FRONT ROUGE (nouvelle série) n°1 -juillet - août 1977
Revue politique et théorique du Parti Communiste Révolutionnaire Marxiste-Léniniste

A propos du livre : "Les communistes et l'Etat"

La dictature du prolétariat est-elle dépassée ?

Il aura fallu un an entier après le 22e congrès pour que trois éminents intellectuels du PCF parviennent à trouver la matière d'un livre Les communistes et l'Etat qui se veut recueil d'arguments, preuves et références théoriques qui justifient qu'on jette aux orties la dictature du prolétariat.

Nous publions ici sur l'ouvrage "Les Communistes et l'Etat" publié aux Editions Sociales, cet article rédigé par un collaborateur de notre revue. Dans le suite du texte, pour la commodité de la lecture, on fera le plus souvent référence au livre de L. Sève, F. Hincker, J. Fabre comme reflétant la position du PCF: il s'agit bien entendu de sa direction, dans la mesure où sa base, pour sa part, n'a pas eu son mot à dire dans cette affaire, comme dans les autres.

Les gens peu informés s'étonneront qu'un tel livre vienne si longtemps après un congrès à qui cet abandon fut imposé à la hussarde par la direction du PCF. Il n'y a pourtant là aucune raison de surprise: les congrès et autres assises n'ont pour fonction que d'entériner la politique de la direction, dans tous les partis qui n'appliquent pas le centralisme démocratique.

Si le congrès a digéré l'affaire, il y a pourtant eu des remous. Et le livre est conçu en fonction d'eux : d'abord, il s'agit de faire pièce à ces quelques intellectuels qui, bien timidement et sans voir le fond politique du révisionnisme, ont refusé d'entériner l'abandon officiel de la dictature du prolétariat; mais surtout, le livre vise à armer les militants contre les critiques qui sont nées partout dans les masses.
"Les communistes et l'État" s'organise alors autour de trois thèmes: -il s'emploie à montrer, tout d'abord que la théorie marxiste-léniniste de l'État, du rôle de la violence, de la dictature du prolétariat sont à ranger au nombre des analyses circonstancielles datées historiquement et qui, dans la France de 1977, seraient désuètes et dépassées: le PCF veut justifier ainsi qu'on a, par comparaison avec l'époque de Marx et Lénine, changé "d'ère révolutionnaire" et qu'il faut changer la théorie ;
-Pour donner du corps à cette ambition, le PCF a constitué une liste -on le verra bien dérisoire- des nouvelles conditions qui selon lui, caractérisent les nouvelles possibilités de passage pacifique, de "gestion démocratique" ;
-Enfin, dans un troisième temps, les trois intellectuels du PCF s'escriment à décrire, dans plusieurs aspects, ce que sera la gauche officielle au pouvoir, le "pouvoir démocratique", qui permettra, selon leurs affirmations, de passer dans un second temps au socialisme. Il s'agit là d'une actualisation des propositions du PCF, une version rénovée façon 77 de la "démocratie avancée", comme le "défi démocratique", "la politique du parti communiste français", etc. On ne s'attachera pas ici à ce dernier aspect qui englobe en fin de compte toutes les promesses du PCF. On centrera donc sur le noeud du livre: avons nous changé d'ère révolutionnaire ? La dictature du prolétariat n'est-elle plus nécessaire ? Le passage pacifique est-il assuré vers le socialisme ?

LA DICTATURE DU PROLETARIA DEPASSÉE ?
Le livre du PCF, on va le voir, est un tissu d'absurdités. Mais il part d'une idée extrêmement juste, et féconde pour mieux la dénaturer : idée qui aurait dû toujours être commune à ceux qui se réclament du marxisme-léninisme ; à savoir que les textes écrits par Marx, Engels, Lénine, à leur époque, dans leurs conditions spécifiques, doivent, pour être utilisés à d'autres époques et dans d'autres conditions de façon matérialiste, être confrontés systématiquement à ces nouvelles conditions.
      On ne trouvera que de faux marxistes agitant des amulettes magiques pour s'opposer à l'affirmation du PCF qu'il ne faut pas être dogmatique. Tout marxiste doit. se poser concrètement la question de savoir en quoi les analyses des grands textes classiques sont valides face à la réalité d'aujourd'hui. Et il n'y a à cet examen nul tabou. La dictature du prolétariat est-elle dépassée ? Voilà une question qu'il faut résoudre.
      Ce n'est pas un blasphème à exorciser, c'est une proposition politique à détruire, non par un travail infini d'exégèse des textes, mais d'abord et avant tout dans l'analyse concrète. C'est une banalité, peut être, que d'affirmer cela pour un marxiste; mais il vaut mieux la rappeler pour tous ceux qui se sont dit marxistes sans faire cette démarche, à commencer par le PCF lui même -on le verra.
      Ainsi, le fait que le PCF pose cette question -et la résolve à sa manière- n'est pas, en soi le signe que la question n'a pas de sens. Mieux, à sa manière encore, le PCF s'est, ces derniers temps, saisi de nombreuses questions qui sont présentes au coeur des masses: on ferait fausse route en les écartant sous le prétexte qu'il leur a donné de fausses réponses: il en est ainsi, par exemple, de la question des libertés, de la démocratie sous le socialisme. Mais, venons au texte.

L'exorcisme
      Le livre du PCF s'ouvre par une revue, détaillée, fourmillante de citations de Marx, Engels, et Lénine, les plus authentiques. Elles fonctionnent ici comme une forme d'exorcisme: les auteurs eux même peuvent espérer qu'on les oublie ont préféré les publier eux mêmes afin qu'on ne les leur renvoie pas en manière de réfutation.

      Mais on aurait tort de croire que ce rappel historique est honnête. Le projet qui le sous-tend est clair: il faut montrer que les analyses sont désuètes. Les auteurs n'hésitent pas alors à pratiquer la falsification discrète.
On n'en prendra qu'un exemple, pour illustrer la technique partout présente. Les auteurs évoquent (p.43) le texte de Marx où celui ci affirme qu'entre "la société capitaliste et la société communiste se place la période de transformation de celle ci en celle là. A quoi correspond une période de transition politique où l'État ne saurait être autre chose que la dictature révolutionnaire du prolétariat" (critique du programme du Gotha).
      A propos de cette citation, qui date de 1875, le PCF écrit: "Pour Marx, cette période est d'évidence brève, puisqu'il la caractérise expressément comme la première phase de la société communiste" et il tire cette conclusion: "Comment ne pas voir à quel point il serait déraisonnable d'aller chercher la réponse à des questions que l'histoire n'avait pas encore posées". Or, qu'on sache, ce texte est écrit après la Commune, qui précisément a posé historiquement la première, cette question. Mais, là n'est pas l'essentiel. Dans ce texte, Marx étudie la transformation révolutionnaire de la société capitaliste en une société communiste. Il prend, au contraire de ce que dit le PCF, soin de montrer que ce procès est long, qu'il a plusieurs phases, que la société nouvelle, à ses débuts, porte encore ce qu'il appelle "les stigmates de l'ancienne société des flancs de laquelle elle sort". Il décrit la phase supérieure de la société communiste comme une société où "auront disparu l'asservissante subordination des individus à la division du travail, et avec elle, l'opposition entre le travail intellectuel et le travail manuel; quand le travail ne sera pas seulement un moyen de vivre, mais deviendra lui même le premier besoin vital; quand, avec le développement multiple des individus, les forces productives se seront accrues elles aussi et que toutes les sources de la richesse collective jailliront avec abondance, alors seulement l'horizon borné du droit bourgeois pourrait être définitivement dépassé et la société pourra écrire sur ses drapeaux: de chacun selon ses capacités, à chacun selon ses besoins". Cette phase supérieure, à l'évidence, pour Marx, ne peut advenir qu'au bout d'une très longue transformation. Affirmer le contraire tient exactement de la falsification. Le PCF ne peut ignorer ces textes archi-connus, de même que l'affirmation de Lénine, dans "l'Etat et la révolution", selon laquelle "la dictature du prolétariat qui aura renversé la bourgeoisie, mais encore pour toute la période historique qui sépare le capitalisme de la société sans classes, du communisme".
On a donc ici, résumée, toute la méthode jésuitique de faux-monnayeur employée par le PCF. Le livre est rempli de tels tours de passe-passe : nous n'y reviendrons pas.

