POLITIQUE ET SOCIAL
Réponse à D.
Ouaki et D. Lapostre,
auteur de l'article
"Luttes ouvrières et
stratégie unitaire"
Nous venons de publier dans ces colonnes, à titre
de document (HR No 1055. 1056 et 1057) , un article
écrit par deux cheminots, militants du PCF. Cet
article intitulé: " Luttes ouvrières et
stratégie unitaire " était extrait du
numéro un du journal " Luttes et débats
", journal interne réalisé par des ouvriers,
employés, intellectuels militants du PCF.
Présenté sous la forme d'une interview,
l'article n'engageait que ses auteurs.
Dans la présentation que nous en avons fait, nous
indiquions que nous donnerions " notre opinion sur les
points qui nous semblent principaux, concernant tant les
accords que les désaccords". Et nous ajoutions: "
Ceci constitue. à notre avis, une des
façons de débattre des questions d'une grande
acuité qui se posent à tous les travailleurs,
à tous ceux qui ont pour objectif de leur lutte
l"instauration du socialisme en France ".
C'est ce que nous faisons aujourd'hui.
Le PCF peut-il revenir
sur
une voie révolutionnaire
?
Dans la présentation de leur article qui s'attache
à confronter la ligne politique de leur parti
à leur propre expérience et aux aspirations
des masses au changement, D, Ouaki et D. Lapostre exposent
la méthode qu'ils utilisent. " Pour
répondre à ces questions, il est indispensable
pour qui se réclame du marxisme de tirer un bilan de
l'activité du parti pendant ces six dernières
années. Cela ne veut pas dire donner des
leçons, régler des comptes. Tirer un bilan,
c'est voir si nous avons atteint nos objectifs, savoir
quelle erreurs nous avons pu commettre et, à partir
de là, se fixer de nouvelles perspectives qui
permettront de mener victorieusement la lutte contre le
pouvoir réactionnaire en place, pour le
socialisme".
- En cela, nous sommes d'accord : le seul
critère de vérité, c'est, en
dernière analyse, la pratique.
- Et concernant la ligne suivie par un parti dont
l'objectif proclamé est de conduire la classe
ouvrière, et du même coup l'ensemble du
peuple, à la victoire dans sa lutte pour
l'émancipation, c'est aux progrès de cette
lutte qu'il faut mesurer la justesse de la ligne. Bien
entendu, il ne s'agit pas là d'ignorer les
conditions concrètes dans lesquelles celle-ci se
développe et qui peuvent provoquer reculs et
détours. Non, adopter ce point de vue, c'est
mettre au premier plan la responsabilité du parti
révolutionnaire, dont l'activité, en
définitive, conditionne l'essor du mouvement des
masses. Adopter ce point de vue, c'est rejeter du
même coup la théorie irresponsable mise au
point par les dirigeants du PCF pour se laver les mains
de l'échec auquel ils ont conduit les
travailleurs.
- A propos de cet échec, récusant les
explications qu'en ont fournies la direction du PCF mais
aussi
- " Elleinstein et ses comparses ". Il est
écrit dans l'article: " Pour moi,
l'échec réside dans la nature même de
l'union (union au sommet) du Programme commun (programme
de démocratisation de l'Etat capitaliste et non
programme de rupture". Notre point d'accord avec
cette analyse réside dans la remise en cause de la
nature et de la stratégie du PCF et il
s'arrête là. En effet, des deux termes "
Union " et " Programme", n'est-ce pas le deuxième
qui est déterminant ? Tant il est vrai que ce sont
la nature et le contenu du programme qui conditionnent le
type d'alliance destiné à le promouvoir. Du
même coup, n'est-ce pas un peu discuter en vain que
de s'en tenir au débat union au sommet/union
à la base, si le programme n'est pas " un
programme de rupture " avec le capitalisme ? Ou, pour
parler plus net, un programme de destruction de
l'appareil d'Etat capitaliste.
La
"démocratisation de l'Etat" : une illusion
- Or, c'est précisément ce que n'a jamais
été le programme commun qui s'inscrit
entièrement dans
- le cadre du système capitaliste. S'agit-il
pour autant d'un programme de " démocratisation
de l'État capitaliste " ? A notre avis, non.
