CHINE-VIETNAM : LES RAISONS DU
CONFLIT
L'opération de
contre-offensive de la Chine à la frontière
vietnamienne aura duré un mois, du 11 février
au 16 mars. Elle a concerné, de Lao-cai à
Langson, la région montagneuse bordant la
frontière, qui avait servi de base d'agression contre
les deux provinces chinoises du Guangxi et du Yunnan. Le
caractère même de cette opération
"limitée dans l'espace et dans le temps" a
été largement dénaturé par la
presse. France-Soir n'hésitait pas à titrer
"Les Chinois à Dien Bien Phu", tandis que
L'Humanité faisait état de "menaces sur
Hanoï". Il est pourtant clair aujourd'hui que le but
n'a jamais été une invasion, ni une occupation
durable du territoire vietnamien conformément
à ce que le gouvernement chinois avait annoncé
dès les premières heures de cette
riposte.
Le conflit sino-vietnamien a
soulevé de nombreuses interrogations,
particulièrement chez ceux qui ont soutenu la lutte
de libération du peuple vietnamien contre
l'impérialisme américain. Etait-ce en raison
d'un conflit frontalier que deux pays
considérés comme socialistes en venaient
à une confrontation armée ? La Chine, qui a si
souvent dénoncé les interventions
extérieures allait-elle adopter des méthodes
semblables pour imposer une ligne politique aux dirigeants
vietnamiens ? Ou bien fallait-il croire, suivant une
thèse assez répandue, que la Chine allait
prendre en gage une partie du territoire vietnamien pour
obtenir, en échange, l'évacuation des troupes
vietnamiennes du Cambodge ?
Il était d'autant plus
difficile de se faire un point de vue que les origines
immédiates et lointaines de ce conflit, les positions
de la Chine étaient passés sous silence ou
déformées. En fait, pour porter une
appréciation fondée sur ce problème, il
faut bien examiner la nature de la politique actuelle des
dirigeants vietnamiens en Asie du Sud- Est et de ses liens
avec les visées mondiales de l'URSS.
L'EVOLUTION DU VIETNAM
En 30 ans de lutte de
libération, 70 contre le colonialisme
français, puis contre l'impérialisme
américain, le peuple vietnamien a joué un
rôle historique considérable. La guerre
populaire qu'il a menée a constitué un exemple
créateur pour de nombreuses luttes de
libération dans le monde. La défaite qu'il a
infligée à l'impérialisme
américain a mis en branle son système de
domination du monde, provoquant même une crise interne
sans précédent aux USA: la victoire du peuple
vietnamien, en même temps que celle des autres peuples
d'Indochine a sanctionné la fin d'une période
où l'impérialisme US se croyait en mesure
d'imposer directement par la force sa loi aux peuples en
lutte pour leur libération.
Mais aujourd'hui, quatre ans
après la libération, quelle est la
réalité du Vietnam ? Qu'en est-il de la
construction d'une nouvelle société, alors que
des dizaines de milliers de Vietnamiens continuent à,
fuir le pays par tous les moyens, d'abord les Hoas,
maintenant tous ceux qui veulent fuir la conscription de 18
à 45 ans ?
Qu'en est-il de
l'indépendance, alors que le Vietnam est
intégré au COMECON, que le nombre des
conseillers soviétiques se multiplie et que
l'ancienne base américaine : de Cam Ranh est
visitée par la flotte de Brejnev ? Qu'en est-il de la
solidarité et de la non-ingérence alors que
près de 200 000 soldats vietnamiens ( 1/3 de
l'armée régulière) sont engagés
au Cambodge et au Laos ? Tous les arguments souvent
donnés sur l'état désastreux dans
lequel le Vietnam avait été laissé par
l'agression américaine ne peuvent justifier cette
politique des dirigeants vietnamiens. Cette situation
exigeait au contraire qu'ils mobilisent toute
l'énergie du peuple pour reconstruire le pays. Il
faut reconnaître aujourd'hui qu'ils ne l'ont pas fait.
Pourtant, les dirigeants de Hanoi,
pour l'essentiel, sont ceux qui, depuis plusieurs dizaines
d'années, ont été à la
tête de la lutte de libération et l'ont
conduite à la victoire. Malgré la
fermeté de leurs positions dans le cadre de cette
lutte de libération, ont-ils pour autant mené
de façon conséquente la lutte contre le
révisionnisme ? Devant faire face à des
problèmes nouveaux, ceux de la reconstruction du pays
dans le cadre d'une situation internationale
profondément bouleversée par rapport à
1945 et même à 1965, ils ont eu à faire
rapidement après la libération des choix
décisifs. Pour comprendre aujourd'hui
l'évolution rapide de leur politique, il faut prendre
en compte l'existence de la lutte entre les deux voies au
sein d'un mouvement de libération, d'un parti
communiste. Il n'est pas dans notre propos ici de retracer
cette lutte dans le parti vietnamien, ce qui demanderait
toute une étude. Il est cependant possible
d'examiner, à partir de quelques points de
repères, comment ce parti a pu passer de la
dénonciation de certaines positions du
révisionnisme khrouchtchévien à des
positions révisionnistes exprimées notamment
dans les textes du congrès de 1976.
De la dénonciation de
Khrouchtchev au congrès de 1976
En 1963, le Parti communiste chinois
dénonçait le révisionnisme
soviétique, et en particulier les thèses de
Khrouchtchev selon lesquelles les luttes de
libération doivent être subordonnées
à ce qu'il appelle "la coexistence pacifique", en
fait les marchandages entre USA et URSS. Le P.C.C. apporte
alors un soutien politique au peuple vietnamien qui entre
dans les faits en contradiction avec la politique
extérieure de l'URSS. A cette époque, alors
que le parti soviétique provoque la scission au sein
du mouvement communiste international, le parti vietnamien
se refuse à condamner la Chine. Mais, plus encore, le
parti vietnamien apporte une critique de certaines
thèses révisionnistes. C'est ainsi que,
commentant la Déclaration des 81 partis communistes
de 1960, Le Duan déclarait: "Si l'on insiste de
façon unilatérale sur la défense de la
paix et les efforts en vue de la coexistence pacifique, sans
s'attacher à donner une forte impulsion à la
révolution dans les pays relevant du système
capitaliste -ou que l'on freine le mouvement
révolutionnaire par désir de défendre
la paix et de gagner la coexistence pacifique - on causera
un tort non négligeable aux masses..."
Dans un texte de 1963, Le Duan
critiquait également la thèse du "passage
pacifique" : "La bourgeoisie utilise jour par jour, heure
par heure la violence et la violence la plus cynique et la
plus brutale. Dans ces conditions, si l'on ne brise pas
l'appareil de violence bourgeois, il n'y a aucun moyen pour
la classe ouvrière de s'emparer du pouvoir
d'Etat".
Ce dirigeant du parti
vietnamien déclarait également: "A l'heure
actuelle, devant la situation difficile et complexe de la
nouvelle étape révolutionnaire dans notre
pays, et devant la situation complexe du mouvement
communiste international, certains membres de notre Parti,
ainsi que l'ont déclaré beaucoup de camarades,
ont subi l'influence du révisionnisme moderne. Ce
nombre est infime, mais reste un mauvais signe qui doit
retenir notre attention".
Toutefois la critique portée
alors par le PTV porte essentiellement sur certains aspects
de la politique révisionniste, celle de Khrouchtchev
qui entrent en contradiction directe alors avec les
objectifs fondamentaux de lutte de libération du
Vietnam. A plusieurs reprises, le parti vietnamien rejette
la ligne de capitulation que tente de lui imposer l'URSS.
