Il aura fallu un an
entier après le 22e congrès pour que trois
éminents intellectuels du PCF parviennent à
trouver la matière d'un livre Les communistes et
l'Etat qui se veut recueil d'arguments, preuves et
références théoriques qui justifient
qu'on jette aux orties la dictature du
prolétariat.
Nous publions ici sur
l'ouvrage "Les Communistes et l'Etat" publié aux
Editions Sociales, cet article rédigé par un
collaborateur de notre revue. Dans le suite du texte, pour
la commodité de la lecture, on fera le plus souvent
référence au livre de L. Sève, F.
Hincker, J. Fabre comme reflétant la position du PCF:
il s'agit bien entendu de sa direction, dans la mesure
où sa base, pour sa part, n'a pas eu son mot à
dire dans cette affaire, comme dans les autres.
Les gens peu informés
s'étonneront qu'un tel livre vienne si longtemps
après un congrès à qui cet abandon fut
imposé à la hussarde par la direction du PCF.
Il n'y a pourtant là aucune raison de surprise: les
congrès et autres assises n'ont pour fonction que
d'entériner la politique de la direction, dans tous
les partis qui n'appliquent pas le centralisme
démocratique.
Si le congrès a
digéré l'affaire, il y a pourtant eu des
remous. Et le livre est conçu en fonction d'eux :
d'abord, il s'agit de faire pièce à ces
quelques intellectuels qui, bien timidement et sans voir le
fond politique du révisionnisme, ont refusé
d'entériner l'abandon officiel de la dictature du
prolétariat; mais surtout, le livre vise à
armer les militants contre les critiques qui sont
nées partout dans les masses.
"Les communistes et
l'État" s'organise alors autour de trois
thèmes: -il s'emploie à montrer, tout d'abord
que la théorie marxiste-léniniste de
l'État, du rôle de la violence, de la dictature
du prolétariat sont à ranger au nombre des
analyses circonstancielles datées historiquement et
qui, dans la France de 1977, seraient désuètes
et dépassées: le PCF veut justifier ainsi
qu'on a, par comparaison avec l'époque de Marx et
Lénine, changé "d'ère
révolutionnaire" et qu'il faut changer la théorie ;
-Pour donner du
corps à cette ambition, le PCF a constitué une
liste -on le verra bien dérisoire- des nouvelles
conditions qui selon lui, caractérisent les nouvelles
possibilités de passage pacifique, de
"gestion
démocratique"
;
-Enfin, dans un
troisième temps, les trois intellectuels du PCF
s'escriment à décrire, dans plusieurs aspects,
ce que sera la gauche officielle au pouvoir, le
"pouvoir
démocratique", qui permettra, selon leurs affirmations, de
passer dans un second temps au socialisme. Il s'agit
là d'une actualisation des propositions du PCF, une
version rénovée façon 77 de la
"démocratie
avancée",
comme le "défi
démocratique", "la
politique du parti communiste
français",
etc. On ne s'attachera pas ici à ce dernier aspect
qui englobe en fin de compte toutes les promesses du PCF. On
centrera donc sur le noeud du livre: avons nous
changé d'ère révolutionnaire ? La
dictature du prolétariat n'est-elle plus
nécessaire ? Le passage pacifique est-il
assuré vers le socialisme ?
LA DICTATURE DU
PROLETARIA DEPASSÉE ?
Le livre du PCF, on
va le voir, est un tissu d'absurdités. Mais il part
d'une idée extrêmement juste, et féconde
pour mieux la dénaturer : idée qui aurait
dû toujours être commune à ceux qui se
réclament du marxisme-léninisme ; à
savoir que les textes écrits par Marx, Engels,
Lénine, à leur époque, dans leurs
conditions spécifiques, doivent, pour être
utilisés à d'autres époques et dans
d'autres conditions de façon matérialiste,
être confrontés systématiquement
à ces nouvelles conditions.
On ne trouvera que de faux marxistes agitant
des amulettes magiques pour s'opposer à l'affirmation
du PCF qu'il ne faut pas être dogmatique. Tout
marxiste doit. se poser concrètement la question de
savoir en quoi les analyses des grands textes classiques
sont valides face à la réalité
d'aujourd'hui. Et il n'y a à cet examen nul tabou. La
dictature du prolétariat est-elle
dépassée ? Voilà une question qu'il
faut résoudre.
Ce n'est pas un blasphème à
exorciser, c'est une proposition politique à
détruire, non par un travail infini
d'exégèse des textes, mais d'abord et avant
tout dans l'analyse concrète. C'est une
banalité, peut être, que d'affirmer cela pour
un marxiste; mais il vaut mieux la rappeler pour tous ceux
qui se sont dit marxistes sans faire cette démarche,
à commencer par le PCF lui même -on le verra.
Ainsi, le fait que le PCF pose cette question
-et la résolve à sa manière- n'est pas,
en soi le signe que la question n'a pas de sens. Mieux,
à sa manière encore, le PCF s'est, ces
derniers temps, saisi de nombreuses questions qui sont
présentes au coeur des masses: on ferait fausse route
en les écartant sous le prétexte qu'il leur a
donné de fausses réponses: il en est ainsi,
par exemple, de la question des libertés, de la
démocratie sous le socialisme. Mais, venons au
texte.
L'exorcisme
Le livre du PCF s'ouvre par une revue,
détaillée, fourmillante de citations de Marx,
Engels, et Lénine, les plus authentiques. Elles
fonctionnent ici comme une forme d'exorcisme: les auteurs
eux même peuvent espérer qu'on les oublie ont
préféré les publier eux mêmes
afin qu'on ne les leur renvoie pas en manière de
réfutation.
Mais on aurait tort de croire que ce rappel
historique est honnête. Le projet qui le sous-tend est
clair: il faut montrer que les analyses sont
désuètes. Les auteurs n'hésitent pas
alors à pratiquer la falsification
discrète.
On n'en prendra
qu'un exemple, pour illustrer la technique partout
présente. Les auteurs évoquent (p.43) le texte
de Marx où celui ci affirme qu'entre "la société capitaliste
et la société communiste se place la
période de transformation de celle ci en celle
là. A quoi correspond une période de
transition politique où l'État ne saurait
être autre chose que la dictature
révolutionnaire du prolétariat" (critique du programme du
Gotha).
A propos de cette citation, qui date de 1875,
le PCF écrit: "Pour Marx, cette période est
d'évidence brève, puisqu'il la
caractérise expressément comme la
première phase de la société
communiste" et il
tire cette conclusion: "Comment ne pas voir à quel point il
serait déraisonnable d'aller chercher la
réponse à des questions que l'histoire n'avait
pas encore posées". Or, qu'on sache, ce texte est écrit
après la Commune, qui précisément a
posé historiquement la première, cette
question. Mais, là n'est pas l'essentiel. Dans ce
texte, Marx étudie la transformation
révolutionnaire de la société
capitaliste en une société communiste. Il
prend, au contraire de ce que dit le PCF, soin de montrer
que ce procès est long, qu'il a plusieurs phases, que
la société nouvelle, à ses
débuts, porte encore ce qu'il appelle
"les stigmates de
l'ancienne société des flancs de laquelle elle
sort". Il
décrit la phase supérieure de la
société communiste comme une
société où "auront disparu l'asservissante subordination
des individus à la division du travail, et avec elle,
l'opposition entre le travail intellectuel et le travail
manuel; quand le travail ne sera pas seulement un moyen de
vivre, mais deviendra lui même le premier besoin
vital; quand, avec le développement multiple des
individus, les forces productives se seront accrues elles
aussi et que toutes les sources de la richesse collective
jailliront avec abondance, alors seulement l'horizon
borné du droit bourgeois pourrait être
définitivement dépassé et la
société pourra écrire sur ses drapeaux:
de chacun selon ses capacités, à chacun selon
ses besoins". Cette
phase supérieure, à l'évidence, pour
Marx, ne peut advenir qu'au bout d'une très longue
transformation. Affirmer le contraire tient exactement de la
falsification. Le PCF ne peut ignorer ces textes
archi-connus, de même que l'affirmation de
Lénine, dans "l'Etat et la révolution", selon laquelle "la dictature du prolétariat
qui aura renversé la bourgeoisie, mais encore pour
toute la période historique qui sépare le
capitalisme de la société sans classes, du
communisme".