" Démocratisation " aussi bien que "
réforme de structure " et tout l'arsenal des
théories qui servent à parer
l'aménagement du système de vertus
révolutionnaire ne sont que des mots. Nationaliser a
grande échelle, c'est certainement "
léser " un certain nombre
d'intérêts capitalistes particuliers, mais du
point de vue de l'État capitaliste ( et c'est cela
qui intéresse les marxistes), n'est-ce pas de son
renforcement dont il faut parler ? D'un renforcement du
capitalisme monopoliste d'Etat. C'était l'opinion de
Thorez et du PCF en 1934 (1).
C'est encore notre opinion aujourd'hui. Il ne s'agit
pas d'archaïsme de notre part; simplement rien dans la
réalité du système ne justifie ni ne
nécessite la remise en cause de cette analyse.
- D'ailleurs, dans un pays impérialiste comme le
nôtre, autant il est nécessaire de se battre
pour pré-
- server et élargir les libertés pour les
travailleurs, autant il est illusoire de penser
démocratiser l'État. De ce point de vue, le
seul objectif réaliste, c'est la destruction de
l'État capitaliste pour y substituer le pouvoir
des travailleurs.
- Voilà (très brièvement) pour la
question du Programme commun. Et n'est-ce pas alors parce
qu'il
- n'est qu'un programme bourgeois, ce que nous n'avons
cessé de dénoncer, qu'il s'accommode si
bien d'une alliance avec le PS ?
Longwy, alors que les sidérurgistes
manifestent violemment
le député Porcu travaille à
calmer les manifestants
L'union à la
base
- Ceci dit, le débat sur l'union à la
base telle qu'elle se présente aujourd'hui (et
depuis l'échec de mars
- 1978) a une portée bien plus grande que la
seule question de l'alliance avec les socialistes. En
réalité, il se rapporte bien souvent dans
les faits à l'union à la base des
travailleurs ( quelle que soit leur appartenance
politique) contre Giscard-Barre; à la question de
l'unité de la classe ouvrière.
- C'est d'ailleurs ce qui fait l'objet d'un long
développement dans l'article de D. Ouaki et D.
Lapostre ;
- et nous sommes en accord fondamental avec ce qu'ils
écrivent à ce sujet. Oui, " la
tâche urgente de tout militant est donc d'engager
une grande bataille d'idées pour l'application de
la démocratie ouvrière ". Oui, la voie
révolutionnaire consiste (entre autres) à
tout faire " en tant que parti d'avant garde pour
donner aux travailleurs les moyens de lutter contre leur
exploitation en encourageant leur auto-organisation
". Ce qui passe par exemple, par l'impulsion de
pratiques comme celle du comité de grève.
Et nous sommes toujours en plein accord lorsqu'ils
écrivent, réfutant la théorie du
communiste " avocat du peuple ": " Les
travailleurs n'ont pas besoin qu'on plaide leur cause,
ils veulent un parti qui leur propose des perspectives,
qui élève leur niveau de conscience de
classe, d'un parti qui se bat pour l'unité de la
classe ouvrière, d'un parti qui, s'appuyant sur
une analyse scientifique, refuse toute collaboration avec
la bourgeoisie ".
Des objectifs
étrangers à la classe
ouvrière
Seulement, si le n'est pas aujourd'hui ce parti, c'est
bien à cause d' "un manque de confiance à
l'égard du potentiel révolutionnaire que sont
les masses". C'est également parce qu'il a
sombré dans l'électoralisme, comme le
soulignent justement les auteurs. Mais c'est, en
définitive et surtout, parce qu'il est arrivé
au terme d'un processus de
dégénérescence que nous avons appelons
révisionnisme.
- Le PCF poursuit des objectifs qui sont devenus
étrangers et même contradictoires à
ceux de la classe
- ouvrière. Certes, il lutte pour le pouvoir,
mais ce pouvoir, il veut l'exercer en lieu et place de
ses détenteurs actuels pour son propre compte. Ce
n'est plus le pouvoir pour la classe ouvrière.
- Ceci nous amène à une remarque
concernant les rapports du PCF avec la bourgeoisie
capitaliste
- aujourd'hui en place.
-
- Parlant, dans la dernière partie de l'article,
des aspirations des travailleurs à avoir la
maîtrise de leurs
- propres luttes, à " s'auto-organiser ",
D. Ouaki et D. Lapostre mettent en évidence la
contradiction entre " ce comportement radical " et
" l'attitude électoraliste" du PCF. Et ils
poursuivent: " Mais, en fait, cette contradiction, si
profonde soit-elle, n'est-elle pas due au double langage
que nous tenions (impulser les luttes tout en refusant
l'affrontement direct avec la bourgeoisie) ? ".
