Front Rouge n°128 -17 octobre 1974- page 2-
 

éditorial

21ème Congrès du P"C"F: jusqu'ou ira Marchais ?

Les rebuffades de Marchais
Au moment où le PS, avec ses " Assises " du socialisme des 12 et 13 octobre, occupait le devant de l'actualité politique, Marchais s'est mis en vedette en accusant publiquement de déloyauté ses alliés de l'Union de la gauche : " Constatons, a-t-il déclaré, que le parti socialiste, les radicaux de gauche, par leur comportement, vont dans le même sens que les représentants des monopoles et que " rééquilibrer la gauche " signifie prendre des voix aux communistes… Or, dans les élections on a vu dès le premier tour le candidat socialiste, le radical de gauche, mener campagne sur le thème qu'ils étaient les mieux placés pour battre la droite ".
A l'origine de ces rebuffades, il y a le recul net du P " C " F aux dernières élections : dans 5 circonscriptions sur 6, il perd des voix et en Dordogne, le candidat P " C " Péron, ne récupérant pas au second tour les voix de son collègue radical, est battu de peu par un UDR. Par contre, avec l'apport massif des voix P " C " F, le PS et les radicaux de gauche enlèvent chacun un siège. Dans l'ensemble, le PS accroît sensiblement son influence électorale. S'agit-il d'une simple mésaventure électorale ? Certainement pas. La cascade de communiqués officiels du P " C " F, d'articles dans " l'Huma ", etc… montrent qu'à travers ce fiasco électoral, le P " C " F, à la veille de son XXIe Congrès extraordinaire, se trouve confronté à une sorte d'impasse.
 
A qui vont les bénéfices du Programme commun ?
Depuis la signature du Programme Commun, il est clair que le PS est le principal bénéficiaire électoralement de l'affaire. Alors que Defferre aux présidentielles de 69, avait recueilli 5% des voix, le PS arrive maintenant à rassembler souvent plus de 20% des voix. Dans le même temps, les scores électoraux du P " C " F stagnent, ou comme maintenant régressent.
Toute la tactique de Mitterrand, à partir du Congrès d'Epinay, a consisté en effet à redonner une virginité de " gauche " au vieux parti social-démocrate SFIO, alors largement discrédité et squelettique. Et pour y arriver, l'un des principaux moyens à consisté à conclure l'accord du Programme Commun avec le P"C"F. Marchais le sait bien quand il demande : " Qui a tiré le parti socialiste du marais de la collaboration de classe ? ". Traduisez : qui a permis au parti socialiste d'escamoter son passé de parti bourgeois ? Il répond, c'est le P" C "F.
Le PS ainsi s'est servi et se sert du P " C " F, de son alliance avec lui, pour retrouver une base électorale large et devenir, électoralement, le premier parti de " gauche ". Mitterrand ne s'en est jamais caché, du moins auprès de ses compères " socialistes " : " notre objectif fondamental, c'est de faire la démonstration que sur 5 millions d'électeurs communistes, 3 millions peuvent voter socialiste.", le lendemain même de la signature du Programme Commun.
 
