Première partie
AU FIL
DE NOTRE HISTOIRE
LA COMMUNE
.....
Il y a plus d'un
siècle, la classe ouvrière de Paris prenait
l'initiative de la première révolution
prolétarienne au monde. Elle ouvrit la voie aux
révolutions futures, marquant le début des
temps nouveaux dans l'histoire de l'humanité. Les
exploités se dressaient les armes à la main
pour arracher le pouvoir de leurs
exploiteurs.
.....
C'est contre le complot des
classes dirigeantes pour désarmer Paris et livrer la
France aux Prussiens que se dresse la glorieuse
révolution ouvrière du 18 mars.
.....
Paris constituait alors la
forteresse sociale de la classe ouvrière de notre
pays. Alors que dans l'essentiel, celle-ci restait encore
peu développée, relativement dispersée,
elle commençait à se regrouper à
Paris.
.....
Après sa
révolution de 1789, la classe bourgeoise, de
progressiste s'était transformée en son
contraire, progressivement, jusqu'à devenir une
classe réactionnaire, faisant peser le joug de sa
domination sur le prolétariat. Celui-ci, d'abord
très faible, largement atomisé, s'était
progressivement renforcé numériquement. Par
ses révoltes, ses luttes, il avait manifesté
la contradiction radicale qui l'opposait à ses
exploiteurs. Pourtant, il n'avait pu encore se constituer en
classe autonome, affirmant son intérêt
d'ensemble. Il. restait encore largement prisonnier des
duperies parlementaires par quoi la bourgeoisie justifiait
et maintenait sa domination. Ses initiatives
révolutionnaires restaient circonscrites dans un
cadre bourgeois. Son horizon restait celui d'une
radicalisation de la révolution de 89, dont il avait
été frustré.
.....
La Commune va sanctionner avec
éclat l'émergence du prolétariat de
notre pays en force autonome, capable de faire
prévaloir, face à celui de la bourgeoisie, son
propre intérêt de classe, son propre
système politique. Au parlementarisme
éculé, forme de domination politique de la
bourgeoisie, il va opposer le gouvernement ouvrier. Aux
promesses et manoeuvres de la bourgeoisie, il va opposer la
force des armes. Le peuple de Paris prend en main la
direction des affaires publiques.
.....
Contre le vieux monde
d'exploitation et d'oppression, les ouvriers parisiens
marquent une immense capacité d'initiative que,
depuis des décennies, les couches
réactionnaires des villes et des campagnes ont
étouffée, réprimée. La Commune
détruit l'État bourgeois, ce corps
parasitaire, cet appareil de coercition dirigé contre
le peuple. A l'armée permanente, appareil de
répression coupé des masses, elle substitue le
peuple parisien en armes. Aux appareils bureaucratiques:
police, justice, elle substitue des éléments
du peuple, serviteurs de la Commune. Au gouvernement du
vieil ordre social, elle substitue la Commune, corps
agissant, composé d'éléments du peuple,
responsables révocables à tout
moment.
.....
C'est la rupture avec le vieux
monde bourgeois, c'est l'ébauche d'un monde nouveau,
d'une société où exploitation et
oppression seront bannies.
.....
Contre ce Paris qui annonce
les révolutions à venir, qui inscrit le futur
de la société dans le présent
lui-même, la bourgeoisie se déchaîne. Ce
qui épouvante le plus les réactionnaires,
c'est le début de construction par les communards
d'une autre société qui porte en elle la
condamnation sans appel de l'ancienne. C'est cela que dans
leur barbarie, ils veulent tuer, anéantir.
Prétendant faire revivre un passé
révolu, grands propriétaires fonciers et
capitalistes conspirent en fomentant des complots contre la
Commune, ils massacrent, exécutent bombardent.
Maintenant que les esclaves se dressent contre leur
maîtres, ceux-ci révèlent avec
netteté leur véritable nature
contre-révolutionnaire, voulant faire tourner
à l'envers la roue de l'histoire.
.....