Fait révélateur: en novembre 1967, Ho Chi Minh
renvoie au Comité central du parti soviétique
l'Ordre de Lénine qu'il lui avait
décerné. Mais la critique du
révisionnisme effectuée par le parti
vietnamien ne s'étendra pas à une
caractérisation de la restauration du capitalisme, ni
à plus forte raison par la suite à celle de la
constitution de l'URSS en superpuissance. C'est ainsi qu'en
1968, Hanoï, comme Cuba, approuve sans réserves
l'invasion soviétique de la Tchécoslovaquie,
présentée comme une "mesure de fermeté
à l'égard de l'impérialisme et de
sauvegarde du socialisme". En effet, il semble que, loin de
caractériser cette intervention comme l'amorce d'une
politique social-impérialiste, la direction
vietnamienne l'approuve en tant qu'attitude "dure"
corrigeant la politique de collaboration avec
l'impérialisme de Khrouchtchev.
En 1969, dans le testament d'Ho Chi
Minh, il est écrit: "Je souhaite que notre Parti
oeuvre de toutes ses forces et contribue de façon
efficace au rétablissement de l'union entre les
partis frères sur la base du
marxisme-léninisme et de l'internationalisme
prolétarien selon les exigences de la raison et du
coeur". Ces lignes étaient publiées au moment
même où l'URSS agressait la Chine sur la
frontière de l'Oussouri, Il semble que le parti
vietnamien se réfère toujours à une
vision figée des contradictions dans le monde, telles
qu'elles se présentaient au début des
années 60 au moment de la scission du mouvement
communiste international, au moment où
l'impérialisme américain était encore
"le gendarme des peuples", Pendant la période
où la ligne révisionniste triomphe en URSS,
où ce pays jette les bases d'une politique
impérialiste, puis au début des années
70 commence à pratiquer une politique offensive de
superpuissance, le Vietnam est directement confronté
à l'impérialisme américain. Les
dirigeants vietnamiens analyseront, semble-t-il, la
situation internationale uniquement en fonction des
intérêts directs de la guerre de
libération dans laquelle ils sont engagés. Ils
critiquent l'URSS quand elle met obstacle directement
à cette lutte de libération. Mais à
partir du moment où l'URSS apportera au Vietnam une
aide limitée et conditionnelle, les divergences
paraissent se résorber.
Pendant des années, les textes
officiels vietnamiens vont rendre hommage, à parts
égales, à l'URSS et à la Chine, faisant
référence à un "camp socialiste" dont
l'existence est devenue plus
qu'hypothétique.
Après la
libération, en 1975, le Vietnam entre dans une phase
nouvelle et doit décider de choix cruciaux pour le
pays désormais entièrement indépendant:
comment organiser la reconstruction du pays ? Comment mener
à bien la réunification ? Quelle ligne tracer
pour l'édification interne du pays ? Ces choix sont
inséparables de choix internationaux: quelle place va
prendre le Vietnam nouvellement indépendant sur la
scène internationale, par rapport au mouvement des
pays du Tiers Monde et à l'hégémonisme
?
Une fois l'objectif de la
victoire sur l'impérialisme américain atteint,
le développement de la lutte entre les deux voies
dans le parti vietnamien va semble-t-il
s'accélérer, et, avec ces choix pour enjeu,
aboutir à la prédominance de plus en plus
nette d'une ligne révisionniste.
On perçoit les
manifestations de ce processus déjà dans les
textes du congrès de 1976 mais surtout dans les
mesures politiques qui seront mises en oeuvre par la
suite.
On trouvait dans les textes du
congrès de 1976, à côté
d'affirmations sur la nécessité de "compter
sur ses propres forces" et de "donner au peuple le pouvoir
de maître collectif" des positions coïncidant
dans une large mesure avec celles de l'URSS. Il était
écrit dans le rapport : "L'Union soviétique,
qui intensifie actuellement l'édification de la base
matérielle et technique du communisme, est devenue
une grande puissance sur le plan de l'industrie et de la
défense nationale... Le système socialiste
mondial dispose aujourd'hui d'une force globale
supérieure à celle de l'impérialisme".
En même temps, le rapport rend hommage à la
présence "des représentants des ouvriers dans
le Parlement et des autres organismes élus de
l'appareil d'Etat capitaliste" dans les pays capitalistes.
Dans cette analyse de la situation internationale, il y a
donc un "camp socialiste" dont l'URSS est forcément
l'élément dirigeant opposé au "camp
impérialiste" dont le chef de file est
l'impérialisme US.
Le corollaire de ces
thèses, c'est que, comme le déclare Nguyen Duy
trinh, ministre des Affaires étrangères : "La
coopération économique est devenue un aspect
très important des rapports entre nos pays et les
pays socialistes. Nous devons élargir nos rapports
économiques, participer progressivement à la
coopération et à la division du travail entre
les pays frères, créer des conditions nous
permettant d'édifier notre pays avec nos propres
forces et de contribuer au renforcement du système
socialiste". Une telle déclaration contenait en germe
l'adhésion au COMECON réalisée
dès juillet 1978.
Des choix
décisifs
Le poids, finalement,
prédominant de ces orientations révisionnistes
dans le parti vietnamien va conduire à un certain
nombre de choix politiques allant totalement à
l'encontre des mots d'ordre : "Compter sur ses propres
forces" et "Nous reconstruirons notre pays en plus
beau".
Après plus de trente
ans de guerre, les dirigeants vietnamiens pouvaient choisir
de procéder à une large démobilisation
des troupes pour concentrer les énergies sur la
reconstruction du pays. Ils pouvaient choisir, en comptant
principalement sur les forces nationales, de diversifier
leurs échanges et leurs relations économiques
avec de nombreux pays, stratégie en
général adoptée par les pays
non-alignés pour préserver leur
indépendance.
Au contraire, les dirigeants
vietnamiens ont maintenu sur pied de guerre une armée
de 600 000 hommes doublée de milices.
Récupérant l'essentiel de l'arsenal
américain livré à Saigon, ils
recevaient rapidement un armement sophistiqué de
l'Union soviétique. Ils acceptent largement l' "aide"
de conseillers venus d'URSS et de pays de l'Est et acceptent
en revanche de subordonner leur économie à
celle du soi-disant "camp socialiste".
A un type de
développement fondé sur la mobilisation
populaire pour la reconstruction nationale est
substitué une sorte d'économie de guerre. A un
développement de la démocratie socialiste
rendu possible par la victoire sur l'impérialisme et
la réaction, se substitue une politique très
autoritaire. Il s'agit de mettre rapidement au pas tous ceux
qui pourraient faire obstacle à ces projets.
La mise au pas
Cette politique autoritaire s'est
rapidement manifestée avec la réunification du
Vietnam, dès avril 1976. La population du Sud-Vietnam
-séparé du Nord-Vietnam par la politique
impérialiste -a consenti de très grands
sacrifices dans la guerre de libération et lui a
fourni de nombreux cadres. Bien que la réunification
du pays fut une aspiration de tout le peuple, inscrite dans
le programme de sa lutte, la personnalité du Sud
était cependant reconnue par l'existence
d'organisations distinctes, le Parti populaire
révolutionnaire, le FNL, le G.R.P. On pouvait donc
s'attendre à une fusion par étapes avec une
participation équitable des cadres du Nord et du Sud
au nouveau pouvoir. Or, cette réunification,
effectuée à la hâte en un an, a pris
pour l'essentiel la forme d'une mainmise du Nord sur le Sud.
De nombreux cadres patriotes du Sud se sont vus rapidement
exclus du pouvoir au profit d'administrateurs venant du
Nord. Des communistes ayant adhéré au parti au
cours de la lutte de libération étaient exclus
en fonction de critères venus d'en haut. Cette
politique s'est traduite par une campagne de
répression à l'égard de nombreux
éléments du peuple au Sud. C'est ainsi que le
départ vers les "nouvelles zones économiques"
destiné en principe à fournir un travail
productif aux chômeurs des villes est devenu en fait
une sanction contre des petits commerçants ou
artisans classés comme "bourgeois" et
expropriés".
Le rôle de la petite bourgeoisie
(Giap,1966)
" La petite bourgeoisie englobe la masse des
petits commerçants, petits
propriétaires, artisans (. ..). Toutes ces
couches petites bourgeoises sont opprimées
et exploitées par l'impérialisme, la
bourgeoisie compradore bureaucrate et les forces
féodales. Leurs conditions de vie empirent
de jour en jour. Mues par un esprit patriotique
relativement élevé, elles
sympathisent avec la révolution. Elles
constituent la majorité des populations
urbaines qui s'élèvent à
près de quatre millions de personnes...
