LE QUOTIDIEN DU PEUPLE n°850 -vendredi 9 février 1979-

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        Exclusif

UN COURS DE FORMATION
SUR LES SYNDICATS DONNÉ
A L'ÉCOLE DE LA POLICE NATIONALE

 

        Antisyndicale, la police française ? Certes pas, à en croire le nombre d'organisations syndicales de policiers et le nombre de policiers syndiqués. Des policiers qui n'ont pas le droit de grève, mais qui vont même jusqu'à rêver tout haut qu'ils pourraient l'avoir un jour. Des policiers qui manifestent en cortège syndical, pour des avantages de carrière, pour être plus nombreux, pour que leur propre sécurité soit assurée...
        Mais une compréhension un peu trop " sommaire " du fait syndical, vu comme allant de soi et forcément légitime, ne risque-t-elle pas de poser des problèmes de conscience à certains de ceux qui sont justement chargés d'exécuter les ordonnances de référés, en vidant des ouvriers grévistes d'usines occupées ? Une tâche courante de la police qui, ce faisant, réprime ouvertement les travailleurs et leurs syndicats ! C'est ce que semblent craindre les responsables de la police. C'est ce que confirme la lecture du document exclusif dont nous publions aujourd'hui des extraits significatifs. Il s'agit d'un cours donné aux élèves brigadiers de police de la région parisienne, intitulé: "Thème de réflexion : les syndicats et les conflits du travail".
 
La liberté syndicale
 
        Une fois fait l'éloge du pluralisme syndical, et du droit de choisir son syndicat est développé un droit fondamental : " Le droit de ne pas se syndiquer " !
"La liberté ne serait pas complète si le salarié n'avait pas en outre un droit : celui de ne pas se syndiquer. Cette liberté impose des contraintes aussi bien aux syndicats qu'aux employeurs; elle peut se résumer ainsi : chacun peut à tout moment démissionner de son syndicat, et nul n'est tenu d'être syndiqué. Il s'ensuit que tout accord entre syndicat et employeur pour limiter l'embauche à des travailleurs inscrits à tel syndicat est illicite. Toutefois, le conflit du Parisien libéré a pour origine le monopole d'embauche détenu à Paris par le Syndicat du Livre auquel le propriétaire de ce journal est seul à s'opposer".
        Après avoir rappelé que l'apolitisme syndical est inscrit dans le Code du Travail, on tente de faire saisir la complexité de l'affaire : "L'apolitisme syndical signifie en outre que les sujets, traités par les syndicats relèvent de l'économique et non du politique. Mais le problème est plus délicat, parce que la distinction entre les domaines économiques et politique est la plupart du temps très difficile à établir"
 
L'unité d'action CGT - CFDT
 
        Cette unité d'action existe au niveau tactique. "Il n'en reste pas moins vrai que chacune d'entre elles garde son originalité et que si l'accord se fait le plus souvent aisément au niveau de la lutte quotidienne, elles ont peut-être des visions de l'avenir qui ne se recouvrent pas exactement. La CGT envisage les nationalisations comme un moyen de parvenir au "centralisme démocratique" c'est-à-dire à un Etat qui se mette au service des travailleurs grâce à une planification, un parti, des syndicats réellement démocratiques. Par contre la CFDT fait plus confiance dans les individus et peut-être par là se montre plus idéaliste, et considère que seule l'autogestion peut vaincre la situation d'aliénation dans laquelle se trouve l'individu : ceci suppose que l'individu participe activement à toute la vie collective et à tous les niveaux : entreprise, quartier, commune, Etat... Ces différences qui ont été ébauchées trop schématiquement ici, expliquent pourtant les réticences qu'a manifesté à plusieurs reprises dans des conflits récents l'appareil de la CGT devant les actions entreprises ici ou là par les militants qu'il jugeait irresponsables mais expliquent aussi l'hétérogénéité qui se manifeste parfois au sein de la CFDT qui recouvre un éventail assez
large d'options parmi ses militants".
l  FO et la CFTC
"Ces deux organisations ont en commun leurs options réformistes et résolument anticommunistes"
... "Ce qui est important à retenir ici c'est que ces deux centrales ne rejettent pas la propriété privée des moyens de production et donc le système capitaliste. Elles cherchent simplement à l'aménager pour en atténuer les injustices".
l  La CGSI et la CFT
        En 1949 est crée la CGSI composée entre autres "d'anciens cégétistes exclus de la CGT pour faits de collaboration et d'anciens "résistants" mal remis du retour à la paix. Ce recrutement très particulier a très vite donné à cette Confédération une réputation paramilitaire qui ne l'a pas fait admettre dans le milieu ouvrier. La CGSI s'est donc adressée au patronat pour s'introduire dans les entreprises et elle y joue assez efficacement le rôle de "syndicat-maison" et éventuellement de briseur de grèves.
Quant a la CFT, son caractère d'indépendance est tout aussi discutable ; elle est assez solidement implantée dans l'automobile en particulier, grâce il faut le dire, à l'impulsion efficace donnée par la Direction de Simca".
 
