SOLIDAIRE -Hebdomadaire du Parti du Travail de Belgique-
n°23 (841) 2 juin 1993. page 14-
Histoire
Un autre regard sur Staline
(3ème partie)
L'épuration de 1937 -
1938
Le prodigieux essor industriel des
années 30 permit de forger une URSS forte
qui allait résister à l'agression
nazie. Cet essor ne fut possible qu'en vainquant
les lignes opportunistes comme celle de Boukharine
qui voulait ralentir l'industrialisation. Lequel
Boukharine se rapprocha des comploteurs militaires
visant à renverser la direction du parti
direction du parti.
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Aucun épisode de l'histoire soviétique
n'a jamais suscité de haine plus farouche chez les
bourgeois du monde entier, que l'épuration de
1937-1938. La dénonciation sans nuance de
l'épuration peut se lire dans des termes identiques
dans une feuille néo-nazie, dans un ouvrage à
prétentions académiques de Zbigniew
Brzezinski, dans un pamphlet trotskiste ou sous la plume
d'Henri Bernard, un ancien des services secrets belges,
professeur émérite de l'École royale
militaire.
Henri Bernard publia en 1982
un livre intitulé "Le communisme et l'aveuglement
occidental", dont voici un extrait caractéristique:
"Staline emploiera des méthodes que Lénine
aurait réprouvées. Chez le Géorgien,
nous ne trouvons nulle trace de sentiment humain. A partir
de l'assassinat de Kirov (en 1934), l'Union
soviétique vivra dans un bain de sang et l'on
assistera au spectacle de la Révolution qui
dévore ses propres fils. Staline, disait Deutscher,
offrait au peuple un régime fait de terreur et
d'illusions. (...) Maintenant va commencer l'interminable
série de procès. La "vieille garde"des temps
héroïques sera ainsi annihilée. Le
principal accusé de tous ces procès,
était Trotski, l'absent. "(1)
Comment se posait le
problème des ennemis de classe?
Alors, qu'en est-il en
vérité, de ces ennemis du peuple,
infiltrés dans le Saint des Saints bolchevik ? Le cas
de Boris Bajanov est exemplaire. En 1923, il fut
nommé adjoint du camarade Staline, secrétaire
du CC. A ce moment, Bajanov fait ce commentaire jubilant:
"Soldat de l'armée antibolchevique, je m'étais
imposé la tâche difficile et périlleuse
de pénétrer au sein de l'état-major
ennemi. J'avais atteint mon but."
A 23 ans, il devient
secrétaire du Bureau Politique et devait prendre note
de toutes ses réunions. Dans son livre (1930), il
parle de sa carrière politique qui a commencé
à dix-neuf ans, lorsqu'il a vu arriver l'armée
bolchevique à Kiev. "Les bolcheviks s'en emparent en
1919, semant l'épouvante. Leur crier mon
mépris à la face ne m'eut valu que dix balles
dans la peau. Je pris un autre parti. Pour sauver
l'élite de ma ville, je m'affublai du masque de
l'idéologie communiste." Car "dès 1920, la
lutte ouverte contre le fléau bolchevik avait pris
fin. Le combattre du dehors n'était plus possible. Il
fallait le miner du dedans. Dans La forteresse communiste,
il importait d'introduire un cheval de Troie. Tous les fils
de la dictature se rassemblaient de plus en plus dans le
noeud unique du Politburo. Le coup d'État ne pouvait
désormais partir que de là."(2) Au cours des
années 1923-24, Bajanov a assisté à
toutes les réunions du Bureau Politique. Il a su se
maintenir à des postes différents
jusqu'à sa fuite, en 1928.
Lutte politique contre
l'opportunisme dans le Parti
Au cours des années vingt et
trente, Staline et les autres dirigeants bolcheviks ont
dirigé de nombreuses luttes contre des tendances
opportunistes dans le Parti. La réfutation des
idées antiléninistes de Trotski, puis de
Zinoviev et Kamenev, et ensuite de Boukharine, y prennent
une place centrale.
L'étude
détaillée de la lutte idéologique et
politique menée au sein de la direction bolchevique
en 1923-1934 permet de réfuter pas mal d'idées
fausses et de préjugés. Il est
complètement faux que Staline interdisait aux autres
dirigeants de s'exprimer librement et qu'il faisait
régner la "tyrannie" dans le Parti. Les débats
et les luttes ont été menés ouvertement
et sur une longue période. Des conceptions
fondamentalement différentes se sont
affrontées avec violence et l'avenir du socialisme en
dépendait. En théorie aussi bien qu'en
pratique, la direction autour de Staline a prouvé
qu'elle suivait une ligne léniniste et que les
différentes fractions opportunistes exprimaient les
intérêts des classes hostiles au
socialisme.
Lutte contre le
révisionnisme et contre l'infiltration
ennemie
Le 1er décembre 1934, le
numéro deux du parti, Kirov, est assassiné
à Leningrad. L'attentat fut suivi d'une
épuration du parti des partisans de Zinoviev. Il n'y
eut pas de violence massive. Ce n'est qu'en juin 1936, que
le parquet rouvrira le dossier Kirov sur base de nouvelles
informations. Elles concernerait la création du Bloc
d'opposition Unifiée, des octobre 1932, autour de
Trotski, Zinoviev et Kamenev, visant à renverser la
direction bolchevique. Le procès des
zinoviévistes eut lieu en août 1936. Il
concernait essentiellement des éléments qui
étaient depuis plusieurs années dans la marge
du parti.
