International
CHINE
Le "socialisme de
la pauvreté" :
une conception
étrangère
au Parti communiste
chinois
lProfitant du
débat qui se déroule actuellement en Chine,
nombre de commentateurs occidentaux opposent la lutte pour
les "quatre modernisations" (industrie, agriculture,
sciences et techniques, défense nationale) à
la Révolution culturelle, à sa cible, que les
quatre ont cherché à déformer. Ces
commentateurs prétendent que la lutte pour la
production aurait été absente des
préoccupations du parti communiste chinois dans la
période de la révolution culturelle, et
absente des motivations de cette grande lutte
politique.
Là-dessus, Alain Jacob, dans ses
spéculations du Monde, a largement donné le
ton. Beaucoup d'autres ne se sont pas privés non
plus. Tels Jacqueline Dubois, qui affirmait en substance
dans l'émission "L'Evénement" de TF1 :
"Après la période de lutte politique de la
Révolution culturelle, il s'agit maintenant de
produire" ou Leclerc du Sablon qui écrit dans Le
Matin: "La politique des quatre modernisations s'oppose
à celle des trois différences (entre travail
manuel et intellectuel, entre ville et campagne, entre
industrie et agriculture) que Mao avait voulu rayer de
l'histoire humaine."
Opposer systématiquement
révolution et production dans la lutte d'un peuple
pour le socialisme, c'est faire preuve d'un point de vue
assez singulier. Comme si construire le socialisme
était une abstraction, comme s'il s'agissait de se
"révolutionnariser" comme ça, dans l'abstrait,
alors qu'il s'agit bien de construire une économie,
une société différentes,
concrètement ; matériellement jour
après jour. La lutte politique, le débat
d'idées, au sein de la société
socialiste, concernent donc forcément, et dans le
détail, cette édification du socialisme.
D'autre part, la poursuite de la production, de l'effort
pour l'améliorer alors même que le débat
politique peut être intense, est un enjeu important.
En effet, pourrait-on révolutionnariser la
société, en négligeant voir : en sapant
sa base matérielle ?
n
Dans le cas de la Chine, l'urgence
de faire avancer l'édification des bases
matérielles du socialisme est particulièrement
manifeste. Dans ce pays du Tiers Monde, qui a
commencé voici seulement trente ans à
s'arracher à la misère et à
l'ignorance, un grand nombre de tâches sont encore
accomplies à la main ou par des moyens rudimentaires.
Par exemple, à l'heure actuelle, les conditions de
vie et de travail du paysan chinois restent
profondément différentes de celles des
ouvriers des grandes villes. Aujourd'hui, mécaniser
l'agriculture, c'est pour la Chine, assurer un meilleur
niveau de vie à tous, mais aussi consolider le
socialisme en réduisant les écarts des revenus
et de mode de vie entre la ville et la campagne,
réduction qui conditionne le renforcement de
l'alliance des ouvriers et des paysans.
Certains donneurs
de leçons, partant de la réalité des
pays capitalistes industrialisées, ne sont pas loin
d'estimer que l'industrialisation entraînerait
forcément l'exploitation de l'homme par l'homme. Ce
faisant, ils "oublient" que le Parti communiste chinois n'a
jamais envisagé le développement des rapports
sociaux socialistes, la formation d'un homme nouveau sur la
base d'une économie arriérée. Il n'a
jamais été partisan d'un "socialisme de la
pauvreté" où il y aurait d'autant plus
d'égalité qu'on n'aurait pas grand chose
à partager. Au contraire, comme le déclare au
sujet de la répartition des revenus, Chen Yong-kouei
dirigeant de la célèbre brigade de production
agricole de Tatchaï, et élu membre du bureau
politique du PCC, lors de son 9e Congrès : "Quand
on s'appuie sur la collectivité, les bonnes
récoltes ne tardent pas à venir. Et quand le
volume à partager est plus grand, il est plus facile
de se mettre d'accord sur les mérites de chacun et de
s'estimer soi- même"
Après la
période qui a vu s'accomplir la socialisation de la
propriété des moyens de production, dès
1956, le Parti communiste chinois, fixe clairement ce but au
peuple chinois : édifier un Etat socialiste
industrialisé puissant. A ce sujet Mao
Tsé-toung indique dans Renforcer l'unité du
Parti: "Notre construction fera de notre pays un grand
Etat socialiste; la Chine arriérée,
méprisée et plongée dans le malheur
pendant plus de cent ans changera totalement d'aspect et,
par surcroît, rattrapera le plus puissant Etat
capitaliste du monde, les Etats-Unis... telle est la
responsabilité qui nous incombe. Vous avez une
population si nombreuse, un territoire aussi vaste et des
richesses naturelles aussi abondantes, et vous
édifiez dit-on le socialisme, régime
qualifié de supérieur; si vous n'arrivez pas
à dépasser les Etats-Unis après
cinquante ou soixante ans, quelle figure ferez-vous ? Il
faudrait, dans ce cas, vous expulser du globe ! C'est
pourquoi dépasser les Etats-Unis n'est pas seulement
une possibilité, mais une nécessité, un
devoir à accomplir absolument. Sinon, la nation
chinoise décevrait l'espoir que les autres nations
ont mis en elle et son apport à l'humanité
serait bien mince".
n
Dès le début des
années 60, le peuple chinois se lance dans ce
mouvement pour l'édification d'un Etat socialiste
puissant, en même temps qu'il édifie des
réalités sociales nouvelles et originales,
comme la Commune populaire: c'est le Grand bond en Avant.