Aussi, la petite bourgeoisie prise dans son
ensemble constitue-t-elle une des forces motrices
de la révolution et un allié
sûr de la classe ouvrière
(souligné dans le texte) ".
In Etudes vietnamiennes no8, p.15.
|
La campagne contre les
Hoas
Cette politique de
répression s'est tout particulièrement
exercée à l'encontre des Vietnamiens Hoas
(ressortissants vietnamiens d'origine chinoise). Elle a pris
toutes les caractéristiques d'une campagne de
persécutions aboutissant au départ à
l'expulsion de plus de 200 000 sino-vietnamiens depuis
1977.
Prenant prétexte du fait
qu'au Sud-Vietnam, plusieurs grandes familles de
capitalistes d'origine chinoise avaient
contrôlé la distribution du riz et du fait que,
comme partout en Asie, les Chinois sont souvent des petits
commerçants, les autorités vietnamiennes ont
fait de cette communauté chinoise un bouc
émissaire de toutes les difficultés et de tous
les échecs de l'économie. Tous traités
comme des "capitalistes", ils ont dû subir la
discrimination dans les salaires, l'approvisionnement, la
promotion sociale. Leurs biens, même ceux des familles
les plus modestes, ont été confisqués.
Et cela en traçant une croix sur leur passé au
cours de la lutte de libération. Un grand nombre de
Hoas du Sud étaient des membres actifs du FNL et
avaient adhéré au parti avant la
libération : ce n'est pas un hasard si la cité
chinoise de Cholon, près de Saïgon avait la
réputation d'être une place-forte du FNL. Et
c'est là que la politique d'expropriation et
d'expulsion massives a été
pratiquée.
Mais cette politique a
été également pratiquée au Nord
où des Hoas brutalement privés de leur emploi,
en même temps qu'on diminuait leur ration de
nourriture, devaient fuir en achetant leur départ,
frappés au passage par les gardes-frontières.
Ceux qui habitaient près de la frontière
avaient déjà été, dès
1977, refoulés en Chine, au nom de la "purification
ethnique". Au Nord, les ressortissants d'origine chinoise
qui ont été ainsi traités ne pouvaient
être bien entendu, des capitalistes. Il s'agissait
d'officiers et de soldats ayant participé à la
guerre contre l'impérialisme américain. La
campagne contre les Hoas était donc bien une campagne
chauvine, destinée à masquer au peuple
vietnamien les causes des difficultés sociales et
économiques. Cette campagne reflète la
manière dont le gouvernement de Hanoï a
envisagé de traiter les contradictions et les
problèmes à l'égard
d'éléments du peuple ayant participé
à la lutte de libération. De plus,
d'après de nombreux témoignages, ces
expropriations ont souvent profité à des
cadres corrompus. Il est également notoire que des
fonctionnaires taxent impitoyablement les candidats au
départ sur des bateaux surchargés comme le
Haï-Hong et organisent à prix d'or leur
déportation.
Comment expliquer cette
normalisation accélérée, cette
volonté de mettre au pas le Sud, ces méthodes
dictatoriales d'un pouvoir devenant extérieur aux
masses ? Et en même temps, pourquoi ce peuple
vietnamien, capable de réaliser des prodiges pendant
la guerre de libération, se trouve-t-il dans une
situation économique désastreuse, incapable de
se suffire à lui-même ? Après le
congrès de 1976, les dirigeants vietnamiens ne
poursuivent pas véritablement le but qu'ils mettent
en avant, celui de reconstruire le pays et de construire le
socialisme, ce qui passerait par une mobilisation du peuple
pour cette tâche et une reconversion de toute une
partie des effectifs de l'armée. C'est
déjà, à l'extérieur qu'ils
recherchent des solutions, dans la conquête du grenier
à riz cambodgien, dans la domination de la
péninsule indochinoise, entreprises
encouragées par l'URSS. la politique
intérieure répressive et brutale est
destinée à préparer l'aventure
expansionniste pour laquelle les dirigeants de Hanoï
veulent enrôler les Vietnamiens, éliminant
à la hâte tous ceux qui pourraient y faire
obstacle.
L'AVENTURE
EXPANSIONNISTE
La volonté de réaliser
dans les faits une "fédération indochinoise"
même s'ils s'en défendent, s'affirmera chez les
dirigeants vietnamiens rapidement après la
libération. Cet expansionnisme semble s'être
greffé sur des racines plus anciennes: la
persistance, dans le parti vietnamien, de positions
chauvines vis-à-vis des autres peuples indochinois. A
sa fondation, ce parti s'est appelé parti communiste
indochinois. De 1947 à 1954, date des accords de
Genève, il n'existait pas de mouvement
révolutionnaire indépendant au Cambodge, mais
une branche du PC indochinois, qui a développé
un mouvement de guérilla des Khmers Issarak.
Après la conférence de Genève, la
plupart des combattants de ce mouvement se réfugient
au Vietnam ou déposent les armes.
Le noyau
révolutionnaire qui fonde en 1960 le parti communiste
du Kampuchéa est indépendant de ce mouvement
et part d'une base nationale. Passant à la
clandestinité plusieurs années avant le coup
d'État de Lon Nol, et l'intervention
américaine, c'est lui qui sera à l'origine de
la résistance contre l'impérialisme
US.
Or les dirigeants vietnamiens semblent
ne pas avoir admis qu'il existe une révolution
cambodgienne possédant une direction autonome. De
1970 à 1975, de nombreux conflits surgissent au sujet
des zones frontalières de la piste Ho Chi-Minh
contrôlées par les troupes vietnamiennes. Les
dirigeants vietnamiens font pression sur les dirigeants de
la résistance cambodgienne pour qu'ils acceptent une
intégration militaire totale.
Après la
libération, dès 1975, les troupes
vietnamiennes s'emparent des îles Koh Way,
contrairement à leur engagement de respecter les
frontières du Cambodge. En juin 1975 se
déroulent des négociations au cours desquelles
les dirigeants cambodgiens ne peuvent obtenir aucune
assurance du Vietnam au sujet des frontières.
Dès 1976, les dirigeants
vietnamiens tentent d'imposer au Cambodge des "relations
spéciales" qu'il refuse. Dans ce but, ils vont
combiner les pressions politiques, la subversion et les
menaces militaires. Ils multiplient les incidents de
frontières et tentent à plusieurs reprises de
déstabiliser le Cambodge en utilisant des hommes
à eux (Khmers Krom et anciens membres du PCI)
infiltrés dans le parti et l'État du
Cambodge.
Devant l'échec de leurs
diverses tentatives, les dirigeants vietnamiens
élaborent une première tentative d'invasion du
Cambodge en décembre 1977, au début de la
saison sèche. Il ne s'agit pas là d'un conflit
frontalier, mais d'une attaque-éclair sur plusieurs
fronts, dirigée au plus haut niveau et visant
directement Phnom Penh. L'armée du Kampuchéa
démocratique met en échec cette
première tentative d'invasion en janvier
1978.
Après cet échec,
les dirigeants de Hanoï décident de se donner
tous les moyens politiques et militaires de réunion
une conquête du Cambodge et un renversement du pouvoir
qui est en place (cf article de R.P Paringaux dans Le Monde
du 10 avril 1979). Après une tentative de coup
d'État dans la région frontalière de la
zone 203, c'est au cours d'une réunion du
comité central du parti vietnamien de juillet 1978
qu'est décidée une offensive à la fin
de l'année, au début de la saison
sèche. Dans ce but, les dirigeants vietnamiens vont
resserrer encore davantage leurs liens avec l'URSS pour
obtenir son soutien politique et un accroissement de l'aide
militaire. C'est dans cette perspective qu'en juillet 1978,
le Vietnam adhère au COMECON.