A la recherche du passage pacifique perdu
Tout à l'opposé de la démarche anti-dogmatique qu'il prétend utiliser le PCF va pourtant, au cours de longues pages débusquer, avec un zèle de bibliothécaire dément, les moindres phrases où Marx, Engels ou Lénine ont parlé de la possibilité du passage pacifique au socialisme.
Il y a ici un paradoxe apparent : les citations les plus claires, les plus vivantes pour notre temps sont évacuées comme dépassées, et, dans le même temps, on appelle, par exemple, à la rescousse, le Marx de 1872, qui disait aux ouvriers hollandais que leur pays passerait peut être pacifiquement au socialisme.

      Mais le paradoxe n'est que superficiel : le PCF ne retient que ce qui vient servir son choix préalable. Ainsi, Lénine est cité, pour la période qui va de février à octobre 1917 ; dans cette période, analysant le double pouvoir, celui-ci a en effet envisagé qu'on puisse en Russie, passer pacifiquement à la dictature du prolétariat. Le PCF oublie pourtant de dire que la condition essentielle (datée historiquement et non réalisée en France), c'est précisément le double pouvoir, le fait que la classe ouvrière dispose face à la bourgeoisie, de ses propres forces armées ! On chercherait d'ailleurs en vain, dans le livre "les communistes et l'État" une citation particulièrement gênante pour le PCF, parce qu'elle est valable pour toute la période des révolutions prolétariennes, et expressément non datée; c'est celle- ci: "Celui là seul est marxiste, qui étend la reconnaissance de la lutte des classes jusqu'à la reconnaissance de la dictature du prolétariat" (L'État et la Révolution). Hasard, sans doute, inadvertance ? ...

      La question qui est brandie sous l'égide de Lénine est celle de la majorité. Partant d'un paradoxe inouï, à savoir que la révolution d'octobre "a confirmé de manière absolument inattendue que cette ligne de démarcation avec le réformisme, ne passe pas nécessairement par le recours à la violence armée". (p.52), le PCF en vient à retenir de la révolution violente d'octobre le fait que le passage pacifique était possible en février !
..... Mais, au PCF, on n'est pas à un paradoxe près: le Chili, pour sa part, est aussi invoqué comme preuve qu'on peut faire confiance à la démocratisation de l'armée ! On signalera simplement au PCF que la veuve d'Allende, jugeant l'expérience de l'Unité Populaire, a déclaré en septembre 74 que "le bulletin de vote ne suffit pas pour parvenir au socialisme. Il faut aussi disposer d'une armée au service du peuple". (Monde, 12.9.74.).

      Mais le PCF prétend esquiver cette question en lui opposant la "conquête de la majorité". Pour lui, "la révolution peut être pacifique à condition d'abord et avant tout que la cause des transformations révolutionnaires ait gagné la majorité". (p.52), et d'autre part, "plus cette majorité est forte, plus l'adversaire peut être mis dans l'incapacité de recourir à la violence" (id). Pour prouver cela, on l'a vu, le PCF essaye de se couvrir de la légitimité léniniste. Mais c'est pure imposture. En effet, même si Lénine l'envisage un moment, le passage pacifique se révèle impossible en Octobre. Et, d'autre part, Lénine insiste inlassablement sur la possibilité du succès de l'insurrection parce que les bolcheviks disposent de la majorité dans les soviets, majorité qui n'a rien à voir avec la coalition hétéroclite et électorale dont parle le PCF. Ainsi, pour Lénine, le fait d'avoir la majorité derrière soi n'est pas une condition du passage pacifique, mais au contraire de l'insurrection !

 Ce n'est pas tout car le PCF joue sur le terme "majorité", Il le réduit à la seule comptabilité des voix, écartant l'hypothèse que des transformations révolutionnaires aient lieu à l'extérieur des bureaux de vote, ce que Marx raille en parlant d'un "démocratisme de cette sorte, confiné dans les limites de ce qui est autorisé par la police et prohibé par la logique" (critique du programme de Gotha),

      Lénine a, pour sa part, qualifié cette idée qu'on pourrait dégager une majorité électorale, dans le cadre de la domination de la bourgeoisie, de "conte puéril" (Tome 30 p.276). Toute l'argumentation du PCF en 1977 a déjà été critiquée par lui dans le texte de 1919 "les élections à l'assemblée constituante et la dictature du prolétariat". Il y insiste sans aucune ambiguïté : "le prolétariat doit d'abord renverser la bourgeoisie et conquérir pour lui même le pouvoir d'État, c'est à dire la dictature du prolétariat comme l'instrument de sa classe, pour gagner les sympathies de la majorité des travailleurs" (tome 30, 270) et il précise "le contraire serait une exception rare dans l'histoire" (tome 30, 280), Or, pour le PCF le contraire est certain : qu'il le démontre si ça lui chante, mais qu'il ne vienne pas s'appuyer sur Lénine !

 Les nouvelles circonstances
      Cela dit, le PCF ne tait pas complètement les référence de Marx et Lénine à la dictature du prolétariat: il prétend plutôt s'élever au dessus d'elles. Ainsi il cite Marx déclarant: "Ce que j'ai apporté de nouveau, c'est de démontrer 1- que l'existence des classes n'est lié qu'à des phases historiques déterminées du développement de la production ; 2- que la lutte des classes mène nécessairement à la dictature du prolétariat; 3- que cette dictature elle même ne représente que la transition à l'abolition de toutes les classes et à une société sans classes". (lettre à Weydemeyer, 1852). Mais c'est pour immédiatement affirmer qu'on ferait "un contre-sens" en disant que la dictature du prolétariat est une nécessité très actuelle. En effet, pour les auteurs du livre, deux éléments exigeaient (à l'époque de Marx et Lénine) cette dictature : "l'impossibilité d'éviter une guerre civile", puis "la faiblesse du prolétariat". Aujourd'hui, selon eux, ces circonstances ne sont plus vraies. Car il y a "les forces du socialisme à travers le monde (qui) l'emportent déjà sur celles du capitalisme" et d'autre part "la classe ouvrière est nombreuse, éduquée et organisée" (p.58).
      La malhonnêteté éclate ici encore. D'abord, en ce qui concerne la "faiblesse du prolétariat" : il ne fait pas de doute que le nombre de la classe ouvrière a augmenté depuis 1917 dans le monde, et son pourcentage aussi dans la population. Mais ce n'a jamais été du point de vue étroitement numérique qu'elle tire sa force. Lénine, que le PCF invoque si bien rappelle précisément que "dans n'importe quel pays capitaliste la force du prolétariat est incomparablement supérieure au pourcentage du. prolétariat par rapport à l'ensemble de la population. Ceci parce que le prolétariat domine économiquement le centre et le nerf du système économique capitaliste tout entier, et aussi parce que le prolétariat traduit sur le plan économique et politique les véritables intérêts de l'immense majorité des travailleurs en régime capitaliste" (Tome 30, 281). D'autre part, quelles que soient les manipulations statistiques qu'on lui fasse subir, le prolétariat en France aujourd'hui reste minoritaire. Il n'y a donc là nulle "nouvelle condition" : le prolétariat, même au temps de Lénine, encore plus minoritaire qu'aujourd'hui du point de vue numérique, traduisait déjà les intérêts de l'immense majorité des travailleurs.