C'est à partir du débat commencé
dès cette époque sur le type de
développement à choisir pour la Chine, sur les
lois de la lutte de classes pendant la période du
socialisme que va être impulsée quelques
années plus tard la Révolution culturelle, qui
va répercuter ce débat dans le tout le pays,
pour tout le peuple. La Révolution culturelle, dans
son principe, de par ses causes et sa cible, n'est pas une
lutte d'idées, abstraite, qui appartiendrait à
une sphère indépendante des problèmes
que les masses ont à résoudre. La lutte
politique engagée, dans le cadre de la
Révolution culturelle concerne l'orientation
d'ensemble de la construction du socialisme, et donc
l'activité quotidienne des travailleurs. C'est ainsi,
par exemple que la question complexe du mode de
répartition des revenus dans les communes populaires,
sera l'objet de larges discussions.
"Faire la
révolution et promouvoir la production" : ce mot
d'ordre est notamment le titre de la "Décision du
Comité central" du 8 août 1966 qui
déclarait : "La grande révolution
culturelle prolétarienne a pour but la
révolutionnarisation de la pensée de l'homme,
afin que, dans tous les domaines du travail, on puisse
obtenir des résultats meilleurs quant à la
quantité, la rapidité, la qualité et
l'économie." Dans sa directive du 7 mai 1966, le
président Mao critiquait les conceptions
erronées visant à interrompre et
désorganiser la production sous prétexte de
mener à bien la lutte politique. Il affirmait :
"Les ouvriers se consacreront principalement à la
production industrielle, tout en s'instruisant dans tous les
domaines militaire, politique et culturel. Ils doivent
également participer au mouvement d'éducation
socialiste et critiquer la bourgeoisie..."
La
nécessité de réaliser
l'édification d'un État socialiste puissant
est largement présente par ailleurs dans les textes
du 9e congrès du PCC, en 1969 ; elle est dès
cette époque mise en relation avec le danger de
guerre: "Nous devons faire la révolution et
promouvoir la production, améliorer notre travail et
nous préparer activement en prévision d'une
guerre pour édifier de manière encore plus
remarquable notre industrie et notre agriculture
socialistes, accomplir mieux encore toute notre oeuvre
socialiste. ".
n
Durant la période de la
Révolution culturelle, et par la suite, les
conceptions défendues par Lin Piao et la bande des
Quatre, qui aboutissaient à un véritable
sabotage de la production, ont assurément
entraîné de graves retards dans la
réalisation des objectifs d'édification du
socialisme, fixés pour la période. Les
travailleurs chinois, sous la direction du Parti communiste,
n'en ont pas moins poursuivi, dans cette période, la
lutte pour le développement de la base
matérielle du socialisme. Ceci s'est manifesté
par exemple dans les multiples réalisations, des
milliers d'innovations techniques dans les usines, des
travaux d'infrastructure et d'irrigation très
importants dans les campagnes. Ceci s'est manifesté
aussi dans la poursuite d'expériences d'avant-garde
telles que celles de la brigade de production agricole de
Tatchaï et de l'exploitation pétrolifère
de Taking, mises en avant comme exemples à suivre
dans la lutte pour les "quatre modernisations". Ces
expériences qui ont vu le jour avant la
Révolution culturelle, ont continué, allant de
l'avant, et ont fréquemment servi de points de
référence, pour la mise en oeuvre effective du
mot d'ordre : "Faire la révolution et promouvoir
la production". Nous reviendrons prochainement sur ces
expériences et leur signification.
Ainsi, cette
réalité de la lutte menée en Chine sur
les divers fronts, depuis trois décennies, pour
édifier le socialisme, est sciemment ignoré
par les commentateurs de la presse bourgeoise. Pour la
plupart d'entre eux, la Chine, serait placée devant
un choix dramatique: soit faire la révolution, soit
développer son économie. Comme l'ont
montré de récents articles d'Alain Jacob, dont
celui présentant le point de vue de Bettelheim, il y
a finalement, à la base d'une telle
appréciation "pessimiste", la volonté de ne
retenir comme image du maoïsme, que ses
déformations, inscrites dans des conceptions comme
celles dont les Quatre étaient porteurs.
Jean-Pierre CHAMPAGNY
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