L'HUMANITÉ ROUGE

BIMENSUEL

ORGANE CENTRAL DU PARTI COMMUNISTE MARXISTE-LÉNINISTE

n°69 - 1196 - Nouvelle série. du 23 janvier au 6 février 1980

 

HR Magazine - Vu, lu, entendu

Musique : Groupe Trust : Des ambiguïtés à éclaircir
-pages 28-29-
 
 Un groupe de Hard-rock, rien à dire musicalement. Le hard, c'est le hard. Musique dure, énergique, elle remplit une fonction sociale précise : expression " primaire " directe, crue, d'une violence accumulée dedans, elle en est en même temps, la thérapeutique. Soupape de sécurité, défoulement de fin de semaine pour se venger de la haine accumulée, colère rentrée.
Qu'on aime ou pas, force est de constater que le hard-rock reste la forme la plus populaire (par son public).
 
Groupe Trust : Des ambiguïtés à éclaircir (Michel David)
 
Mais Trust, c'est un groupe français, avec des chansons très politiques qui parlent, avec les mots de tous les jours, du boulot, des syndicats, du goulag et des flics. Ça pète comme un slogan sur un mur.
Le groupe Trust mérite toute notre attention. Car Trust s'impose. Découvert en septembre 1978, lors d'une tournée de AC/DC (septembre 1978, la date est d'importance), ils ont vendu 50 000 disques de leur premiers album et, alors qu'ils ne passent pas à la radio, depuis deux mois de tournée ils emplissent les salles chaque soir. Public de jeunes lycéens, jeunes prolétaires. Moyenne d'âge : 17 ans. Voilà déjà qui est un phénomène sociologique.
Car si Trust rencontre un tel succès, c'est parce qu'il correspond à une réelle forme de révolte chez les jeunes, parce qu'il répond à une demande, demande d'une telle musique, d'un tel langage. Trust dit très fort des idées qui couvent. Groupe-reflet, il nous renseigne sur la réalité.
 
Voyons ça de plus près. Et d'abord, attention à certaine sirènes qui nous annonce avec Trust le groupe révolutionnaire, prolo, d'extrême-gauche.
Prolos, ils le sont sans tricher " Je suis d'une classe sociale où l'on a souvent mal ".
De droite, ils ne le sont pas, ça c'est sûr aussi. Ils n'auraient pas terminé leur tournée.
Par contre, quand ils chantent " Police-Milice ", où ils se moquent d'un jeune qui entre dans la police à 20 ans, la salle gueule avec eux, et, à ce moment, il ne fait pas bon porter un képi.
Alors l'expression d'un courant " ni droite ni gauche " ? Ça se précise. Pour Trust, la gauche, ça sent mauvais. Ils ne sont pas d'après mars 1978 pour rien : " La gauche qui virevolte la droite qui s'enrhume. J'écoute et dans mes poches j'ai toujours pas une tune ". Et surtout deux chansons (" L'élite " et " H&D ") consacrées à la dénonciation de l'URSS, voilà qui est rare et sacrément positif. On peut déjà prendre les paris : seront-ils invités à la fête de l'Humanité ?
C'est là dans l'analyse qu'il ne faut pas s'arrêter. Le courant " ni droite ni gauche " est loin d'être uni. Et on y trouve aussi des aspects négatifs : rejet de toute politique, du syndicat etc..
C'est là qu'est tout le problème : tout est à deux facettes dans leur discours. Ils expriment comme un tourbillon la confusion d'esprit d'une couche de la classe ouvrière, dont la situation économique et politique tranche avec la classe ouvrière " classique ", traditionnellement représentée par le Parti communiste français : jeunes marginalisés, travailleurs temporaires, intérimaires, chômeurs. Un potentiel énorme de révolte qui peut déboucher sur le meilleur mais aussi, il faut le dire sur le pire.
Qu'on en juge : Goulags, la chanson consacrée à l'URSS, mérite d'être citée en entier. Mais, en même temps, transparaît, à travers les textes, la vieille trouvaille des " nouveaux philosophes " comme quoi tous les socialismes conduisent au goulag.
 