Le PS parti charnière maître du jeu
Car le PS joue sur deux tableaux : d'une part en tant que vieux parti bourgeois qui inspire entière confiance à la bourgeoisie, qui a depuis longtemps su la servir avec zèle (répression des mineurs en 1948, guerre d'Algérie avec Guy Mollet) et qui conserve intact son réseau de notables réactionnaires, il est en mesure de rassembler tout un électorat bourgeois, petit bourgeois, réactionnaire qui, par de vieux réflexes se méfie encore du P " C " F.
D'autre part, parce qu'il s'est allié au P " C " F et qu'il a su rénover sa façade décrépite avec des thèmes comme l'autogestion et une phraséologie d'allure révolutionnaire, il s'est donné les moyens d'illusionner et de drainer des électeurs qui aspirent à des changements profonds, qui se posent la question du socialisme. En ce sens il tend à apparaître comme plus révolutionnaire que le P " C " F et à entamer son influence.
Ainsi reconstitué et avec Mitterrand comme figure de proue, propulsé par deux fois aux présidentielles, avec l'aide du P " C " F, le PS apparaît bien maintenant comme le premier parti de " gauche ". Bien plus, tout indique qu'une fois porté au gouvernement par une majorité de " gauche ", il a désormais les moyens de jouer le rôle de parti charnière, libre de maintenir ou de rompre l'alliance avec le P " C " F en fonction des intérêts de la bourgeoisie. Lecanuet, récemment avait appelé les socialistes à se séparer du P " C " F et à rejoindre les centristes.
Giscard semble prêt à recevoir Mitterrand à l'Elysée pour discuter entre politiciens bourgeois, sur la façon de gérer au mieux la crise. Toute une série de gaullistes en mal de reclassements, tels que Jeanneney, Pisani, Delors, Léo Hamon qui ont assisté aux " Assises " regardent su côté du PS. Autant de moyens à la disposition du PS pour rompre, si besoin est, son alliance avec le P " C " F et former autour de lui une nouvelle majorité.
 
Le P " C " F prisonnier de l'alliance avec le PS
Mais, malgré ses rebuffades, le P" C "F, lui, n'a aucun moyen, dans la situation actuelle, de rompre l'alliance du Programme Commun. Depuis des années et des années, à partir du moment où la ligne révisionniste l'a emporté irréversiblement dans le P " C " F, où la voie révolutionnaire a été définitivement étouffée, le P " C " F s'est efforcé d'enfermer la classe ouvrière dans le carcan de sa logique révisionniste : en France, il n'est pas possible, il ne faut pas faire la révolution pour instaurer le socialisme. Seule une victoire électorale permettra de passer à une étape transitoire (" démocratie avancée ") " ouvrant la voie au socialisme ". Mais comme le P " C " F ne peut espérer , à lui seul obtenir la majorité électorale, il doit nécessairement s'allier à des partis de " gauche ". Ainsi l'alliance avec le parti socialiste présentée pendant des années comme le seul débouché politique possible à la classe ouvrière, ne peut pas, une fois conclue, être remise en cause à la légère : ce serait bouleverser tout le système d'illusions pacifistes, électoralistes, déployé depuis des années par le P " C " F.
 
La logique de la dégénérescence révisionniste
Au contraire, la logique de l'évolution du P " C " F révisionniste l'amène à renoncer toujours plus avant, dans ses propositions politiques, à tout ce qui risquerait d'être interprété comme un reste de velléité révolutionnaire. Cet alignement de plus en plus servile sur les positions du réformisme bourgeois, le P " C " F y est nécessairement conduit, à la fois pour obtenir que la social-démocratie accepte de s'allier avec lui, pour apparaître à la bourgeoisie comme un candidat honnête à la gestion de ses affaires et enfin pour tenter d'élargir au maximum son électorat. Ainsi le P " C " F, s'est condamné à faire les frais du renflouement du PS. Non seulement parce que, avec la signature du Programme Commun, il a donné une caution de gauche à la vieille SFIO, non seulement parce qu'il a mis son potentiel de militants au service du PS, mais aussi parce que en avilissant toujours d'avantage l'idée du socialisme et les moyens d'y parvenir, le P " C " F a permis à la social-démocratie d'apparaître à bon compte, par comparaison, comme une force de gauche, et même porteuse d'un projet révolutionnaire…
 
