FRONT ROUGE n°157 -22 mai 1975- hebdomadaire
organe central du
Parti Communiste Révolutionnaire (m.l.)
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APRES LA FUSION C.l.l HONEYWELL BULL

    Giscard a rendu officielle la décision d'intégrer la CII dans Honeywell-Bull, après une longue période d'hésitation. Quelles leçons tirer de cette nouvelle mesure de l'impérialisme français ?

LE ROLE STRATEGIQUE DE L'INFORMATIQUE

    L'hésitation prolongée s'explique d'abord par l'importance exceptionnelle du secteur informatique qui est au centre du développement moderne des forces productives (automatisme) et des systèmes militaires (guidage, télécommunications).
    L'informatique doit aussi jouer un rôle important dans le " redéploiement " de la politique de la bourgeoisie : les exportations d'ordinateurs rapportent en effet beaucoup de devises et la vente des usines " clés en mains " est liée à la possibilité pour le vendeur de fournir tous les systèmes automatisés en même temps que les moyens de production. L'informatique est aussi une grande employeuse : 20.000 emplois à la CII et ses sous traitants, 10.500 à Honeywell-Bull.

    Indispensable à l'édification d'une industrie moderne et " compétitive ", à la mise en œuvre de nombreuses techniques militaires, l'informatique est aussi un gouffre financier, ce qui est un problème de taille pour un impérialisme secondaire comme l'impérialisme français : l'Etat a déjà engagé 200 milliards de francs anciens dans l'affaire, et la CGE et Thomson actionnaires de La CII ont toujours été réticentes à engager des fonds dans cette affaire à rentabilité incertaine.

LA POLITIQUE DE GISCARD

    Dans un premier temps, Giscard a supprimé, le 2 octobre 74, la délégation à l'informatique. Cette délégation avait, entre autres, pour rôle de défendre les intérêts " français " au sein d'UNlDATA, filiale commune à la CII, Siemens et Philips.
    Sa suppression signifiait le refus de la bourgeoisie française de laisser glisser l'informatique française sous direction allemande, au sein de l'alliance UNIDATA où la CII était faible face aux deux géants Siemens et Philips.
    La décision du 12 mai va dans le même sens. La CII éclate en deux ensembles (voir schéma) : la moyenne et grosse informatique fusionnent avec Honeywell Bull France dans une nouvelle société CII - H.B., où les intérêts " français " se montent à 53 % (Etat et CGE) ; l'informatique militaire, spatiale et la péri-informatique seront regroupées sous la houlette de Thomson-CSF, dans une société " française ".

LES CONTRADICTIONS INTER-IMPERIALISTES

    Dans cette affaire, il y a en jeu les contradictions entre les pays impérialistes, et particulièrement les contradictions entre les différents grands groupe monopolistes.
    En ce qui concerne les premières, l'impérialisme français et l'impérialisme allemand mènent un combat sans concession pour le leadership en Europe. La création d'UNIDATA consacrait l'avantage allemand. Les contradictions franco-américaines d'autre part, apparaissent dans le fait qu'en s'alliant à Honeywell, Giscard veut tenter de contrecarrer IBM et sa domination sans partage.
    Pour bien apprécier ces contradictions, il faut savoir qu'IBM contrôle 67 % du marché mondial, contre 11 % à Honeywell, son second, puis 8 % à Univac avec qui va probablement s'allier Siemens. Dans tout cela, la part d'UNIDATA, avant l'éclatement de la CII, ne représentait que 5,2 % du marché mondial.
    Au niveau des contradictions entre les groupes monopolistes, il y a les contradictions entre pays différents mais aussi au sein du même pays, entre différents trusts. Ainsi la CGE et Thomson règlent leurs comptes : Thomson vient de se lancer dans le secteur du téléphone et remet en cause la part du marché de la CGE ; la CGE, de son côté, pousse son allié Honeywell contre Thomson dans l'informatique. C'est pour l'essentiel le groupe CGE qui sort victorieux de la décision de Giscard. On sait que la CGE est largement associée à General Electric dans le nucléaire et comme par hasard, le même trust US, General Electric, est actionnaire d'Honeywell International System (HIS), branche informatique internationale de l'américain Honeywell, qui sera un des partenaires de la nouvelle société " CII - Honeywell bull ".
    La CGE règle aussi ses comptes avec son concurrent allemand Siemens qu'elle veut affaiblir en coulant UNIDATA. Siemens et CGE se battent aussi dans le secteur du téléphone.