En janvier 1937,eut lieu le
procès de Piatakov, Radek et d'autres anciens
trotskistes, qui avouèrent leurs activités de
sabotage de l'économie. Selon tous les auteurs
bourgeois, des accusations inventées de toute
pièce. Pourtant, le reçu
détaillé de John Littlepage, un
ingénieur américain qui a travaillé
entre 1928 et 1937 comme cadre dans les mines de l'Oural et
en Sibérie, confirme ces accusations.
Le groupe
social-démocrate boukhariniste
En février 1937, le
Comité Central décida l'épuration du
parti. La police avait réuni des preuves selon
lesquelles Boukharine était au courant des
activités conspiratrices démasquées
lors du procès de Zinoviev et de Piatakov.
D'après les idéologues bourgeois, le rapport
de Staline a donné le signal de la "terreur" et de
"l'arbitraire criminel".Or, si Staline dut mener en premier
lieu la lutte idéologique afin que les membres du CC
prennent conscience de la gravité du travail
subversif mené au sein du Parti, il s'appliqua aussi
à combattre le bureaucratisme, le gauchisme et
l'extension arbitraire de la
répression.
Au cours des années
1928-1930, Boukharine avait été âprement
critiqué pour ses idées
social-démocrates et, principalement, pour son
opposition à la collectivisation, sa politique de
"paix sociale"avec les koulaks et sa volonté de
ralentir l'effort de l'industrialisation.
Durant les années
1935-1936, Boukharine, le chef de file des
révisionnistes dans le Parti, s'était aussi
rapproché des conspirateurs militaires qui
complotaient pour le renversement de la direction du
Parti.
L'opposition anticommuniste
dans l'armée
Le 26 mai 1937,lemaréchal
Toukhachevski et les commandants Iakir, Uborevitch, Eideman,
Kork, Putna, Feldman et Primakov furent arrêtés
et jugés devant un tribunal militaire. Le 12 juillet,
leur exécution fut annoncée.
En général, les
épurations dans l'Armée rouge sont
présentées comme des actes de
répression aveugles et arbitraires afin d'assurer la
dictature personnelle de Staline. Qu'en est-il vraiment ? Un
exemple concret et excessivement intéressant permet
d'en saisir certains aspects essentiels.
Un colonel de l'armée
soviétique, G.A. Tokaev, est passé du
côté des Anglais en 1948. Son livre "Comrade X"
(3) est une véritable mine d'or pour celui qui
cherche à saisir la complexité de la lutte au
sein du parti bolchevik.
Qui faisait partie du groupe
clandestin de Tokaev ? Essentiellement des officiers de
l'Armée rouge, souvent de jeunes officiers sortis des
académies militaires. Son chef, dont Tokaev ne cite
pas le nom, "Comrade X", officier supérieur, est
membre du Comité Central tout au long des
années trente et quarante. Lors de l'épuration
du groupe de Boukharine et de celui du maréchal
Toukhachcevski, la majeure partie du groupe de Tokaev est
arrêtée et fusillée. Basée
elle-même sur une plate-forme anticommuniste.
L'organisation clandestine de Tokaev maintenait des liens
étroits avec les fractions des
"communistes-réformistes" au sein de la direction du
Parti. Le deuxième groupe d'opposition avec qui
l'organisation de Tokaev entretenait des rapports, est celui
de Boukharine. Leur but était d'assassiner Staline et
d'autres dirigeants bolcheviks ainsi que de provoquer une
insurrection armée.
Lutte
antibureaucratique
L'épuration de 1937-1938 a
été décidée après la
découverte de la conspiration militaire de
Toukhachevski. La décision d'exterminer physiquement
la cinquième colonne, n'était nullement un
signe de "paranoïa du dictateur", comme l'affirme la
propagande nazie: elle montra la détermination de
Staline et du parti bolchevik à affronter le fascisme
dans une lutte à mort. Staline pensa d'abord sauver
la vie de millions de Soviétiques, ce qui aurait
été le prix supplémentaire à
payer si l'agression extérieure avait pu tirer profit
des trahisons intérieures. La lutte contre
l'infiltration nazie et la conspiration militaire fusionna
avec la lutte contre le bureaucratisme et les fiefs
féodaux. Il y eut une épuration
révolutionnaire d'en haut et d'en bas. Si
l'épuration fut souvent caractérisée
par l' inefficacité et l'anarchie, il n'en est pas
moins vrai que c'est Staline qui le 11 novembre 1938, prend
la décision catégorique de mettre fin aux
excès apparus au cours de l'épuration,
à cause notamment du travail de sape
d'éléments ennemis à l'intérieur
des organes du NKVD.
LUDO MARTENS
FIN
(1) Henri Bernard, "Le communisme et l'aveuglement
occidental". Éditions André Grisard à
Soumagne, Belgique, 1982.
(2) Boris Bajanov, "Avec Staline dans le Kremlin",
Édition de France, Paris, l930,p.2-3.
(3) Comrade X. G.A.Tokaev, Harvill Press, London,
1956.
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