XXI e Congrès : plus question de socialisme !
Les thèses du prochain Congrès extraordinaire du P " C " F marquent un pas de plus dans cette évolution, sur trois points principaux. D'une part, il s'agit de proclamer officiellement que le P " C " F renonce de fait, même en paroles, à l'objectif du socialisme, que la démocratie avancée - la réalisation du Programme Commun - ne mène pas du tout au socialisme. " Il ne s'agit pas de socialisme, a déclaré Marchais, pas non plus de commencement de la construction du socialisme. Il s'agit de réformes démocratiques "., Et d'ajouter : " La démocratie que nous voulons n'est pas conçue comme pour aller plus loin ".
Avec ce genre de " réformes démocratiques " d'où est évacuée toute idée de socialisme, le P " C " F compte se rendre acceptable par pratiquement toutes les classes sociales : " Fixons-nous une limite, à ce rassemblement ? Notre réponse est catégorique : Non, aucune limite, à l'exception de la poignée de féodaux de France " où devrait ce retrouver au coude à coude patrons et ouvriers, exploiteurs et exploités. Entre dans ce cadre l'alliance avec des courants politiques réactionnaires comme le gaullisme : " Je le dis en pesant mes mots : nous tenons le rapprochement avec les travailleurs et patriotes gaullistes comme une des questions déterminantes de l'Union du Peuple de Français qui est notre objectif ".
 
L'emprise du révisionnisme devient plus fragile
Mais cette fuite en avant, pour se transformer en grand parti de réformes abandonnant toute référence même formelle, au socialisme, en un parti fondé ouvertement sur la collaboration de classes, cette fuite en avant, irréversible affaiblit son audience, sape la cohésion du P " C " F. Alors que le PS peut se permettre une certaine phraséologie révolutionnaire, qu'il tient aux " Assises du socialisme ", parle de société socialiste à construire, le P " C " F, lui axe son Congrès extraordinaire, en fait, autour du thème : " Il ne s'agit pas de socialisme ". En une période où s'affirment les aspirations révolutionnaires des masses, c'est un handicap important qui freine sa capacité à duper les masses et laisse du champ à l'offensive démagogique du PS.
Au sein même du P " C " F, cette fuite en avant tend à approfondir les doutes, à multiplier le désarroi. D'une part, pour de nombreux militants se pose la question : à quoi bon, pour aboutir à l'union de la gauche, avoir capitulé de concessions en concessions face au Parti Socialiste, pour se retrouver finalement affaibli ?
Tout a été sacrifié au nom de l'efficacité électorale : mais cette politique électoraliste elle-même aboutit à des échecs électoraux.
A partir de là, il devient plus difficile de faire avaler les nouvelles concessions : l'abandon du socialisme ! Mais alors, quelle est la raison d'être du Parti qui se prétend encore communiste ? L'alliance avec les Petits et Moyens Entrepreneurs ? Comment l'accepter au moment où, tant de PME jettent leurs ouvriers au chômage ? L'alliance avec les gaullistes ? Mais alors, comment oublier Mai 68, où les travailleurs ont massivement contesté De Gaulle, sa politique et l'ensemble des politiciens gaullistes. A coup sûr, de nombreux travailleurs adhérents ou proches du P " C " F qui aspirent sincèrement à des changements révolutionnaires, posent ces questions et entrent en contradiction avec le projet du 21e Congrès.
Marchais a beau se rebiffer, affirmer : " il faut absolument un Parti Communiste fort, influent, actif " pour rassurer tous ceux qui doutent de plus en plus de la capacité du P " C " F à mener les travailleurs à leur émancipation. Cet appel sonne creux. Il ne peut empêcher que malgré son apparente force numérique, financière, électorale, etc…, le P " C " F ne soit profondément rongé, miné par la contradiction entre sa politique de plus en plus ouvertement réformiste et la montée des aspirations révolutionnaires des masses.
Le 21e Congrès - malgré son côté spectaculaire - ne doit pas faire illusion. Le P " C " F prépare ce Congrès dans un climat où perce le désarroi de nombre de ses militants. Il faut débattre largement avec eux et avec les masses des nouvelles orientations du P " C " F, pour les dénoncer et pour tracer les perspectives révolutionnaires. C'est un moyen important pour accélérer la décomposition et à terme l'élimination du parti révisionniste. C'est un moyen important pour engager de nouveaux travailleurs jusque là paralysés par le P" C "F, dans l'action révolutionnaire. "
 
(Gabriel FERREOLE).

 

retour