On a donc ici,
résumée, toute la méthode
jésuitique de faux-monnayeur employée par le
PCF. Le livre est rempli de tels tours de passe-passe : nous
n'y reviendrons pas.
A la recherche du passage
pacifique perdu
Tout à
l'opposé de la démarche anti-dogmatique qu'il
prétend utiliser le PCF va pourtant, au cours de
longues pages débusquer, avec un zèle de
bibliothécaire dément, les moindres phrases
où Marx, Engels ou Lénine ont parlé de
la possibilité du passage pacifique au
socialisme.
Il y a ici un
paradoxe apparent : les citations les plus claires, les plus
vivantes pour notre temps sont évacuées comme
dépassées, et, dans le même temps, on
appelle, par exemple, à la rescousse, le Marx de
1872, qui disait aux ouvriers hollandais que leur pays
passerait peut être pacifiquement au socialisme.
Mais le paradoxe n'est que superficiel : le PCF
ne retient que ce qui vient servir son choix
préalable. Ainsi, Lénine est cité, pour
la période qui va de février à octobre
1917 ; dans cette période, analysant le double
pouvoir, celui-ci a en effet envisagé qu'on puisse en
Russie, passer pacifiquement à la dictature du
prolétariat. Le PCF oublie pourtant de dire que la
condition essentielle (datée historiquement et non
réalisée en France), c'est
précisément le double pouvoir, le fait que la
classe ouvrière dispose face à la bourgeoisie,
de ses propres forces armées ! On chercherait
d'ailleurs en vain, dans le livre "les communistes et
l'État" une
citation particulièrement gênante pour le PCF,
parce qu'elle est valable pour toute la période des
révolutions prolétariennes, et
expressément non datée; c'est celle- ci:
"Celui là seul
est marxiste, qui étend la reconnaissance de la lutte
des classes jusqu'à la reconnaissance de la dictature
du prolétariat" (L'État et la Révolution).
Hasard, sans doute, inadvertance ? ...
La question qui est brandie sous l'égide
de Lénine est celle de la majorité. Partant
d'un paradoxe inouï, à savoir que la
révolution d'octobre "a confirmé de manière absolument
inattendue que cette ligne de démarcation avec le
réformisme, ne passe pas nécessairement par le
recours à la violence armée". (p.52), le PCF en vient à
retenir de la révolution violente d'octobre le fait
que le passage pacifique était possible en
février !
..... Mais, au PCF, on n'est pas à un paradoxe
près: le Chili, pour sa part, est aussi
invoqué comme preuve qu'on peut faire confiance
à la démocratisation de l'armée ! On
signalera simplement au PCF que la veuve d'Allende, jugeant
l'expérience de l'Unité Populaire, a
déclaré en septembre 74 que "le bulletin de vote ne suffit pas
pour parvenir au socialisme. Il faut aussi disposer d'une
armée au service du peuple". (Monde, 12.9.74.).
Mais le PCF prétend esquiver cette
question en lui opposant la "conquête de la
majorité".
Pour lui, "la
révolution peut être pacifique à
condition d'abord et avant tout que la cause des
transformations révolutionnaires ait gagné la
majorité".
(p.52), et d'autre part, "plus cette majorité est forte, plus
l'adversaire peut être mis dans l'incapacité de
recourir à la violence" (id). Pour prouver cela, on l'a vu, le PCF
essaye de se couvrir de la légitimité
léniniste. Mais c'est pure imposture. En effet,
même si Lénine l'envisage un moment, le passage
pacifique se révèle impossible en Octobre. Et,
d'autre part, Lénine insiste inlassablement sur la
possibilité du succès de l'insurrection parce
que les bolcheviks disposent de la majorité dans les
soviets, majorité qui n'a rien à voir avec la
coalition hétéroclite et électorale
dont parle le PCF. Ainsi, pour Lénine, le fait
d'avoir la majorité derrière soi n'est pas une
condition du passage pacifique, mais au contraire de
l'insurrection !
Ce n'est pas tout car
le PCF joue sur le terme "majorité", Il le
réduit à la seule comptabilité des
voix, écartant l'hypothèse que des
transformations révolutionnaires aient lieu à
l'extérieur des bureaux de vote, ce que Marx raille
en parlant d'un "démocratisme de cette sorte,
confiné dans les limites de ce qui est
autorisé par la police et prohibé par la
logique" (critique
du programme de Gotha),
Lénine a, pour sa part, qualifié
cette idée qu'on pourrait dégager une
majorité électorale, dans le cadre de la
domination de la bourgeoisie, de "conte puéril" (Tome 30 p.276). Toute l'argumentation du PCF
en 1977 a déjà été
critiquée par lui dans le texte de 1919
"les élections
à l'assemblée constituante et la dictature du
prolétariat".
Il y insiste sans aucune ambiguïté :
"le
prolétariat doit d'abord renverser la bourgeoisie et
conquérir pour lui même le pouvoir
d'État, c'est à dire la dictature du
prolétariat comme l'instrument de sa classe, pour
gagner les sympathies de la majorité des
travailleurs" (tome
30, 270) et il précise "le contraire serait une exception rare dans
l'histoire" (tome
30, 280), Or, pour le PCF le contraire est certain : qu'il
le démontre si ça lui chante, mais qu'il ne
vienne pas s'appuyer sur Lénine !
Les nouvelles
circonstances
Cela dit, le PCF ne tait pas
complètement les référence de Marx et
Lénine à la dictature du prolétariat:
il prétend plutôt s'élever au dessus
d'elles. Ainsi il cite Marx déclarant:
"Ce que j'ai
apporté de nouveau, c'est de démontrer 1- que
l'existence des classes n'est lié qu'à des
phases historiques déterminées du
développement de la production ; 2- que la lutte des
classes mène nécessairement à la
dictature du prolétariat; 3- que cette dictature elle
même ne représente que la transition à
l'abolition de toutes les classes et à une
société sans classes". (lettre à Weydemeyer, 1852). Mais
c'est pour immédiatement affirmer qu'on ferait
"un
contre-sens" en
disant que la dictature du prolétariat est une
nécessité très actuelle. En effet, pour
les auteurs du livre, deux éléments exigeaient
(à l'époque de Marx et Lénine) cette
dictature : "l'impossibilité d'éviter une
guerre civile", puis
"la faiblesse du
prolétariat".
Aujourd'hui, selon eux, ces circonstances ne sont plus
vraies. Car il y a "les forces du socialisme à travers le
monde (qui) l'emportent déjà sur celles du
capitalisme" et
d'autre part "la
classe ouvrière est nombreuse, éduquée
et organisée"
(p.58).
La malhonnêteté éclate ici
encore. D'abord, en ce qui concerne la "faiblesse du
prolétariat"
: il ne fait pas de doute que le nombre de la classe
ouvrière a augmenté depuis 1917 dans le monde,
et son pourcentage aussi dans la population. Mais ce n'a
jamais été du point de vue étroitement
numérique qu'elle tire sa force. Lénine, que
le PCF invoque si bien rappelle précisément
que "dans n'importe
quel pays capitaliste la force du prolétariat est
incomparablement supérieure au pourcentage du.
prolétariat par rapport à l'ensemble de la
population. Ceci parce que le prolétariat domine
économiquement le centre et le nerf du système
économique capitaliste tout entier, et aussi parce
que le prolétariat traduit sur le plan
économique et politique les véritables
intérêts de l'immense majorité des
travailleurs en régime capitaliste" (Tome 30, 281). D'autre part,
quelles que soient les manipulations statistiques qu'on lui
fasse subir, le prolétariat en France aujourd'hui
reste minoritaire. Il n'y a donc là nulle
"nouvelle
condition" : le
prolétariat, même au temps de Lénine,
encore plus minoritaire qu'aujourd'hui du point de vue
numérique, traduisait déjà les
intérêts de l'immense majorité des
travailleurs.