Mais la Commune succombera par
ses propres faiblesses internes. Jeune encore, peu
développée, la classe ouvrière de notre
pays n'avait pas encore l'expérience qu'une longue
lutte contre l'exploiteur lui permettra d'acquérir au
long des décennies suivantes. Isolé, le
prolétariat parisien ne pourra se lier fermement aux
ouvriers des autres villes du pays, ni amener à sa
cause la masse paysanne. Des années de respect de
l'Etat bourgeois paralyseront parfois son action, le privant
par exemple du moyen de pression formidable qu'aurait
constitué la prise de la Banque de France. Parfois le
démocratisme petit-bourgeois freinera sa
capacité d'initiative. Une clémence coupable
le conduira dans certains cas, à sous-estimer le
danger représenté par les ennemis. A cette
époque, la classe ouvrière n'a pas encore
créé ni édifié son propre parti,
elle est encore assez largement étrangère
à la théorie de la révolution
élaborée par Marx. Dans ces conditions, la
direction du mouvement rencontre des difficultés
à déterminer les tâches décisives
du moment.
.....
Pourtant, même si la
Commune n'a pu, à cause notamment de sa
brièveté, que commencer à
ébaucher ce qu'aurait pu être une France
socialiste à l'époque, elle a marqué
avec éclat l'irruption du prolétariat, comme
classe autonome sur la scène de
l'histoire.
.....
Elle a marqué la
rupture du contrat par lequel la bourgeoisie le tenait
enchaîné. Elle a, mobilisant le peuple de
Paris, montré l'énergie révolutionnaire
extraordinaire que peut développer celui-ci pour son
émancipation. Traçant la voie de l'avenir,
condamnant le vieux monde par son initiative même, le
prolétariat de Paris affirmait dans la vie qu'autre
chose devenait possible. Par son héroïsme, son
courage, il affirmait à la face du monde bourgeois
qu'une ère nouvelle s'ouvrait, que la loi
imprescriptible de l'univers, c'était la substitution
du nouveau à l'ancien. Une nouvelle classe, le
prolétariat, devait affirmer son rôle dirigeant
et prendre d'assaut les citadelles du vieux monde. Un espoir
était né que ni la répression, ni les
vicissitudes de la lutte, ni les capacités
manoeuvrières de la bourgeoisie, ni les victoires
momentanées de celle-ci, ne pouvaient
éteindre. Les communards de Paris, par leur
initiative héroïque, sans
précédent dans l'histoire, montraient le
caractère devenu caduque de la société
bourgeoise. La révolution prolétarienne
frappait à la porte de l'histoire...
1914
.....
Le 1er août 1914 deux
blocs impérialistes engagent une guerre de rapine qui
se prolongera en un affrontement mondial sans
précédent dans l'histoire de
l'humanité. Quelle est alors la situation dans notre
propre pays ? Dès la fin du dix-neuvième
siècle, le capitalisme entre dans la phase de
l'impérialisme. Un processus s'engage où le
monopole se substitue à la libre concurrence. Le
capital financier s'assujettit de plus en plus
l'économie du pays. Au plan mondial, les
contradictions s'exacerbent entre puissances
impérialistes qui entrent en concurrence pour le
repartage du monde. La France, par l'exportation de
capitaux, s'assure des rentes avantageuses. Elle se lance
dans de nouvelles aventures coloniales, plaçant sous
sa domination et pillant plusieurs pays.
.....
Avec la République,
instaurée après la Commune, la bourgeoisie a
trouvé la forme de domination politique
adaptée à l'époque. Pour duper la
classe ouvrière, elle distille en abondance ses
illusions parlementaires : perfectible, la République
ne pouvait qu'appliquer de mieux en mieux la volonté
populaire; sociale, la République annoncerait la paix
entre les classes; arbitre, l'État républicain
imposerait la solidarité de classe dans une
société où les patrons renonceraient
à la répression les ouvriers à la
grève. La bourgeoisie prône alors
déjà ce qu'elle appelle la participation: en
ouvrant, selon elle, la possibilité pour des ouvriers
d'accéder à une autre condition dans le cadre
du système capitaliste, notamment par l'actionnariat.
Paix sociale, entente capital-travail,
prospérité: tels sont les thèmes que
les chantres de la bourgeoisie développent avec
abondance. Selon celle-ci s'ouvre une ère nouvelle de
progrès, où les différences de classe
s'effaceront progressivement et où les
déshérités de la fortune participeront
à la prospérité générale.