LA QUESTION DE L'INDEPENDANCE NATIONALE

    Derrière ces combats entre groupes monopolistes de différentes nationalités, on s'aperçoit de façon frappante que l'indépendance nationale ne saurait être préservée de façon conséquente par la bourgeoisie monopoliste. Le contenu de cette " indépendance nationale " pour elle, c'est en effet la rivalité avec d'autres impérialistes pour la conquête des marchés et la maximisation des profits.
    Giscard semble avoir, dans le cadre étroit de cette rivalité, préservé certains points : l'informatique militaire reste " française " (Thomson), et d'Ornano proclame que le gouvernement est prêt à prendre s'il le faut une minorité de blocage dans la filiale Honeywell International System pour la contrôler. Par ailleurs, dans la nouvelle société CII-Honeywell Bull, il est possible de racheter la part américaine.
    Mais ces " protections " sont loin d'être sûres : d'abord, les marchés dans l'informatique nécessitent des investissements de plus en plus fantastiques et, à mesure que la technologie évolue avec rapidité, il est hautement problématique que la bourgeoisie française puisse se passer d'une alliance : le choix d'ailleurs était entre l'alliance avec UNIDATA et l'alliance avec Honeywell, mais la voie de l'indépendance totale était écartée par la bourgeoisie monopoliste française.
    S'allier avec le géant Honeywell, énorme " conglomérat " qui gère l'administration de toutes les armées US dans le monde, cela ne peut signifier une " indépendance " vis à vis de la maison-mère.
    La dépendance technologique est ici évidente puisqu'il s'agit d'un groupe qui ne tolère de ses filiales que ce qui va dans le sens de son profit maximum, étant entendu que la direction, la conception d'ensemble des produits est prise sans partage aux USA. On conçoit mal comment une telle dépendance pourrait ne pas se répercuter au niveau de l'ensemble de l'informatique française.

LES QUESTIONS POSEES POUR LA CLASSE OUVRIERE

    Une grande vigilance s'impose évidemment pour les suites de cette opération de regroupement ; Les fusions capitalistes n'ont pas coutume de profiter aux travailleurs mais bien souvent au contraire d'entraîner licenciements et intensification de l'exploitation.
    En ce qui concerne la question de l'indépendance nationale, l'opération de Giscard illustre au fond la position de l'impérialisme français, qui rompt avec celle de la période gaulliste où le Plan Calcul a pu représenter une volonté d'autonomie vis à vis de l'impérialisme US. Aujourd'hui, sous la direction de Giscard, l'impérialisme français est en butte à la pression des capitaux US devant lesquels il fléchit du fait de sa faiblesse (qui ne lui permet pas de poursuivre un programme seul) mais en même temps il cherche à préserver une certaine autonomie (informatique militaire).
    La leçon pour les marxistes-léninistes est évidemment que le rôle dirigeant dans la lutte pour l'indépendance nationale appartient exclusivement à la classe ouvrière ; elle ne saurait s'en remettre à la bourgeoisie impérialiste française, inconséquente et incapable, même si sa situation dans le second monde l'oppose aux deux super-puissances. Seul le pouvoir des ouvriers et des paysans permettra une informatique au service du peuple, indépendante.

LES PÉRIPÉTIES
DE L'INFORMATIQUE
FRANÇAISE

Avril 1964 : La compagnie Bull est rachetée par le trust US Général Electric.
Juillet 1966 : Création de la Délégation générale à l'informatique.
Décembre 1966 : Création de la CII (actionnaires : CGE, Thomson, Etat, Schneider)
Lancement du Plan Calcul visant à conquérir 10% du marché national, et à rompre avec la dépendance de l'étranger.
Mai 1970 : Général Electric revend Bull à Honeywell. La société devient Honeywell-Bull.
Juillet 1973 : Signature de l'accord UNIDATA entre la CII, Siemens et Philips.
2 octobre 1974 : Suppression de la délégation à l'informatique par Giscard.
12 mai 1975 : La CIl et Honeywell-Bull fusionnent pour donner CII-Honeywell-Bull.


dimanche 11 mai, Castro verde, Portugal.

