L'HUMANITÉ ROUGE n° 1058 -24 et 25 mars 1979 (page 5)
Organe central du Parti communiste marxiste-léniniste

POLITIQUE ET SOCIAL

Réponse à D. Ouaki et D. Lapostre,

auteur de l'article "Luttes ouvrières et stratégie unitaire"

Nous venons de publier dans ces colonnes, à titre de document (HR No 1055. 1056 et 1057) , un article écrit par deux cheminots, militants du PCF. Cet article intitulé: " Luttes ouvrières et stratégie unitaire " était extrait du numéro un du journal " Luttes et débats ", journal interne réalisé par des ouvriers, employés, intellectuels militants du PCF. Présenté sous la forme d'une interview, l'article n'engageait que ses auteurs.

Dans la présentation que nous en avons fait, nous indiquions que nous donnerions " notre opinion sur les points qui nous semblent principaux, concernant tant les accords que les désaccords". Et nous ajoutions: " Ceci constitue. à notre avis, une des façons de débattre des questions d'une grande acuité qui se posent à tous les travailleurs, à tous ceux qui ont pour objectif de leur lutte l"instauration du socialisme en France ".
C'est ce que nous faisons aujourd'hui.

Le PCF peut-il revenir sur
une voie révolutionnaire ?

Dans la présentation de leur article qui s'attache à confronter la ligne politique de leur parti à leur propre expérience et aux aspirations des masses au changement, D, Ouaki et D. Lapostre exposent la méthode qu'ils utilisent. " Pour répondre à ces questions, il est indispensable pour qui se réclame du marxisme de tirer un bilan de l'activité du parti pendant ces six dernières années. Cela ne veut pas dire donner des leçons, régler des comptes. Tirer un bilan, c'est voir si nous avons atteint nos objectifs, savoir quelle erreurs nous avons pu commettre et, à partir de là, se fixer de nouvelles perspectives qui permettront de mener victorieusement la lutte contre le pouvoir réactionnaire en place, pour le socialisme".

En cela, nous sommes d'accord : le seul critère de vérité, c'est, en dernière analyse, la pratique.
Et concernant la ligne suivie par un parti dont l'objectif proclamé est de conduire la classe ouvrière, et du même coup l'ensemble du peuple, à la victoire dans sa lutte pour l'émancipation, c'est aux progrès de cette lutte qu'il faut mesurer la justesse de la ligne. Bien entendu, il ne s'agit pas là d'ignorer les conditions concrètes dans lesquelles celle-ci se développe et qui peuvent provoquer reculs et détours. Non, adopter ce point de vue, c'est mettre au premier plan la responsabilité du parti révolutionnaire, dont l'activité, en définitive, conditionne l'essor du mouvement des masses. Adopter ce point de vue, c'est rejeter du même coup la théorie irresponsable mise au point par les dirigeants du PCF pour se laver les mains de l'échec auquel ils ont conduit les travailleurs.
A propos de cet échec, récusant les explications qu'en ont fournies la direction du PCF mais aussi
" Elleinstein et ses comparses ". Il est écrit dans l'article: " Pour moi, l'échec réside dans la nature même de l'union (union au sommet) du Programme commun (programme de démocratisation de l'Etat capitaliste et non programme de rupture". Notre point d'accord avec cette analyse réside dans la remise en cause de la nature et de la stratégie du PCF et il s'arrête là. En effet, des deux termes " Union " et " Programme", n'est-ce pas le deuxième qui est déterminant ? Tant il est vrai que ce sont la nature et le contenu du programme qui conditionnent le type d'alliance destiné à le promouvoir. Du même coup, n'est-ce pas un peu discuter en vain que de s'en tenir au débat union au sommet/union à la base, si le programme n'est pas " un programme de rupture " avec le capitalisme ? Ou, pour parler plus net, un programme de destruction de l'appareil d'Etat capitaliste.

 La "démocratisation de l'Etat" : une illusion

Or, c'est précisément ce que n'a jamais été le programme commun qui s'inscrit entièrement dans
le cadre du système capitaliste. S'agit-il pour autant d'un programme de " démocratisation de l'État capitaliste " ? A notre avis, non.