Pour contre-partie à payer par la classe
ouvrière pour ces lendemains qui chantent : renoncer
à la lutte et attendre de l'Etat défense et
protection. Enfin, pour sceller son système de
collaboration de classe, la bourgeoisie développe le
nationalisme outrancier, nourri de la haine de l'Allemand
-rival impérialiste- et de la haine des mauvais
Français -ceux qui refusent le courant
chauvin-.
.....
Mais dans cette
période, si la classe ouvrière se trouve
encore assez disséminée dans de petits et
moyens ateliers dispersés, s'amorce de plus en plus
nettement une concentration qui rassemble nombreux les
ouvriers dans un même lieu de travail. Ainsi,
métallurgistes, travailleurs du textile et mineurs
notamment peuvent organiser leurs luttes dans des bagnes aux
dimensions déjà importantes. C'est là
que peut se forger de façon privilégiée
une conscience de classe qui s'approfondit. Aux salaires de
misère, aux journées de travail interminables,
les ouvriers ripostent, par centaines de milliers,
organisent des grèves massives, prolongées et
acharnées qui manifestent une forte
combativité.
.....
De relativement exceptionnelle
dans les décennies précédentes, la
grève devient une arme familière dont la
classe ouvrière s'empare a très large
échelle. Pour organiser leurs batailles
revendicatives, les travailleurs se dotent d'un instrument
de lutte qui va connaître un développement
extraordinaire: le syndicat. Partout dans ce pays, en
liaison avec le mouvement gréviste vont surgir des
organisations syndicales, dénonçant l'entente
entre les classes et entraînant les ouvriers dans des
luttes dures. La classe ouvrière décuple ainsi
ses capacités de riposte, systématise les
leçons de ses batailles revendicatives, brise
l'isolement et la dispersion, renforce son unité de
combat. Face à ces initiatives des prolétaires
de notre pays, la bourgeoisie alternera promesses
démagogiques et répression. Et quand le
mouvement gréviste affirmera nettement sa force, sa
détermination, elle n'hésitera pas à
frapper. Ainsi, en 1910, pour briser la grève des
cheminots, elle traduira devant le conseil de guerre ceux
qui refuseront de répondre à son appel de
reprise du travail. Voilà bien la République
"sociale" à l'oeuvre !
.....
Le syndicat ne suffit pas aux
ouvriers pour s'organiser en vue de la Révolution, il
leur faut leur propre parti de classe.
.....
En 1905, le Parti Socialiste
Unifié, section française de l'Internationale
ouvrière, rassemble en un tout unique les
organisations qui se réclament du prolétariat.
Il existe de nombreux courants contradictoires qui,
généralement, ignorent le marxisme ou le
déforment. Sans fondement idéologique solide,
sans de fermes principes d'organisation, ce parti se
montrera incapable de tracer la voie de la Révolution
dans notre pays. Il ne parviendra pas à s'arracher
à l'influence de la bourgeoisie ni à
élaborer les tâches de la révolution
pour la période. La nécessité de
l'insurrection se transformera insensiblement en une
recherche exclusive de la majorité parlementaire. Aux
phrases révolutionnaires, il juxtapose une pratique
de collaboration de classes. A la lutte de classe ouverte,
les députés socialistes, chefs du parti,
préfèrent les envolées parlementaires.
Pas de lutte intransigeante contre les illusions
secrétées par la République bourgeoise,
pas de lutte ferme contre le chauvinisme, mais des
déclarations pacifistes, anti-militaristes. Par
ailleurs, les couches supérieures de la classe
ouvrière et la petite bourgeoisie qui
bénéficient des miettes des profits
impérialistes, alimentent dans le parti
l'opportunisme qui ronge de l'intérieur ses
capacités révolutionnaires. Cela se fait
contre l'intérêt de l'immense majorité
des prolétaires et des opprimés. Dans ces
conditions, de nombreux ouvriers qui aspirent à la
révolution se détachent de ce soi-disant parti
du prolétariat et se replient dans le cadre syndical.
Se creuse ainsi un fossé entre le parti socialiste et
de nombreux syndicalistes qui envisagent l'insurrection
prolétarienne comme le prolongement d'un mouvement de
grève qui se développerait en grève
générale. Cette situation hypothèque
très gravement dans cette période la
préparation de la Révolution dans notre pays,
et dresse déjà des obstacles pour
l'avenir.
.....