LIBERTE POUR ZE DIOGO !

    Dans la situation politique portugaise, la question des grandes latifundia du Sud, la question de l'épuration des fascistes, la question de l'attitude des révisionnistes et des contradictions auxquelles elle commence à donner lieu dans les masses, dans des secteurs comme celui des ouvriers agricoles de l'Alentejo (Sud), où ils étaient traditionnellement implantés, sont des questions politiques brûlantes. C'est sur de telles questions que se joue aujourd'hui, face à la prétention du nouveau régime à construire le socialisme, la prise de conscience des masses sur sa véritable nature : une démocratie bourgeoise, une dictature sur les masses. 

    Le reportage de notre camarade Tobias Engel sur l'affaire Zé Diogo vient nous faire toucher du doigt cette réalité.

    Ce lundi devait se tenir à Ourique le jugement de l'ouvrier agricole José Diogo, prisonnier depuis des mois pour avoir tué un fasciste, le propriétaire terrien Columbano Libano Monteiro, en septembre 74. Ce jugement a été reporté à une date ultérieure et à un autre endroit. La Justice bourgeoise sait bien que des milliers d'ouvriers agricoles de l'Alentejo, seraient venus apporter leur soutien, auraient témoigné, pour leur frère de classe, car l'histoire de José Diogo c'est toute l'humiliation et la misère auxquelles le fascisme et le capitalisme ont soumis les ouvriers des grandes propriétés du Sud et les travailleurs portugais en général. José Diogo est devenu le symbole du refus de se laisser saigner à blanc par la bourgeoisie, il est devenu un symbole de la lutte contre les exploiteurs.
    Pourquoi Zé Diogo a-t-il tué un fasciste ? Le fasciste était un latifundiaire du bas Alentejo, ami intime de Santos Costa (ministre de la défense de Salazar). Il fut pendant 14 ans, président de la chambre municipale de Castro Verde. Ici tout le monde parle de lui comme d'un véritable gangster, qui n'a jamais cessé de faire souffrir le peuple, et particulièrement dans le temps le plus fort du fascisme : battant les travailleurs à coups de trique et remettant à la Pide des moissonneurs qui se plaignaient ; en bref, un porc !
    Après le 25 avril, comme la plupart des grands propriétaires terriens, ce fasciste changea de tactique et se mit à licencier à tour de bras, arme que les patrons utilisent aujourd'hui pour briser, par la faim, les luttes des ouvriers agricoles. Zé Diogo travaillait comme tractoriste et fut licencié à la fin de septembre. Ne voyant pas les raisons d'un tel licenciement qui privait sa famille de toutes ressources, (une femme et 3 enfants en bas âge), Zé Diogo se rendit le 30 septembre à la maison de son patron et lui demanda des comptes.
    Le fasciste ne veut lui donner aucune raison et le frappe violemment en lui disant que la " canaille " n'a rien à faire dans sa maison. C'est alors que Zé Diogo lui porte 3 coups de couteau. Un exploiteur venait d'être rayé de la surface de l'Alentejo, c'était le résultat de la rage accumulée, de la faim, de l'oppression, de la violence subies pendant des années par la classe ouvrière de cette région.
    Zé Diogo fut arrêté bien qu'il se soit trouvé en état de légitime défense. Voilà 8 mois qu'il est emprisonné. Aussi un vaste mouvement de masse s'est développé à l'instigation de l'Association des ex-prisonniers politiques anti-fascistes et des organisations révolutionnaires du Portugal. Non que l'acte de Zé Diogo constitue un exemple, mais il est clair pour les masses populaires d'ici, que Zé Diogo n'a rien à faire en prison, qu'ici une fois encore se manifeste le caractère de classe du droit bourgeois.
    Pour la bourgeoisie, pour sa justice, un homme a tué un autre homme, mais on ne tient évidemment pas compte de qui était exploité, qui se voyait chaque jour traité comme un chien, et qui était l'exploiteur qui pouvait se permettre tous les abus contre les travailleurs. Le patron a tous les droits, voler, mentir, battre, tuer. Il trouvera toujours les moyens de se défendre. L'ouvrier sait bien qu'il n'a rien à espérer de cette justice faite par la bourgeoisie pour la bourgeoisie.
    Le ministre de la justice a ajourné le jugement et le lieu. Car comme me l'a dit la femme de Zé Diogo :
    " Je crois bien qu'ils ont ajourné le procès parce qu'ils ont peur du peuple; ils savent bien que des milliers d'ouvriers seraient venus. Ce gouvernement n'est en rien populaire, il n'est pas du côté du peuple. Il a peur que le peuple parle au tribunal, il a peur que le peuple se batte. Je veux que Zé sorte de prison, j'ai 3 enfants et ici il y a très peu de travail pour les femmes ; nous avons faim. Quand j'ai du travail je gagne 120 escudos. Cela ne me donne pas du pain pour nous tous.
    Columbano a insulté Zé, l'a battu, alors Zé a pris son couteau. Columbano c'était un grand fasciste. Il est mort par sa propre faute ".

