'est traduite par une campagne de répression à l'égard de nombreux éléments du peuple au Sud. C'est ainsi que le départ vers les "nouvelles zones économiques" destiné en principe à fournir un travail productif aux chômeurs des villes est devenu en fait une sanction contre des petits commerçants ou artisans classés comme "bourgeois" et expropriés".

Le rôle de la petite bourgeoisie (Giap,1966)

" La petite bourgeoisie englobe la masse des petits commerçants, petits propriétaires, artisans (. ..). Toutes ces couches petites bourgeoises sont opprimées et exploitées par l'impérialisme, la bourgeoisie compradore bureaucrate et les forces féodales. Leurs conditions de vie empirent de jour en jour. Mues par un esprit patriotique relativement élevé, elles sympathisent avec la révolution. Elles constituent la majorité des populations urbaines qui s'élèvent à près de quatre millions de personnes... Aussi, la petite bourgeoisie prise dans son ensemble constitue-t-elle une des forces motrices de la révolution et un allié sûr de la classe ouvrière (souligné dans le texte) ".

In Etudes vietnamiennes no8, p.15.

La campagne contre les Hoas
Cette politique de répression s'est tout particulièrement exercée à l'encontre des Vietnamiens Hoas (ressortissants vietnamiens d'origine chinoise). Elle a pris toutes les caractéristiques d'une campagne de persécutions aboutissant au départ à l'expulsion de plus de 200 000 sino-vietnamiens depuis 1977.

 Prenant prétexte du fait qu'au Sud-Vietnam, plusieurs grandes familles de capitalistes d'origine chinoise avaient contrôlé la distribution du riz et du fait que, comme partout en Asie, les Chinois sont souvent des petits commerçants, les autorités vietnamiennes ont fait de cette communauté chinoise un bouc émissaire de toutes les difficultés et de tous les échecs de l'économie. Tous traités comme des "capitalistes", ils ont dû subir la discrimination dans les salaires, l'approvisionnement, la promotion sociale. Leurs biens, même ceux des familles les plus modestes, ont été confisqués. Et cela en traçant une croix sur leur passé au cours de la lutte de libération. Un grand nombre de Hoas du Sud étaient des membres actifs du FNL et avaient adhéré au parti avant la libération : ce n'est pas un hasard si la cité chinoise de Cholon, près de Saïgon avait la réputation d'être une place-forte du FNL. Et c'est là que la politique d'expropriation et d'expulsion massives a été pratiquée.

 Mais cette politique a été également pratiquée au Nord où des Hoas brutalement privés de leur emploi, en même temps qu'on diminuait leur ration de nourriture, devaient fuir en achetant leur départ, frappés au passage par les gardes-frontières. Ceux qui habitaient près de la frontière avaient déjà été, dès 1977, refoulés en Chine, au nom de la "purification ethnique". Au Nord, les ressortissants d'origine chinoise qui ont été ainsi traités ne pouvaient être bien entendu, des capitalistes. Il s'agissait d'officiers et de soldats ayant participé à la guerre contre l'impérialisme américain. La campagne contre les Hoas était donc bien une campagne chauvine, destinée à masquer au peuple vietnamien les causes des difficultés sociales et économiques. Cette campagne reflète la manière dont le gouvernement de Hanoï a envisagé de traiter les contradictions et les problèmes à l'égard d'éléments du peuple ayant participé à la lutte de libération. De plus, d'après de nombreux témoignages, ces expropriations ont souvent profité à des cadres corrompus. Il est également notoire que des fonctionnaires taxent impitoyablement les candidats au départ sur des bateaux surchargés comme le Haï-Hong et organisent à prix d'or leur déportation.
Comment expliquer cette normalisation accélérée, cette volonté de mettre au pas le Sud, ces méthodes dictatoriales d'un pouvoir devenant extérieur aux masses ? Et en même temps, pourquoi ce peuple vietnamien, capable de réaliser des prodiges pendant la guerre de libération, se trouve-t-il dans une situation économique désastreuse, incapable de se suffire à lui-même ? Après le congrès de 1976, les dirigeants vietnamiens ne poursuivent pas véritablement le but qu'ils mettent en avant, celui de reconstruire le pays et de construire le socialisme, ce qui passerait par une mobilisation du peuple pour cette tâche et une reconversion de toute une partie des effectifs de l'armée. C'est déjà, à l'extérieur qu'ils recherchent des solutions, dans la conquête du grenier à riz cambodgien, dans la domination de la péninsule indochinoise, entreprises encouragées par l'URSS. la politique intérieure répressive et brutale est destinée à préparer l'aventure expansionniste pour laquelle les dirigeants de Hanoï veulent enrôler les Vietnamiens, éliminant à la hâte tous ceux qui pourraient y faire obstacle.

L'AVENTURE EXPANSIONNISTE 

La volonté de réaliser dans les faits une "fédération indochinoise" même s'ils s'en défendent, s'affirmera chez les dirigeants vietnamiens rapidement après la libération. Cet expansionnisme semble s'être greffé sur des racines plus anciennes: la persistance, dans le parti vietnamien, de positions chauvines vis-à-vis des autres peuples indochinois. A sa fondation, ce parti s'est appelé parti communiste indochinois. De 1947 à 1954, date des accords de Genève, il n'existait pas de mouvement révolutionnaire indépendant au Cambodge, mais une branche du PC indochinois, qui a développé un mouvement de guérilla des Khmers Issarak. Après la conférence de Genève, la plupart des combattants de ce mouvement se réfugient au Vietnam ou déposent les armes.
Le noyau révolutionnaire qui fonde en 1960 le parti communiste du Kampuchéa est indépendant de ce mouvement et part d'une base nationale. Passant à la clandestinité plusieurs années avant le coup d'État de Lon Nol, et l'intervention américaine, c'est lui qui sera à l'origine de la résistance contre l'impérialisme US. 