En novembre, tous les dirigeants
vietnamiens du Parti et de l'armée se rendent
à Moscou pour signer le "traité
d'amitié et de coopération" avec l'URSS. La
nature militaire de ce traité est évidente
quand on lit l'article 6 : "Au cas où l'une des deux
parties serait attaquée ou menacée de
l'être, les deux parties contractantes se consulteront
immédiatement pour éliminer cette menace et
prendront les mesures appropriées et efficaces en vue
d'assurer la paix et la sécurité des deux
pays".
En même temps, à
l'adresse de l'opinion publique internationale, les
dirigeants vietnamiens déploient beaucoup d'efforts
pour préparer politiquement leur offensive militaire.
Plusieurs mois à l'avance, ils font état de
"mouvements insurrectionnels" dans plusieurs provinces du
Cambodge. Radio Hanoï multiplie les appels au
renversement du gouvernement de Pol Pot. Début
décembre, Hanoï annonce la formation du FUNSK,
dont les origines ne sont pas expliquées, et les
dirigeants inconnus. Ce "Front" reprend mot pour mot les
thèses de Hanoï contre le Kampuchéa
démocratique. C'est sous le couvert de cette
organisation fantôme que cent mille hommes de
l'armée vietnamienne, sans doute accompagnés
de quelques milliers de Cambodgiens enrôlés
parmi les réfugiés, partent à l'assaut
du Cambodge le 25 décembre 1978.
En prenant Phnom Penh, en
occupant depuis maintenant plus de trois mois le Cambodge
pour tenter en vain d'y imposer une administration fantoche,
les dirigeants vietnamiens ont montré jusqu'où
pouvait aller leur logique expansionniste: jusqu'à
bafouer brutalement les exigences d'indépendance et
de liberté qui furent celles du peuple vietnamien
pendant toute la guerre de libération.
C'est une politique analogue,
avec des moyens moins spectaculaires, que les dirigeants
vietnamiens ont développée au Laos. Ils se
sont servis des liens établis pendant la lutte de
libération pour imposer à ce pays des
"relations spéciales" grâce à un
traité signé en 1977. Ainsi, ce petit pays
comptant trois millions d'habitants a dû accepter le
maintien de la présence de 50 000 soldats vietnamiens
et une intégration économique et politique
déjà avancée avec le Vietnam. Alors que
le gouvernement laotien s'était efforcé de
maintenir de bonnes relations avec la Chine et le Cambodge,
il a été amené ces derniers mois
à un alignement croissant sur la politique
vietnamienne en Asie du Sud- Est.
le Cambodge a-t-il "rompu la
solidarité indochinoise"
Certains, notamment "Rouge" ont
tenté de justifier l'invasion vietnamienne du
Cambodge en affirmant que les dirigeants du Kampuchea
démocratique avaient adopté une attitude
chauvine, rompant la solidarité entre les peuples
d'Indochine parce qu'ils refusaient des liens
spéciaux avec le Vietnam. Cette thèse a
également été développée
dans l'Humanité.
Il est intéressant
à ce sujet de rapporter sur quelles bases cette
solidarité avait été définie
lors de la Conférence des peuples indochinois de
1970. Nous citons également des commentaires de
Sihanouk, deux ans après, sur la signification de la
Conférence des peuples indochinois.
la conférence au sommet des
peuples indochinois de 1970
" S'inspirant du principe que la
libération et la défense de chaque pays sont
1'oeuvre de son peuple, les différentes parties
s'engagent à faire tout leur possible pour se
prêter un soutien réciproque selon le
désir de la partie intéressée et sur la
base du respect mutuel... Dans les relations entre les trois
pays, les parties sont déterminées à
appliquer les cinq principes de coexistence pacifique:
respect mutuel de la souveraineté et de
l'intégrité territoriale; non-agression ;
respect mutuel du régime politique de chacun et
non-ingérence dans les affaires intérieures;
égalité et avantages réciproques;
coexistence pacifique. Les parties (...) reconnaissent et
s'engagent à respecter l'intégrité
territoriale du Cambodge dans ses frontières
actuelles ".
( Déclaration commune
)
" Le gouvernement de la
République Démocratique du Vietnam s'engage
à respecter l'intégrité territoriale du
Cambodge dans ses frontières actuelles ".
( extrait de la
déclaration de la R.D.V.N. ).
Commentaire de
Sihanouk
"Cette conférence de
l'optimisme combattant produisit un document, qui reste du
plus haut intérêt, où s'expriment les
deux idées qui nous sont chères: celle de la
solidarité indochinoise, celle de
l'originalité des trois combats et de la
spécificité des diverses luttes. Pour une
Indochine unie dans le respect absolu des
souverainetés, tel est le sens du manifeste que nous
lancions... Je suis frappé chaque jour davantage par
la volonté de nos dirigeants de gauche de maintenir
la plus stricte indépendance à l'égard
de nos puissants alliés. Et la
sincérité de M. Pham Van-Dong quand il
s'affirme décidé à respecter notre
indépendance et notre intégrité
m'apparaÎt évidente. Au surplus, nos amis
chinois sont eux-mêmes très attachés au
respect des souverainetés en Indochine, à un
équilibre harmonieux de la
péninsule".
(Extrait de L'indochine vue de
Pékin, 1972)
POURQUOI LE CONFLIT
Les éléments que
nous avons fourni sur l'évolution de la situation
intérieure du Vietnam et de sa politique
extérieure ne peuvent permettre à eux seuls de
caractériser le conflit entre la Chine et le
Vietnam.
N'était-il pas possible
que, malgré son évolution, le Vietnam conserve
des relations de bon voisinage ou au moins de coexistence
pacifique ? La Chine, comme l'avancent certains,
n'aurait-elle pas voulu infléchir la politique
intérieure d'un État voisin sur lequel elle
estimerait avoir un droit de regard ? En fait, si la riposte
chinoise ne peut être comprise indépendamment
de la politique d'ensemble des dirigeants vietnamiens, il y
a, de manière spécifique une
dégradation des rapports entre le Vietnam et la
Chine, dégradation qui s'est poursuivie
parallèlement aux changements politiques que nous
avons décrit précédemment.
La question de
l'aide
C'est la question de l'aide qui
a en premier lieu fait apparaître des problèmes
dans les relations d'État à État entre
la Chine et le Vietnam.
En effet, les dirigeants
vietnamiens ont accusé la Chine de se servir de cette
aide comme d'un moyen de pression. Il faut donc examiner
quels sont les responsables de cette rupture. Pendant vingt
ans, le peuple chinois au prix d'efforts et de sacrifices
dans de nombreux domaines a apporté une aide
considérable en armes, en vivres, en produits de
toutes sortes au peuple vietnamien. Elle est estimée
à une valeur de 10 milliards de dollars, en
majorité non remboursable. En 1974, le Premier
ministre vietnamien Phan Van Dong déclarait "le Parti
et le gouvernement chinois ont accordé, dans toutes
les circonstances, une aide et un soutien
désintéressés au peuple vietnamien dans
sa lutte révolutionnaire et dans la reconstruction de
sa patrie". Mais dès 1976, Hoang Tung, directeur du
Nhan Dan et membre du comité central du parti
vietnamien, dans une déclaration au journaliste
suédois Erik Pierre, exposait avec cynisme, le peu de
cas faisaient dès lors les dirigeants vietnamiens de
l'amitié avec la Chine. "Pendant la guerre au
Vietnam, amener la Chine et l'Union soviétique
à soutenir de tous leurs efforts le Nord-Vietnam
c'était important pour le Vietnam. Maintenant, il ne
lui est plus tellement nécessaire d'appliquer cette
politique. Certes, le Vietnam est contigü à la
partie Sud de ce grand pays qu'est la Chine, et ces rapports
de voisinage comportent un côté positif en
même temps qu'un côté négatif. En
tout état de cause, les pressions politiques et
culturelles venant du Nord doivent être
éliminées: en conséquence, aujourd'hui,
l'entente avec l'Union soviétique joue un rôle
d'une extrême importance pour le Vietnam. L'Union
soviétique espère vivement affaiblir
l'influence chinoise dans cette partie du monde voilà
qui coïncide avec les intérêts du
Vietnam".