En second lieu, il n'est pas sérieux de
prétendre que la présence "des forces du
socialisme" permet
d'éviter la guerre civile pour le passage au
socialisme. D'abord car chacun peut voir que l'URSS et les
USA se partagent le monde, interviennent partout,
interdisent aux peuples de vivre et de faire leur
libération. Ensuite, le camp socialiste n'existe plus
depuis belle lurette. S'il est stratégiquement vrai
qu'en fin de compte le socialisme l'emportera sur le
capitalisme, il est par contre criminel de laisser penser
qu'on puisse passer sans heurts à une
société radicalement différente. Le PCF
ne se gêne pas pour entraîner un mouvement de
masse qui lui échapperait à la boucherie, le
laisser désarmé, comme le fut un temps le
peuple chilien. Le crime va encore plus loin quand Lucien
Sève, après d'autres du PCF, laisse entendre
que la bourgeoisie a déjà, dès
aujourd'hui -en plein dans son renforcement de l'appareil
répressif- perdu la partie ; ce dernier a en effet
déclaré, lors d'un débat sur le livre
"les communistes et
l'État" : "
Si la grande
bourgeoisie perd la partie alors même qu'elle dispose
de tous les moyens pour tenter de limiter l'intervention des
masses, comment ne la perdrait-elle pas plus encore demain
lorsque cette intervention des masses aura la liberté
immensément accrue de se déployer sur tous les
terrains ?"
(cité dans "les Cahiers du Communisme", mai 77).
Mais il y a plus. Car on ne peut en rester
à la bonne foi du PCF. S'il classe aujourd'hui l'URSS
dans la catégorie "force du socialisme", c'est un danger infini. C'est qu'il
considère comme "socialiste" un pays de camps de concentration
généralisés, où l'ouvrier n'a
pas plus de pouvoir qu'en France, un régime qui
consacre le plus clair de ses richesses à la course
aux armements, à menacer la paix et fomenter la
guerre. C'est que le PCF absout par avance une
éventuelle intervention soviétique: son
camarade Radice, du comité central du PCI, (à
la pointe pourtant de l'"eurocommunisme") n'a-t-il pas récemment
déclaré: "On ne peut s'attendre que, en tant que parti
nous travaillions contre les intérêts
généraux de l'Union
Soviétique" ?
Autrement dit, (avant de rentrer dans le
détail des conditions nouvelles proposées par
le PCF), les justifications théoriques
avancées ne permettent aucunement de penser que les
leçons sur la nécessité de la dictature
du prolétariat, sur le rôle de la violence,
sont caduques en 1977. Bien au contraire.
L'impossibilité de conquérir une
majorité électorale pour le socialisme sous le
régime de la bourgeoisie,
l'inéluctabilité de la réaction
violente de la classe capitaliste, la
nécessité pour le prolétariat d'avoir
une armée dévouée au peuple sont autant
de vérités pour aujourd'hui.
Les leçons de
l'expérience soviétique
Il y a d'ailleurs un autre point
abordé par le PCF. C'est le jugement qu'il porte sur
la révolution en URSS et la restauration de la
dictature bourgeoise. Cette question est, à
l'évidence, une question clé pour l'avenir de
la révolution chez nous. Tous les bourgeois -y
compris le PCF- ne cessent à ce sujet, de faire
campagne sur le thème du "collectivisme" comme un repoussoir hideux.
Sur la révolution russe, le PCF
adopte des positions claires: pour les premières
années, il écrit: "dans la russie des années 20, le retard
et les limites de ce qu'a pu créer le mouvement
social de la classe ouvrière ont imposé
à son pouvoir d'État la plus despotique des
interventions, repoussant par la force des choses l'horizon
antiétatique du socialisme" ép.62). Vision absurde,
falsifiée et idéaliste de ce que fut la
révolution russe. Qu'on se souvienne par exemple que
Lénine écrit en 1922 ("dans la Russie des années
20" !) en
décrivant l'appareil d'Etat soviétique:
"nous appelons
nôtre, un appareil qui de fait nous est encore
foncièrement étranger et représente un
salmigondis de survivances bourgeoises et tsaristes qu'il
nous était absolument impossible de transformer en 5
ans" (tome 36, 619).
Dès cette époque, donc Lénine est
préoccupé au plus haut point de
"l'horizon
anti-étatique" pour reprendre l'expression
démagogique du PCF. Il ne voit pas cet appareil
d'État comme une fatalité qui viendrait du
"retard", mais comme quelque chose à
transformer d'urgence. Remarquons d'ailleurs en passant que
"l'horizon
anti-étatique" contrairement à la démagogie du
PCF, est intimement lié à une "intervention
despotique" contre
la bourgeoisie.
Ainsi le PCF, volontairement aveugle à
la lutte de classe qui se poursuit sous le socialisme,
annonçant les absurdités plates qui fabriquent
une société socialiste sans contradiction
dès la prise du pouvoir, ne peut concevoir la
société soviétique que comme un tout
figé: il n'est arrivé, selon lui, que ce que
"la force des
choses" a
engendré, les bolcheviks étant
considérés comme impuissants à conduire
cette transformation. Cela même implique que la force
des choses excuse tout et qu'il n'y ait pu y avoir
d'erreurs; et, comme Khrouchtchev il y a bientôt 21
ans, Ellenstein, l'historien le plus "moderne" du PCF ne peut expliquer l'URSS que comme le
produit d'un métaphysique "culte de la personnalité" dû au caractère
"arriéré" des paysans russes. De même le PCF
présente ce qu'il appelle "la répression violente, le parti unique,
la centralisation extrême" sont des "traits spécifiques" du socialisme en URSS. Cela permet
d'évacuer les questions gênantes, l'analyse de
classe des mesures prises quand Staline était
secrétaire général du PCUS : ou
évacue sous le vocable "répression violente" à la fois la politique juste
poursuivie contre les ennemis du socialisme et certaines
formes de répression néfaste tournée
contre le peuple.
De cette manière aussi, l'URSS peut
être considérée en 1977 par le PCF comme
un pays socialiste, où il y a, depuis l'an dernier,
des atteintes aux libertés! Alors que c'est
précisément la torture et la
déportation qui sont, comme au Chili de Pinochet, le
nerf du règne terroriste de la nouvelle bourgeoisie
russe.
Dans ces conditions le PCF, sur la question
décisive de ce que sera le socialisme en France, ne
peut avancer quoi que ce soit de crédible: on
comprend alors l'insistance que "les communistes et
l'État"
consacre à la dénégation : non, nous ne
ferons pas ceci, nous nous ne mettrons pas les ouvriers et
les intellectuels dans des asiles psychiatriques, etc. Il
est condamné à la voltige difficile entre un
modèle bien existant que sera exactement tout ce que
n'est pas l'autre, tout en étant du socialisme aussi
!
Exégèse théorique
ratée, conditions historiques nouvelles introuvables,
référence à l'URSS social-fasciste
comme un pays socialiste, voilà bien ce qui reste de
la première partie du livre. On n'a pas
retrouvé la démarche non dogmatique pourtant
annoncée, mais un salmigondis de citations
utilisées malhonnêtement.
Pénétrant maintenant l'analyse concrète
des conditions de passage au socialisme en France, le PCF
va-t-il être meilleur ?
UNE NOUVELLE ÈRE
RÉVOLUTIONNAIRE
La longue marche du
crétinisme
Est-ce vanité, ou propension maladive
à évacuer toute autocritique, le PCF n'a pu
s'empêcher, avant de se lancer dans l'analyse de la
France moderne, de raconter sa longue marche vers la
crétinisation. Il replace après coup toute sa
politique depuis 1936 dans l'unique perspective de la
stratégie d'aujourd'hui.
La réécriture de l'histoire, bien
sûr, se fait sans contradictions: le PCF n'est
présenté que comme un grand corps paisible et
mou, ayant la science infuse et servant toujours les masses.
Les auteurs du livre ne retiennent de 36 que le "front au
sommet" ; (préfiguration de l'alliance PC-PS), ils se
félicitent qu'on entretienne au sein du PCF,
dès cette époque, l'ambiguïté sur
le caractère de classe de la démocratie ; ils
puisent dans la politique d'alors les "200 familles",
rénovées aujourd'hui sous l'appellation
"poignée de monopoles", mais toujours
réduction de la bourgeoisie à sa fraction
dominante; ils regrettent que le PCF de 36 n'ait pas
participé au gouvernement, mais les choses,
paraît-il, n'étaient pas mûres car la
France n'était composée que de "petits
propriétaires".