    Zé Diogo faisait-il partie d'une organisation politique ?.

    " Mon mari était lié au P.C. Aujourd'hui l'organisation qui le soutient c'est l'UDP ". (une des organisations marxistes-léninistes portugaises).

    Quelle est l'attitude du P"C"P ?

    " Le PCP ne veut rien savoir de Zé Diogo. Les messieurs du gouvernement ne sont pas socialistes, ne sont rien de ça ".
    A Castro Verde (2000 habitants), ce dimanche, plus de 1000 personnes ont manifesté dans le cinéma leur soutien à Zé Diogo. Quand le groupe d'action culturel a retracé la vie de Zé Diogo, son exploitation, sa révolte, ce sont 1000 personnes qui se sont levées, les hommes pleuraient, les femmes criaient leur douleur et leur colère, les enfants battaient des mains. C'était leur histoire qui était racontée là. C'était toute leur lutte : " La vérité pour Zé Diogo ! ". " Liberté pour Zé Diogo ! "

    La chanson sur Zé Diogo dit bien :

    " Les travailleurs de Castro Verde du grand agrarien Columbano Monteiro travaillaient du matin jusqu'à la nuit, des heures durant sans recevoir plus d'argent. Zé Diogo comme tous, travaillait dans une ferme comme tractoriste. Il travaillait toute la journée sans s'arrêter du matin jusqu'à ce que descende le soleil.
    Mais cela devait se terminer un jour, l'ouvrier travaille pour être payé. 8 heures de travail et rien de plus !... Tous unis ils gagnèrent. (...). "
    Puis ce fut une très belle manifestation à travers le village, au cri de " Pain, Paix, Terre, liberté, indépendance nationale, liberté pour Zé Diogo, mort aux fascistes - justice populaire ".
    Alors que les fascistes en prison n'ont pas été Jugés, que certains ont été libérés (1), que les Thomas, Caetano, Spinola ont pu s'enfuir, que la droite prépare de nouveaux coups, que la " gauche " parle de socialisme et appellent les travailleurs à développer " l'industrie nationale " pour le plus grand profit de la bourgeoisie, soutenir Zé Diogo, c'est soutenir la résistance de la classe ouvrière contre les tentatives de sabotage de ses luttes par les réformistes et les traîtres du P"C"P, c'est permettre à la classe ouvrière du Portugal, à ses alliés, de voir qui son ses vrais amis, de forger ses armes de lutte. Liberté pour Zé Diogo ! Mort aux fascistes, justice populaire !

Tobias ENGEL

(1) Cette semaine encore, de hauts responsables de la tentative réactionnaire du 11 mars ont été libères.

 

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