- l'enjeu de la
bataille PS-P"C" au portugal :
- une nouvelle répartition
des forces au sein du gouvernement
Une semaine après les
élections au Portugal, l'aiguisement des
contradictions prévisible entre le PS et le P-C-P
s'est effectivement produit. En effet, au lendemain de la
tentative manquée du coup réactionnaire du 11
mars, les révisionnistes avaient mis la situation
à profit pour s'imposer aux militaires du MFA,
désormais isolés sur leur droite, et accaparer
de nombreux postes dans le gouvernement et l'appareil
d'Etat. Dans le même temps, le PS, vraisemblablement
compromis de près ou de loin dans la
préparation du putsch, s'était trouvé
réduit à une position plus faible dans le
gouvernement. La victoire du PS, qui a remporté aux
dernières élections trois fois plus de voix
que le P " C " P, était l'occasion pour les
sociaux-démocrates de remettre cette situation en
cause.
Dès le lendemain des
élections, le PS affirmait ses nouvelles ambitions
par une manifestation organisée dans le centre de
Lisbonne. Le caractère hétéroclite de
la manifestation, où se distinguait un cortège
de 1 000 ouvriers et cortège de voitures plus ou
moins de luxe, rendait bien compte de la nature de ce parti
bourgeois qui parvient, dans le cadre de l'antifascisme,
à tromper encore une masse importante de
travailleurs.
Mais c'est le 1er mai,
à l'occasion de la manifestation organisée par
l'Intersyndicale, que les contradictions sont apparues au
grand jour. D'une part, le PS tentait de s'affirmer comme
une force autonome, conviant à rejoindre le meeting
central par une manifestation séparée. D'autre
part, le P " C " P mettait cette manœuvre à profit
pour isoler le PS, contraignant en fin de compte Mario
Soares à quitter le meeting.
L'instrument des
révisionnistes dans cette opération a
été la direction de la centrale syndicale
unique, officiellement légalisée par le MFA le
jour même du premier mai. D'un côté,
fidèles à leur vieille tactique de division de
la classe ouvrière, les sociaux-démocrates se
sont toujours opposés à l'unicité
syndicale. De l'autre côté, les
révisionnistes ont poussé dans ce sens, pour
se doter d'un instrument de contrôle de la classe
ouvrière, et d'un moyen de pression dans la lutte
pour le pouvoir entre partis bourgeois. Le P " C " P
contrôle en effet largement la direction de cette "
intersyndicale " : d'une part, parce qu'ils avaient
déjà conquis des postes de direction dans les
syndicats à l'époque fasciste, d'autre part,
parce qu'ils ont pris, après le 25 avril,
l'initiative de chasser les cadres fascistes en place dans
les anciens syndicats pour s'imposer bureaucratiquement
à leur place. Ils utilisent en la dévoyant,
dans cette bataille, la juste aspiration de la classe
ouvrière portugaise à l'unité
syndicale.
La lutte PS-P"C"P pour le contrôle de
l'appareil d'Etat bourgeois. Sur la banderole " l'appareil
d'Etat au service du peuple (?!) cellule du PCP-Palais
Sao Bento (siège de l'assemblée )"
Après les " incidents
" du premier mai. le PS s'empressait de convoquer pour le
lendemain soir une manifestation importante à
Lisbonne, afin de réclamer sa part du gâteau
gouvernemental, sur le mot d'ordre principal : " il faut
respecter la volonté populaire ", autrement dit : "
il faut donner plus de places au PS au gouvernement ".
Cependant, le sens de la
manifestation était encore appuyé par les
discussions engagées en même temps par Soares
avec le président de la République, Costa
Gomes, le premier ministre, Vasco Gonçalves. et le
secrétaire du P " C " P. Cunhal. Sortant de ces
entretiens, Soares déclarait : " Nous sommes avec le
MFA, car son projet de construire un socialisme portugais et
en liberté ne peut se faire sans nous " et : " Nous
sommes partisans de l'union de toutes les forces
progressistes, mais sans une hégémonie, que
rien aujourd'hui ne justifie ". Il indiquait clairement par
là que l'enjeu essentiel de la querelle qui l'oppose
aujourd'hui aux révisionnistes, est l'influence
prépondérante dans le MFA et les autres
organes du pouvoir, qui lui sont subordonnés.
A l'issue de ces
journées, une chose apparaît clairement : aussi
bien les révisionnistes que les
sociaux-démocrates ne considèrent aujourd'hui
les masses du Portugal que comme un instrument de pression
dans la querelle qui les oppose pour le pouvoir, et dans
laquelle aucun des deux ne dispose pour l'instant des forces
nécessaires pour éliminer l'autre. Quand on
sait que derrière chacun de ces deux partis s'agite
une des deux super-puissances qui luttent pour
l'hégémonie mondiale, on comprend que le
peuple portugais a tout intérêt à
rejeter ces partis qui prétendent le
représenter.
le 4/5/75
Jean Lermet
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libérez les
militants
emprisonnés
La veille des
élections du 25 avril, vers 10 heures du matin,
beaucoup de gens se sont regroupés autour du
siège du MRPP d'Olhao. Dans la nuit, après un
meeting, une trentaine de ses membres et sympathisants ont
été arrêtés, pour avoir fait de
la propagande contre " la farce électorale ". Le
siège a été fermé
aussitôt, gardé par la police. Dans
l'après-midi, l'armée embarque tout : tables,
machines à écrire, journaux, tout y passe.