      En second lieu, il n'est pas sérieux de prétendre que la présence "des forces du socialisme" permet d'éviter la guerre civile pour le passage au socialisme. D'abord car chacun peut voir que l'URSS et les USA se partagent le monde, interviennent partout, interdisent aux peuples de vivre et de faire leur libération. Ensuite, le camp socialiste n'existe plus depuis belle lurette. S'il est stratégiquement vrai qu'en fin de compte le socialisme l'emportera sur le capitalisme, il est par contre criminel de laisser penser qu'on puisse passer sans heurts à une société radicalement différente. Le PCF ne se gêne pas pour entraîner un mouvement de masse qui lui échapperait à la boucherie, le laisser désarmé, comme le fut un temps le peuple chilien. Le crime va encore plus loin quand Lucien Sève, après d'autres du PCF, laisse entendre que la bourgeoisie a déjà, dès aujourd'hui -en plein dans son renforcement de l'appareil répressif- perdu la partie ; ce dernier a en effet déclaré, lors d'un débat sur le livre "les communistes et l'État" : " Si la grande bourgeoisie perd la partie alors même qu'elle dispose de tous les moyens pour tenter de limiter l'intervention des masses, comment ne la perdrait-elle pas plus encore demain lorsque cette intervention des masses aura la liberté immensément accrue de se déployer sur tous les terrains ?" (cité dans "les Cahiers du Communisme", mai 77).

      Mais il y a plus. Car on ne peut en rester à la bonne foi du PCF. S'il classe aujourd'hui l'URSS dans la catégorie "force du socialisme", c'est un danger infini. C'est qu'il considère comme "socialiste" un pays de camps de concentration généralisés, où l'ouvrier n'a pas plus de pouvoir qu'en France, un régime qui consacre le plus clair de ses richesses à la course aux armements, à menacer la paix et fomenter la guerre. C'est que le PCF absout par avance une éventuelle intervention soviétique: son camarade Radice, du comité central du PCI, (à la pointe pourtant de l'"eurocommunisme") n'a-t-il pas récemment déclaré: "On ne peut s'attendre que, en tant que parti nous travaillions contre les intérêts généraux de l'Union Soviétique" ?

      Autrement dit, (avant de rentrer dans le détail des conditions nouvelles proposées par le PCF), les justifications théoriques avancées ne permettent aucunement de penser que les leçons sur la nécessité de la dictature du prolétariat, sur le rôle de la violence, sont caduques en 1977. Bien au contraire. L'impossibilité de conquérir une majorité électorale pour le socialisme sous le régime de la bourgeoisie, l'inéluctabilité de la réaction violente de la classe capitaliste, la nécessité pour le prolétariat d'avoir une armée dévouée au peuple sont autant de vérités pour aujourd'hui.

 Les leçons de l'expérience soviétique

       Il y a d'ailleurs un autre point abordé par le PCF. C'est le jugement qu'il porte sur la révolution en URSS et la restauration de la dictature bourgeoise. Cette question est, à l'évidence, une question clé pour l'avenir de la révolution chez nous. Tous les bourgeois -y compris le PCF- ne cessent à ce sujet, de faire campagne sur le thème du "collectivisme" comme un repoussoir hideux.

       Sur la révolution russe, le PCF adopte des positions claires: pour les premières années, il écrit: "dans la russie des années 20, le retard et les limites de ce qu'a pu créer le mouvement social de la classe ouvrière ont imposé à son pouvoir d'État la plus despotique des interventions, repoussant par la force des choses l'horizon antiétatique du socialisme" ép.62). Vision absurde, falsifiée et idéaliste de ce que fut la révolution russe. Qu'on se souvienne par exemple que Lénine écrit en 1922 ("dans la Russie des années 20" !) en décrivant l'appareil d'Etat soviétique: "nous appelons nôtre, un appareil qui de fait nous est encore foncièrement étranger et représente un salmigondis de survivances bourgeoises et tsaristes qu'il nous était absolument impossible de transformer en 5 ans" (tome 36, 619). Dès cette époque, donc Lénine est préoccupé au plus haut point de "l'horizon anti-étatique" pour reprendre l'expression démagogique du PCF. Il ne voit pas cet appareil d'État comme une fatalité qui viendrait du "retard", mais comme quelque chose à transformer d'urgence. Remarquons d'ailleurs en passant que "l'horizon anti-étatique" contrairement à la démagogie du PCF, est intimement lié à une "intervention despotique" contre la bourgeoisie.

      Ainsi le PCF, volontairement aveugle à la lutte de classe qui se poursuit sous le socialisme, annonçant les absurdités plates qui fabriquent une société socialiste sans contradiction dès la prise du pouvoir, ne peut concevoir la société soviétique que comme un tout figé: il n'est arrivé, selon lui, que ce que "la force des choses" a engendré, les bolcheviks étant considérés comme impuissants à conduire cette transformation. Cela même implique que la force des choses excuse tout et qu'il n'y ait pu y avoir d'erreurs; et, comme Khrouchtchev il y a bientôt 21 ans, Ellenstein, l'historien le plus "moderne" du PCF ne peut expliquer l'URSS que comme le produit d'un métaphysique "culte de la personnalité" dû au caractère "arriéré" des paysans russes. De même le PCF présente ce qu'il appelle "la répression violente, le parti unique, la centralisation extrême" sont des "traits spécifiques" du socialisme en URSS. Cela permet d'évacuer les questions gênantes, l'analyse de classe des mesures prises quand Staline était secrétaire général du PCUS : ou évacue sous le vocable "répression violente" à la fois la politique juste poursuivie contre les ennemis du socialisme et certaines formes de répression néfaste tournée contre le peuple.
      De cette manière aussi, l'URSS peut être considérée en 1977 par le PCF comme un pays socialiste, où il y a, depuis l'an dernier, des atteintes aux libertés! Alors que c'est précisément la torture et la déportation qui sont, comme au Chili de Pinochet, le nerf du règne terroriste de la nouvelle bourgeoisie russe.

      Dans ces conditions le PCF, sur la question décisive de ce que sera le socialisme en France, ne peut avancer quoi que ce soit de crédible: on comprend alors l'insistance que "les communistes et l'État" consacre à la dénégation : non, nous ne ferons pas ceci, nous nous ne mettrons pas les ouvriers et les intellectuels dans des asiles psychiatriques, etc. Il est condamné à la voltige difficile entre un modèle bien existant que sera exactement tout ce que n'est pas l'autre, tout en étant du socialisme aussi !

       Exégèse théorique ratée, conditions historiques nouvelles introuvables, référence à l'URSS social-fasciste comme un pays socialiste, voilà bien ce qui reste de la première partie du livre. On n'a pas retrouvé la démarche non dogmatique pourtant annoncée, mais un salmigondis de citations utilisées malhonnêtement. Pénétrant maintenant l'analyse concrète des conditions de passage au socialisme en France, le PCF va-t-il être meilleur ?