Des déclarations
officieuses aussi franchement hostiles, accompagnant
dès le Congrès de 1976 un alignement croissant
sur les positions soviétiques n'ont pas
empêché la Chine de poursuivre son aide.
Certes, après la libération, elle a
supprimé son aide militaire qui ne devait plus avoir
d'objet, et elle a dû réduire son aide
économique, étant donné les
difficultés rencontrées par la Chine
elle-même en 1976. Mais la réduction de cette
aide, et les justifications données par la Chine
à ce sujet (difficultés économiques
liées à la ligne des Quatre, tremblement de
terre) sont acceptées par les dirigeants vietnamiens.
Et pourtant, quelques mois après ceux-ci prennent
prétexte de ces mesures pour dénigrer l'aide
de la Chine, affirmant qu'elle "servait à la Chine
à faire du profit", et "n'était qu'un moyen
d'exercer des pressions". En juin 1977, alors que le climat
commençait à se détériorer, le
Vice-Premier ministre Li Xiannian (Li Xian-nian) lance aux
dirigeants vietnamiens un avertissement. Cependant, la Chine
poursuit son aide, alors même que se développe
la campagne contre les Hoas, et que les techniciens chinois
sont souvent injuriés ou maltraités. La Chine
n'interrompra cette aide qu'en juillet 1978, alors que la
tension rend désormais toute coopération
impossible.
Après 1976, la campagne
de persécutions visant à l'expulsion de plus
de 200 000 Hoas a également provoqué une
dégradation des relations avec la Chine. Le statut
des sino-vietnamiens avait fait l'objet d'un accord entre
les deux gouvernement en 1955. Il y était
précisé : "Les Chinois résidant au
Nord-Vietnam, à condition qu'ils jouissent des
mêmes droits que les Vietnamiens peuvent, par
étapes, devenir des citoyens vietnamiens, selon le
principe du libre consentement et après un long et
patient travail idéologique de persuasion et
d'éducation. Quant à la question des Chinois
résidant au Sud-Vietnam, elle doit être
discutée et réglée par les deux pays
après la libération du Sud-Vietnam". "Les
Chinois doivent jouir d'une liberté totale quant
à l'option pour la nationalité vietnamienne,
il ne faut absolument pas les y obliger. Il faut continuer
à accorder tous les droits à ceux qui n'ont
pas encore adopté de leur propre gré la
nationalité vietnamienne et s'abstenir d'adopter une
attitude discriminatoire à leur égard. Sur le
plan politique, les résidents chinois au Vietnam
jouissent des mêmes droits et remplissent les
mêmes devoirs que les Vietnamiens; sur le plan
économique, ils ont la liberté de se livrer,
conformément aux lois, aux activités
industrielles et commerciales; sur le plan culturel, ils ont
la liberté d'ouvrir des écoles et
d'éditer des journaux; et leurs moeurs et coutumes
doivent être respectés".
Comme nous l'avons vu,
contrairement à ses engagements, le gouvernement
vietnamien, après la libération a tenté
d'imposer autoritairement la nationalité vietnamienne
aux Chinois du Sud, pratiquant à leur égard
une politique de discrimination pour les forcer au
départ s'ils refusaient. Une politique analogue est
pratiquée au Nord.
Cette campagne contre les Hoas,
détériore les relations d'État à
État. En effet, les dirigeants vietnamiens font en
fin de compte retomber la responsabilité de cette
situation sur la Chine. Ainsi, Xuan Thuy, secrétaire
du comité central du PTV déclare: "Un certain
nombre de gens mauvais parmi les Hoas ont lancé des
allégations tendant à semer la discorde entre
le Vietnam et la Chine, à duper les Chinois vivant au
Vietnam... Ils ont prétendu que le gouvernement
chinois appelle les résidents chinois à
l'étranger à revenir édifier leur
patrie et que ceux qui ne rentreraient pas seraient des
traîtres". Par de telles allégations, les
dirigeants de Hanoï voulaient insinuer que la
communauté chinoise était un cheval de Troie
de la Chine à l'intérieur du pays et
accusaient la Chine et manipuler les Hoas. Thèse
invraisemblable : comment imaginer que des dizaines de
milliers de travailleurs intégrés de longue
date à la société du Nord-Vietnam
auraient obéi soudain à des injonctions venues
de Pékin ? En fait, les dirigeants vietnamiens
voulaient masquer leur politique de discrimination par une
campagne chauvine anti-chinoise. De plus ils ont
provoqué la rupture des négociations à
ce sujet en août 1978 et ont refusé les mesures
proposées par la Chine pour faciliter
l'évacuation des réfugiés comme l'envoi
de bateaux. L'afflux incessant des réfugiés a
posé d'énormes problèmes aux
autorités et aux populations des provinces chinoises
qui devaient les accueillir, en même temps qu'il
accentuait l'atmosphère de tension à la
frontière.
Les
provocations à la frontière
Alors que Hanoï faisait
monter progressivement la tension dans les relations entre
les deux pays, c'est à la frontière que,
à partir d'incidents isolés et de
provocations, est apparu un véritable conflit
militaire.
Jusqu'à la
libération du Vietnam, il n'existait pas de conflit
frontalier entre les deux pays. En ce qui concerne la
frontière terrestre, elle avait été
fixée par un traité élaboré de
1885 à 1897 entre le gouvernement impérial
chinois et le gouvernement colonial français. Etant
donné les rapports existant à cette
époque entre la France et une Chine
semi-colonisée, rien n'indique que cette
délimitation ait été défavorable
au Vietnam. Cette ligne avait été
matérialisée par des bornes frontières
posées conjointement par les deux parties. Si, par la
suite, des divergences de détail ont pu surgir au
sujet de ce tracé, en 1958, un échange de
lettres entre les comités centraux des deux partis
avait convenu d'un statu quo et il n'y avait pas eu
d'incidents de frontières avant 1974.
En ce qui concerne les "îles
Nansha et Xisha, une déclaration chinoise du" 4
septembre 1958 proclamait leur appartenance au territoire
chinois. Elle avait été approuvée et
reconnue par Pham Van Dong le 14 septembre de la même
année. Ce n'est qu'en 1975 que le gouvernement
vietnamien a changé de position en émettant
des revendications territoriales sur ces deux groupes
d'îles; il avait immédiatement reçu le
soutien de l'URSS qui changeait également alors de
position à ce sujet.
Depuis 1975, sans tenir compte
des engagements et sans recourir à des
négociations, le gouvernement vietnamien a remis en
cause la ligne frontalière en de nombreux points dans
les régions voisines de la province du Yunnan et de
la région autonome du Guangxi. Les troupes
vietnamiennes commencent à déplacer les
bornes, à installer des fortifications et des
tranchées em- piétant sur le territoire
chinois, pratiquant en de nombreux points un grignotage
systématique. Cette conduite va provoquer des
incidents de plus en plus nombreux et de plus en plus
graves: il y en aura 400 en 1975, 1100 en 1978, causant
cette année des centaines de morts et de
blessés.
C'est en effet en 1978; année
où les dirigeants vietnamiens développent leur
expansionnisme en Indochine et se lient étroitement
à l'URSS qu'ils portent leurs provocations à
un degré tout à fait nouveau. Le 1er
août, les soldats vietnamiens forcent 2000
réfugiés à franchir la passe de Yeou Yi
Kouan en leur tirant dessus. Dès lors, les
mitraillages se font quotidiens. Les agressions rendent
désormais la vie impossible aux paysans et aux autres
travailleurs de la région frontière. Des
familles qui ont directement soutenu depuis des dizaines
d'années les combattants vietnamiens, en les
nourrissant, en les accueillant, en assurant le transport de
l'aide, sont touchées et doivent abandonner leurs
villages sous les balles des troupes de
Hanoï.