On atteint le paroxysme avec la fameuse
interview de Thorez au "Times", en 1946, entre les lignes de
laquelle les auteurs émus trouvent les germes du 22e
congrès. Eloge ensuite de la participation du PCF au
gouvernement de 44 à 47 : là encore, il n'est
pas question d'autocritique, on ne trouvera pas les mots peu
amènes employés par Duclos pour juger cette
expérience en 1947 : "Nous sommes conscients de ce que le PCF a
mené une lutte insuffisante lorsqu'il était au
gouvernement. Les raisons de cette faiblesse doivent
être recherchées dans une erreur
d'appréciation de l'évolution de la situation
en France... Il est clair que ce n'est pas dans les derniers
mois que l'on doit rechercher les raisons de notre
insuffisance. L'erreur vient de ce que nous n'avons pas su
apprécier la nature de notre participation au
gouvernement. Dès le début, la réaction
n'avait d'autre but que de modifier le rapport de forces. Ce
qui a manqué, c'est une action qui eût fait
pencher la balance du côté de la classe
ouvrière. Il y eut opportunisme,
légalitarisme, illusions
parlementaires"
-cité dans "Communisme" 16/17- (Cette "autocritique",
faite à la réunion du Kominform en Pologne en
septembre 1947 a été imposée au PCF.
Elle ne trace pas, bien sûr, les racines de la
politique révisionniste menée par celui-ci
à la Libération.). Au contraire, aujourd'hui,
le PCF claironne qu'avec De Gaulle et le MRP
"la démocratie
a fait un pas en avant" (P. 85).
Cette démocratie-là est un
élément clé dans la propagande du PCF
de 1977. Il est bon de rappeler que son contenu principal
fut le "retroussez
vos manches",
l'enrôlement de la classe ouvrière dans un
effort qualifié de "national" pour remettre en selle la bourgeoisie.
Démocratie qui ne tolère pas la grève,
présentée (comme il y a peu, au Portugal),
comme "l'arme des
trusts", le
"piège tendu
par les trusts et leurs agents trotzkyste." ; démocratie qui voit les
salaires bloqués et les prix qui augmentent deux fois
plus vite que l'indice des salaires.
la "démocratie" en question
n'était que le nom pudique de la restauration du
pouvoir bourgeois débarqué de Londres à
Bayeux le 7 juin 1944. Thorez avait négocié la
dissolution des milices populaires, le sabotage des
comités de libération. Comme il l'a
déclaré lui-même en janvier 1945 :
"Les comités
de libération locaux et départementaux ne
doivent pas se substituer aux administrations municipales et
départementales (...) La tâche des
comités de libération n'est pas d'administrer,
mais d'aider ceux qui administrent. Elle est surtout de
mobiliser, d'entraîner et d'organiser les masses pour
l'accomplissement maximum de l'effort de
guerre" (Oeuvres
T.20 P. 187). Belle progression de la démocratie en
effet !
"Démocratie", il est vrai colonialiste,
opprimant les peuples africains sous les applaudissements du
PCF ; "L 'Humanité" du 19 mai 1945 n'appelait-elle
pas au châtiment des "tueurs hitlériens ayant participé
aux événements du 8 mai et des chefs
nationalistes qui ont sciemment essayé de tromper les
masses musulmanes, faisant ainsi le jeu des cent seigneurs
dans leur tentative de rupture entre les populations
algériennes et le peuple de France", alors que la boucherie
colonialiste venait de faire 45 000 morts à
Sétif et Guelma ? Le PCF n'a-t-il pas couvert
l'assassinat de 80 000 Malgaches en 1947, en se contentant
de protester contre l'arrestation des députés
de Madagascar ? Les ministres du PCF n'ont-ils pas
gardé leur solidarité à Ramadier, en
1947 encore, lors du vote des crédits de la guerre
contre l'Indochine ? Belle progression de la
démocratie en effet !
Le PCF, qui se réclame aujourd'hui de
ses exploits passés, a effectivement
déjà fait ses preuves. De Gaulle ne s'y est
pas trompé, multipliant les félicitations au
PCF de cette époque, disant par exemple à
Billoux, après sa démission "avec des hommes comme M. Thorez et
vous, je sais que le pays n'ira pas à
l'aventure"
("France-Nouvelle", 14/5/74) !
En 1968, vingt ans plus tard, les, auteurs du
livre prétendront que le PCF a évité
"une défaite
tragique" au peuple
de France, parce que la bourgeoisie était
"prête à
tout pour isoler les forces les plus avancées et
déclencher la répression" (P. 104). Ainsi, ce qui sert
d'argument pour 1968 se transforme en son contraire en 1977,
puisque la bourgeoisie a déjà perdu
d'avance... !
Le raccourci de l'histoire du PCF que
présente le livre depuis 1936 n'a donc pour seule
fonction que de prouver une chose: revue et corrigée,
toute l'action du PCF est aujourd'hui
présentée comme aboutissant naturellement
à l'abandon de la dictature du prolétariat; en
1976, ce n'est que l'officialisation d'une politique bien
plus ancienne; d'ailleurs, écrit le PCF,
"la notion de
dictature du prolétariat ne figurait plus en fait
dans la stratégie du Parti que comme une
éventualité, dans l'hypothèse
défavorable
". (P. 107).
Ce n'est certes pas cet éloge du
crétinisme qui pourra justifier que la dictature du
prolétariat est devenue superflue en 1977. Les
auteurs du livre, après s'y être
abandonnés, attaquent le vif du sujet: ils
énumèrent "scientifiquement" (selon leurs propres écrits) cinq
éléments qui caractérisent, pour eux,
la nouvelle "ère
révolutionnaire" : le capitalisme monopoliste d'Etat et le
rôle de l'Etat; la "polarisation sociale" ; "la
tendance à la socialisation de la production et des
besoins" ; la crise
de l'Etat et de l'idéologie; enfin, la détente
internationale. On va tenter d'examiner de près ces
arguments.
Le CME et l'Etat
Le PCF part de l'observation juste que,
par rapport à l'époque de Lénine, le
rôle de l'Etat s'est accru et diversifié:
"Il y a eu un
formidable développement de l'intervention et des
structures d'Etat"
(P. 117) et il observe aussi l'incapacité de cet Etat
à maîtriser la crise, "l'Etat du CME est en effet
générateur d'une nouvelle aggravation
qualitative de cette crise et de ces
contradictions" (P.
124). On s'attend à ce qu'il en tire alors la
conclusion qu'il est, encore plus qu'à
l'époque de la révolution russe,
nécessaire de briser cet Etat de classe qui s'immisce
partout, et d'en reconstruire un nouveau. Mais, il n'en est
pas question, au contraire.
..... Le
PCF a en effet rénové de façon
fondamentale la théorie de l'Etat bourgeois:
celui-ci, à l'en croire, revêtirait maintenant
un double caractère, des aspects positifs et des
aspects négatifs; il faut alors, selon les auteurs,
"lutter pour abolir
démocratiquement le pouvoir politique du grand
capital", mais cela
ne saurait signifier "que l'appareil d'Etat doive être purement
et simplement détruit" : il faudra au contraire aller
"vers une suppression
de ce qui constitue intrinsèquement un instrument
d'oppression des masses populaires -par exemple, dès
l'étape du programme commun, le secteur
réservé du président de la
République, le système préfectoral, les
juridictions d'exception, les polices parallèles, le
secret administratif, etc. -mais en même temps
démocratisation d'institutions existantes et
création de moyens nouveaux pour une véritable
démocratie de masse" (P. 149).
..... Ainsi, il n'est plus question de briser l'Etat
parce que machine oppressive, garante de la domination
bourgeoise qu'il était au temps de Lénine,
l'appareil d'Etat exerce maintenant des fonctions positives,
sociales en quelque sorte ! Halte, dit le PCF, l'Etat c'est
l'EDF, vous n'allez pas briser les barrages hydrauliques !
L'argument est vraiment extraordinaire: il consiste à
identifier la direction politique de la bourgeoisie,
matérialisée par la direction de l'EDF, et
l'utilité sociale de la production
d'électricité. La même imposture est
utilisée pour d'autres activités qui
dépendent de l'Etat: la politique des structures
industrielles, la formation professionnelle. Sous
prétexte qu'il est nécessaire, sous le
socialisme, d'avoir une formation professionnelle, on
décrète qu'il n'est nul besoin de briser la
politique de la bourgeoisie en cette matière. Il
suffit simplement de la "démocratiser".