 

UNE NOUVELLE ÈRE RÉVOLUTIONNAIRE

La longue marche du crétinisme

      Est-ce vanité, ou propension maladive à évacuer toute autocritique, le PCF n'a pu s'empêcher, avant de se lancer dans l'analyse de la France moderne, de raconter sa longue marche vers la crétinisation. Il replace après coup toute sa politique depuis 1936 dans l'unique perspective de la stratégie d'aujourd'hui.
      La réécriture de l'histoire, bien sûr, se fait sans contradictions: le PCF n'est présenté que comme un grand corps paisible et mou, ayant la science infuse et servant toujours les masses. Les auteurs du livre ne retiennent de 36 que le "front au sommet" ; (préfiguration de l'alliance PC-PS), ils se félicitent qu'on entretienne au sein du PCF, dès cette époque, l'ambiguïté sur le caractère de classe de la démocratie ; ils puisent dans la politique d'alors les "200 familles", rénovées aujourd'hui sous l'appellation "poignée de monopoles", mais toujours réduction de la bourgeoisie à sa fraction dominante; ils regrettent que le PCF de 36 n'ait pas participé au gouvernement, mais les choses, paraît-il, n'étaient pas mûres car la France n'était composée que de "petits propriétaires".
      On atteint le paroxysme avec la fameuse interview de Thorez au "Times", en 1946, entre les lignes de laquelle les auteurs émus trouvent les germes du 22e congrès. Eloge ensuite de la participation du PCF au gouvernement de 44 à 47 : là encore, il n'est pas question d'autocritique, on ne trouvera pas les mots peu amènes employés par Duclos pour juger cette expérience en 1947 : "Nous sommes conscients de ce que le PCF a mené une lutte insuffisante lorsqu'il était au gouvernement. Les raisons de cette faiblesse doivent être recherchées dans une erreur d'appréciation de l'évolution de la situation en France... Il est clair que ce n'est pas dans les derniers mois que l'on doit rechercher les raisons de notre insuffisance. L'erreur vient de ce que nous n'avons pas su apprécier la nature de notre participation au gouvernement. Dès le début, la réaction n'avait d'autre but que de modifier le rapport de forces. Ce qui a manqué, c'est une action qui eût fait pencher la balance du côté de la classe ouvrière. Il y eut opportunisme, légalitarisme, illusions parlementaires" -cité dans "Communisme" 16/17- (Cette "autocritique", faite à la réunion du Kominform en Pologne en septembre 1947 a été imposée au PCF. Elle ne trace pas, bien sûr, les racines de la politique révisionniste menée par celui-ci à la Libération.). Au contraire, aujourd'hui, le PCF claironne qu'avec De Gaulle et le MRP "la démocratie a fait un pas en avant" (P. 85).
      Cette démocratie-là est un élément clé dans la propagande du PCF de 1977. Il est bon de rappeler que son contenu principal fut le "retroussez vos manches", l'enrôlement de la classe ouvrière dans un effort qualifié de "national" pour remettre en selle la bourgeoisie. Démocratie qui ne tolère pas la grève, présentée (comme il y a peu, au Portugal), comme "l'arme des trusts", le "piège tendu par les trusts et leurs agents trotzkyste." ; démocratie qui voit les salaires bloqués et les prix qui augmentent deux fois plus vite que l'indice des salaires.
      la "démocratie" en question n'était que le nom pudique de la restauration du pouvoir bourgeois débarqué de Londres à Bayeux le 7 juin 1944. Thorez avait négocié la dissolution des milices populaires, le sabotage des comités de libération. Comme il l'a déclaré lui-même en janvier 1945 : "Les comités de libération locaux et départementaux ne doivent pas se substituer aux administrations municipales et départementales (...) La tâche des comités de libération n'est pas d'administrer, mais d'aider ceux qui administrent. Elle est surtout de mobiliser, d'entraîner et d'organiser les masses pour l'accomplissement maximum de l'effort de guerre" (Oeuvres T.20 P. 187). Belle progression de la démocratie en effet !

      "Démocratie", il est vrai colonialiste, opprimant les peuples africains sous les applaudissements du PCF ; "L 'Humanité" du 19 mai 1945 n'appelait-elle pas au châtiment des "tueurs hitlériens ayant participé aux événements du 8 mai et des chefs nationalistes qui ont sciemment essayé de tromper les masses musulmanes, faisant ainsi le jeu des cent seigneurs dans leur tentative de rupture entre les populations algériennes et le peuple de France", alors que la boucherie colonialiste venait de faire 45 000 morts à Sétif et Guelma ? Le PCF n'a-t-il pas couvert l'assassinat de 80 000 Malgaches en 1947, en se contentant de protester contre l'arrestation des députés de Madagascar ? Les ministres du PCF n'ont-ils pas gardé leur solidarité à Ramadier, en 1947 encore, lors du vote des crédits de la guerre contre l'Indochine ? Belle progression de la démocratie en effet !
      Le PCF, qui se réclame aujourd'hui de ses exploits passés, a effectivement déjà fait ses preuves. De Gaulle ne s'y est pas trompé, multipliant les félicitations au PCF de cette époque, disant par exemple à Billoux, après sa démission "avec des hommes comme M. Thorez et vous, je sais que le pays n'ira pas à l'aventure" ("France-Nouvelle", 14/5/74) !
      En 1968, vingt ans plus tard, les, auteurs du livre prétendront que le PCF a évité "une défaite tragique" au peuple de France, parce que la bourgeoisie était "prête à tout pour isoler les forces les plus avancées et déclencher la répression" (P. 104). Ainsi, ce qui sert d'argument pour 1968 se transforme en son contraire en 1977, puisque la bourgeoisie a déjà perdu d'avance... !

       Le raccourci de l'histoire du PCF que présente le livre depuis 1936 n'a donc pour seule fonction que de prouver une chose: revue et corrigée, toute l'action du PCF est aujourd'hui présentée comme aboutissant naturellement à l'abandon de la dictature du prolétariat; en 1976, ce n'est que l'officialisation d'une politique bien plus ancienne; d'ailleurs, écrit le PCF, "la notion de dictature du prolétariat ne figurait plus en fait dans la stratégie du Parti que comme une éventualité, dans l'hypothèse défavorable ". (P. 107).

      Ce n'est certes pas cet éloge du crétinisme qui pourra justifier que la dictature du prolétariat est devenue superflue en 1977. Les auteurs du livre, après s'y être abandonnés, attaquent le vif du sujet: ils énumèrent "scientifiquement" (selon leurs propres écrits) cinq éléments qui caractérisent, pour eux, la nouvelle "ère révolutionnaire" : le capitalisme monopoliste d'Etat et le rôle de l'Etat; la "polarisation sociale" ; "la tendance à la socialisation de la production et des besoins" ; la crise de l'Etat et de l'idéologie; enfin, la détente internationale. On va tenter d'examiner de près ces arguments.

 Le CME et l'Etat

       Le PCF part de l'observation juste que, par rapport à l'époque de Lénine, le rôle de l'Etat s'est accru et diversifié: "Il y a eu un formidable développement de l'intervention et des structures d'Etat" (P. 117) et il observe aussi l'incapacité de cet Etat à maîtriser la crise, "l'Etat du CME est en effet générateur d'une nouvelle aggravation qualitative de cette crise et de ces contradictions" (P. 124). On s'attend à ce qu'il en tire alors la conclusion qu'il est, encore plus qu'à l'époque de la révolution russe, nécessaire de briser cet Etat de classe qui s'immisce partout, et d'en reconstruire un nouveau. Mais, il n'en est pas question, au contraire.
..... Le PCF a en effet rénové de façon fondamentale la théorie de l'Etat bourgeois: celui-ci, à l'en croire, revêtirait maintenant un double caractère, des aspects positifs et des aspects négatifs; il faut alors, selon les auteurs, "lutter pour abolir démocratiquement le pouvoir politique du grand capital", mais cela ne saurait signifier "que l'appareil d'Etat doive être purement et simplement détruit" : il faudra au contraire aller "vers une suppression de ce qui constitue intrinsèquement un instrument d'oppression des masses populaires -par exemple, dès l'étape du programme commun, le secteur réservé du président de la République, le système préfectoral, les juridictions d'exception, les polices parallèles, le secret administratif, etc. -mais en même temps démocratisation d'institutions existantes et création de moyens nouveaux pour une véritable démocratie de masse" (P. 149).
..... Ainsi, il n'est plus question de briser l'Etat parce que machine oppressive, garante de la domination bourgeoise qu'il était au temps de Lénine, l'appareil d'Etat exerce maintenant des fonctions positives, sociales en quelque sorte ! Halte, dit le PCF, l'Etat c'est l'EDF, vous n'allez pas briser les barrages hydrauliques ! L'argument est vraiment extraordinaire: il consiste à identifier la direction politique de la bourgeoisie, matérialisée par la direction de l'EDF, et l'utilité sociale de la production d'électricité. La même imposture est utilisée pour d'autres activités qui dépendent de l'Etat: la politique des structures industrielles, la formation professionnelle. Sous prétexte qu'il est nécessaire, sous le socialisme, d'avoir une formation professionnelle, on décrète qu'il n'est nul besoin de briser la politique de la bourgeoisie en cette matière. Il suffit simplement de la "démocratiser".  