Quelques militants sont même arrêtés dans
la journée, sur leur lieu de travail. Un avion
militaire les emmène à la prison militaire de
Santarem.
Cette trentaine
d'emprisonnements vient après des dizaines d'autres.
Ils sont aujourd'hui plus de 200, arrêtés dans
toutes les régions du Portugal, le plus souvent lors
de collages d'affiches ou de diffusion de leur journal. Dans
de très nombreux cas, ce sont les
révisionnistes qui font le plus gros travail : rondes
armées, provocation des militants ; le Copcon ou la
police militaire intervient ensuite, et arrête les
révolutionnaires. La nuit même
précédant les élections, la police a
arrêté dans un barrage, le responsable du MRPP.
Dans les différentes prisons, Alco Entre, Tires...
les prisonniers ont subi des coups ; il n'y a pas
d'hygiène, une nourriture infecte. A la prison pour
femmes de Tires, les médecins ont refusé de
soigner des militantes blessées. Pour séparer
les hommes des femmes, la police n'a pas
hésité à utiliser des gaz
lacrymogènes dans les cellules.
La chute du fascisme a
donné au peuple portugais une liberté qu'il
n'avait pas connue pendant 50 ans. Mais dés que les
révolutionnaires ont commencé à
dénoncer cette démocratie comme la nouvelle
forme du pouvoir bourgeois, la répression s'est
abattue sur certains d entre eux.
- Libération des militants emprisonnés
!
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- Reportage à olhao, ville
du sud…
Olhao. c'est une petite ville du Sud, dans l'Algarve. au
bord de la mer. Beaucoup de ses habitants vivent de la mer :
c'est un port de pêche mais aussi un centre important
de conserves de poissons, avec plusieurs usines très
anciennes. Tout autour, une campagne très
sèche, avec des chemins de sable bordés de
cactus énormes.
Nous avons rencontré des pécheurs, des
ouvrières des usines de conserves, des
salariés agricoles. Tous nous ont raconté
leurs dures conditions de travail, la
précarité de leur emploi,
l'insécurité dans laquelle ils vivent.
Une ouvrière des conserves nous explique " Notre
travail est particulièrement sale. Nous faisons tout
à la main et aux ciseaux. Quand il n'y a pas de
poisson frais, nous travaillons sur des poissons
congelés, et nous avons toutes des rhumatismes dans
les mains. Les patrons nous menacent sans cesse de
chômage. Ils nous disent que ces conserves se vendent
moins bien qu'avant, parce que le procédé
d'ouverture des boites est ancien et nécessite une
clé, et que le poisson congelé est jauni et ne
se conserve pas toujours très bien. Ils ont
fermé une douzaine d'usines récemment ". Pas
de sanitaire, alors qu'en été elles doivent se
laver et changer de vêtement tous les jours, tant
l'odeur est forte. C'est un fait que même en avril
sous le soleil déjà très chaud, les
abords des conserveries dégagent une odeur affreuse.
Il y a peu de temps, elles n'avaient aucune
sécurité de travail, c'étaient des
jours entiers sans salaire. Aujourd'hui après une
lutte de plusieurs semaines, elles ont obtenu la garantie de
24 heures de travail, par semaine, payées.
Les pêcheurs ont à peu près les
mêmes problèmes. Pour la plupart ils ne
possèdent pas de bateau, mais travaillent sur ceux
d'armateurs liés à l'industrie de la conserve.
Ils partent chaque soir pour pêcher toute la nuit.
C'est le risque d'accidents permanent. Un fils de
pêcheur nous raconte qu'un camarade de son père
a eu la tête écrasée entre le gros
bateau et un des petits bateaux sur lesquels on
décharge le poisson, que plusieurs ont eu un bras ou
une jambe prise dans les cordes pendant que la machine les
enroulait. On peut facilement reconnaître les
pêcheurs à leurs visages brûlés,
leurs mains craquelées, blessées,
détrempées au bout des doigts. L'un d'eux nous
explique qu'ils n'ont pas de salaire fixe : ce qu'ils
touchent, c'est un infime pourcentage sur le poisson qu'ils
ramènent. C'est un travail à la tâche
qui entretient une sorte de guerre entre les
équipages des différents bateaux ; quand un
bateau a repéré des poissons, c'est la
ruée sur cet endroit.