Or les dirigeants vietnamiens semblent ne pas avoir admis qu'il existe une révolution cambodgienne possédant une direction autonome. De 1970 à 1975, de nombreux conflits surgissent au sujet des zones frontalières de la piste Ho Chi-Minh contrôlées par les troupes vietnamiennes. Les dirigeants vietnamiens font pression sur les dirigeants de la résistance cambodgienne pour qu'ils acceptent une intégration militaire totale.
Après la libération, dès 1975, les troupes vietnamiennes s'emparent des îles Koh Way, contrairement à leur engagement de respecter les frontières du Cambodge. En juin 1975 se déroulent des négociations au cours desquelles les dirigeants cambodgiens ne peuvent obtenir aucune assurance du Vietnam au sujet des frontières.

 Dès 1976, les dirigeants vietnamiens tentent d'imposer au Cambodge des "relations spéciales" qu'il refuse. Dans ce but, ils vont combiner les pressions politiques, la subversion et les menaces militaires. Ils multiplient les incidents de frontières et tentent à plusieurs reprises de déstabiliser le Cambodge en utilisant des hommes à eux (Khmers Krom et anciens membres du PCI) infiltrés dans le parti et l'État du Cambodge.
Devant l'échec de leurs diverses tentatives, les dirigeants vietnamiens élaborent une première tentative d'invasion du Cambodge en décembre 1977, au début de la saison sèche. Il ne s'agit pas là d'un conflit frontalier, mais d'une attaque-éclair sur plusieurs fronts, dirigée au plus haut niveau et visant directement Phnom Penh. L'armée du Kampuchéa démocratique met en échec cette première tentative d'invasion en janvier 1978.
Après cet échec, les dirigeants de Hanoï décident de se donner tous les moyens politiques et militaires de réunion une conquête du Cambodge et un renversement du pouvoir qui est en place (cf article de R.P Paringaux dans Le Monde du 10 avril 1979). Après une tentative de coup d'État dans la région frontalière de la zone 203, c'est au cours d'une réunion du comité central du parti vietnamien de juillet 1978 qu'est décidée une offensive à la fin de l'année, au début de la saison sèche. Dans ce but, les dirigeants vietnamiens vont resserrer encore davantage leurs liens avec l'URSS pour obtenir son soutien politique et un accroissement de l'aide militaire. C'est dans cette perspective qu'en juillet 1978, le Vietnam adhère au COMECON.

En novembre, tous les dirigeants vietnamiens du Parti et de l'armée se rendent à Moscou pour signer le "traité d'amitié et de coopération" avec l'URSS. La nature militaire de ce traité est évidente quand on lit l'article 6 : "Au cas où l'une des deux parties serait attaquée ou menacée de l'être, les deux parties contractantes se consulteront immédiatement pour éliminer cette menace et prendront les mesures appropriées et efficaces en vue d'assurer la paix et la sécurité des deux pays".

 En même temps, à l'adresse de l'opinion publique internationale, les dirigeants vietnamiens déploient beaucoup d'efforts pour préparer politiquement leur offensive militaire. Plusieurs mois à l'avance, ils font état de "mouvements insurrectionnels" dans plusieurs provinces du Cambodge. Radio Hanoï multiplie les appels au renversement du gouvernement de Pol Pot. Début décembre, Hanoï annonce la formation du FUNSK, dont les origines ne sont pas expliquées, et les dirigeants inconnus. Ce "Front" reprend mot pour mot les thèses de Hanoï contre le Kampuchéa démocratique. C'est sous le couvert de cette organisation fantôme que cent mille hommes de l'armée vietnamienne, sans doute accompagnés de quelques milliers de Cambodgiens enrôlés parmi les réfugiés, partent à l'assaut du Cambodge le 25 décembre 1978.

 En prenant Phnom Penh, en occupant depuis maintenant plus de trois mois le Cambodge pour tenter en vain d'y imposer une administration fantoche, les dirigeants vietnamiens ont montré jusqu'où pouvait aller leur logique expansionniste: jusqu'à bafouer brutalement les exigences d'indépendance et de liberté qui furent celles du peuple vietnamien pendant toute la guerre de libération.
C'est une politique analogue, avec des moyens moins spectaculaires, que les dirigeants vietnamiens ont développée au Laos. Ils se sont servis des liens établis pendant la lutte de libération pour imposer à ce pays des "relations spéciales" grâce à un traité signé en 1977. Ainsi, ce petit pays comptant trois millions d'habitants a dû accepter le maintien de la présence de 50 000 soldats vietnamiens et une intégration économique et politique déjà avancée avec le Vietnam. Alors que le gouvernement laotien s'était efforcé de maintenir de bonnes relations avec la Chine et le Cambodge, il a été amené ces derniers mois à un alignement croissant sur la politique vietnamienne en Asie du Sud- Est.

 le Cambodge a-t-il "rompu la solidarité indochinoise"

Certains, notamment "Rouge" ont tenté de justifier l'invasion vietnamienne du Cambodge en affirmant que les dirigeants du Kampuchea démocratique avaient adopté une attitude chauvine, rompant la solidarité entre les peuples d'Indochine parce qu'ils refusaient des liens spéciaux avec le Vietnam. Cette thèse a également été développée dans l'Humanité.
Il est intéressant à ce sujet de rapporter sur quelles bases cette solidarité avait été définie lors de la Conférence des peuples indochinois de 1970. Nous citons également des commentaires de Sihanouk, deux ans après, sur la signification de la Conférence des peuples indochinois. 

la conférence au sommet des peuples indochinois de 1970

" S'inspirant du principe que la libération et la défense de chaque pays sont 1'oeuvre de son peuple, les différentes parties s'engagent à faire tout leur possible pour se prêter un soutien réciproque selon le désir de la partie intéressée et sur la base du respect mutuel... Dans les relations entre les trois pays, les parties sont déterminées à appliquer les cinq principes de coexistence pacifique: respect mutuel de la souveraineté et de l'intégrité territoriale; non-agression ; respect mutuel du régime politique de chacun et non-ingérence dans les affaires intérieures; égalité et avantages réciproques; coexistence pacifique. Les parties (...) reconnaissent et s'engagent à respecter l'intégrité territoriale du Cambodge dans ses frontières actuelles ".
( Déclaration commune )

" Le gouvernement de la République Démocratique du Vietnam s'engage à respecter l'intégrité territoriale du Cambodge dans ses frontières actuelles ".
( extrait de la déclaration de la R.D.V.N. ).

