POUR LE SOCIALISME 60 OUR LE SOCIALISME 60 -du 11 au 24 mars 1982-
Organe central du PCR -page 13-

ç

è

Pour Le Socialisme n°60
-du 18 février au 3 mars 1982-
 
Tribune de discussion du 4e congrès du PCR

A propos du bouleversement idéologique du milieu des années 70
 
      Un des chapitres du bilan ne me satisfait guère. C'est celui qui aborde la question du bouleversement idéologique du milieu des années 70. J'en rappellerai brièvement la logique, telle qu'elle m'est apparue :
 
      A l'origine, plusieurs événements. Certains, un peu lointains, comme la parution des oeuvres de Soljenitsyne et la campagne alimentée par les nouveaux philosophes, contre le stalinisme, mais aussi Lénine et Marx. Les autres sont plus récents : la mort de Mao et l'élimination de la " bande des Quatre " en Chine, la polémique sino-albanaise, les conflits en Asie du Sud-Est, la dictature au Cambodge, les tentatives incessantes de liquidation de la Résistance palestinienne, le débouché antidémocratique de la Révolution iranienne, la stagnation du mouvement des pays du Tiers-monde. Sur le plan intérieur, l'exposé est plus bref, il est simplement fait mention des divisions nouvelles introduites par la crise.
 
      Les manifestations :
      - Tous ces événements entraînent un net ralentissement de l'espoir révolutionnaire au sein de la classe ouvrière.
      - Dans le même temps, et sur cette base, une campagne anticommuniste se développe, analogue dans ses thèmes à celle de la guerre froide, où le marxisme est mis systématiquement en accusation et assimilé au totalitarisme et au goulag.
      - Dans cette situation, une faible partie des forces révolutionnaires défend la voie révolutionnaire, tandis que le plus grand nombre connaît une sérieuse crise de référence, crise de l'activité militante, crise des perspectives révolutionnaires : repli sectoriel, valorisation de l'individualisme, scepticisme sur la possibilité de transformation radicale de le société.
      - Les courants non marxistes de gauche de le CFDT ou du PS s'efforcent de présenter le marxisme comme dépassé.
      - Des scientifiques se mettent à contester le marxisme en tant que science des sciences, et aussi en tant que science sociale.
 
      - Les facteurs explicatifs :
      - Ces bouleversements, est-il dit, n'ont pas pour cause fondamentale un rejet du socialisme assimilé aux pays de l'Est ou du communisme identifié avec le PCF. Car cela n'est pas nouveau.
      - Ils ne sont pas non plus fondamentalement liés aux limites théoriques des forces révolutionnaires. Celles-ci sont trop peu développées, relativement marginalisées pour pouvoir endiguer l'apparition d'une telle vague idéologique.
      - En fait, est-il dit, si les modifications de la situation internationale ont un tel effet, c'est qu'elles remettent en cause un cadre référentiel marqué avant tout par des limites, des faiblesses, des schématisations. En bref, un terrain trop vulnérable pour pouvoir résister à la vague antimarxiste.
 
      Un tel exposé m'apparaît pour une bonne part unilatéral, et ceci, de plusieurs points de vue.
      Il me semble en tout premier lieu utile de délimiter assez précisément de quoi l'on parle lorsque l'on s'efforce de caractériser le bouleversement idéologique. De quoi l'on parle, ou plutôt de qui ? S'agit-il des " larges masses " selon une expression qui a quelque peu vieilli, ou des sphères militantes (syndicalistes, militants d'associations, partis politiques de gauche ou d'extrême-gauche) ?
Le texte de bilan semble évidemment s'intéresser avant tout à la seconde catégorie. C'est un raccourci un peu gênant, non seulement pour une question de démarche, mais parce qu'il en résulte quelques ambiguïtés.
      Parlons par exemple des événements qui ont alimenté les changements idéologiques. Notre troisième Congrès abordait déjà, on s'en souvient, cette question, en la resituant dans une perspective plus étendue, celle de la " crise politique", c'est-à-dire de la faillite d'un modèle de domination de classe, s'attachant à décrire les manifestations concrètes dans tous les domaines de la vie (famille, école et, à un moindre degré, travail) des changements. On se souvient aussi que le rapport politique présenté au dernier Congrès notait que " la crise idéologique ne produisait pas mécaniquement la remise en cause du caractère capitaliste de cette société et l'adhésion à la perspective révolutionnaire ". " L'expérience de la crise des valeurs bourgeoises... pouvait entraîner un désarroi et un pessimisme sur les possibilités de transformation radicale de la société ". Cette analyse développée au 3e Congrès me semble, quant à moi, toujours juste. Les changements idéologiques du milieu des années 1970 sont bien liés à une maturation en profondeur, et sur une longue période, des rapports entre les classes en France. Ces changements n'ont d'ailleurs pas seulement un caractère régressif. Ils sont fondamentalement subversifs.
      Sans doute le texte ne nie pas cela, il parle, sans le dire, d'autre chose, à savoir de l'impact dans les couches militantes, dans la mouvance "extrême-gauche " d'un certain nombre d'événements, essentiellement internationaux. Il aurait été important de resituer la toile de fond, car c'est, à mon avis, cet environnement qui explique l'effet multiplicateur dans les couches militantes, des événements négatifs mentionnés, bien plus qu'une sorte de vulnérabilité congénitale de ces militants, à l'offensive idéologique de la bourgeoisie. Ces qualificatifs ne manquent certes pas pour appuyer cette thèse : populisme, basisme, libertaire, etc. On ne saurait dire qu'ils ne décrivent pas une partie de la réalité, mais la thèse n'en est pas pour autant fondée. J'en proposerai une autre.
 