Quand les premiers coups de
canon de la guerre impérialiste tonnent, le
prolétariat de notre pays n'est pas
préparé à s'opposer efficacement
à la guerre, à tirer profit des
difficultés que cette guerre causera à la
bourgeoisie pour précipiter la chute de celle-ci. Le
parti socialiste entretient de graves illusions sur la
volonté de paix du gouvernement. Le syndicat,
même s'il se déclare, dans un premier temps,
opposé à la guerre, n'envisage que des actions
sans portée réelle. A l'heure de la
mobilisation générale
décrétée par le gouvernement, un
profond courant chauvin déferle sur le pays. Face aux
illusions, aux idées fausses, face à la
propagande de la bourgeoisie, le parti socialiste renonce.
Il se range rapidement aux cotés de la bourgeoisie,
même s'il tempère cette position par de
vibrants, mais impuissants appels à la paix. Loin de
prendre l'initiative pour commencer à organiser, dans
des conditions très difficiles, l'opposition à
la guerre de rapine, il vote des crédits de guerre.
Deux députés socialistes deviennent ministres
de "l'Union Sacrée", rassemblement
impérialiste. Les socialistes laissent la classe
ouvrière et le peuple de notre pays livrés aux
lois martiales, à la censure militaire. Abêtis
et corrompus par la légalité bourgeoise, ils
renoncent à mettre en place toute organisation
illégale, arme devenue alors impérativement
indispensable à cause de la guerre et de
l'état de siège. Ils masquent avec soin les
véritables motifs de cette guerre: le repartage des
colonies et des sphères d'influence entre
impérialismes concurrents. Avec la bourgeoisie, ils
appellent à renforcer l'effort de guerre, à
maintenir à tout prix la paix civile.
.....
En réalité, la
classe ouvrière, les paysans pauvres de notre pays se
sont fait massacrer, estropier pour des rivalités
entre impérialismes concurrents. Ils ont
été frappés par le deuil, la
misère, la répression. Dans ces conditions
incroyablement difficiles, ils ont pu toutefois, à la
fin de la guerre, marquer leur opposition par des
mutineries, révoltes, manifestations,
grèves.
.....
Octobre 17 montre que le
flambeau de la Révolution n'a pas été
abandonné dans le monde: la chaîne
impérialiste se brise en Russie -immense
encouragement pour les prolétaires de tous les pays.
Il renforce la volonté de faire payer les
responsables de cette guerre, il montre la voie de
l'émancipation du prolétariat. Il indique
qu'une autre voie était possible... En tout cas,
cette guerre révèle au grand jour la faillite
du système capitaliste, illustre avec éclat la
véritable nature de ce système, montre avec
force la nécessité de son
renversement...
.....
Un grand espoir naît
dans la classe ouvrière en décembre 1920 : le
Parti Communiste Français est créé,
tentative en France pour édifier un véritable
parti révolutionnaire, tandis que les socialistes
scissionnent et prolongent la SFIO. Pourtant, restait
à édifier ce parti, et à
détruire les tendances opportunistes, qui avaient
jusqu'alors détourné les ouvriers des
tâches de la révolution.
1936
.....
Mai-juin 36 : une lame de
fond, puissante soulève la classe ouvrière de
notre pays: partout dans les usines, c'est la grève
sur le tas, l'occupation. Partout la classe ouvrière
est à l'initiative. Une immense aspiration à
un changement de société traverse ce mouvement
gréviste sans précédent.
.....
Les ouvriers marquent avec
force leur refus de cette société
d'exploitation et d'oppression. Ils en ont assez de ces
promesses pour des lendemains qui chantent.
.....
Non ! ce n'est plus possible
de continuer à travailler ainsi pour enrichir ceux
qui vivent sur le dos du peuple ! Ce n'est plus possible
d'accepter la domination de la bourgeoisie: il faut changer
ce monde. Telles sont les idées qui germent dans les
usines en lutte.
.....