Commentaire de Sihanouk
"Cette conférence de l'optimisme combattant produisit un document, qui reste du plus haut intérêt, où s'expriment les deux idées qui nous sont chères: celle de la solidarité indochinoise, celle de l'originalité des trois combats et de la spécificité des diverses luttes. Pour une Indochine unie dans le respect absolu des souverainetés, tel est le sens du manifeste que nous lancions... Je suis frappé chaque jour davantage par la volonté de nos dirigeants de gauche de maintenir la plus stricte indépendance à l'égard de nos puissants alliés. Et la sincérité de M. Pham Van-Dong quand il s'affirme décidé à respecter notre indépendance et notre intégrité m'apparaÎt évidente. Au surplus, nos amis chinois sont eux-mêmes très attachés au respect des souverainetés en Indochine, à un équilibre harmonieux de la péninsule".
(Extrait de L'indochine vue de Pékin, 1972)

 POURQUOI LE CONFLIT

 Les éléments que nous avons fourni sur l'évolution de la situation intérieure du Vietnam et de sa politique extérieure ne peuvent permettre à eux seuls de caractériser le conflit entre la Chine et le Vietnam.
N'était-il pas possible que, malgré son évolution, le Vietnam conserve des relations de bon voisinage ou au moins de coexistence pacifique ? La Chine, comme l'avancent certains, n'aurait-elle pas voulu infléchir la politique intérieure d'un État voisin sur lequel elle estimerait avoir un droit de regard ? En fait, si la riposte chinoise ne peut être comprise indépendamment de la politique d'ensemble des dirigeants vietnamiens, il y a, de manière spécifique une dégradation des rapports entre le Vietnam et la Chine, dégradation qui s'est poursuivie parallèlement aux changements politiques que nous avons décrit précédemment.

 La question de l'aide

 C'est la question de l'aide qui a en premier lieu fait apparaître des problèmes dans les relations d'État à État entre la Chine et le Vietnam.
En effet, les dirigeants vietnamiens ont accusé la Chine de se servir de cette aide comme d'un moyen de pression. Il faut donc examiner quels sont les responsables de cette rupture. Pendant vingt ans, le peuple chinois au prix d'efforts et de sacrifices dans de nombreux domaines a apporté une aide considérable en armes, en vivres, en produits de toutes sortes au peuple vietnamien. Elle est estimée à une valeur de 10 milliards de dollars, en majorité non remboursable. En 1974, le Premier ministre vietnamien Phan Van Dong déclarait "le Parti et le gouvernement chinois ont accordé, dans toutes les circonstances, une aide et un soutien désintéressés au peuple vietnamien dans sa lutte révolutionnaire et dans la reconstruction de sa patrie". Mais dès 1976, Hoang Tung, directeur du Nhan Dan et membre du comité central du parti vietnamien, dans une déclaration au journaliste suédois Erik Pierre, exposait avec cynisme, le peu de cas faisaient dès lors les dirigeants vietnamiens de l'amitié avec la Chine. "Pendant la guerre au Vietnam, amener la Chine et l'Union soviétique à soutenir de tous leurs efforts le Nord-Vietnam c'était important pour le Vietnam. Maintenant, il ne lui est plus tellement nécessaire d'appliquer cette politique. Certes, le Vietnam est contigü à la partie Sud de ce grand pays qu'est la Chine, et ces rapports de voisinage comportent un côté positif en même temps qu'un côté négatif. En tout état de cause, les pressions politiques et culturelles venant du Nord doivent être éliminées: en conséquence, aujourd'hui, l'entente avec l'Union soviétique joue un rôle d'une extrême importance pour le Vietnam. L'Union soviétique espère vivement affaiblir l'influence chinoise dans cette partie du monde voilà qui coïncide avec les intérêts du Vietnam".
Des déclarations officieuses aussi franchement hostiles, accompagnant dès le Congrès de 1976 un alignement croissant sur les positions soviétiques n'ont pas empêché la Chine de poursuivre son aide. Certes, après la libération, elle a supprimé son aide militaire qui ne devait plus avoir d'objet, et elle a dû réduire son aide économique, étant donné les difficultés rencontrées par la Chine elle-même en 1976. Mais la réduction de cette aide, et les justifications données par la Chine à ce sujet (difficultés économiques liées à la ligne des Quatre, tremblement de terre) sont acceptées par les dirigeants vietnamiens. Et pourtant, quelques mois après ceux-ci prennent prétexte de ces mesures pour dénigrer l'aide de la Chine, affirmant qu'elle "servait à la Chine à faire du profit", et "n'était qu'un moyen d'exercer des pressions". En juin 1977, alors que le climat commençait à se détériorer, le Vice-Premier ministre Li Xiannian (Li Xian-nian) lance aux dirigeants vietnamiens un avertissement. Cependant, la Chine poursuit son aide, alors même que se développe la campagne contre les Hoas, et que les techniciens chinois sont souvent injuriés ou maltraités. La Chine n'interrompra cette aide qu'en juillet 1978, alors que la tension rend désormais toute coopération impossible.