      Les tranches répressives de l'Etat sont donc réduites à leur strict minimum: passons sur la référence grotesque au secteur réservé du président de la République, qui ne vise qu'à redonner vie au parlementarisme bourgeois ("il faut qu'au contraire la part essentielle du pouvoir d'Etat revienne à l'Assemblée Nationale" -P .168) ; l'essentiel est que le PCF ne classe pas dans les "instruments d'oppression intrinsèques" les trois piliers de la domination bourgeoise immédiate : la police, la justice et l'armée. Ne sont oppressives que les polices "parallèles", ou les justices "d'exception". On cherchera en vain dans le livre pourquoi il en serait ainsi. Pour des scientifiques analysant des "conditions nouvelles", on s'attendrait pourtant à ce qu'ils montrent en quoi ces trois institutions, qui constituaient le coeur de la violence bourgeoise au temps de Lénine, se sont aujourd'hui muées en leur contraire.
      La démonstration, il est vrai, serait malaisée. Car, que constate-t-on ?
      La justice bourgeoise, sous des dehors giscardiens libéraux, fonctionne toujours dans le même sens de classe: elle expulse les familles à peine le printemps revenu; elle condamne les chômeurs; elle ordonne l'expulsion des locaux des ouvriers qui occupent leur usine ; elle laisse en liberté les grands délinquants, patrons qui tuent proprement dans leurs usines 2 500 ouvriers par an, etc. , etc. L'armée bourgeoise, pendant ce temps, s'est progressivement transformée en une double force: armée de métier, d'une part, spécialisée et bien payée, occupant les postes clés, armée du contingent d'autre part, où l'on prépare les gros bataillons d'hommes du peuple pour la "bataille de l'avant" chère au général Méry. Mieux, cette armée, depuis 1968, date où, selon le PCF lui-même, la grande bourgeoisie était "prête à tout", on a vu la création de la DOT, dont la fonction essentielle est la lutte contre la "subversion interne", c'est-à-dire, en termes clairs, l'action révolutionnaire. La réorganisation en cours de l'armée de terre, en supprimant la distinction entre corps de bataille et corps de DOT, a, en particulier, pour but de renforcer la présence militaire sur tout le territoire, et l'efficacité de la DOT: les nouvelles divisions d'infanteries sont en fait des regroupements des anciennes forces de DOT, plus efficaces, dont le matériel et la coordination sont accrus. Le général Lagarde ne disait-il pas, en mai 75, au moment de l'étude de la réforme: "Le moment est venu de valoriser nos forces de DOT dont la mission est d'assurer la sécurité des points sensibles (...) il faut en améliorer l'équipement et la mobilité et les organiser en brigades légères pour accroître leur efficacité" ("Défense Nationale", mai 75) ? Il est bon de rappeler, face à la "démocratisation" avancée par le PCF, que l'armée intervient pour le maintien de l'ordre en tant que "force de 3è catégorie". L'amiral Sanguinetti, dont personne ne croira qu'il est un gauchiste n'écrivait-il pas, dans "Le Monde" (13/1/77), à propos de la politique militaire giscardienne : "Il ne manque en somme que l'aveu, explicite, difficile, convenons-en que l'armée pourra être employée à l'intérieur, en défense de la société, en cas de "subversion" des suffrages populaires (... ) Sans doute le maintien du service militaire sous sa forme actuelle offre-t-il l'avantage de perpétuer les divisions d'infanterie, incapables du combat moderne, mais utilisables en maintien de l'ordre dès lors qu'elles y auront été préparées".
      Il faut aussi rappeler l'accent mis sur le développement de la gendarmerie dans le plan présenté en 76 (programmation militaire de 1977 à 1982) ; le projet de loi voté à cette époque déclarait, en annonçant l'augmentation des effectifs de gendarmerie de 11 000 hommes (soit 90 000) qu'il fallait "accroître l'efficacité générale de la gendarmerie en privilégiant certains modes d'action visant à l'amélioration de la sécurité publique générale et à l'intensification de la lutte contre les risques spécifiques de notre époque". En 1976, en pleine crise, alors que le budget progressait en moyenne de 14%, celui de la police et de la gendarmerie faisaient un bond de 20% .

      Le PCF, qui ne classe pas la police non plus dans les institutions "intrinsèquement répressives", serait bien inspiré de consulter le plan dit "pluriannuel de développement de la police nationale, de la gendarmerie nationale et de l'administration pénitentiaire", rendu public l'an dernier malgré son secret. Un bref rappel de chiffres lui montrerait que les effectifs de police ont presque doublé depuis 1968 et qu'en comptant police et gendarmerie, il y a un agent direct de répression pour 260 personnes en France. Ce développement insensé et parasitaire que le PCF assure ne pas vouloir briser est pourtant justifié, dans le plan confidentiel par "des atteintes à l'ordre public et les conflits sociaux" qui "se multiplient en se faisant plus violents et plus âpres". On rappellera enfin le doublement des effectifs des juges de la Cour de Sûreté de l'Etat, l'arsenal juridique institué par Poniatowski et la réactualisation -projetée- des législations d'urgence, qui voudrait instituer un état d'urgence renforcé, (qui permettrait d'étendre les pouvoirs des tribunaux militaires, d'instaurer, entre autres procédures, l'internement administratif, la censure postale, etc.).
      Au terme de ce bref passage en revue des appareils de répression de l'Etat bourgeois français en 1977, on le découvre donc encore plus "intrinsèquement répressif", encore plus bardé contre le peuple, encore plus tourné vers l'éventualité d'une guerre civile. Nier ces faits est impossible. Prétendre, dans ces conditions que les circonstances permettent un passage pacifique au socialisme avec démocratisation à la clé relève de l'illusion, criminellement répandue, pour un parti, le PCF, qui se dit révolutionnaire.

      En regardant de plus près d'ailleurs, on s'aperçoit qu'il n'y a nulle illusion ou utopie chez le PCF : s'il prétend qu'on peut, sans révolution, "démocratiser" les piliers répressifs essentiels de l'Etat de classe, c'est qu'il sait de quoi il parle. Il parle en effet de toute autre chose que de construire un Etat prolétarien qui soit la condition de la libération de l'immense majorité des travailleurs. Ne remettant pas en cause, fondamentalement, le capitalisme, il ne prétend pas en extirper le bastion violent. Et tout s'éclaire! L'armée n'interviendra pas contre la présence du PCF au gouvernement, la police peut être partiellement truffée de policiers du PCF -comme par exemple Chaunac, le responsable de son principal syndicat ! Alexandre Sanguinetti déclarait d'ailleurs récemment à propos de l'armée et de son attitude vis-à-vis du PCF "révolutionnaire" : "Il n'est pas du tout certain que voyant le PCF constamment faire appel aux valeurs nationales l'armée se considère en état de guerre avec le PCF" ("Et si la gauche l'emportait"). Le PCF fait mine d'argumenter un projet politique révolutionnaire dans des conditions qu'il prétend changées. Mais ce ne sont pas les conditions qui ont changé, c'est le PCF qui a quitté son habit communiste. Ne voulant plus la révolution, il ne trouve devant lui aucune contre-révolution.
      Double crime, alors. De faire d'abord croire que son projet permet la révolution. De déclencher éventuellement ensuite un mouvement de masse qu'il conduirait à la pire des répressions.