Alors qu'à la
frontière même se déroulent ces
provocations, le gouvernement vietnamien concentre des
troupes, installe des camps militaires et des bases de
missiles, tout un dispositif d'agression annonçant
des opérations d'une tout autre envergure contre le
territoire chinois. En septembre, le reportage de
l'Evènement (TF1) à la frontière
chinoise nous avait fait découvrir d'une part les
soldats vietnamiens lançant depuis un
poste-frontière des insultes contre la Chine, mais
aussi, depuis un poste d'observation chinois, un
aperçu du vaste dispositif militaire qui se mettait
en place du côté vietnamien. De même les
journalistes français accompagnant Guiringaud dans sa
visite au Vietnam avaient été
étonnés par l'agressivité des
dirigeants vietnamiens.
Jusqu'en février 1979,
l'escalade des provocations ne cessera pas : envois de
commandos sur le territoire chinois, attaques de chalutiers
dans les eaux chinoises, attaques des trains passant
près de la frontière en février.
En attaquant la Chine populaire,
les dirigeants vietnamiens se conforment aux visées
de l'URSS. Mais en même temps, ils poursuivent des
buts propres, internes: des décennies de
solidarité et d'amitié combattante entre le
peuple vietnamien et le peuple chinois peuvent difficilement
être effacées du jour au lendemain. De plus, il
n'est guère possible que cette amitié et cette
solidarité ne se soient pas accompagnées d'un
intérêt pour les orientations politiques du
Parti communiste chinois, son analyse de la situation
internationale, ses conceptions sur l'édification du
socialisme. Attaquer la Chine populaire, pour les dirigeants
vietnamiens, susciter une campagne de dénigrement et
d'hostilité à l'égard des
ressortissants chinois, c'est du même coup essayer de
briser ces liens d'amitié, ces interrogations
politiques, pour les submerger sous une vague de chauvinisme
anti-chinois, en ressuscitant l'idée de "l'ennemi
héréditaire" chinois, comme si la Chine
était restée l'empire féodal des
siècles passés. Enfin, c'est, sur la base du
chauvinisme, tenter de ressouder une unité autour de
leur politique expansionniste, tenter de faire taire les
oppositions à l'aventure militaire au Cambodge, en
couvrant bruyamment les accusations justifiées de la
République populaire de Chine.
LA CONTRE-OFFENSIVE
CHINOISE
La contre-offensive de la Chine au
Vietnam n'a pas été une surprise. Bien au
contraire, elle a été
précédée de nombreux avertissements
formulés plusieurs mois à l'avance devant
l'opinion publique internationale. En décembre 1978,
l'organe central du Parti communiste chinois publie un
article intitulé : "Notre patience a des limites". Il y est déclaré:
"Nous tenons à avertir
solennellement les autorités vietnamiennes: si vous
continuez à agir arbitrairement en vous appuyant sur
le soutien soviétique pour réaliser vos
ambitions insatiables, vous ne manquerez pas de subir un
châtiment mérité et n'allez , pas nous
dire que nous ne vous avons pas
prévenus". Par la
suite, à plusieurs reprises, le vice-premier ministre
Deng Xiaoping a déclaré que la Chine se
verrait contrainte de "donner
une leçon au Vietnam".
En adressant de tels
avertissements et en procédant à une
opération limitée dans l'espace et le temps,
le gouvernement chinois voulait fixer clairement le cadre et
les buts de cette opération. Il ne se prévaut
pas d'un droit de regard sur ses voisins, ni d'une
théorie de la "souveraineté limitée"
comme l'URSS à l'égard des pays de
l'Est.
Le 17 février 1979, dans
la déclaration officielle du gouvernement chinois
annonçant la contre-offensive, il était
déclaré: "Que les
troupes de défense de la frontière chinoise se
soient dressées pour la contre-attaque, c'est
là une action tout à fait juste.
Désireux d'édifier notre pays, nous avons
besoin d'une conjoncture internationale de paix, et nous ne
voulons pas la guerre. Nous ne prétendons à
aucun pouce de territoire vietnamien et nous ne permettons
absolument pas qu'on envahisse
délibérément la territoire de notre
pays. Ce que nous souhaitons, c'est une frontière de
paix et de tranquillité. Après avoir
contre-attaqué comme il se doit les agresseurs
vietnamiens, les troupes de défense de la
frontière chinoise s'en tiendront strictement
à a défense de la frontière de la
patrie". Le 5 mars, le
gouvernement chinois annonçait le début du
retrait de ces troupes vers le territoire nationale : ce
retrait était effectif et total le 16 mars. Le
gouvernement chinois l'a accompagné de propositions
de négociations immédiates.
Ainsi la contre-offensive
chinoise s'est conformée au cadre et aux objectifs
fixés, alors que l'ensemble de la presse n'a
cessé de la présenter comme une
opération d'invasion et de conquête. Cette
contre-offensive n'est pas de même nature que
l'invasion vietnamienne du Cambodge. En effet, les
dirigeants vietnamiens se sont donnés pour but de
renverser le régime politique d'un pays voisin. Dans
ce but, ils ont utilisé la propagande, la subversion
et l'agression directe. Alors qu'en novembre, Pham Van Dong
déclarait en Thailande que le Vietnam n'envahirait
jamais le Cambodge, Hanoï créait le FUNSK
début décembre et envoyait 100 000 hommes
envahir le pays en janvier .
L'invasion vietnamienne
revêt toutes les caractéristiques d'une guerre
de conquête, avec une occupation militaire
s'étendant sur tout le pays et visant à
imposer une nouvelle administration, un régime
fantoche. Au contraire, l'opération de
contre-offensive de la Chine avait un but
déterminé, riposter aux provocations à
la frontière, obliger le gouvernement vietnamien
à négocier et "rabattre son arrogance". Elle
n'impliquait nullement l'annexion de portions du territoire
vietnamien, ni sa volonté d'imposer, un changement de
régime politique au Vietnam.
Les
conséquences
La première conséquence
de la riposte chinoise, celle qui était
recherchée en premier. c'est la sûreté
de la frontière avec le Vietnam. En effet, elle a
permis à l'armée chinoise de détruire
le dispositif militaire installé dans la
région frontalière, dispositif comprenant des
camps militaires des forteresses et des bases de missiles.
Ce dispositif, au-delà des provocations
frontalières, aurait permis aux dirigeants
vietnamiens d'agresser la province du Yunnan et la
région du Guangxi, compromettant gravement la
sécurité de la Chine.
Cette contre-offensive a en
même temps contraint les dirigeants vietnamiens
à la négociation. En effet, après un
mois de tergiversations sous prétexte que des troupes
chinoises seraient encore sur le territoire vietnamien,
Hanoï a accepté l'ouverture de
négociations devant débuter le 18 avril. Le 14
avril, une délégation chinoise est
arrivée à Hanoï.
La deuxième
conséquence de cette opération a
été de mettre en difficulté la
politique expansionniste du Vietnam au Cambodge. Il convient
toutefois de noter que le gouvernement chinois n'a jamais
subordonné son retrait du Vietnam à celui des
troupes vietnamiennes du Cambodge, puisqu'il avait
annoncé à l'avance ce retrait et que
l'objectif à atteindre était la
sûreté de la frontière avec le Vietnam.
Néanmoins, la contre-offensive chinoise a eu des
répercussions positives sur la situation au Cambodge
tant du point de vue militaire que du point de vue
politique.
Du point de vue militaire,
l'arm6e vietnamienne, mobilisée au Nord, n'a pas eu
les mains libres pour mener l'offensive
généralisée prévue en
février-mars contre la résistance
cambodgienne. Alors que l'invasion de janvier ne lui a
permis de contrôler que les grandes localités
et certaines voies de communication, l'armée
vietnamienne devait lancer une opération pour tenter
de gagner des positions avant la saison des pluies qui
commence en avril. Elle n'a pu la commencer qu'au dernier
moment, début avril.
Du point de vue politique, la
contre-offensive chinoise, en posant à l'ONU le
problème de la situation en Asie du Sud-Est a permis
de faire ressurgir la question du Cambodge qui avait
été déjà enterrée
grâce au veto soviétique et à la
passivité des Occidentaux. A l'occasion du
débat qui s'est poursuivi à ce sujet, la
plupart des pays ont pris position pour le "retrait de toutes les troupes
étrangères".