 Après 1976, la campagne de persécutions visant à l'expulsion de plus de 200 000 Hoas a également provoqué une dégradation des relations avec la Chine. Le statut des sino-vietnamiens avait fait l'objet d'un accord entre les deux gouvernement en 1955. Il y était précisé : "Les Chinois résidant au Nord-Vietnam, à condition qu'ils jouissent des mêmes droits que les Vietnamiens peuvent, par étapes, devenir des citoyens vietnamiens, selon le principe du libre consentement et après un long et patient travail idéologique de persuasion et d'éducation. Quant à la question des Chinois résidant au Sud-Vietnam, elle doit être discutée et réglée par les deux pays après la libération du Sud-Vietnam". "Les Chinois doivent jouir d'une liberté totale quant à l'option pour la nationalité vietnamienne, il ne faut absolument pas les y obliger. Il faut continuer à accorder tous les droits à ceux qui n'ont pas encore adopté de leur propre gré la nationalité vietnamienne et s'abstenir d'adopter une attitude discriminatoire à leur égard. Sur le plan politique, les résidents chinois au Vietnam jouissent des mêmes droits et remplissent les mêmes devoirs que les Vietnamiens; sur le plan économique, ils ont la liberté de se livrer, conformément aux lois, aux activités industrielles et commerciales; sur le plan culturel, ils ont la liberté d'ouvrir des écoles et d'éditer des journaux; et leurs moeurs et coutumes doivent être respectés".
Comme nous l'avons vu, contrairement à ses engagements, le gouvernement vietnamien, après la libération a tenté d'imposer autoritairement la nationalité vietnamienne aux Chinois du Sud, pratiquant à leur égard une politique de discrimination pour les forcer au départ s'ils refusaient. Une politique analogue est pratiquée au Nord.

 Cette campagne contre les Hoas, détériore les relations d'État à État. En effet, les dirigeants vietnamiens font en fin de compte retomber la responsabilité de cette situation sur la Chine. Ainsi, Xuan Thuy, secrétaire du comité central du PTV déclare: "Un certain nombre de gens mauvais parmi les Hoas ont lancé des allégations tendant à semer la discorde entre le Vietnam et la Chine, à duper les Chinois vivant au Vietnam... Ils ont prétendu que le gouvernement chinois appelle les résidents chinois à l'étranger à revenir édifier leur patrie et que ceux qui ne rentreraient pas seraient des traîtres". Par de telles allégations, les dirigeants de Hanoï voulaient insinuer que la communauté chinoise était un cheval de Troie de la Chine à l'intérieur du pays et accusaient la Chine et manipuler les Hoas. Thèse invraisemblable : comment imaginer que des dizaines de milliers de travailleurs intégrés de longue date à la société du Nord-Vietnam auraient obéi soudain à des injonctions venues de Pékin ? En fait, les dirigeants vietnamiens voulaient masquer leur politique de discrimination par une campagne chauvine anti-chinoise. De plus ils ont provoqué la rupture des négociations à ce sujet en août 1978 et ont refusé les mesures proposées par la Chine pour faciliter l'évacuation des réfugiés comme l'envoi de bateaux. L'afflux incessant des réfugiés a posé d'énormes problèmes aux autorités et aux populations des provinces chinoises qui devaient les accueillir, en même temps qu'il accentuait l'atmosphère de tension à la frontière.

 Les provocations à la frontière

 Alors que Hanoï faisait monter progressivement la tension dans les relations entre les deux pays, c'est à la frontière que, à partir d'incidents isolés et de provocations, est apparu un véritable conflit militaire.
Jusqu'à la libération du Vietnam, il n'existait pas de conflit frontalier entre les deux pays. En ce qui concerne la frontière terrestre, elle avait été fixée par un traité élaboré de 1885 à 1897 entre le gouvernement impérial chinois et le gouvernement colonial français. Etant donné les rapports existant à cette époque entre la France et une Chine semi-colonisée, rien n'indique que cette délimitation ait été défavorable au Vietnam. Cette ligne avait été matérialisée par des bornes frontières posées conjointement par les deux parties. Si, par la suite, des divergences de détail ont pu surgir au sujet de ce tracé, en 1958, un échange de lettres entre les comités centraux des deux partis avait convenu d'un statu quo et il n'y avait pas eu d'incidents de frontières avant 1974.

En ce qui concerne les "îles Nansha et Xisha, une déclaration chinoise du" 4 septembre 1958 proclamait leur appartenance au territoire chinois. Elle avait été approuvée et reconnue par Pham Van Dong le 14 septembre de la même année. Ce n'est qu'en 1975 que le gouvernement vietnamien a changé de position en émettant des revendications territoriales sur ces deux groupes d'îles; il avait immédiatement reçu le soutien de l'URSS qui changeait également alors de position à ce sujet.
Depuis 1975, sans tenir compte des engagements et sans recourir à des négociations, le gouvernement vietnamien a remis en cause la ligne frontalière en de nombreux points dans les régions voisines de la province du Yunnan et de la région autonome du Guangxi. Les troupes vietnamiennes commencent à déplacer les bornes, à installer des fortifications et des tranchées em- piétant sur le territoire chinois, pratiquant en de nombreux points un grignotage systématique. Cette conduite va provoquer des incidents de plus en plus nombreux et de plus en plus graves: il y en aura 400 en 1975, 1100 en 1978, causant cette année des centaines de morts et de blessés. 