" Démocratisation " aussi bien que " réforme de structure " et tout l'arsenal des théories qui servent à parer l'aménagement du système de vertus révolutionnaire ne sont que des mots. Nationaliser a grande échelle, c'est certainement " léser " un certain nombre d'intérêts capitalistes particuliers, mais du point de vue de l'État capitaliste ( et c'est cela qui intéresse les marxistes), n'est-ce pas de son renforcement dont il faut parler ? D'un renforcement du capitalisme monopoliste d'Etat. C'était l'opinion de Thorez et du PCF en 1934 (1).
C'est encore notre opinion aujourd'hui. Il ne s'agit pas d'archaïsme de notre part; simplement rien dans la réalité du système ne justifie ni ne nécessite la remise en cause de cette analyse.

D'ailleurs, dans un pays impérialiste comme le nôtre, autant il est nécessaire de se battre pour pré-
server et élargir les libertés pour les travailleurs, autant il est illusoire de penser démocratiser l'État. De ce point de vue, le seul objectif réaliste, c'est la destruction de l'État capitaliste pour y substituer le pouvoir des travailleurs.
Voilà (très brièvement) pour la question du Programme commun. Et n'est-ce pas alors parce qu'il
n'est qu'un programme bourgeois, ce que nous n'avons cessé de dénoncer, qu'il s'accommode si bien d'une alliance avec le PS ?

 
Longwy, alors que les sidérurgistes manifestent violemment
le député Porcu travaille à calmer les manifestants

 L'union à la base

Ceci dit, le débat sur l'union à la base telle qu'elle se présente aujourd'hui (et depuis l'échec de mars
1978) a une portée bien plus grande que la seule question de l'alliance avec les socialistes. En réalité, il se rapporte bien souvent dans les faits à l'union à la base des travailleurs ( quelle que soit leur appartenance politique) contre Giscard-Barre; à la question de l'unité de la classe ouvrière.
C'est d'ailleurs ce qui fait l'objet d'un long développement dans l'article de D. Ouaki et D. Lapostre ;
et nous sommes en accord fondamental avec ce qu'ils écrivent à ce sujet. Oui, " la tâche urgente de tout militant est donc d'engager une grande bataille d'idées pour l'application de la démocratie ouvrière ". Oui, la voie révolutionnaire consiste (entre autres) à tout faire " en tant que parti d'avant garde pour donner aux travailleurs les moyens de lutter contre leur exploitation en encourageant leur auto-organisation ". Ce qui passe par exemple, par l'impulsion de pratiques comme celle du comité de grève. Et nous sommes toujours en plein accord lorsqu'ils écrivent, réfutant la théorie du communiste " avocat du peuple ": " Les travailleurs n'ont pas besoin qu'on plaide leur cause, ils veulent un parti qui leur propose des perspectives, qui élève leur niveau de conscience de classe, d'un parti qui se bat pour l'unité de la classe ouvrière, d'un parti qui, s'appuyant sur une analyse scientifique, refuse toute collaboration avec la bourgeoisie ".

 Des objectifs étrangers à la classe ouvrière

Seulement, si le n'est pas aujourd'hui ce parti, c'est bien à cause d' "un manque de confiance à l'égard du potentiel révolutionnaire que sont les masses". C'est également parce qu'il a sombré dans l'électoralisme, comme le soulignent justement les auteurs. Mais c'est, en définitive et surtout, parce qu'il est arrivé au terme d'un processus de dégénérescence que nous avons appelons révisionnisme.

Le PCF poursuit des objectifs qui sont devenus étrangers et même contradictoires à ceux de la classe
ouvrière. Certes, il lutte pour le pouvoir, mais ce pouvoir, il veut l'exercer en lieu et place de ses détenteurs actuels pour son propre compte. Ce n'est plus le pouvoir pour la classe ouvrière.
Ceci nous amène à une remarque concernant les rapports du PCF avec la bourgeoisie capitaliste
aujourd'hui en place.
 