 "La tendance à la socialisation"

 Deuxième grande condition nouvelle qui caractérise la nouvelle "ère révolutionnaire" du PCF : la tendance à la "socialisation de la production et des besoins" (P. 127). Le PCF est écrasé d'admiration devant ces "grandes forces productives modernes" et il ne tarit pas d'éloges sur les "immenses possibilités scientifiques et techniques de notre époque". Au point que tous ces éléments, selon lui, produisent "l'exigence du remplacement révolutionnaire du capitalisme" (P.67). Cette thèse n'est pas nouvelle: elle vise à faire croire que la simple accumulation des forces productives "grandes", "modernes", demande automatiquement la révolution. Cette thèse mécaniste, caricature du marxisme, est à peine différente, au fond, du culte de la "croissance" que serinent les équipes bourgeoises en place. Le PCF prend bien soin de ne pas remettre en cause la marque de classe qui, partout, se trahit dans les choix quantitatifs et qualitatifs qui président au développement des forces productives. Il oublie, aussi, que la principale force productive, c'est l'homme, qui, lui, certes, pour les fanatiques de la technique, n'a rien de "grand" et de "moderne".

 En réalité, la tendance objective des forces productives ne peut rien en elle-même. Un certain développement de ces forces n'est pas indispensable pour passer au socialisme (cf. URSS, Chine), et, surtout, il n'est en rien porteur d'une révolution. Le PCF, pour sa part, réduit le moment révolutionnaire à un acte électoral sur fond de poussée invincible de la croissance des techniques. La complexité du fuselage du Concorde, qui fascine tant ce parti, est ainsi mise au nombre des conditions favorables de la révolution électorale.
      La contradiction, que soulignent les auteurs, entre l'appropriation privée des moyens de production et la socialisation de cette production, est certes bien présente; mais, elle ne produit rien à elle seule. Elle était, est-il besoin de le rappeler, présente depuis Marx, et les partisans des forces productives attendent en vain depuis qu'elle fasse éclater la société capitaliste.
      En réalité, même et surtout avec des forces productives à un tel degré de socialisation, il est nécessaire de les arracher à la bourgeoisie, de travailler à leur refonte progressive, de les orienter par une politique de classe opposée, vers un développement radicalement différent. Il n'est pas question d'utiliser purement et simplement le legs capitaliste, et il n'y a pas d'autre

voie, pour cela, que la dictature du prolétariat. Ceci, d'ailleurs, ne doit pas cacher un élément fondamental: la nécessité d'envisager, en France, la transition du capitalisme au communisme, sur la base de forces productives très différentes de celles de l'URSS, d'une manière très nouvelle. Encore faut-il rappeler que cette nouveauté ne change rien à la nécessité de parer, par la dictature du prolétariat, à la violence armée de la bourgeoisie, qui ne se décide pas à quitter le pouvoir, sous prétexte que les usines sont devenues "grandes et modernes".

      Là encore, le message caché du PCF peut être mis à jour: s'il voue un tel culte aux forces productives, c'est qu'il s'apprête non pas à transformer leur caractère de classe, mais à les utiliser dans un capitalisme d'Etat réformé. Significatif à ce sujet est l'éloge de Pierre Dreyfus, ancien PDG de Renault que l'on a trouvé récemment dans "France-Nouvelle", l'hebdomadaire du PCF (N° 1643) : bien qu'il reste "en-deçà des exigences de démocratie et de participation", le bonhomme a, paraît-il, fait preuve "d'un esprit d'entreprise qui s'épanouit mieux dans la propriété publique que dans la propriété privée" et il a administré "la preuve de la fécondité de la nationalisation". Comment mieux traduire, par un exemple, la nature de classe de l'amour du PCF pour les grandes forces productives nationalisées ? Nous trouvons là, avec une légère restriction "sociale" sur la "participation" (!), un applaudissement au patron d'un grand monopole capitaliste public -c'est-à-dire possédé collectivement par la classe capitaliste.  

On pourrait d'ailleurs accumuler de nombreux exemples du type de développement de la production et du "progrès scientifique et technique" envisagé par le PCF. Retenons-en un, central: celui de la division du travail et de l'organisation de la production. Dans son "projet révolutionnaire", y compris pour le socialisme, il n'est pas question de remettre en cause la division manuels/intellectuels : aux ingénieurs et cadres, la direction et la conception de la production, aux ouvriers l'exécution. Il y a d'innombrables exemples de cette conception centrale, qui, à elle seule, trahit combien le projet politique du PCF est étranger à la classe ouvrière. Prenons-en quelques-uns. "Economie et Politique" (novembre 76) écrit par exemple clairement: "Ce serait singulièrement réduire notre conception du rôle dirigeant de la classe ouvrière que de l'envisager comme l'exercice par les ouvriers d'une fonction de direction". Et "France-Nouvelle" (1513176) : "penser par exemple, et par exemple, seulement, qu'il serait décisif d'assurer une rotation des postes conduisant la maîtrise et les cadres à exécuter un travail d'ouvrier ou d'O.S. un certain nombre de jours chaque mois, c'est s'égarer". Le PCF, d'ailleurs ne craint pas, pour justifier une telle conception bourgeoise, d'invoquer Lénine. Ainsi, dans France-Nouvelle, Jean Giard écrit (N° 1602) : "Nous ne sommes plus au temps où la classe ouvrière ne pouvait envisager ses rapports avec les ingénieurs et cadres qu'au niveau de l'utilisation de la compétence scientifique et technique... En rejetant la dictature du prolétariat, nous assumons tout ce qu'il y a de positif dans la conception qu'avait Lénine de l'utilisation des compétences et nous dépassons ce stade". Beau dépassement en effet que sa négation ! On rappellera simplement que Lénine a explicitement caractérisé les privilèges accordés aux cadres bourgeois, et leur utilisation à une période donnée, comme "un pas en arrière" qui ne correspondait pas encore "aux méthodes soviétiques" ; "il est évident, écrit-il dans "les tâches immédiates du pouvoir des Soviets", que "cette mesure n'est pas simplement un arrêt (...) de l'offensive contre le capital (car le capital, ce n'est pas une somme d'argent, ce sont des rapports sociaux déterminés), c'est encore un pas en arrière fait par notre pouvoir d'Etat socialiste, soviétique".

 Dans ces conditions, on comprend que la fameuse "tendance à la socialisation" ou la "révolution scientifique et technique" du PCF ne sont là, au fond, que pour justifier une continuation du capitalisme rénové, et, donc, le caractère superflu de la dictature du prolétariat -expréssèment lié par le PCF lui-même à la conception de l'organisation des forces productives, n'en paraît que plus évident. La fidélité révolutionnaire oblige pourtant à penser, à la lumière des conditions d'aujourd'hui exactement le contraire.

 La "polarisation sociale"