Les
tranches répressives de l'Etat sont donc
réduites à leur strict minimum: passons sur la
référence grotesque au secteur
réservé du président de la
République, qui ne vise qu'à redonner vie au
parlementarisme bourgeois ("il faut qu'au contraire la part essentielle du
pouvoir d'Etat revienne à l'Assemblée
Nationale" -P .168)
; l'essentiel est que le PCF ne classe pas dans les
"instruments
d'oppression intrinsèques" les trois piliers de la domination bourgeoise
immédiate : la police, la justice et l'armée.
Ne sont oppressives que les polices "parallèles", ou les justices "d'exception". On cherchera en vain dans le livre pourquoi
il en serait ainsi. Pour des scientifiques analysant des
"conditions
nouvelles", on
s'attendrait pourtant à ce qu'ils montrent en quoi
ces trois institutions, qui constituaient le coeur de la
violence bourgeoise au temps de Lénine, se sont
aujourd'hui muées en leur contraire.
La démonstration, il est vrai, serait
malaisée. Car, que constate-t-on ?
La justice bourgeoise, sous des dehors
giscardiens libéraux, fonctionne toujours dans le
même sens de classe: elle expulse les familles
à peine le printemps revenu; elle condamne les
chômeurs; elle ordonne l'expulsion des locaux des
ouvriers qui occupent leur usine ; elle laisse en
liberté les grands délinquants, patrons qui
tuent proprement dans leurs usines 2 500 ouvriers par an,
etc. , etc. L'armée bourgeoise, pendant ce temps,
s'est progressivement transformée en une double
force: armée de métier, d'une part,
spécialisée et bien payée, occupant les
postes clés, armée du contingent d'autre part,
où l'on prépare les gros bataillons d'hommes
du peuple pour la "bataille de l'avant" chère au général
Méry. Mieux, cette armée, depuis 1968, date
où, selon le PCF lui-même, la grande
bourgeoisie était "prête à tout", on a vu la création de la
DOT, dont la fonction essentielle est la lutte contre la
"subversion
interne",
c'est-à-dire, en termes clairs, l'action
révolutionnaire. La réorganisation en cours de
l'armée de terre, en supprimant la distinction entre
corps de bataille et corps de DOT, a, en particulier, pour
but de renforcer la présence militaire sur tout le
territoire, et l'efficacité de la DOT: les nouvelles
divisions d'infanteries sont en fait des regroupements des
anciennes forces de DOT, plus efficaces, dont le
matériel et la coordination sont accrus. Le
général Lagarde ne disait-il pas, en mai 75,
au moment de l'étude de la réforme:
"Le moment est venu
de valoriser nos forces de DOT dont la mission est d'assurer
la sécurité des points
sensibles (...)
il faut en
améliorer l'équipement et la mobilité
et les organiser en brigades légères pour
accroître leur efficacité" ("Défense Nationale", mai
75) ? Il est bon de rappeler, face à la
"démocratisation" avancée par le PCF, que
l'armée intervient pour le maintien de l'ordre en
tant que "force de
3è catégorie". L'amiral Sanguinetti, dont personne ne
croira qu'il est un gauchiste n'écrivait-il pas, dans
"Le Monde" (13/1/77), à propos de la politique
militaire giscardienne : "Il ne manque en somme que l'aveu, explicite,
difficile, convenons-en que l'armée pourra être
employée à l'intérieur, en
défense de la société, en cas de
"subversion" des suffrages populaires (... ) Sans doute le maintien du service militaire
sous sa forme actuelle offre-t-il l'avantage de
perpétuer les divisions d'infanterie, incapables du
combat moderne, mais utilisables en maintien de l'ordre
dès lors qu'elles y auront été
préparées".
Il faut aussi rappeler l'accent mis sur le
développement de la gendarmerie dans le plan
présenté en 76 (programmation militaire de
1977 à 1982) ; le projet de loi voté à
cette époque déclarait, en annonçant
l'augmentation des effectifs de gendarmerie de 11 000 hommes
(soit 90 000) qu'il fallait "accroître l'efficacité
générale de la gendarmerie en
privilégiant certains modes d'action visant à
l'amélioration de la sécurité publique
générale et à l'intensification de la
lutte contre les risques spécifiques de notre
époque". En
1976, en pleine crise, alors que le budget progressait en
moyenne de 14%, celui de la police et de la gendarmerie
faisaient un bond de 20% .
Le PCF,
qui ne classe pas la police non plus dans les institutions
"intrinsèquement
répressives",
serait bien inspiré de consulter le plan dit
"pluriannuel de
développement de la police nationale, de la
gendarmerie nationale et de l'administration
pénitentiaire", rendu public l'an dernier malgré son
secret. Un bref rappel de chiffres lui montrerait que les
effectifs de police ont presque doublé depuis 1968 et
qu'en comptant police et gendarmerie, il y a un agent direct
de répression pour 260 personnes en France. Ce
développement insensé et parasitaire que le
PCF assure ne pas vouloir briser est pourtant
justifié, dans le plan confidentiel par
"des atteintes
à l'ordre public et les conflits
sociaux" qui
"se multiplient en se
faisant plus violents et plus âpres". On rappellera enfin le doublement
des effectifs des juges de la Cour de Sûreté de
l'Etat, l'arsenal juridique institué par Poniatowski
et la réactualisation -projetée- des
législations d'urgence, qui voudrait instituer un
état d'urgence renforcé, (qui permettrait
d'étendre les pouvoirs des tribunaux militaires,
d'instaurer, entre autres procédures, l'internement
administratif, la censure postale, etc.).
Au terme de ce bref passage en revue des
appareils de répression de l'Etat bourgeois
français en 1977, on le découvre donc encore
plus "intrinsèquement
répressif",
encore plus bardé contre le peuple, encore plus
tourné vers l'éventualité d'une guerre
civile. Nier ces faits est impossible. Prétendre,
dans ces conditions que les circonstances permettent un
passage pacifique au socialisme avec démocratisation
à la clé relève de l'illusion,
criminellement répandue, pour un parti, le PCF, qui
se dit révolutionnaire.
En regardant de plus près d'ailleurs, on
s'aperçoit qu'il n'y a nulle illusion ou utopie chez
le PCF : s'il prétend qu'on peut, sans
révolution, "démocratiser" les piliers répressifs essentiels de
l'Etat de classe, c'est qu'il sait de quoi il parle. Il
parle en effet de toute autre chose que de construire un
Etat prolétarien qui soit la condition de la
libération de l'immense majorité des
travailleurs. Ne remettant pas en cause, fondamentalement,
le capitalisme, il ne prétend pas en extirper le
bastion violent. Et tout s'éclaire! L'armée
n'interviendra pas contre la présence du PCF au
gouvernement, la police peut être partiellement
truffée de policiers du PCF -comme par exemple
Chaunac, le responsable de son principal syndicat !
Alexandre Sanguinetti déclarait d'ailleurs
récemment à propos de l'armée et de son
attitude vis-à-vis du PCF "révolutionnaire" : "Il n'est pas du tout certain que voyant le PCF
constamment faire appel aux valeurs nationales
l'armée se considère en état de guerre
avec le PCF"
("Et si la gauche
l'emportait"). Le
PCF fait mine d'argumenter un projet politique
révolutionnaire dans des conditions qu'il
prétend changées. Mais ce ne sont pas les
conditions qui ont changé, c'est le PCF qui a
quitté son habit communiste. Ne voulant plus la
révolution, il ne trouve devant lui aucune
contre-révolution.
Double crime, alors. De faire d'abord croire
que son projet permet la révolution. De
déclencher éventuellement ensuite un mouvement
de masse qu'il conduirait à la pire des
répressions.