C'est en effet en 1978; année où les dirigeants vietnamiens développent leur expansionnisme en Indochine et se lient étroitement à l'URSS qu'ils portent leurs provocations à un degré tout à fait nouveau. Le 1er août, les soldats vietnamiens forcent 2000 réfugiés à franchir la passe de Yeou Yi Kouan en leur tirant dessus. Dès lors, les mitraillages se font quotidiens. Les agressions rendent désormais la vie impossible aux paysans et aux autres travailleurs de la région frontière. Des familles qui ont directement soutenu depuis des dizaines d'années les combattants vietnamiens, en les nourrissant, en les accueillant, en assurant le transport de l'aide, sont touchées et doivent abandonner leurs villages sous les balles des troupes de Hanoï.
Alors qu'à la frontière même se déroulent ces provocations, le gouvernement vietnamien concentre des troupes, installe des camps militaires et des bases de missiles, tout un dispositif d'agression annonçant des opérations d'une tout autre envergure contre le territoire chinois. En septembre, le reportage de l'Evènement (TF1) à la frontière chinoise nous avait fait découvrir d'une part les soldats vietnamiens lançant depuis un poste-frontière des insultes contre la Chine, mais aussi, depuis un poste d'observation chinois, un aperçu du vaste dispositif militaire qui se mettait en place du côté vietnamien. De même les journalistes français accompagnant Guiringaud dans sa visite au Vietnam avaient été étonnés par l'agressivité des dirigeants vietnamiens.

 Jusqu'en février 1979, l'escalade des provocations ne cessera pas : envois de commandos sur le territoire chinois, attaques de chalutiers dans les eaux chinoises, attaques des trains passant près de la frontière en février.

 En attaquant la Chine populaire, les dirigeants vietnamiens se conforment aux visées de l'URSS. Mais en même temps, ils poursuivent des buts propres, internes: des décennies de solidarité et d'amitié combattante entre le peuple vietnamien et le peuple chinois peuvent difficilement être effacées du jour au lendemain. De plus, il n'est guère possible que cette amitié et cette solidarité ne se soient pas accompagnées d'un intérêt pour les orientations politiques du Parti communiste chinois, son analyse de la situation internationale, ses conceptions sur l'édification du socialisme. Attaquer la Chine populaire, pour les dirigeants vietnamiens, susciter une campagne de dénigrement et d'hostilité à l'égard des ressortissants chinois, c'est du même coup essayer de briser ces liens d'amitié, ces interrogations politiques, pour les submerger sous une vague de chauvinisme anti-chinois, en ressuscitant l'idée de "l'ennemi héréditaire" chinois, comme si la Chine était restée l'empire féodal des siècles passés. Enfin, c'est, sur la base du chauvinisme, tenter de ressouder une unité autour de leur politique expansionniste, tenter de faire taire les oppositions à l'aventure militaire au Cambodge, en couvrant bruyamment les accusations justifiées de la République populaire de Chine.

LA CONTRE-OFFENSIVE CHINOISE

La contre-offensive de la Chine au Vietnam n'a pas été une surprise. Bien au contraire, elle a été précédée de nombreux avertissements formulés plusieurs mois à l'avance devant l'opinion publique internationale. En décembre 1978, l'organe central du Parti communiste chinois publie un article intitulé : "Notre patience a des limites". Il y est déclaré: "Nous tenons à avertir solennellement les autorités vietnamiennes: si vous continuez à agir arbitrairement en vous appuyant sur le soutien soviétique pour réaliser vos ambitions insatiables, vous ne manquerez pas de subir un châtiment mérité et n'allez , pas nous dire que nous ne vous avons pas prévenus". Par la suite, à plusieurs reprises, le vice-premier ministre Deng Xiaoping a déclaré que la Chine se verrait contrainte de "donner une leçon au Vietnam".
En adressant de tels avertissements et en procédant à une opération limitée dans l'espace et le temps, le gouvernement chinois voulait fixer clairement le cadre et les buts de cette opération. Il ne se prévaut pas d'un droit de regard sur ses voisins, ni d'une théorie de la "souveraineté limitée" comme l'URSS à l'égard des pays de l'Est.

 Le 17 février 1979, dans la déclaration officielle du gouvernement chinois annonçant la contre-offensive, il était déclaré: "Que les troupes de défense de la frontière chinoise se soient dressées pour la contre-attaque, c'est là une action tout à fait juste. Désireux d'édifier notre pays, nous avons besoin d'une conjoncture internationale de paix, et nous ne voulons pas la guerre. Nous ne prétendons à aucun pouce de territoire vietnamien et nous ne permettons absolument pas qu'on envahisse délibérément la territoire de notre pays. Ce que nous souhaitons, c'est une frontière de paix et de tranquillité. Après avoir contre-attaqué comme il se doit les agresseurs vietnamiens, les troupes de défense de la frontière chinoise s'en tiendront strictement à a défense de la frontière de la patrie". Le 5 mars, le gouvernement chinois annonçait le début du retrait de ces troupes vers le territoire nationale : ce retrait était effectif et total le 16 mars. Le gouvernement chinois l'a accompagné de propositions de négociations immédiates.

 Ainsi la contre-offensive chinoise s'est conformée au cadre et aux objectifs fixés, alors que l'ensemble de la presse n'a cessé de la présenter comme une opération d'invasion et de conquête. Cette contre-offensive n'est pas de même nature que l'invasion vietnamienne du Cambodge. En effet, les dirigeants vietnamiens se sont donnés pour but de renverser le régime politique d'un pays voisin. Dans ce but, ils ont utilisé la propagande, la subversion et l'agression directe. Alors qu'en novembre, Pham Van Dong déclarait en Thailande que le Vietnam n'envahirait jamais le Cambodge, Hanoï créait le FUNSK début décembre et envoyait 100 000 hommes envahir le pays en janvier .
L'invasion vietnamienne revêt toutes les caractéristiques d'une guerre de conquête, avec une occupation militaire s'étendant sur tout le pays et visant à imposer une nouvelle administration, un régime fantoche. Au contraire, l'opération de contre-offensive de la Chine avait un but déterminé, riposter aux provocations à la frontière, obliger le gouvernement vietnamien à négocier et "rabattre son arrogance". Elle n'impliquait nullement l'annexion de portions du territoire vietnamien, ni sa volonté d'imposer, un changement de régime politique au Vietnam. 