Parlant, dans la dernière partie de l'article, des aspirations des travailleurs à avoir la maîtrise de leurs
propres luttes, à " s'auto-organiser ", D. Ouaki et D. Lapostre mettent en évidence la contradiction entre " ce comportement radical " et " l'attitude électoraliste" du PCF. Et ils poursuivent: " Mais, en fait, cette contradiction, si profonde soit-elle, n'est-elle pas due au double langage que nous tenions (impulser les luttes tout en refusant l'affrontement direct avec la bourgeoisie) ? ".
La question est la suivante: le PCF refuse-t-il effectivement l'affrontement direct avec la bourgeoisie ?
(En la posant, nous ne cherchons pas à jouer sur les mots, mais uniquement à mettre les points sur les i afin de mieux permettre de délimiter où peuvent se trouver les accords et les désaccords). S'il s'agit de l'affrontement des masses ouvrières et populaires avec l'appareil d'Etat bourgeois, oui, il le refuse et même s'y oppose.
Nous n'en prendrons qu'un exemple récent dans le comportement du député lorrain Porcu, lors de l'attaque massive du commissariat par la population de Longwy.

 Un affrontement entres clans bourgeois

Mais s'il s'agit d'un affrontement entre le PCF lui-même et la bourgeoisie en place, aujourd'hui nous disons alors que l'affrontement existe. Et s'agissant de ceux qui le conduisent -disons la direction -il prend alors la signification d'un affrontement entre clans bourgeois ayant, pour sûr, des projets politiques distincts, mais qui s'inscrivent également dans le cadre du maintien du système d'exploitation capitaliste.

Ainsi, quand , des militants du PCF et leurs élus lorrains, barrés de tricolore, s'en prennent aux trains
de minerais étrangers pour en décharger le contenu, de quoi s'agit-il sinon d'une action minoritaire coupée des masses, venant à l'appui de la politique " anti-Europe " du PCF ?
On est loin ici de l'action de masse destinée à accroître le rapport de force pour faire aboutir le mot
d'ordre des sidérurgistes: " Non à tout licenciement ". Et pourtant, dans un tel cas, le PCF n'hésite pas à recourir à l'affrontement avec la bourgeoisie en place, au prix même de l'illégalité. Mais c'est au profit, de ses propres objectif, pas de ceux des travailleurs.

 Un choix définitif à faire

Pour finir, nous en viendrons aux questions que pose le fait que le PCF ne suive plus une ligne révolutionnaire. " Pourra-t-il redresser la barre ? " s'interrogent les deux militants. Et ils poursuivent: " Pourra-t-il devenir ce parti d'avant-garde qui aide les travailleurs à s'auto-organiser sans se substituer à eux ? Est-il en mesure de prendre en compte la réalité nationale et le contexte international sans tomber dans le nationalisme, le chauvinisme ? Pourra-t-il prendre en compte ses erreurs passées et présentes pour mieux aller de l'avant ? ". Et ils concluent en exprimant leur inquiétude.

A ces questions, à ces inquiétudes d'autres militants du PCF -ceux qui furent à l'origine de la création
de notre parti et ceux qui l'ont rejoint depuis- répondirent en concluant à sa dégénérescence révisionniste irréversible. Chacun d'eux pourrait en témoigner, ce ne fut pas de gaieté de coeur qu'ils prirent la décision de rompre avec ce qui était leur parti.
Mais peut-on agir autrement car, finalement, critiques ou pas, tous les militants du PCF, quoiqu'ils puis-
sent penser de la ligne et de la pratique impulsées (ou imposées) par la direction, ne font que mettre leur militantisme à son service. C'est un fait objectif.
Militants aspirant avec force au socialisme, combien de membres du PCF se trouvent écartelés entre
les masses engagées dans la lutte de classe et une ligne politique qui les coupe de cette lutte ou les conduit même à s'y opposer. Il faut bien choisir en définitive.

Pierre MARCEAU

1) Note: " En période de crise, les prétendues nationalisations, les participations de l'État dissimulent les subventions accordées par l'État aux entreprises capitalistes en difficulté et cela au détriment des masses laborieuses. Les nationalisations dans le cadre du régime capitaliste ne pourraient conduire qu'à un renforcement de l'État bourgeois, à une plus grande concentration des moyens de domination et d'oppression entre les mains de l'oligarchie financière". (M. Thorez (20-19.1934)
Oeuvres, Livre II Tome VIII. 

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