"La tendance
à la socialisation"
Deuxième grande
condition nouvelle qui caractérise la nouvelle
"ère
révolutionnaire" du PCF : la tendance à la
"socialisation de la production et des besoins" (P. 127). Le
PCF est écrasé d'admiration devant ces
"grandes forces
productives modernes" et il ne tarit pas d'éloges sur les
"immenses
possibilités scientifiques et techniques de notre
époque". Au
point que tous ces éléments, selon lui,
produisent "l'exigence du remplacement
révolutionnaire du capitalisme" (P.67). Cette thèse n'est
pas nouvelle: elle vise à faire croire que la simple
accumulation des forces productives "grandes", "modernes", demande automatiquement la
révolution. Cette thèse mécaniste,
caricature du marxisme, est à peine
différente, au fond, du culte de la "croissance" que
serinent les équipes bourgeoises en place. Le PCF
prend bien soin de ne pas remettre en cause la marque de
classe qui, partout, se trahit dans les choix quantitatifs
et qualitatifs qui président au développement
des forces productives. Il oublie, aussi, que la principale
force productive, c'est l'homme, qui, lui, certes, pour les
fanatiques de la technique, n'a rien de "grand" et de "moderne".
En
réalité, la tendance objective des forces
productives ne peut rien en elle-même. Un certain
développement de ces forces n'est pas indispensable
pour passer au socialisme (cf. URSS, Chine), et, surtout, il
n'est en rien porteur d'une révolution. Le PCF, pour
sa part, réduit le moment révolutionnaire
à un acte électoral sur fond de poussée
invincible de la croissance des techniques. La
complexité du fuselage du Concorde, qui fascine tant
ce parti, est ainsi mise au nombre des conditions favorables
de la révolution électorale.
La contradiction, que soulignent les auteurs,
entre l'appropriation privée des moyens de production
et la socialisation de cette production, est certes bien
présente; mais, elle ne produit rien à elle
seule. Elle était, est-il besoin de le rappeler,
présente depuis Marx, et les partisans des forces
productives attendent en vain depuis qu'elle fasse
éclater la société
capitaliste.
En réalité, même et surtout
avec des forces productives à un tel degré de
socialisation, il est nécessaire de les arracher
à la bourgeoisie, de travailler à leur refonte
progressive, de les orienter par une politique de classe
opposée, vers un développement radicalement
différent. Il n'est pas question d'utiliser purement
et simplement le legs capitaliste, et il n'y a pas d'autre
voie, pour cela, que la
dictature du prolétariat. Ceci, d'ailleurs, ne doit
pas cacher un élément fondamental: la
nécessité d'envisager, en France, la
transition du capitalisme au communisme, sur la base de
forces productives très différentes de celles
de l'URSS, d'une manière très nouvelle. Encore
faut-il rappeler que cette nouveauté ne change rien
à la nécessité de parer, par la
dictature du prolétariat, à la violence
armée de la bourgeoisie, qui ne se décide pas
à quitter le pouvoir, sous prétexte que les
usines sont devenues "grandes et modernes".
Là encore, le message caché du
PCF peut être mis à jour: s'il voue un tel
culte aux forces productives, c'est qu'il s'apprête
non pas à transformer leur caractère de
classe, mais à les utiliser dans un capitalisme
d'Etat réformé. Significatif à ce sujet
est l'éloge de Pierre Dreyfus, ancien PDG de Renault
que l'on a trouvé récemment dans
"France-Nouvelle", l'hebdomadaire du PCF (N° 1643) :
bien qu'il reste "en-deçà des exigences de
démocratie et de participation", le bonhomme a, paraît-il,
fait preuve "d'un
esprit d'entreprise qui s'épanouit mieux dans la
propriété publique que dans la
propriété privée" et il a administré
"la preuve de la
fécondité de la
nationalisation".
Comment mieux traduire, par un exemple, la nature de classe
de l'amour du PCF pour les grandes forces productives
nationalisées ? Nous trouvons là, avec une
légère restriction "sociale" sur la "participation" (!), un applaudissement au patron d'un grand
monopole capitaliste public -c'est-à-dire
possédé collectivement par la classe
capitaliste.
On pourrait d'ailleurs
accumuler de nombreux exemples du type de
développement de la production et du "progrès scientifique et
technique"
envisagé par le PCF. Retenons-en un, central: celui
de la division du travail et de l'organisation de la
production. Dans son "projet révolutionnaire", y compris pour le socialisme, il
n'est pas question de remettre en cause la division
manuels/intellectuels : aux ingénieurs et cadres, la
direction et la conception de la production, aux ouvriers
l'exécution. Il y a d'innombrables exemples de cette
conception centrale, qui, à elle seule, trahit
combien le projet politique du PCF est étranger
à la classe ouvrière. Prenons-en quelques-uns.
"Economie et
Politique" (novembre
76) écrit par exemple clairement: "Ce serait singulièrement
réduire notre conception du rôle dirigeant de
la classe ouvrière que de l'envisager comme
l'exercice par les ouvriers d'une fonction de
direction". Et
"France-Nouvelle" (1513176) : "penser par exemple, et par exemple, seulement,
qu'il serait décisif d'assurer une rotation des
postes conduisant la maîtrise et les cadres à
exécuter un travail d'ouvrier ou d'O.S. un certain
nombre de jours chaque mois, c'est
s'égarer". Le
PCF, d'ailleurs ne craint pas, pour justifier une telle
conception bourgeoise, d'invoquer Lénine. Ainsi, dans
France-Nouvelle, Jean Giard écrit (N° 1602) :
"Nous ne sommes plus
au temps où la classe ouvrière ne pouvait
envisager ses rapports avec les ingénieurs et cadres
qu'au niveau de l'utilisation de la compétence
scientifique et technique... En rejetant la dictature du
prolétariat, nous assumons tout ce qu'il y a de
positif dans la conception qu'avait Lénine de
l'utilisation des compétences et nous
dépassons ce stade". Beau dépassement en effet que sa
négation ! On rappellera simplement que Lénine
a explicitement caractérisé les
privilèges accordés aux cadres bourgeois, et
leur utilisation à une période donnée,
comme "un pas en
arrière" qui
ne correspondait pas encore "aux méthodes
soviétiques"
; "il est évident, écrit-il dans
"les tâches
immédiates du pouvoir des Soviets", que "cette mesure n'est pas simplement un
arrêt (...)
de l'offensive contre
le capital (car le capital, ce n'est pas une somme d'argent,
ce sont des rapports sociaux déterminés),
c'est encore un pas en arrière fait par notre pouvoir
d'Etat socialiste, soviétique".
Dans ces conditions,
on comprend que la fameuse "tendance à la
socialisation" ou la
"révolution
scientifique et technique" du PCF ne sont là, au fond, que pour
justifier une continuation du capitalisme
rénové, et, donc, le caractère superflu
de la dictature du prolétariat
-expréssèment lié par le PCF
lui-même à la conception de l'organisation des
forces productives, n'en paraît que plus
évident. La fidélité
révolutionnaire oblige pourtant à penser,
à la lumière des conditions d'aujourd'hui
exactement le contraire.
La "polarisation
sociale"
C'est la
troisième condition nouvelle invoquée par le
PCF. Elle permettrait, selon lui, un passage facile, non
violent au socialisme. Pour analyser les classes en France,
le PCF procède à plusieurs manipulations. Tout
d'abord, il s'abstient résolument d'examiner les
positions politiques des différentes classes par
rapport à la question du socialisme. Ensuite, il
travestit les classes et les couches en catégories
fournies par l'INSEE. Ainsi, le chiffre central qui rejette
au fond des temps la dictature du prolétariat, le
summum de l'analyse politique du PCF, c'est le pourcentage
des salariés dans la population active: 80.%. On
passera sous silence les 500 000 policiers et militaires qui
se cachent sous ce pourcentage. Et les faux salariés
camouflés par dizaines de milliers. Car l'essentiel
tient à ce qu'un tel agrégat noie la classe
ouvrière, et qu'il tient pour suffisant
l'appartenance à la catégorie
"salariés" pour qu'elle produise une bienveillance
vis-à-vis du socialisme. Ce que la
réalité quotidienne dément sans
arrêt. L'examen des chiffres fait ressortir 45% de la
population, active constituée par les ouvriers ;
est-ce à dire que ces 45% sont acquis à la
transformation révolutionnaire de la
société? Il est évident que
non.
La supercherie du PCF consiste alors à
fondre la classe ouvrière dans la masse indistincte
des salariés, et à compter le nombre sans se
préoccuper des positions politiques. Si ce genre de
calcul fait les joies des sociologues politicologues, il n'a
aucun sens pour l'appréciation de la conscience
politique des différentes couches; il escamote en
particulier la petite bourgeoisie.