Pendant les cinq réunions du Conseil de
sécurité qui se sont succédées
du 23 au 28 février, la majorité des
interventions allait dans ce sens, demandant à la
fois le retrait des troupes vietnamiens du Cambodge et celui
des troupes chinoises au Vietnam. A plusieurs reprises,
l'URSS, le Vietnam et leurs alliés ont
manoeuvré pour empêcher le vote d'une telle
résolution proposée par les
non-alignés. Au même moment, Pham Van Dong
venait signer à la hâte un traité avec
les fantoches du FUNSK à Phnom Penh pour
légaliser après coup l'occupation du Cambodge.
Le 16 mars, les pays de l'ASEAN mettaient aux voix un projet
de résolution qui demandait "le retrait des troupes des pays en
conflit". Dans son
intervention, le représentant de la Chine, Chen Chu,
critiquait certains aspects du projet de l'ASEAN, affirmant
qu'elle ne condamnait pas assez sévèrement
l'agression vietnamienne et que la Chine ne pouvait admettre
l'appréciation négative portée sur sa
contre-offensive. Mais il disait en conclusion:
"Malgré cela, nous avons
noté que les termes du premier paragraphe qui
"exigent de toutes les parties la cessation de tout acte
d'hostilité"
et ceux du deuxième
paragraphe qui exigent
"le retrait de leurs forces
dans leur propre pays"
s'adressent indubitablement et
naturellement en premier lieu au Vietnam qui devrait mettre
un terme immédiat à son agression armée
et à son occupation militaire du Kampuchéa
démocratique et retirer inconditionnellement et sans
délai toutes ses forces d'agression dans son propre
territoire. C'est dans ce sens que nous avons
considéré le contenu essentiel du projet de
résolution comme positif et que nous avons
voté en sa faveur".
Depuis l'ouverture des
débats, la délégation chinoise avait
soutenu les projets de résolution des
non-alignés demandant le retrait réciproque,
même si ces textes mettaient en cause la riposte de la
Chine au Vietnam. En effet, le gouvernement chinois
s'était engagé à retirer totalement ses
troupes et c'est ce qu'il venait de faire, le 16 mars, quand
il a voté la résolution de l'ASEAN qui, en
pratique, ne concernait plus alors que le
Vietnam.
Le projet de résolution
de l'ASEAN a reçu 13 voix pour et 2 contre (l'URSS et
la Tchécoslovaquie). Comme en janvier, quand une
même majorité avait condamné l'invasion
vietnamienne du Cambodge, l'URSS a opposé son veto
à la résolution des pays de l'ASEAN. l'URSS a
ainsi montré qu'elle se tenait derrière
l'expansionnisme vietnamien et a accru son isolement. Au
contraire, la Chine en votant une résolution qui ne
lui était pas favorable et en tenant son engagement
de retirer ses troupes, a montré sa bonne
volonté et a remis à l'ordre du jour la
dénonciation de l'invasion vietnamienne du
Cambodge.
Autre conséquence: la
presse chinoise explique que le "mythe de
l'invincibilité des agresseurs vietnamiens a
été brisé" et leur "arrogance
rabattue". Que signifie cette expression ? Que la riposte
chinoise aura forcément des répercussions sur
la position du Vietnam dans le Sud-Est asiatique. En effet,
si l'armée vietnamienne avait pu défier
impunément la Chine et bafouer sa
souveraineté, les dirigeants vietnamiens auraient pu
se prévaloir de leur supériorité
militaire pour imposer leur hégémonie aux pays
de la région. La contre-offensive chinoise constitue
donc un exemple pour les peuples du Sud-Est asiatique
menacés par cette hégémonie; elle
exerce une influence sur les Etats dont la nature de classe
et la fragilité rendent incertaine leur
capacité de résistance à
l'expansionnisme.
Enfin, la contre-offensive
chinoise a accentué les contradictions existant entre
la stratégie de l'URSS et celle du Vietnam. Si, en
effet, les entreprises expansionnistes du Vietnam sont
soutenues et encouragées par l'URSS et s'inscrivent
dans ses plans de domination du monde, cependant leurs
intérêts ne coïncident pas
forcément à tout moment. L'expérience a
montré que l'URSS n'était pas prête
à prendre n'importe quels risques pour intervenir
directement aux côtés du Vietnam: si l'URSS a
intensifié son soutien logistique et ses livraisons
de matériel militaire, elle a évité de
se livrer à une opération de
représailles directe contre la Chine, alors qu'une
telle opération était très probablement
souhaitée par les dirigeants vietnamiens.
C'est que, dans le cadre de ses
préparatifs de guerre, le social-impérialisme
cherche à gagner le maximum d'avantages politiques et
militaires dans le monde. Dans la période actuelle,
il semble capital pour l'URSS d'endormir la méfiance
des dirigeants: européens et d'obtenir un maximum
d'avantages des USA dans les négociations SALT sur la
limitation des armements stratégiques. Un conflit
direct avec la Chine aurait bouleversé ce processus :
tout en multipliant les avertissements à la Chine et
les manoeuvres politiques sur la scène
internationale, Brejnev s'est abstenu d'une intervention
militaire directe, ce qui lui a permis de s'attirer les
compliments de Giscard et Schmidt pour sa prétendue
"modération". Mais, de ce fait, les dirigeants
vietnamiens auront pu se rendre compte que, si l'URSS
encourageait leurs aventures expansionnistes dans la mesure
où elles la servent, elle pouvait tout aussi bien
sacrifier le Vietnam à ses intérêts
à long terme.
La situation économique
reste désastreuse. Et le gouvernement n'offre comme
perspective que la continuation de la guerre dans la
péninsule indochinoise. Dans ces conditions, le
peuple vietnamien ne saurait accepter indéfiniment la
politique de dirigeants qui bafouent brutalement les
idéaux d'indépendance et de liberté
pour lesquels il s'est battu, avec héroïsme, des
années durant.
En opérant la
contre-offensive de février-mars, la Chine a, comme
elle l'a déclaré, défendu
légitimement la sécurité de sa
frontière. Elle a également contribué
à faire reculer l'hégémonisme
régional et le social-impérialisme en Asie du
Sud-Est. L'action de la Chine a également
revêtu une importante signification à
l'égard des peuples et pays du monde entier,
menacés par le danger de guerre dont l'URSS est
aujourd'hui le foyer principal. Face à ces mesures,
il existe en particulier en Europe, une attitude qu'on peut
qualifier de munichoise, par référence aux
accords de Munich de 1938 où les Occidentaux ont
prétendu sauver la paix en livrant à Hitler la
Tchécoslovaquie. Cette attitude consiste à
faire confiance à la politique de "détente" de
Brejnev, à nier l'agressivité de l'URSS ou du
moins à croire l'apaiser en lui faisant des
concessions. Attitude illustrée par un André
Fontaine du "Monde", qui présentait la Chine comme un
fauteur de guerre et conseillait aux gouvernements
occidentaux de ne pas lui vendre d'armes pour ne pas
mécontenter l'URSS.
La Chine a fourni l'exemple
d'une attitude opposée. Elle a montré qu'il
est possible de résister à
l'hégémonisme et à l'expansionnisme en
adoptant une attitude de fermeté politique, en
unissant les forces anti-hégémoniques, et en
répondant à la force, si besoin est, par la
force. Une telle politique contribue à faire reculer
le danger de guerre, elle est conforme à
l'intérêt des peuples du monde et de la
révolution.
20 avril1979.
la place du Vietnam dans la
stratégie soviétique
Aujourd'hui, le Vietnam tient
une place très importante dans la stratégie de
l'URSS pour l'hégémonie mondiale, tant par le
rôle qu'il peut jouer dans l'ensemble du monde que par
celui qu'il remplit en Asie du Sud-Est.