Les conséquences 

La première conséquence de la riposte chinoise, celle qui était recherchée en premier. c'est la sûreté de la frontière avec le Vietnam. En effet, elle a permis à l'armée chinoise de détruire le dispositif militaire installé dans la région frontalière, dispositif comprenant des camps militaires des forteresses et des bases de missiles. Ce dispositif, au-delà des provocations frontalières, aurait permis aux dirigeants vietnamiens d'agresser la province du Yunnan et la région du Guangxi, compromettant gravement la sécurité de la Chine.
Cette contre-offensive a en même temps contraint les dirigeants vietnamiens à la négociation. En effet, après un mois de tergiversations sous prétexte que des troupes chinoises seraient encore sur le territoire vietnamien, Hanoï a accepté l'ouverture de négociations devant débuter le 18 avril. Le 14 avril, une délégation chinoise est arrivée à Hanoï.

 La deuxième conséquence de cette opération a été de mettre en difficulté la politique expansionniste du Vietnam au Cambodge. Il convient toutefois de noter que le gouvernement chinois n'a jamais subordonné son retrait du Vietnam à celui des troupes vietnamiennes du Cambodge, puisqu'il avait annoncé à l'avance ce retrait et que l'objectif à atteindre était la sûreté de la frontière avec le Vietnam. Néanmoins, la contre-offensive chinoise a eu des répercussions positives sur la situation au Cambodge tant du point de vue militaire que du point de vue politique.
Du point de vue militaire, l'arm6e vietnamienne, mobilisée au Nord, n'a pas eu les mains libres pour mener l'offensive généralisée prévue en février-mars contre la résistance cambodgienne. Alors que l'invasion de janvier ne lui a permis de contrôler que les grandes localités et certaines voies de communication, l'armée vietnamienne devait lancer une opération pour tenter de gagner des positions avant la saison des pluies qui commence en avril. Elle n'a pu la commencer qu'au dernier moment, début avril.

 Du point de vue politique, la contre-offensive chinoise, en posant à l'ONU le problème de la situation en Asie du Sud-Est a permis de faire ressurgir la question du Cambodge qui avait été déjà enterrée grâce au veto soviétique et à la passivité des Occidentaux. A l'occasion du débat qui s'est poursuivi à ce sujet, la plupart des pays ont pris position pour le "retrait de toutes les troupes étrangères". Pendant les cinq réunions du Conseil de sécurité qui se sont succédées du 23 au 28 février, la majorité des interventions allait dans ce sens, demandant à la fois le retrait des troupes vietnamiens du Cambodge et celui des troupes chinoises au Vietnam. A plusieurs reprises, l'URSS, le Vietnam et leurs alliés ont manoeuvré pour empêcher le vote d'une telle résolution proposée par les non-alignés. Au même moment, Pham Van Dong venait signer à la hâte un traité avec les fantoches du FUNSK à Phnom Penh pour légaliser après coup l'occupation du Cambodge. Le 16 mars, les pays de l'ASEAN mettaient aux voix un projet de résolution qui demandait "le retrait des troupes des pays en conflit". Dans son intervention, le représentant de la Chine, Chen Chu, critiquait certains aspects du projet de l'ASEAN, affirmant qu'elle ne condamnait pas assez sévèrement l'agression vietnamienne et que la Chine ne pouvait admettre l'appréciation négative portée sur sa contre-offensive. Mais il disait en conclusion: "Malgré cela, nous avons noté que les termes du premier paragraphe qui "exigent de toutes les parties la cessation de tout acte d'hostilité" et ceux du deuxième paragraphe qui exigent "le retrait de leurs forces dans leur propre pays" s'adressent indubitablement et naturellement en premier lieu au Vietnam qui devrait mettre un terme immédiat à son agression armée et à son occupation militaire du Kampuchéa démocratique et retirer inconditionnellement et sans délai toutes ses forces d'agression dans son propre territoire. C'est dans ce sens que nous avons considéré le contenu essentiel du projet de résolution comme positif et que nous avons voté en sa faveur".
Depuis l'ouverture des débats, la délégation chinoise avait soutenu les projets de résolution des non-alignés demandant le retrait réciproque, même si ces textes mettaient en cause la riposte de la Chine au Vietnam. En effet, le gouvernement chinois s'était engagé à retirer totalement ses troupes et c'est ce qu'il venait de faire, le 16 mars, quand il a voté la résolution de l'ASEAN qui, en pratique, ne concernait plus alors que le Vietnam.
Le projet de résolution de l'ASEAN a reçu 13 voix pour et 2 contre (l'URSS et la Tchécoslovaquie). Comme en janvier, quand une même majorité avait condamné l'invasion vietnamienne du Cambodge, l'URSS a opposé son veto à la résolution des pays de l'ASEAN. l'URSS a ainsi montré qu'elle se tenait derrière l'expansionnisme vietnamien et a accru son isolement. Au contraire, la Chine en votant une résolution qui ne lui était pas favorable et en tenant son engagement de retirer ses troupes, a montré sa bonne volonté et a remis à l'ordre du jour la dénonciation de l'invasion vietnamienne du Cambodge.

 Autre conséquence: la presse chinoise explique que le "mythe de l'invincibilité des agresseurs vietnamiens a été brisé" et leur "arrogance rabattue". Que signifie cette expression ? Que la riposte chinoise aura forcément des répercussions sur la position du Vietnam dans le Sud-Est asiatique. En effet, si l'armée vietnamienne avait pu défier impunément la Chine et bafouer sa souveraineté, les dirigeants vietnamiens auraient pu se prévaloir de leur supériorité militaire pour imposer leur hégémonie aux pays de la région. La contre-offensive chinoise constitue donc un exemple pour les peuples du Sud-Est asiatique menacés par cette hégémonie; elle exerce une influence sur les Etats dont la nature de classe et la fragilité rendent incertaine leur capacité de résistance à l'expansionnisme.
Enfin, la contre-offensive chinoise a accentué les contradictions existant entre la stratégie de l'URSS et celle du Vietnam. Si, en effet, les entreprises expansionnistes du Vietnam sont soutenues et encouragées par l'URSS et s'inscrivent dans ses plans de domination du monde, cependant leurs intérêts ne coïncident pas forcément à tout moment. L'expérience a montré que l'URSS n'était pas prête à prendre n'importe quels risques pour intervenir directement aux côtés du Vietnam: si l'URSS a intensifié son soutien logistique et ses livraisons de matériel militaire, elle a évité de se livrer à une opération de représailles directe contre la Chine, alors qu'une telle opération était très probablement souhaitée par les dirigeants vietnamiens.