      Pour des militants révolutionnaires se réclamant du marxisme, y compris parmi ceux qui n'en avaient pas une conception ossifiée, et à plus forte raison pour ceux qui s'y référaient d'une façon lâche, tout en "défendant fermement", comme il est dit dans le texte "la voie révolutionnaire", les événements internationaux des années 75, 76, 77 posent des questions nouvelles, au sens fort du terme, à savoir auxquelles il n'était pas possible de répondre auparavant, car personne ne les posait. J'en citerai plusieurs : quelle est l'articulation entre les luttes de libération nationale et les révolutions prolétariennes à partir du moment où les premières conduisent â des régimes condamnables ? Comment faut-il les soutenir, n'y a-t-il pas un risque à s'en tenir à des positions de principe ? Les luttes politiques menées pendant la révolution culturelle, dans leur forme comme dans leur fond, sont-elles adaptées à une modification en profondeur de la société chinoise ? Le rôle d'un parti dans la transformation socialiste n'est-il pas à réfléchir de nouveau ? On pourrait les multiplier. Naturellement, il s'agit là d'une façon positive de poser les questions, en amorçant leur solution. Ce que je veux souligner, c'est que de nombreux militants se sont posé de tels problèmes sans y trouver de solution. Or, il n'y a pas énormément de façons de maintenir son engagement révolutionnaire : soit l'on est porté, et l'on se sent responsable d'un mouvement de masse, soit l'on est capable de relativiser les reculs du mouvement, sur la base d'une confiance dans la validité des choix stratégiques que l'on a fait. Lorsque cela s'effrite des deux côtés, il est difficile de dire qu'on est particulièrement vulnérable !
 
      On le sait bien, ce qui manque aux militants, c'est une théorie qui, partant de la dynamique concrète actuelle de la lutte de classe en France (et dans le monde, car c'est un des points faibles de la théorie des trois mondes) décrire les conditions d'une transformation sociale en profondeur. Le marxisme, y compris dans ses développements récents, s'avère insuffisant, limité, et souvent inopérant.
 
      On m'objectera peut-être que tel est bien l'esprit du texte de bilan proposé. Pourquoi alors mettre sur le même plan, dans les manifestations des changements idéologiques, la campagne anticommuniste de la nouvelle philosophie, et la crise de la subjectivité révolutionnaire ?
Y aurait-il un autre enjeu à cette juxtaposition que de suggérer un lien entre ces deux phénomènes ? Je ne dis d'ailleurs pas que ce lien n'existe en aucun cas. Je dis qu'il existe suffisamment de raisons internes au mouvement révolutionnaire à des remises en question pour ne pas avoir à présenter avant tout les choses en termes de guerre ou de vague idéologique. On peut tout aussi bien, et j'aurais tendance à le faire, insister sur l'aspect positif que comportent ces remises en cause : refus d'un engagement révolutionnaire trop idéologisé, responsabilisation à longue échéance de chacun, recherche d'une coïncidence avec le mouvement réel.
 
      Je reprendrai en conclusion une phrase de JFV dans PLS n° 58 : " S'il y a une nette différence entre communisme et progressisme, il y en a une tout aussi nette entre progressisme et ce qui est réactionnaire "
 

 

Freddy, Nantes.

ç

è

RETOUR