Il n'est certes pas question de nier que le
taux de salarisation s'est considérablement accru; ni
même que, pour l'immense majorité, ces
salariés nouveaux verront leurs intérêts
défendus réellement sous la direction de la
classe ouvrière dans le socialisme. Mais, il est
illusoire de croire que, par des votes organisés sous
la dictature de la bourgeoisie, on pourra gagner une
majorité électorale qui corresponde à
la majorité objective du camp du peuple. Le PCF
affirme pourtant que ce chiffre de 80% constitue un argument
décisif pour supprimer le recours à la
dictature du prolétariat : en 36, argumente-t-il, la
France était encore composée principalement de
"petits
propriétaires" et "on
comprend (à
cette époque) que fasse sérieusement problème
l'alliance jusqu'au bout de la classe ouvrière et de
la petite bourgeoisie" ; mais aujourd'hui, tout est résolu:
"Le capitalisme
d'Etat et sa crise"
"ont contribué
eux-mêmes à lever
l'hypothèque"
en réalisant "la transformation des petits
propriétaires en salariés" (P. 84). Ainsi, le PCF a
substitué une enquête statistique de I'INSEE
à la nécessaire enquête politique sur
les positions politiques des différentes classes et
couches. Le taux de salarisation brandi n'a pas le
caractère d'une nouveauté politique
déterminante au point de réviser la
théorie marxiste de l'Etat.
L'autre pôle, d'ailleurs, de cette
fameuse polarisation, n'est pas plus défendable. Il
s'agit de "la grande
bourgeoisie" ou
encore "une
poignée de monopolistes" quand ce ne sont pas plus simplement
"une poignée
de super-privilégiés" qui s'opposent tout simplement aussi à
toutes "les couches
non monopolistes"
dont la majeure partie, nous venons de le voir, sont
constituées de "salariés". Par cette analyse, s'opère une
première réduction: la bourgeoisie, dans son
ensemble se trouve réduite à sa fraction
monopoliste, dont le PCF prétend qu'elle exerce le
pouvoir seule et en son seul intérêt:
"Dans la France
d'aujourd'hui, écrit-il, la grande bourgeoisie
monopoliste a au sens le plus large et le plus global du
terme, le pouvoir, c'est-à-dire que possédant
les grands moyens de production et d'échange, ce qui
fait d'elle la classe économiquement dominante, elle
dispose des moyens essentiels privés et publics pour
faire prévaloir en tout domaine ses
intérêts de classe" (P. 13). Petits capitalistes, moyens patrons
de tout acabit "non
monopolistes"
c'est-à-dire en fin de compte, l'immense
majorité de la classe capitaliste sont donc exclus du
pôle, et, par un retour évident des choses,
chassés vers l'autre pôle. Cette vision absurde
qui exclut du bénéfice de l'exploitation la
majorité des exploiteurs vise à justifier les
plus larges alliances électorales; mais elle ne se
fonde sur aucune réalité scientifique.
Entendons-nous bien: il n'est pas ici question de nier -bien
au contraire- que la fraction dirigeante de la bourgeoisie
est la fraction monopoliste; mais il est question de voir
que l'ensemble de la classe bourgeoise, dans le cadre des
rapports de force internes qui la traversent, profite et vit
du système capitaliste et défend ses
intérêts.
La réduction de
la bourgeoisie à sa seule fraction monopoliste
opère d'ailleurs une dénaturation
grossière du marxisme: cette fraction
(qualifiée de surcroît d'antinationale), ne
devient plus qu'une espèce d'excroissance contre
nature dont il suffit de laver la société pour
la transformer radicalement. On fonde ici encore la
possibilité d'un passage pacifique au socialisme, ne
l'oublions pas: si le capitalisme se réduit en fait
à une poignée nocive et traître à
la nation, il suffit de lui enlever, par la nationalisation,
le contrôle immédiat de la production, pour
imaginer dans le plus fou des rêves que la classe
ouvrière a pris le pouvoir, par
l'intermédiaire de l'installation de
représentants du PCF dans les conseils
d'administration. Dans cette analyse, le PCF ramène
le marxisme à une pacotille vulgaire, il en
élimine l'essentiel car, comme l'a écrit Marx,
(et à sa suite Lénine) : "Le capital représente, lui
aussi, des rapports sociaux. Ce sont des rapports bourgeois
de production, des rapports de production de la
société bourgeoise" (travail salarié et capital). Au
contraire, pour le PCF, la société capitaliste
dans son ensemble n'a pas à être
transformée: disposant des "grandes et modernes" forces productives, détournées
diaboliquement par quelques individus du type Dassault ou
Jacques Ferry, elle peut être remise sur pied par
quelques permutations dans les conseils d'administration.
Cette vision grotesque est encore appuyée par la
"théorie" des "ressources" inventée par le PCF : il s'agit,
dit-il des "immenses
ressources prélevées directement ou
indirectement sur toutes les couches non monopolistes de la
population : travailleurs salariés contribuables,
consommateurs, épargnants, paysans, couches moyennes,
petits capitalistes même" (P. 125). On chercherait vainement dans cette
énumération hétéroclite de
catégories économiques (que ne renierait pas
Giscard soi-même) les repères simples marxistes
de plus value, exploitation, travail productif, etc. Il est
vrai que pour la grande alliance qu'il entend impulser, le
PCF ne peut plus se servir des vieilles catégories
dépassées de cette époque...
En définitive, de la polarisation
sociale, il ne reste pas grand chose; là encore, la
"condition
nouvelle"
s'avère créée de toutes pièces
par le PCF .
La crise de l'Etat
Cet Etat que le PCF se
propose de démocratiser est, d'autre part,
paraît-il, en crise. C'est peut-être l'aspect le
plus neuf des théories du PCF : il conditionne en
tout cas l'idée qu'il n'est plus nécessaire en
France, de briser l'Etat en 1977, pour faire la
révolution. Les auteurs du livre en effet
décèlent "une contradiction qui s'aiguise (à
l'intérieur de l'Etat même) entre une
tête politique restreinte, autoritaire, toute
puissante et un corps immense, privé de
responsabilités et de moyens, mais qui n'en sert pas
moins de bouc émissaire aux dirigeants
réels" dans
lequel il y a "des
personnels mal payés et
maltraités"
qui "s'interrogent de
plus en plus sur leur sort et sur le rôle, qu'ils
appartiennent à la justice, à la fonction
publique, à l'armée ou même à la
police" (P. 134).
Ainsi, non content d'avoir une majorité de tranches
non "intrinsèquement
répressives",
l'Etat bourgeois, en outre, est maintenant
lézardé par une grande fissure qui le mine de
l'intérieur ! On se demande même comment il
continue, à la limite, de fonctionner. De plus, on
reconnaît là encore cette polarisation sociale
invincible qui aspire littéralement le
"corps de
l'Etat" pour ne lui
laisser finalement qu'une "tête" minuscule! On croit rêver.
La technique de falsification, là
encore, est éprouvée. D'abord, les
"personnels de
l'Etat" sont tous
mélangés, du postier proche de la classe
ouvrière au mercenaire CRS qui chante, pendant ses
études, le chant suivant: "La rue n'appartient pas à ceux qui y
descendent; la rue appartient au fanion de la compagnie;
autour de nous, la haine ; autour de nous, la manifestation
; foulant la boue sombre, vont les CRS (bis)"... Insulte à leur travail,
les simples ouvriers, employés, secrétaires,
etc. de l'Etat sont ainsi assimilés aux agents
directs de la répression qui viennent les matraquer
dans les centres de tri postaux ou dans les banques !
Par ailleurs, la présence au service de
l'Etat d'un corps important de travailleurs -dont une partie
croissante, d'ailleurs, n'est pas fonctionnaire, mais
vacataire licenciable à merci- est
présentée par le PCF comme une contradiction
interne à l'Etat. On ne cache pas pourtant que
l'appareil répressif soit mis en danger interne quand
les postiers et les employés des banques se mettent
en grève pour réclamer leur dû à
l'Etat-patron. La contradiction, ici, n'est qu'apparemment
interne à l'Etat, car postiers, ouvriers de l'Etat,
employés n'appartiennent pas à la machine
d'Etat qui est organisée en vue de la
perpétuation de la domination bourgeoise. C'est pure
félonie que de les assimiler aux agents de la
répression.