Ce titre est extrait de l'album " L'élite " du groupe Trust :
Année de sortie : 1979

L'élite

Tes procès on le sait ne sont pas fondés
Dans tes camps on le sait on supprime sans gants
Elle se dit l'élite des peuples civilisés
Elle pourrait arborer sans aucune gêne la croix gammée
Elle a pour principe de protéger les gens
De leur littérature de leurs pensées de leurs chansons
Elle dit que c'est fondé sur l'esprit de liberté
Elle ne fait que parjurer les traités déjà signés
 
[Refrain] :
L'élite est entrée sans prévenir
Devant ses chars d'assaut vous n'aviez que des idées
Renforçons l'amitié proclament vos slogans
Amitié enfermant des gens nommés dissidents
 
Elle fut scandalisée en voyant ce génocide
Elle a combattu et vaincu quel homicide
La seule leçon qu'elle ait su en tirer
C'est de financer des états policiers
[Refrain]
 
Extraits de " Bosser huit heures " album L'élite -1979-
 
Le syndicat se moque de toi
Regarde Séguy rempli de vinasse
Il ne t'arrive pas à la godasse
(…)
Quant aux manifs t'as bien raison
Là ils te font passer pour un con
T'ouvres ta grande gueule de prolétaire
Prends donc la peine de regarder derrière
Ce syndicat qui défend ton fric
Tu verras tout n'est que politique
 
Rejet de la politique politicarde, antisyndicalisme viscéral. Positif-négatif. Violence. Là encore quelle violence ? Il y a celle de la zone :
 
" Le fils du dessus en pardessus
S'en va trimer comme un damné "
 
" Depuis tout petit il est prolo "
 
" Au bout de dix heures en atelier
Il rentre chez lui il est flippé "
 
Des paroles qui tapent au cœur. Quel avenir pour ce damné ?
 
" Pour lui l'avenir dur à définir
Entre l'usine et la combine
L'augmentation ou l'agression "
 
Alors reste le samedi soir :
 
" Le week-end venu bonjour la frime
Elle frappe juste sa barre à mine "
 
Violence-désespoir. Violence individuelle, violence-destruction :
 
" Je ne peux que prêcher la déraison la destruction
Quelle sensation la destruction
Tas de viande avariée vous allez payer "
 
Encore et toujours l'ambiguïté : il, son compris que la légalité ça ne changera rien, mais la seule violence qu'ils imaginent c'est le terrorisme :
 
" Je me suis remémoré un certain mois de mai
Où les gens ici bas ne pensaient que par le pavé "
(…)
"Alors il faut que l'on bouge on s'appelle Brigades Rouges"
(…)
"Dans ce putain de pays on n'a toujours rien compris"
(extraits de Dialogue De Sourds)
 
Curieuse macédoine. Révolte : " Je crache à la gueule de tout ce système ", individualisme anar : " Je vais où je veux je pense comme je veux " et une sacrée exigence " Pensez avec votre tête il en est encore temps ". " reviendra le jour pur, Où des maîtres-penseurs on fera de l'ordure ". N'est-il pas étonnant de trouver là ce mot de " maîtres-penseurs " qui est le titre d'un célèbre écrit de notre éminent nouveau philosophe Glucksmann ? Influences latentes.
Le courant " ni droite ni gauche " est actuellement l'enjeu d'une offensive de la bourgeoisie qui essaie de transformer la déception devant la gauche et les syndicats en rejet du socialisme et de l'organisation. Un combat à mener.
Le groupe inspirateur de Trust s'appelle AC/DC. Ça veut dire courant positif/courant négatif. Très bien choisi ce titre ! Attendons le prochain disque pour voir le courant principal.

Michel DAVID.

 

 

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