 C'est la troisième condition nouvelle invoquée par le PCF. Elle permettrait, selon lui, un passage facile, non violent au socialisme. Pour analyser les classes en France, le PCF procède à plusieurs manipulations. Tout d'abord, il s'abstient résolument d'examiner les positions politiques des différentes classes par rapport à la question du socialisme. Ensuite, il travestit les classes et les couches en catégories fournies par l'INSEE. Ainsi, le chiffre central qui rejette au fond des temps la dictature du prolétariat, le summum de l'analyse politique du PCF, c'est le pourcentage des salariés dans la population active: 80.%. On passera sous silence les 500 000 policiers et militaires qui se cachent sous ce pourcentage. Et les faux salariés camouflés par dizaines de milliers. Car l'essentiel tient à ce qu'un tel agrégat noie la classe ouvrière, et qu'il tient pour suffisant l'appartenance à la catégorie "salariés" pour qu'elle produise une bienveillance vis-à-vis du socialisme. Ce que la réalité quotidienne dément sans arrêt. L'examen des chiffres fait ressortir 45% de la population, active constituée par les ouvriers ; est-ce à dire que ces 45% sont acquis à la transformation révolutionnaire de la société? Il est évident que non.
      La supercherie du PCF consiste alors à fondre la classe ouvrière dans la masse indistincte des salariés, et à compter le nombre sans se préoccuper des positions politiques. Si ce genre de calcul fait les joies des sociologues politicologues, il n'a aucun sens pour l'appréciation de la conscience politique des différentes couches; il escamote en particulier la petite bourgeoisie.
      Il n'est certes pas question de nier que le taux de salarisation s'est considérablement accru; ni même que, pour l'immense majorité, ces salariés nouveaux verront leurs intérêts défendus réellement sous la direction de la classe ouvrière dans le socialisme. Mais, il est illusoire de croire que, par des votes organisés sous la dictature de la bourgeoisie, on pourra gagner une majorité électorale qui corresponde à la majorité objective du camp du peuple. Le PCF affirme pourtant que ce chiffre de 80% constitue un argument décisif pour supprimer le recours à la dictature du prolétariat : en 36, argumente-t-il, la France était encore composée principalement de "petits propriétaires" et "on comprend (à cette époque) que fasse sérieusement problème l'alliance jusqu'au bout de la classe ouvrière et de la petite bourgeoisie" ; mais aujourd'hui, tout est résolu: "Le capitalisme d'Etat et sa crise" "ont contribué eux-mêmes à lever l'hypothèque" en réalisant "la transformation des petits propriétaires en salariés" (P. 84). Ainsi, le PCF a substitué une enquête statistique de I'INSEE à la nécessaire enquête politique sur les positions politiques des différentes classes et couches. Le taux de salarisation brandi n'a pas le caractère d'une nouveauté politique déterminante au point de réviser la théorie marxiste de l'Etat.
      L'autre pôle, d'ailleurs, de cette fameuse polarisation, n'est pas plus défendable. Il s'agit de "la grande bourgeoisie" ou encore "une poignée de monopolistes" quand ce ne sont pas plus simplement "une poignée de super-privilégiés" qui s'opposent tout simplement aussi à toutes "les couches non monopolistes" dont la majeure partie, nous venons de le voir, sont constituées de "salariés". Par cette analyse, s'opère une première réduction: la bourgeoisie, dans son ensemble se trouve réduite à sa fraction monopoliste, dont le PCF prétend qu'elle exerce le pouvoir seule et en son seul intérêt: "Dans la France d'aujourd'hui, écrit-il, la grande bourgeoisie monopoliste a au sens le plus large et le plus global du terme, le pouvoir, c'est-à-dire que possédant les grands moyens de production et d'échange, ce qui fait d'elle la classe économiquement dominante, elle dispose des moyens essentiels privés et publics pour faire prévaloir en tout domaine ses intérêts de classe" (P. 13). Petits capitalistes, moyens patrons de tout acabit "non monopolistes" c'est-à-dire en fin de compte, l'immense majorité de la classe capitaliste sont donc exclus du pôle, et, par un retour évident des choses, chassés vers l'autre pôle. Cette vision absurde qui exclut du bénéfice de l'exploitation la majorité des exploiteurs vise à justifier les plus larges alliances électorales; mais elle ne se fonde sur aucune réalité scientifique. Entendons-nous bien: il n'est pas ici question de nier -bien au contraire- que la fraction dirigeante de la bourgeoisie est la fraction monopoliste; mais il est question de voir que l'ensemble de la classe bourgeoise, dans le cadre des rapports de force internes qui la traversent, profite et vit du système capitaliste et défend ses intérêts.

 La réduction de la bourgeoisie à sa seule fraction monopoliste opère d'ailleurs une dénaturation grossière du marxisme: cette fraction (qualifiée de surcroît d'antinationale), ne devient plus qu'une espèce d'excroissance contre nature dont il suffit de laver la société pour la transformer radicalement. On fonde ici encore la possibilité d'un passage pacifique au socialisme, ne l'oublions pas: si le capitalisme se réduit en fait à une poignée nocive et traître à la nation, il suffit de lui enlever, par la nationalisation, le contrôle immédiat de la production, pour imaginer dans le plus fou des rêves que la classe ouvrière a pris le pouvoir, par l'intermédiaire de l'installation de représentants du PCF dans les conseils d'administration. Dans cette analyse, le PCF ramène le marxisme à une pacotille vulgaire, il en élimine l'essentiel car, comme l'a écrit Marx, (et à sa suite Lénine) : "Le capital représente, lui aussi, des rapports sociaux. Ce sont des rapports bourgeois de production, des rapports de production de la société bourgeoise" (travail salarié et capital). Au contraire, pour le PCF, la société capitaliste dans son ensemble n'a pas à être transformée: disposant des "grandes et modernes" forces productives, détournées diaboliquement par quelques individus du type Dassault ou Jacques Ferry, elle peut être remise sur pied par quelques permutations dans les conseils d'administration. Cette vision grotesque est encore appuyée par la "théorie" des "ressources" inventée par le PCF : il s'agit, dit-il des "immenses ressources prélevées directement ou indirectement sur toutes les couches non monopolistes de la population : travailleurs salariés contribuables, consommateurs, épargnants, paysans, couches moyennes, petits capitalistes même" (P. 125). On chercherait vainement dans cette énumération hétéroclite de catégories économiques (que ne renierait pas Giscard soi-même) les repères simples marxistes de plus value, exploitation, travail productif, etc. Il est vrai que pour la grande alliance qu'il entend impulser, le PCF ne peut plus se servir des vieilles catégories dépassées de cette époque...

       En définitive, de la polarisation sociale, il ne reste pas grand chose; là encore, la "condition nouvelle" s'avère créée de toutes pièces par le PCF .

 La crise de l'Etat

 Cet Etat que le PCF se propose de démocratiser est, d'autre part, paraît-il, en crise. C'est peut-être l'aspect le plus neuf des théories du PCF : il conditionne en tout cas l'idée qu'il n'est plus nécessaire en France, de briser l'Etat en 1977, pour faire la révolution. Les auteurs du livre en effet décèlent "une contradiction qui s'aiguise (à l'intérieur de l'Etat même) entre une tête politique restreinte, autoritaire, toute puissante et un corps immense, privé de responsabilités et de moyens, mais qui n'en sert pas moins de bouc émissaire aux dirigeants réels" dans lequel il y a "des personnels mal payés et maltraités" qui "s'interrogent de plus en plus sur leur sort et sur le rôle, qu'ils appartiennent à la justice, à la fonction publique, à l'armée ou même à la police" (P. 134). Ainsi, non content d'avoir une majorité de tranches non "intrinsèquement répressives", l'Etat bourgeois, en outre, est maintenant lézardé par une grande fissure qui le mine de l'intérieur ! On se demande même comment il continue, à la limite, de fonctionner. De plus, on reconnaît là encore cette polarisation sociale invincible qui aspire littéralement le "corps de l'Etat" pour ne lui laisser finalement qu'une "tête" minuscule! On croit rêver.
      La technique de falsification, là encore, est éprouvée. D'abord, les "personnels de l'Etat" sont tous mélangés, du postier proche de la classe ouvrière au mercenaire CRS qui chante, pendant ses études, le chant suivant: "La rue n'appartient pas à ceux qui y descendent; la rue appartient au fanion de la compagnie; autour de nous, la haine ; autour de nous, la manifestation ; foulant la boue sombre, vont les CRS (bis)"... Insulte à leur travail, les simples ouvriers, employés, secrétaires, etc. de l'Etat sont ainsi assimilés aux agents directs de la répression qui viennent les matraquer dans les centres de tri postaux ou dans les banques !