En
réalité, la prétendue crise de l'Etat,
entre le "corps"
et la "tête" doit être recherchée ailleurs,
de façon bien plus mesquine. C'est plutôt chez
les hauts fonctionnaires que les contradictions s'aiguisent,
et chez les flics, juges et officiers qui balancent entre
l'union de la gauche et l'union de la droite. Les frissons
qui agitent les cabinets ministériels et les
syndicats de commissaires de police constituent l'essentiel
de la crise de l'Etat découverte par le PCF ; cette
crise de légitimité du personnel politique en
place actuellement n'est pas à confondre avec
l'irruption du point de vue de la classe ouvrière
dans l'Etat bourgeois, loin de là; le fond du
débat à ce niveau est en effet de se ranger
derrière la coalition politique qui paraît la
mieux à même de juguler les luttes
ouvrières, d'éviter ce qu'en ces milieux on
appelle une "explosion sociale". Cette "crise"
est visible dans tous les milieux de l'Etat visés
ici: juges, policiers, militaires, administrateurs. Par
exemple, le syndicat des policiers en tenue (SNPT), lors de
son dernier congrès, tout en déplorant
vivement que le nombre des flics ne soit pas
augmenté, a pour ainsi dire promis son
allégeance au gouvernement de gauche éventuel
en déclarant: "La police a le devoir de garantir les
libertés de pensée et d'expression des
citoyens et de défendre les institutions que le
peuple souverain s'est données ou se donnera
librement demain -par l'exercice du suffrage
universel" ("Monde",
16/5/77). La "crise
de l'Etat" dans ces
conditions est singulièrement réduite et elle
ne saurait justifier le renoncement à la dictature du
prolétariat; elle apparaît même comme un
artifice théorique pur si l'on lit le texte de C.
Buci-Gluckman, du PCF, qui dit clairement que
"la crise de l'Etat
ne se présente pas comme crise
révolutionnaire", mais que "la
spécificité de cette crise permet -et appelle-
une stratégie démocratique, non
réformiste qui puisse transformer le caractère
de classe de l'Etat sans faire de sa destruction un
préalable"
"la crise de
l'Etat", P.59)...
La détente
internationale
Enfin, le dernier
caractère constitutif de la "nouvelle ère" du PCF, c'est la détente
internationale. Il est étonnant d'entendre un
argument aussi dénué de fondement pour des
"scientifiques". Brejnev ne vient-il pas, à ce sujet,
de déclarer que "non seulement la planète est
déjà sursaturée de moyens de
destruction massive, mais il existe un danger réel et
qui s'accroît d'année en année de mise
au point de nouveaux systèmes d'armements qui seront
infiniment plus dévastateurs" ("Monde" 31/5/77). Même sans
connaître cette citation de Brejnev, on peut
facilement savoir que la plus folle course aux armements est
engagée entre les deux superpuissances. Des
mégatonnes et des mégatonnes sont
accumulées qui menacent chaque jour un peu plus la
paix des peuples du monde. La capacité
nucléaire de la France, pour donner un exemple, vaut
1 300 fois la bombe d'Hiroshima qui fit 100 000 morts; cette
force elle-même n'est que le centième de celle
des USA et le 25è de celle de l'URSS. Les accords
SALT de 1972, prétendument limitatifs de la course
aux armements n'ont pu être tenus: le nombre des
vecteurs nucléaires (sous-marins et missiles) a
été augmenté en 1974.
Si le PCF
sème à ce propos l'illusion, ce ne peut
être ignorance, mais manoeuvre. Sa candeur feinte a
une base bien réelle: celle de ses liens et de sa
politique pro-soviétique. Mais, dira-t-on, il vient
de se rallier bruyamment à la force nucléaire
française. Cette considération ne
relève nullement pourtant de la volonté de
protéger le peuple de notre pays contre les menaces
de guerre: elle ne s'assortit pas en effet, d'une lutte pour
l'organisation du peuple en armes, de la création
d'une force militaire authentiquement populaire, ni
même d'un programme de protection contre les dangers
nucléaires.
D'autre part, ce ralliement apparent est
entaché, si l'on examine de près, de graves
lacunes vis-à-vis de la menace soviétique. Il
n'accepte en effet la force nucléaire que
temporairement: "France-Nouvelle" écrivait
récemment qu'il fallait développer les forces
conventionnelles pour pouvoir se passer de la force
nucléaire, qui "représente aujourd'hui le seul moyen de
dissuasion réel dont disposera pour un temps le pays
pour faire face à une menace
d'agression". Sa
thèse, au fond, n'est que l'inverse de celle des
atlantistes qui veulent développer les gros
bataillons pour une bataille conventionnelle
dévastatrice en Europe, bataille accompagnée
des ravages en Europe des armes nucléaires tactiques.
Comment ne pas voir ce danger quand le PCF ose
aujourd'hui classer l'URSS dans le camp socialiste ? Quand
il précise par ailleurs que "le peuple français trouvera
là (dans l'URSS) un soutien qui ne saurait
naturellement le dispenser de sa propre action, mais qui
apportera. à cette action des moyens sans
précédent de se déployer en toute
indépendance"
(P. 141) ? En clair, cela signifie qu'il compte, pour
instaurer la société qu'il qualifie de
"socialiste" en France, sur la pression -directe ou plus
masquée- des armes nucléaires tactiques et des
tanks de l'Union Soviétique. On imagine trop
facilement de quel bois est fait ce
socialisme-là.
LA SUPERCHERIE
Au bout du compte, les caractéristiques
de la "nouvelle
ère révolutionnaire" sont bien piètres. A dire vrai, elle
n'existe même pas du tout. L'Etat bien entendu n'a pas
changé de nature de classe, il reste une machine
d'oppression qu'il faut plus que jamais briser; la
"polarisation
sociale" n'est
qu'une vue de l'esprit qui a pour seule fonction de
justifier des alliances injustifiables ; la détente
n'est qu'un paravent fragile posé par les deux
superpuissances pour cacher la plus démente course
aux armements que le monde ait jamais connue.
Si les
"nouvelles
conditions"
invoquées par le PCF (pour faire croire à
l'inutilité de la dictature du prolétariat et
à l'inéluctabilité du passage pacifique
au socialisme) se révèlent fausses, c'est
qu'à l'inverse, les enseignements
marxistes-léninistes fondamentaux ne sont pas
à réviser, mais qu'ils en prennent plus de
forces actuelles. Et le PCF a, par son livre, montré
encore plus son visage d'imposteur . Son projet au fond est
logique, il ne vise à aucune révolution; il
veut conserver les rapports bourgeois de production, le
capitalisme, même s'il entend leur redonner une
nouvelle vie dans un capitalisme monopoliste d'Etat
réformé. Ce qui le rend d'autant plus
dangereux, pourtant, c'est' qu'il entend pour cela s'appuyer
sur le mouvement des masses qu'il considère comme sa
propriété. A ce compte, bien loin de la grande
sagesse qu'il affiche, le PCF prépare en fait les
masses aux pires désillusions et répressions
-que les peuples du Chili et du Portugal ont
expérimentées récemment.
Significatif de ces
dangers est la conclusion du livre. Brecht y est cité
pour son beau texte :
"Ah !
nous
qui voulions
préparer le terrain pour un monde
amical,
ne pouvions pas
être amicaux.
Mais vous, quand on
en sera là
Que l'homme sera un
ami pour l'homme
Pensez à nous
Avec indulgence"
(à ceux qui
naîtront après nous)
Et les auteurs
commentent : "Cette
contradiction terrible peut être
levée", Comme
si par opposition au chemin parsemé de
difficultés, d'erreurs et de reculs qu'a parcouru le
socialisme dans le passé, il n'y avait plus qu'un
chemin radieux et facile pour le conquérir en France.
Si le PCF était naïf, on pourrait le railler,
selon la formule de Marx appliquée au programme de
Gotha: "La croyance
au miracle démocratique". Mais le PCF ne croit nullement aux miracles.
Son projet de sauvetage du capitalisme doit être
combattu sans merci. .
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