Dans la campagne alentour, de petites
propriétés où l'on fait un peu de tout
voisinent avec des grandes propriétés souvent
abandonnées aux oliviers et aux chênes. Mais
commencent à se développer sur des terres de
plus de 200 hectares des cultures de pointe. Près
d'Olhao, nous avons vu une de ces grandes " fermes ",
où le propriétaire, dont beaucoup ne
connaissent même pas le nom, a lancé des
cultures de primeurs : fraises sur plastique, tomates et
piments sous grandes serres, sur des dizaines d'hectares.
Irrigation en permanence. On utilise abondamment engrais et
insecticides.
Nous avons discuté avec les ouvrières
agricoles qui cueillaient les fraises, les mettaient sur
place dans des barquettes. Une tonne par jour en ce moment.
Elles sont près de 100 sur la
propriété, courbées tout le jour sous
un soleil torride. Elles travaillent sous les ordres d'un
ingénieur et de chefs d'équipes. Pour elles,
la situation a peu changé. Elles vivent dans la
crainte de tomber malades, car alors il n'y a plus de
salaire. Presque toutes viennent aussi le samedi pour
joindre les deux bouts, car elles n'ont pas encore vu la
couleur du salaire minimum. L'an dernier, elles avaient fait
grève en pleine saison, mais en vain. Elles sont
encore mobilisées sur ces questions. Pour elles,
l'orientation prise par les capitalistes à la
campagne, cela signifiera à court terme le
chômage : l'ingénieur (électeur PS) n'y
va pas par quatre chemins. " Pour le moment ici. on a
beaucoup trop de main-d'œuvre, on ne peut pas la payer, ils
réclament des salaires trop élevés. Il
faut mécaniser parce que les machines, une fois qu'on
les a achetées, c'est fini. Le gouvernement actuel
favorise les investissements : on peut avoir des
crédits de l'Etat sur 20 ans avec un très
faible intérêt. L'amortissement est rapide,
parce qu'on supprime une grande partie de la main-d'œuvre.
On ne les renverra pas, ils pourront aller travailler dans
d'autres propriétés à Potimao ou
ailleurs... " C'est des gens comme cet ingénieur qui
sont ici le plus content des possibilités ouvertes
par le 25 avril : possibilité de développer la
production. Il parle en termes d'investissements, de
rentabilité, d'exportations qui permettront des cours
élevés. " En ce moment, des conseillers
français du Midi viennent tous les mois nous aider.
Il faut qu'on arrive à faire comme en France ". Ces
ingénieurs savent bien où ils veulent aller.
Si beaucoup de petits paysans sont sceptiques sur la
réforme agraire telle qu'on l'annonce assez vaguement
pour l'instant, les promoteurs les plus convaincus des "
coopératives " se trouvent parmi ces
ingénieurs de la campagne.
Manifestation des ouvriers de la conserverie de
poissons de Olhao.
" Nous pensons que le mieux, c'est de grouper autour de
nous les petits paysans pour faire une coopérative.
Nous leur expliquons que nous avons déjà ici
un système de commercialisation dont ils pourraient
profiter, qu'ils seraient sûrs de vendre leur
production. Dans le coin, j'ai déjà l'accord
d'une trentaine de petits paysans ". Mais nous savons par
des ouvriers agricoles que bien des paysans pauvres sont
réticents parce qu'ils se demandent quel pouvoir ils
auront dans ces " coopératives " montées par
les gros propriétaires.
Quand on discute avec les gens d'ici, ce dont ils parlent
le plus volontiers c'est de leurs conditions de vie, de
leurs luttes. Les ouvrières des conserves racontent
les grèves qu'elles ont menées, avant et
après le 25 avril : d'abord des revendications de
salaires. Elles ont réduit la production par
ouvrière de 18 boites à l'heure à 7 ou
8. Quand elles ont vu que le patron ne cédait pas,
elles ont fait la grève totale, malgré la loi
anti-grève qui exige normalement un préavis. "
Si on lui avait annoncé à l'avance, il en
aurait profité pour ne pas s'approvisionner en
poissons frais et pour faire sortir les boîtes finies
". Elles ont fait piquets et manifestations. Dans cette
grève, elles ont pu faire l'expérience d'une
direction syndicale révisionniste qui, mise en place
rapidement après le 25 avril, n'a pas tardé
à dire : * Pendant 40 ans on n'a rien eu et
maintenant vous voulez tout d'un coup ".
Les pêcheurs ont eux aussi mené une dure
lutte, pendant deux mois et demi, pour un salaire fixe,
entre autres revendications. Là encore ils se sont
heurtés à la direction révisionniste du
syndicat qui les a fait reprendre sur la promesse que leurs
revendications seraient satisfaites. Mais ils n'ont toujours
rien pas même de feuille de paie pour savoir où
ils en sont, plus de papier; pour les allocations
familiales. En pleine campagne électorale, ils
parlent d'une nouvelle grève si le délai
qu'ils ont donné pour la réalisation des
promesses n'est pas respecté
Avril 1975
Monique CHERAN
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