Les grands principes : propriété privée et liberté du Travail
 
        "Les grévistes portent atteinte à ces deux grands principes lorsqu'ils font la grève sur le tas. Ce mode de lutte, qui a été à l'honneur dans les années 36-37, a repris une certaine ampleur depuis 1968. Il représente un certain nombre d'avantages pour les militants syndicaux dont les plus importants sont la mobilisation des travailleurs sur les lieux du travail, et la prise de responsabilité personnelle de chacun dans la lutte. Mais, bien sûr, il s'agit d'une action illégale puisqu'elle viole la propriété privée, les outils de travail, n'étant pas la propriété des travailleurs, mais aussi puisqu'elle apporte une entrave à la liberté du travail, les non grévistes étant dans l'impossibilité matérielle de travailler. Si le chef d'entreprise n'a pas voulu, ou n'a pas pu obtenir une solution amiable, c'est-à-dire une évacuation pacifique des locaux assortie d'une solution au conflit, il peut toujours s'adresser au juge des référés au tribunal de Grande Instance pour obtenir l'expulsion des grévistes. Pour cela, il doit prouver qu'il y a urgence ; la charge de cette preuve est plus ou moins lourde suivant les tribunaux : certains juges allant jusqu'à estimer qu'il y a urgence du seul fait qu'il faut rétablir la situation légale. La principale difficulté consiste à savoir quelles sont les personnes qui vont être assignées en référé".
        La loi française étant "individualiste" et "ignorant la collectivité d'hommes", l'assignation de délégués syndicaux au titre de l'ensemble des grévistes qui occupent est un "pur stratagème juridique" avoue le directeur du cours pour brigadiers on herbe.
        "Cette pirouette juridique ne convainc personne, et théoriquement un grévistes non syndiqué ne devrait pas se sentir concerné par cette décision de justice. Il est pourtant évident que lorsque l'évacuation se fait manu militari, les agents de la force publique ne peuvent pas faire le tri"..
 
 
        "Si le problème de l'occupation des lieux de travail demeure la question de fond de la plupart des conflits actuels, toutes sortes de délits peuvent être commis à l'occasion d'un conflit : séquestration de personnes, menaces, violences, dégradation de monument, détérioration de stocks... Il est évident que l'employeur a tout intérêt à exploiter tout délit commis".
 
        "Quel que soit le délit commis par un salarié, au cours d'un conflit du travail, il encourt en plus de la sanction pénale, ou même d'une responsabilité civile dans certains cas, le licenciement immédiat et sans indemnité".
 
L'Etat défenseur de l'ordre social
 
        Après avoir exposé la logique des patrons, on explique aux futurs brigadiers les difficultés qu'a l'Etat d'accomplir sa "mission" de défendre "l'ordre public".
        "Le paradoxe que nous sommes en train de vivre tient au fait que, de plus en plus, les gouvernements successifs affirment une volonté libérale dans la logique de la politique contractuelle et entendent se dégager au maximum des rapports entre les syndicats et le patronat. Cette attitude ne semble pas à l'heure actuelle porter les fruits escomptés et faciliter la solution des conflits qui durent de plus en plus longtemps, se politisent inévitablement et conduisent en fin de compte l'Etat à intervenir au moment où les choses se sont envenimées à un tel point, qu'il est souvent contraint d'user de la force pour maintenir l'ordre public.
        L'Etat est en effet responsable de l'ordre public et dispose pour cela de la "force publique". L'institution de la force publique est révolutionnaire : c'est en effet sous la Révolution française qu'est née l'idée d'une force publique comme fondement de l'autorité de l'Etat, et comme garantie de la liberté. Son rôle est précisé dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen : "La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique, cette force publique est donc instituée pour l'avantage de tous et non pour l'utilité particulière de ceux auxquels elle est confiée".
 
"Les confédérations sont dépassées par les grèves sauvages"
 
        Enfin en guise de conclusion, il est reconnu aux centrales un rôle dynamique incontestable, mais en même temps des limites d'autorité dans la conduite de l'action.
        "Les organisations syndicales ouvrières ont donc eu un rôle dynamique incontestable dans l'histoire récente, mais certains voudraient leur voir jouer aussi un rôle de stabilisateur des conflits. Le patronat en particulier souhaiterait souvent, et de plus en plus, des appareils syndicaux suffisamment hiérarchisés et structurés pour pouvoir contrôler leur "base" et empêcher tout débordement. Or, on constate quelque fois que les confédérations sont dépassées par des grèves sauvages, auxquelles elles sont contraintes de se rallier de manière à pouvoir les canaliser. C'est un phénomène assez nouveau, qui bien entendu ne fait que rendre plus difficile le règlement des conflits du travail dans la mesure même où l'autorité des confédérations parisiennes est de plus en plus contestée".
 
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NOTE :
Le texte en gras est écrit ou souligné par nous.
Le QdP.

 

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