C'est que, dans le cadre de ses préparatifs de guerre, le social-impérialisme cherche à gagner le maximum d'avantages politiques et militaires dans le monde. Dans la période actuelle, il semble capital pour l'URSS d'endormir la méfiance des dirigeants: européens et d'obtenir un maximum d'avantages des USA dans les négociations SALT sur la limitation des armements stratégiques. Un conflit direct avec la Chine aurait bouleversé ce processus : tout en multipliant les avertissements à la Chine et les manoeuvres politiques sur la scène internationale, Brejnev s'est abstenu d'une intervention militaire directe, ce qui lui a permis de s'attirer les compliments de Giscard et Schmidt pour sa prétendue "modération". Mais, de ce fait, les dirigeants vietnamiens auront pu se rendre compte que, si l'URSS encourageait leurs aventures expansionnistes dans la mesure où elles la servent, elle pouvait tout aussi bien sacrifier le Vietnam à ses intérêts à long terme.
La situation économique reste désastreuse. Et le gouvernement n'offre comme perspective que la continuation de la guerre dans la péninsule indochinoise. Dans ces conditions, le peuple vietnamien ne saurait accepter indéfiniment la politique de dirigeants qui bafouent brutalement les idéaux d'indépendance et de liberté pour lesquels il s'est battu, avec héroïsme, des années durant.
En opérant la contre-offensive de février-mars, la Chine a, comme elle l'a déclaré, défendu légitimement la sécurité de sa frontière. Elle a également contribué à faire reculer l'hégémonisme régional et le social-impérialisme en Asie du Sud-Est. L'action de la Chine a également revêtu une importante signification à l'égard des peuples et pays du monde entier, menacés par le danger de guerre dont l'URSS est aujourd'hui le foyer principal. Face à ces mesures, il existe en particulier en Europe, une attitude qu'on peut qualifier de munichoise, par référence aux accords de Munich de 1938 où les Occidentaux ont prétendu sauver la paix en livrant à Hitler la Tchécoslovaquie. Cette attitude consiste à faire confiance à la politique de "détente" de Brejnev, à nier l'agressivité de l'URSS ou du moins à croire l'apaiser en lui faisant des concessions. Attitude illustrée par un André Fontaine du "Monde", qui présentait la Chine comme un fauteur de guerre et conseillait aux gouvernements occidentaux de ne pas lui vendre d'armes pour ne pas mécontenter l'URSS.
La Chine a fourni l'exemple d'une attitude opposée. Elle a montré qu'il est possible de résister à l'hégémonisme et à l'expansionnisme en adoptant une attitude de fermeté politique, en unissant les forces anti-hégémoniques, et en répondant à la force, si besoin est, par la force. Une telle politique contribue à faire reculer le danger de guerre, elle est conforme à l'intérêt des peuples du monde et de la révolution.

 20 avril1979.

