POUR LE SOCIALISME 59 -du 18 février au 3 mars 1982-
Organe central du PCR -page 9-

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Pour Le Socialisme n°59
-du 18 février au 3 mars 1982-
 
Tribune de discussion du 4e congrès du PCR

" Reconstruire un courant idéologique "
 
      L'ANALYSE du bouleversement du champ idéologique en France apparu au milieu des années 70 constitue une part importante du bilan de notre activité.
 
      L'enjeu apparaît clairement : le courant anti-marxiste qui s'est développé, comme le questionnement sans réponse de la théorie marxiste, ne doivent pas constituer dans la période à venir un obstacle à une maturation et une clarification politique du mouvement social, ainsi qu'à sa transcription au plan de l'édification d'une force révolutionnaire.
     
      De ce point de vue, posons-nous la question : est-ce normal que la matière première de choix qui a principalement alimenté l'argumentation (fragile) des " idéologues anti-marxistes " anciens ou nouveaux, mais qui a aussi posé question aux révolutionnaires en semant le doute dans leurs rangs, est-il donc normal que cette matière première s'identifie aux résultats totalement ou partiellement négatifs obtenus au cours de transformations socialistes (ou avouées comme telles) de sociétés de surcroît différentes à de nombreux égards de la nôtre, tant du point de vue sociologique, économique, culturel, évolution historique (URSS, Chine, Cambodge, Vietnam...) ? A mon sens non. Depuis le début du siècle, dans le domaine des mouvements qu'initialement on peut qualifier de progressistes ou de révolutionnaires, il n'y a pas eu que des luttes de libération nationale ou des révolutions socialistes. En particulier, en France ou en Europe, pour ne parler que de ce qui est proche, combien de mouvements populaires concernant différentes couches sociales, d'ampleurs et d'impacts certes différents, se sont produits sans donner lieu, en dehors d'une caractérisation politique ou dans le meilleur des cas à un enrichissement d'analyse politique, à un approfondissement théorique ?
 
      Citons-en quelques-uns : 1936, les grèves d'après la Libération, celles d'avant 1968 et le mouvement de 1968 lui-même, les grèves d'O.S., Lip et à la campagne les mouvements de viticulteurs, ce qui s'est passé en 1968 même, le mouvement des paysans travailleurs...., dans le milieu employé les grèves de postiers, des banques.... le mouvement populaire en Pologne; reconnaissons que toutes ces luttes n'ont donné lieu qu'à une traduction politique de leur contenu, des aspirations qui s'y sont manifestées, sans interpeller (ou si peu) positivement la théorie marxiste et les différents apports dont elle a bénéficié (Mao Tsé-toung en particulier).
 
      Une logique ou un type de raisonnement s'est développé, selon lequel ce qui accouche d'une révolution, d'une prise de pouvoir, peut seul servir à vérifier ou non la justesse d'une science par définition incomplète (ce n'est pas faire injure à Marx, Engels. Lénine. Mao Tsé-toung, Gramsci...), éventuellement à l'enrichir sur des aspects particuliers.
      Posons la question plus brutalement et plus directement : le matérialisme dialectique n'a-t-il pas marché sur une jambe depuis plusieurs décennies ? Il est temps d'en finir avec une situation où, de fait, dans le rapport à la théorie révolutionnaire, il y a deux statuts : l'un privilégié pour les dirigeants historiques et acteurs d'un processus révolutionnaire conduisant à l'instauration d'un nouveau pouvoir (il ne s'agit pas là de relativiser ni leurs mérites ni leurs erreurs), l'autre secondaire pour ne pas dire réduit à néant pour ceux, et ils sont nombreux, qui n'ont pas encore atteint cette étape, condition nécessaire, mais loin d'être suffisante, l'Histoire l'a montré.
 
      Ne parlons pas de ceux pour qui le vocabulaire marxiste tient lieu de caution théorique ou d'autres pour qui il est d'un grand secours pour maintenir leur système d'exploitation chez eux et à l'extérieur de leurs frontières.
 
      Bien sûr. on peut rechercher les causes de cet état de fait dans les traditions et les rapports qui ont prévalu entre Partis Communistes au sein de la IIIe Internationale, ou entre Partis Communistes (au pouvoir ou non) et les " contestataires " et " dissidents " de l'époque qui étaient pour le moins stérilisants… Mais est-ce bien suffisant ?
 
      De deux choses l'une, ou le marxisme est une théorie scientifique ou il n'en est pas une. Parce qu'elle s'adresse et vise à transformer les sociétés aussi diverses que les couleurs d'un arc-en-ciel, elle présente quelques paricularités et son " utilisation " soulève quelques questions qu'il me semble urgent d'aborder. En voici quelques-unes :
 
          1) Dans la liaison de la théorie à la pratique, y-a-t-il un élément nouveau, qualitatif, introduit dans la pratique lorsqu'elle s'accompagne de l'exercice du pouvoir ? Autrement dit. de quelle manière et jusqu'où la transition, la rupture de l'ancienne société à la nouvelle doit-elle modifier les rapports existant entre pouvoir politique et parti révolutionnaire ?
 
          2) Si la théorie marxiste est une science qui vise à une explication et une connaissance d'ordre rationnel de la société, n'y a-t-il pas une part de faits sociaux (principalement dans le domaine culturel) qui doivent échapper à un moment donné à l'influence du pouvoir politique ?
 
          3) Théorie scientifique, mais aussi théorie incomplète, on sait l'importance qu'ont accordée entre autres Marx. Engels et dans une moindre mesure Gramsci aux études ethnologiques ( = description et analyse des groupes humains sous tous leurs aspects, écologique, technologique, économique, politique, juridique, religieux, familial...) A l'époque, ces études ne concernaient que des sociétés dites primitives. De ce point de vue, que l'on prenne garde : l'ethnologue ne nie pas la possibilité d'une science de la formation sociale, il observe, il décrit, mais ne se considère pas comme acteur. Cette science a été et est toujours traversée par de multiples courants idéologiques, et le marxisme n'en est pas un des moindres.
Aujourd'hui, c'est aussi sur les sociétés développées que se portent les études ethnologiques, qu'elles concernent les sociétés rurales, urbaines, et dans tous les domaines de la vie ou de l'activité sociale.
Lorsqu'on sait l'attention toute particulière portée par les gouvernements à ces études (l'Institut d'Ethnologie lorsqu'il existait en France dépendait du ministère des Colonies, les études réalisées en Asie du Sud-Est ont beaucoup été étudiées par les Américains..., l'" Ecole ethnologique " soviétique est une des plus actives au niveau des études produites soit en URSS soit en Afrique...), on comprendra qu'il s'agit là d'un domaine producteur d'éléments d'analyse indispensables pour qui veut approfondir la théorie marxiste.
 
      Reconstruire un courant idéologique n'est pas chose facile, et c'est peut-être pour cela qu'il importe, sur la base des acquis existants, de bien définir dans quel esprit cela doit être conduit, quelle doit être sans prétention notre contribution à cette entreprise et avec quels courants, quels apports du domaine des sciences sociales cela doit se réaliser.

 Denis (fédération Paris-Nord)

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