- La question est la suivante: le PCF refuse-t-il
effectivement l'affrontement direct avec la bourgeoisie ?
- (En la posant, nous ne cherchons pas à jouer
sur les mots, mais uniquement à mettre les points
sur les i afin de mieux permettre de délimiter
où peuvent se trouver les accords et les
désaccords). S'il s'agit de l'affrontement des
masses ouvrières et populaires avec l'appareil
d'Etat bourgeois, oui, il le refuse et même s'y
oppose.
- Nous n'en prendrons qu'un exemple récent dans
le comportement du député lorrain Porcu,
lors de l'attaque massive du commissariat par la
population de Longwy.
Un affrontement entres
clans bourgeois
Mais s'il s'agit d'un affrontement entre le PCF
lui-même et la bourgeoisie en place, aujourd'hui nous
disons alors que l'affrontement existe. Et s'agissant de
ceux qui le conduisent -disons la direction -il prend alors
la signification d'un affrontement entre clans bourgeois
ayant, pour sûr, des projets politiques distincts,
mais qui s'inscrivent également dans le cadre du
maintien du système d'exploitation capitaliste.
- Ainsi, quand , des militants du PCF et leurs
élus lorrains, barrés de tricolore, s'en
prennent aux trains
- de minerais étrangers pour en décharger
le contenu, de quoi s'agit-il sinon d'une action
minoritaire coupée des masses, venant à
l'appui de la politique " anti-Europe " du PCF ?
- On est loin ici de l'action de masse destinée
à accroître le rapport de force pour faire
aboutir le mot
- d'ordre des sidérurgistes: " Non à
tout licenciement ". Et pourtant, dans un tel cas, le
PCF n'hésite pas à recourir à
l'affrontement avec la bourgeoisie en place, au prix
même de l'illégalité. Mais c'est au
profit, de ses propres objectif, pas de ceux des
travailleurs.
Un choix
définitif à faire
Pour finir, nous en viendrons aux questions que pose le
fait que le PCF ne suive plus une ligne
révolutionnaire. " Pourra-t-il redresser la barre
? " s'interrogent les deux militants. Et ils
poursuivent: " Pourra-t-il devenir ce parti d'avant-garde
qui aide les travailleurs à s'auto-organiser sans se
substituer à eux ? Est-il en mesure de prendre en
compte la réalité nationale et le contexte
international sans tomber dans le nationalisme, le
chauvinisme ? Pourra-t-il prendre en compte ses erreurs
passées et présentes pour mieux aller de
l'avant ? ". Et ils concluent en exprimant leur
inquiétude.
- A ces questions, à ces inquiétudes
d'autres militants du PCF -ceux qui furent à
l'origine de la création
- de notre parti et ceux qui l'ont rejoint depuis-
répondirent en concluant à sa
dégénérescence révisionniste
irréversible. Chacun d'eux pourrait en
témoigner, ce ne fut pas de gaieté de coeur
qu'ils prirent la décision de rompre avec ce qui
était leur parti.
- Mais peut-on agir autrement car, finalement,
critiques ou pas, tous les militants du PCF, quoiqu'ils
puis-
- sent penser de la ligne et de la pratique
impulsées (ou imposées) par la direction,
ne font que mettre leur militantisme à son
service. C'est un fait objectif.
- Militants aspirant avec force au socialisme, combien
de membres du PCF se trouvent écartelés
entre
- les masses engagées dans la lutte de classe et
une ligne politique qui les coupe de cette lutte ou les
conduit même à s'y opposer. Il faut bien
choisir en définitive.
Pierre MARCEAU
1) Note: " En période de crise, les
prétendues nationalisations, les participations de
l'État dissimulent les subventions accordées
par l'État aux entreprises capitalistes en
difficulté et cela au détriment des masses
laborieuses. Les nationalisations dans le cadre du
régime capitaliste ne pourraient conduire qu'à
un renforcement de l'État bourgeois, à une
plus grande concentration des moyens de domination et
d'oppression entre les mains de l'oligarchie
financière". (M. Thorez (20-19.1934)
Oeuvres, Livre II Tome VIII.
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