Alors que les pays du
Tiers-Monde, à des degrés divers, prennent
conscience des dangers de la "politique de grande puissance"
de l'Union Soviétique et se méfient souvent de
ses entreprises, le Vietnam, encore plus que Cuba, constitue
un ambassadeur remarquable pour la politique
extérieure du social-impérialisme. Du fait du
rôle historique exemplaire qu'a joué la lutte
de libération du peuple vietnamien, le gouvernement
de Hanoï jouit encore d'un grand prestige qui lui
permet d'être un agent efficace du
social-impérialisme dans le Tiers-Monde. Ainsi, au
cours de la tournée internationale qu'a
effectuée Robert Mugabe, dirigeant de la ZANU pendant
l'été 1978, il a tenu à donner un
éclat tout particulier à sa visite à
Hanoi; alors même que le mouvement de
libération du Zimbabwe s'est montré
particulièrement vigilant à l'égard des
ingérences de la superpuissance
soviétique.
Avec Cuba, le Vietnam joue
également un rôle de cheval de Troie de l'URSS
au sein du mouvement des non-alignés. En effet, en
1976, le Vietnam réunifié prenait place dans
ce mouvement auquel le GRP avait adhéré. C'est
tout de suite pour y défendre assez nettement un
alignement de fait sur ce qu'Hanoï appelle "camp
socialiste". Dès la conférence de Colombo, en
août 1976, Pham Van-dong veut concilier une
appartenance au bloc soviétique avec le
non-alignement. Il affirme alors que le mouvement des
non-alignés sera d'autant plus fort qu'il s'adossera
plus fermement au "camp socialiste". Au cours de la
conférence des ministres des non-alignés de
juillet 1978, son rôle est encore plus clair, puisque
le gouvernement vietnamien, aux côtés de Cuba,
soutient la thèse de l'URSS "alliée naturelle"
du mouvement des non-alignés, tandis que de nombreux
pays, du fait de son intervention dans la Corne de
l'Afrique, demandent l'expulsion de Cuba du mouvement. De
son côté, le Cambodge demande alors la
condamnation du Vietnam pour sa politique
expansionniste.
Mais pour l'URSS, le Vietnam
doit jouer un rôle bien particulier en Asie du
Sud-Est, celui d'un "avant- poste du socialisme", d'un
véritable Cuba asiatique.
La région de l'Asie du
Sud-Est qui a été longtemps un point fort de
l'impérialisme américain est aujourd'hui une
zone où le social-impérialisme
développe ses entreprises expansionnistes; à
l'Ouest, après avoir développé une
implantation économique et militaire dans le
continent indien, notamment avec la guerre du Bangla-Desh de
1971, l'URSS a étendu l'année dernière
son emprise sur l'Afghanistan où elle est
engagée dans une intervention militaire directe
contre la rébellion musulmane. A l'Est du continent,
vis-à-vis du Japon qui n'a pas les moyens d'une
défense propre et qui est extrêmement
dépendant de l'extérieur pour ses
approvisionnements en matières premières,
l'URSS multiplie les pressions politiques,
économiques et militaires en occupant ses zones de
pêche et en voulant l'intégrer à une
politique de coopération en
Sibérie.
Au centre de l'Asie du
Sud-Est, la péninsule indochinoise est voisine des
pays de l'ASEAN. Ces pays ont en commun de
représenter un important enjeu économique et
d'être politiquement assez fragiles. Ils sont
très liés économiquement à
l'impérialisme américain qui y a
implanté des industries de main-d'oeuvre
représentant une part importante de ses importations
en produits manufacturés ( 31,3 % pour l'ensemble de
l'Asie du Sud ). Or les USA ont considérablement
allégé leur dispositif militaire en
Thaïlande et aux Philippines.
Les Etats de l'ASEAN ont
également pour caractéristique leur
instabilité potentielle; comme en Thaïlande et
en Birmanie, les guerillas révolutionnaires y
contrôlent depuis longtemps des zones
libérées, tandis que des régions
entières occupées par des minorités
nationales en rébellion échappent au
contrôle des gouvernements ; ainsi la région du
Triangle d'Or.
Conscients de leur
fragilité et des limites de la protection
américaine, les gouvernements de l'ASEAN se sont
efforcés de transformer le pacte pro-américain
qui les avait unis en un axe de coopération
régionale. Ils ont coordonné leurs politiques
étrangères pour les infléchir dans le
sens du non-alignement et ont établi des relations de
bon voisinage et d'amitié avec la Chine.
Etant donné la
puissance militaire actuelle de Hanoi; il est clair qu'une
armée vietnamienne contrôlant l'ensemble de la
péninsule indochinoise représente une menace
directe pour les pays de l'ASEAN. Hanoï peut
entreprendre la subversion en Birmanie, à partir du
Laos et en Thaïlande à partir du Cambodge. Il
peut employer les mêmes méthodes qu'au
Cambodge: mise sur pied d'organisations fantoches à
partir de nationalités existant de chaque
côté des frontières. En Thaïlande,
la guerilla du Parti Communiste Thaïlandais mène
une lutte de libération en se déclarant
opposé aux deux superpuissances. Au cours de son
voyage en Thaïlande, l'année dernière,
Pham Van-Dong a déclaré que le Vietnam ne
soutiendrait pas la guerilla thaïlandaise, prêt
à tout pour rassurer le gouvernement de ce pays.
Cependant, il est assez clair qu'Hanoï espère,
à partir du Cambodge, prendre le contrôle de ce
mouvement de libération pour le soumettre à
ses visées et à celles de l'URSS.
Avec le contrôle des
pays de l'ASEAN, ce qui est en cause,
stratégiquement, pour l'URSS, c'est le détroit
de Malacca. C'est par ce détroit, situé entre
l'lndonésie et la Malaisie, que transite le
pétrole à destination du Japon en provenance
du Proche-Orient. Il est le passage obligé de tout le
commerce entre le Japon et l'Europe. C'est également
par ce détroit que passent les flottes de guerre et
les sous-marins pour aller de l'Océan indien au
Pacifique. C'est dire l'importance que revêt le
contrôle de ce détroit dans le cadre des
préparatifs de guerre de Brejnev. D'ailleurs, en
s'implantant au Vietnam, l'URSS a déjà pu
renforcer le dispositif de sa flotte de guerre. Entre ses
points de mouillage dans l'Océan indien et ses bases
navales à Vladivostok, plus récemment à
Etorofu ( île japonaise annexée), l'URSS est en
train de s'installer dans la base de CamRanh, construite au
Vietnam par les Américains.
Alors même qu'ils les
menaçaient militairement en tentant de prendre le
contrôle de la péninsule indochinoise,
Hanoï et Moscou ont multiplié les avances
politiques en direction des Etats de l'ASEAN en leur
proposant une "zone de paix, d'indépendance
authentique et de neutralité" qui était en
fait une réédition du "pacte de
sécurité collective asiatique", pacte
antichinois proposé par Brejnev il y a dix ans. Ces
propositions ont suscité une méfiance qui n'a
fait qu'augmenter avec l'invasion vietnamienne du
Cambodge.
Ainsi, l'intérêt
de Moscou pour l'Asie du Sud-Est, de même que ses
entreprises en Afrique, ne peut être expliqué
seulement par ses visées sur le continent, mais il
doit être rapporté à ses ambitions
mondiales et à ses préparatifs de guerre.
L'URSS entend disputer cette zone à
l'hégémonie américaine, mais surtout
entend contrôler des voies maritimes et des sources
d'approvisionnement importantes pour l'Europe et le
Japon.
D'autre part, le Vietnam joue
aussi un rôle particulier à l'égard de
la Chine. Non bien sûr que Brejnev envisage à
court ou moyen terme une conquête de la Chine par
l'intermédiaire du Vietnam. Mais, en créant
une situation d'insécurité, en faisant de deux
provinces chinoises un abcès de fixation, l'URSS
entendait qu'Hanoï mette obstacle à la politique
des quatre modernisations. Moscou craint en effet par dessus
tout le renforcement de la Chine qui éveille la
vigilance des peuples du monde sur les préparatifs de
guerre de l'URSS et constitue un obstacle de taille à
la réalisation de ses objectifs de domination du
monde.
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