 la place du Vietnam dans la stratégie soviétique
Aujourd'hui, le Vietnam tient une place très importante dans la stratégie de l'URSS pour l'hégémonie mondiale, tant par le rôle qu'il peut jouer dans l'ensemble du monde que par celui qu'il remplit en Asie du Sud-Est.
Alors que les pays du Tiers-Monde, à des degrés divers, prennent conscience des dangers de la "politique de grande puissance" de l'Union Soviétique et se méfient souvent de ses entreprises, le Vietnam, encore plus que Cuba, constitue un ambassadeur remarquable pour la politique extérieure du social-impérialisme. Du fait du rôle historique exemplaire qu'a joué la lutte de libération du peuple vietnamien, le gouvernement de Hanoï jouit encore d'un grand prestige qui lui permet d'être un agent efficace du social-impérialisme dans le Tiers-Monde. Ainsi, au cours de la tournée internationale qu'a effectuée Robert Mugabe, dirigeant de la ZANU pendant l'été 1978, il a tenu à donner un éclat tout particulier à sa visite à Hanoi; alors même que le mouvement de libération du Zimbabwe s'est montré particulièrement vigilant à l'égard des ingérences de la superpuissance soviétique.
Avec Cuba, le Vietnam joue également un rôle de cheval de Troie de l'URSS au sein du mouvement des non-alignés. En effet, en 1976, le Vietnam réunifié prenait place dans ce mouvement auquel le GRP avait adhéré. C'est tout de suite pour y défendre assez nettement un alignement de fait sur ce qu'Hanoï appelle "camp socialiste". Dès la conférence de Colombo, en août 1976, Pham Van-dong veut concilier une appartenance au bloc soviétique avec le non-alignement. Il affirme alors que le mouvement des non-alignés sera d'autant plus fort qu'il s'adossera plus fermement au "camp socialiste". Au cours de la conférence des ministres des non-alignés de juillet 1978, son rôle est encore plus clair, puisque le gouvernement vietnamien, aux côtés de Cuba, soutient la thèse de l'URSS "alliée naturelle" du mouvement des non-alignés, tandis que de nombreux pays, du fait de son intervention dans la Corne de l'Afrique, demandent l'expulsion de Cuba du mouvement. De son côté, le Cambodge demande alors la condamnation du Vietnam pour sa politique expansionniste.
Mais pour l'URSS, le Vietnam doit jouer un rôle bien particulier en Asie du Sud-Est, celui d'un "avant- poste du socialisme", d'un véritable Cuba asiatique.
La région de l'Asie du Sud-Est qui a été longtemps un point fort de l'impérialisme américain est aujourd'hui une zone où le social-impérialisme développe ses entreprises expansionnistes; à l'Ouest, après avoir développé une implantation économique et militaire dans le continent indien, notamment avec la guerre du Bangla-Desh de 1971, l'URSS a étendu l'année dernière son emprise sur l'Afghanistan où elle est engagée dans une intervention militaire directe contre la rébellion musulmane. A l'Est du continent, vis-à-vis du Japon qui n'a pas les moyens d'une défense propre et qui est extrêmement dépendant de l'extérieur pour ses approvisionnements en matières premières, l'URSS multiplie les pressions politiques, économiques et militaires en occupant ses zones de pêche et en voulant l'intégrer à une politique de coopération en Sibérie.
Au centre de l'Asie du Sud-Est, la péninsule indochinoise est voisine des pays de l'ASEAN. Ces pays ont en commun de représenter un important enjeu économique et d'être politiquement assez fragiles. Ils sont très liés économiquement à l'impérialisme américain qui y a implanté des industries de main-d'oeuvre représentant une part importante de ses importations en produits manufacturés ( 31,3 % pour l'ensemble de l'Asie du Sud ). Or les USA ont considérablement allégé leur dispositif militaire en Thaïlande et aux Philippines.
Les Etats de l'ASEAN ont également pour caractéristique leur instabilité potentielle; comme en Thaïlande et en Birmanie, les guerillas révolutionnaires y contrôlent depuis longtemps des zones libérées, tandis que des régions entières occupées par des minorités nationales en rébellion échappent au contrôle des gouvernements ; ainsi la région du Triangle d'Or.
Conscients de leur fragilité et des limites de la protection américaine, les gouvernements de l'ASEAN se sont efforcés de transformer le pacte pro-américain qui les avait unis en un axe de coopération régionale. Ils ont coordonné leurs politiques étrangères pour les infléchir dans le sens du non-alignement et ont établi des relations de bon voisinage et d'amitié avec la Chine.
Etant donné la puissance militaire actuelle de Hanoi; il est clair qu'une armée vietnamienne contrôlant l'ensemble de la péninsule indochinoise représente une menace directe pour les pays de l'ASEAN. Hanoï peut entreprendre la subversion en Birmanie, à partir du Laos et en Thaïlande à partir du Cambodge. Il peut employer les mêmes méthodes qu'au Cambodge: mise sur pied d'organisations fantoches à partir de nationalités existant de chaque côté des frontières. En Thaïlande, la guerilla du Parti Communiste Thaïlandais mène une lutte de libération en se déclarant opposé aux deux superpuissances. Au cours de son voyage en Thaïlande, l'année dernière, Pham Van-Dong a déclaré que le Vietnam ne soutiendrait pas la guerilla thaïlandaise, prêt à tout pour rassurer le gouvernement de ce pays. Cependant, il est assez clair qu'Hanoï espère, à partir du Cambodge, prendre le contrôle de ce mouvement de libération pour le soumettre à ses visées et à celles de l'URSS.
Avec le contrôle des pays de l'ASEAN, ce qui est en cause, stratégiquement, pour l'URSS, c'est le détroit de Malacca. C'est par ce détroit, situé entre l'lndonésie et la Malaisie, que transite le pétrole à destination du Japon en provenance du Proche-Orient. Il est le passage obligé de tout le commerce entre le Japon et l'Europe. C'est également par ce détroit que passent les flottes de guerre et les sous-marins pour aller de l'Océan indien au Pacifique. C'est dire l'importance que revêt le contrôle de ce détroit dans le cadre des préparatifs de guerre de Brejnev. D'ailleurs, en s'implantant au Vietnam, l'URSS a déjà pu renforcer le dispositif de sa flotte de guerre. Entre ses points de mouillage dans l'Océan indien et ses bases navales à Vladivostok, plus récemment à Etorofu ( île japonaise annexée), l'URSS est en train de s'installer dans la base de CamRanh, construite au Vietnam par les Américains.
Alors même qu'ils les menaçaient militairement en tentant de prendre le contrôle de la péninsule indochinoise, Hanoï et Moscou ont multiplié les avances politiques en direction des Etats de l'ASEAN en leur proposant une "zone de paix, d'indépendance authentique et de neutralité" qui était en fait une réédition du "pacte de sécurité collective asiatique", pacte antichinois proposé par Brejnev il y a dix ans. Ces propositions ont suscité une méfiance qui n'a fait qu'augmenter avec l'invasion vietnamienne du Cambodge.
Ainsi, l'intérêt de Moscou pour l'Asie du Sud-Est, de même que ses entreprises en Afrique, ne peut être expliqué seulement par ses visées sur le continent, mais il doit être rapporté à ses ambitions mondiales et à ses préparatifs de guerre. L'URSS entend disputer cette zone à l'hégémonie américaine, mais surtout entend contrôler des voies maritimes et des sources d'approvisionnement importantes pour l'Europe et le Japon.
D'autre part, le Vietnam joue aussi un rôle particulier à l'égard de la Chine. Non bien sûr que Brejnev envisage à court ou moyen terme une conquête de la Chine par l'intermédiaire du Vietnam. Mais, en créant une situation d'insécurité, en faisant de deux provinces chinoises un abcès de fixation, l'URSS entendait qu'Hanoï mette obstacle à la politique des quatre modernisations. Moscou craint en effet par dessus tout le renforcement de la Chine qui éveille la vigilance des peuples du monde sur les préparatifs de guerre de l'URSS et constitue un obstacle de taille à la réalisation de ses objectifs de domination du monde. 

 

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