      Par ailleurs, la présence au service de l'Etat d'un corps important de travailleurs -dont une partie croissante, d'ailleurs, n'est pas fonctionnaire, mais vacataire licenciable à merci- est présentée par le PCF comme une contradiction interne à l'Etat. On ne cache pas pourtant que l'appareil répressif soit mis en danger interne quand les postiers et les employés des banques se mettent en grève pour réclamer leur dû à l'Etat-patron. La contradiction, ici, n'est qu'apparemment interne à l'Etat, car postiers, ouvriers de l'Etat, employés n'appartiennent pas à la machine d'Etat qui est organisée en vue de la perpétuation de la domination bourgeoise. C'est pure félonie que de les assimiler aux agents de la répression.
En réalité, la prétendue crise de l'Etat, entre le "corps" et la "tête" doit être recherchée ailleurs, de façon bien plus mesquine. C'est plutôt chez les hauts fonctionnaires que les contradictions s'aiguisent, et chez les flics, juges et officiers qui balancent entre l'union de la gauche et l'union de la droite. Les frissons qui agitent les cabinets ministériels et les syndicats de commissaires de police constituent l'essentiel de la crise de l'Etat découverte par le PCF ; cette crise de légitimité du personnel politique en place actuellement n'est pas à confondre avec l'irruption du point de vue de la classe ouvrière dans l'Etat bourgeois, loin de là; le fond du débat à ce niveau est en effet de se ranger derrière la coalition politique qui paraît la mieux à même de juguler les luttes ouvrières, d'éviter ce qu'en ces milieux on appelle une "explosion sociale". Cette "crise" est visible dans tous les milieux de l'Etat visés ici: juges, policiers, militaires, administrateurs. Par exemple, le syndicat des policiers en tenue (SNPT), lors de son dernier congrès, tout en déplorant vivement que le nombre des flics ne soit pas augmenté, a pour ainsi dire promis son allégeance au gouvernement de gauche éventuel en déclarant: "La police a le devoir de garantir les libertés de pensée et d'expression des citoyens et de défendre les institutions que le peuple souverain s'est données ou se donnera librement demain -par l'exercice du suffrage universel" ("Monde", 16/5/77). La "crise de l'Etat" dans ces conditions est singulièrement réduite et elle ne saurait justifier le renoncement à la dictature du prolétariat; elle apparaît même comme un artifice théorique pur si l'on lit le texte de C. Buci-Gluckman, du PCF, qui dit clairement que "la crise de l'Etat ne se présente pas comme crise révolutionnaire", mais que "la spécificité de cette crise permet -et appelle- une stratégie démocratique, non réformiste qui puisse transformer le caractère de classe de l'Etat sans faire de sa destruction un préalable" "la crise de l'Etat", P.59)...

La détente internationale

Enfin, le dernier caractère constitutif de la "nouvelle ère" du PCF, c'est la détente internationale. Il est étonnant d'entendre un argument aussi dénué de fondement pour des "scientifiques". Brejnev ne vient-il pas, à ce sujet, de déclarer que "non seulement la planète est déjà sursaturée de moyens de destruction massive, mais il existe un danger réel et qui s'accroît d'année en année de mise au point de nouveaux systèmes d'armements qui seront infiniment plus dévastateurs" ("Monde" 31/5/77). Même sans connaître cette citation de Brejnev, on peut facilement savoir que la plus folle course aux armements est engagée entre les deux superpuissances. Des mégatonnes et des mégatonnes sont accumulées qui menacent chaque jour un peu plus la paix des peuples du monde. La capacité nucléaire de la France, pour donner un exemple, vaut 1 300 fois la bombe d'Hiroshima qui fit 100 000 morts; cette force elle-même n'est que le centième de celle des USA et le 25è de celle de l'URSS. Les accords SALT de 1972, prétendument limitatifs de la course aux armements n'ont pu être tenus: le nombre des vecteurs nucléaires (sous-marins et missiles) a été augmenté en 1974.
Si le PCF sème à ce propos l'illusion, ce ne peut être ignorance, mais manoeuvre. Sa candeur feinte a une base bien réelle: celle de ses liens et de sa politique pro-soviétique. Mais, dira-t-on, il vient de se rallier bruyamment à la force nucléaire française. Cette considération ne relève nullement pourtant de la volonté de protéger le peuple de notre pays contre les menaces de guerre: elle ne s'assortit pas en effet, d'une lutte pour l'organisation du peuple en armes, de la création d'une force militaire authentiquement populaire, ni même d'un programme de protection contre les dangers nucléaires.

      D'autre part, ce ralliement apparent est entaché, si l'on examine de près, de graves lacunes vis-à-vis de la menace soviétique. Il n'accepte en effet la force nucléaire que temporairement: "France-Nouvelle" écrivait récemment qu'il fallait développer les forces conventionnelles pour pouvoir se passer de la force nucléaire, qui "représente aujourd'hui le seul moyen de dissuasion réel dont disposera pour un temps le pays pour faire face à une menace d'agression". Sa thèse, au fond, n'est que l'inverse de celle des atlantistes qui veulent développer les gros bataillons pour une bataille conventionnelle dévastatrice en Europe, bataille accompagnée des ravages en Europe des armes nucléaires tactiques.

      Comment ne pas voir ce danger quand le PCF ose aujourd'hui classer l'URSS dans le camp socialiste ? Quand il précise par ailleurs que "le peuple français trouvera là (dans l'URSS) un soutien qui ne saurait naturellement le dispenser de sa propre action, mais qui apportera. à cette action des moyens sans précédent de se déployer en toute indépendance" (P. 141) ? En clair, cela signifie qu'il compte, pour instaurer la société qu'il qualifie de "socialiste" en France, sur la pression -directe ou plus masquée- des armes nucléaires tactiques et des tanks de l'Union Soviétique. On imagine trop facilement de quel bois est fait ce socialisme-là.

 LA SUPERCHERIE

      Au bout du compte, les caractéristiques de la "nouvelle ère révolutionnaire" sont bien piètres. A dire vrai, elle n'existe même pas du tout. L'Etat bien entendu n'a pas changé de nature de classe, il reste une machine d'oppression qu'il faut plus que jamais briser; la "polarisation sociale" n'est qu'une vue de l'esprit qui a pour seule fonction de justifier des alliances injustifiables ; la détente n'est qu'un paravent fragile posé par les deux superpuissances pour cacher la plus démente course aux armements que le monde ait jamais connue.
Si les "nouvelles conditions" invoquées par le PCF (pour faire croire à l'inutilité de la dictature du prolétariat et à l'inéluctabilité du passage pacifique au socialisme) se révèlent fausses, c'est qu'à l'inverse, les enseignements marxistes-léninistes fondamentaux ne sont pas à réviser, mais qu'ils en prennent plus de forces actuelles. Et le PCF a, par son livre, montré encore plus son visage d'imposteur . Son projet au fond est logique, il ne vise à aucune révolution; il veut conserver les rapports bourgeois de production, le capitalisme, même s'il entend leur redonner une nouvelle vie dans un capitalisme monopoliste d'Etat réformé. Ce qui le rend d'autant plus dangereux, pourtant, c'est' qu'il entend pour cela s'appuyer sur le mouvement des masses qu'il considère comme sa propriété. A ce compte, bien loin de la grande sagesse qu'il affiche, le PCF prépare en fait les masses aux pires désillusions et répressions -que les peuples du Chili et du Portugal ont expérimentées récemment.
Significatif de ces dangers est la conclusion du livre. Brecht y est cité pour son beau texte :
"Ah ! nous
qui voulions préparer le terrain pour un monde
amical,
ne pouvions pas être amicaux.
Mais vous, quand on en sera là
Que l'homme sera un ami pour l'homme
Pensez à nous
Avec indulgence"
(à ceux qui naîtront après nous)
Et les auteurs commentent : "Cette contradiction terrible peut être levée", Comme si par opposition au chemin parsemé de difficultés, d'erreurs et de reculs qu'a parcouru le socialisme dans le passé, il n'y avait plus qu'un chemin radieux et facile pour le conquérir en France. Si le PCF était naïf, on pourrait le railler, selon la formule de Marx appliquée au programme de Gotha: "La croyance au miracle démocratique". Mais le PCF ne croit nullement aux miracles. Son projet de sauvetage du capitalisme doit être combattu sans merci. .

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