Depuis la première
guerre mondiale, la classe ouvrière de notre pays,
à nouveau, a fait l'expérience d'une politique
bourgeoise qui cherche par tous les moyens à la
détourner de ses propres buts. Après une
guerre impérialiste qui a imposé aux
prolétaires de s'entre-tuer , qui a exigé
d'eux des sacrifices énormes, la bourgeoisie va
cyniquement utiliser l'aspiration au bien-être,
à la paix. Elle prétend encore une fois qu'une
étape nouvelle s'ouvre d'où les maux du
capitalisme seraient écartés. Grâce
à ce qu'elle appelle l'organisation scientifique du
travail, une ère d'expansion serait ouverte. Par le
dialogue entre les exploiteurs et les exploités, par
la réconciliation entre les classes, il serait
possible de surmonter les effets du capitalisme. Cela exige
bien entendu que la classe ouvrière s'absorbe dans
les seules tâches de production et s'intègre
pacifiquement à la société
impérialiste. Mais la situation réelle de la
classe ouvrière est alors particulièrement
précaire et difficile. Dès le lendemain de la
guerre, une inflation brutale et prolongée lamine son
pouvoir d'achat.
.....
Dans le même temps,
s'accentue l'intensification du travail, source de profits
accrus pour les patrons.
.....
La croissance, l'expansion, la
productivité, se traduisent en fait par une
exploitation très intense dans les usines. Et quand
l'impérialisme français est frappé par
la crise économique des années 30 quand le
marasme de la production industrielle s'installe, il est
demandé à la classe ouvrière de payer
les difficultés de la bourgeoisie. Ainsi, celle-ci
n'hésite pas à jeter des centaines de milliers
d'ouvriers à la rue, condamnés au
chômage, à la misère, femmes et
immigrés en priorité.
.....
Voilà ce qu'il advient
des promesses de bien-être et de progrès social
! Voilà la triste réalité
engendrée par cette société
impérialiste.
.....
Dans le même temps,
où elle surexploite la classe ouvrière en
France, la bourgeoisie, tout au long de cette
période, systématise, et rationalise le
pillage des peuples dans les colonies qu'elle tient sous sa
botte. Sous couvert d'effort civilisateur, elle brise
l'économie de ces pays, leurs cultures
vivrières sont quasi supprimées, au profit de
productions alimentaires tropicales importées en
métropole. Ainsi, l'impérialisme
français, par l'extorsion des richesses de ces
peuples, peut momentanément mieux résister aux
difficultés qui se présentent, notamment au
début des années 30.
.....
Le danger fasciste
apparaît bientôt sur l'Europe et en France
même, des bandes fascistes se constituent et se font
menaçantes. Devant des affrontements de classes
particulièrement aigus, le PCF ne trace pas fermement
la voie de l'offensive, ne prépare pas l'alternative
révolutionnaire. La situation exige la constitution
du Front Populaire rassemblant tous ceux qui veulent engager
la lutte commune. S'il est nécessaire à ce
moment de s'allier à ceux qui s'opposent au fascisme,
cela ne devait pas conduire à ce que, dans cette
unité, le projet propre de la classe ouvrière
soit écarté. Et surtout, cela ne devait pas
conduire à fermer, au-delà de la construction
nécessaire d'un Front, la seule issue à terme
qui pouvait conjurer le fascisme, celle de la
révolution prolétarienne. Si la situation
exigeait de s'allier momentanément à des gens
au riche passé de collaboration de classes,
fallait-il pour autant entretenir des illusions sur le
gouvernement mis en place à ce moment ?
.....
Par ailleurs, ce Front
consistait en alliances au sommet mais ne reposait pas sur
des structures intégrant activement et largement les
masses populaires.
.....
Au pouvoir, Blum insiste sur
le nécessaire respect par tous de la
légalité bourgeoise. La limite des
transformations à opérer, ce sont les lois
bourgeoises. Quand il accède au pouvoir, le 5 juin,
le mouvement de grève sur le tas est
généralisé; la production, le commerce
sont paralysés, l'essentiel des entreprises est
occupé dans tout le pays, la classe ouvrière
s'organise elle-même dans des comités de
grève. Elle est alors en position de force, elle
dispose d'une arme de pression formidable: l'occupation des
usines, et sa volonté de lutte intransigeante,
prolongée s'impose partout. C'est dans un
enthousiasme extraordinaire qu'elle surmonte toutes les
difficultés liées à l'occupation des
usines et elle trouve alors un soutien populaire important.
Elle entrevoit le jour où elle pourra enfin faire
prévaloir son propre projet de société.
La bourgeoisie est aux abois. Elle demande que cessent au
plus tôt ces occupations illégales où un
ferment révolutionnaire se développe. Blum
convoque les représentants syndicaux et leur propose,
contre la cessation du mouvement, une hausse des salaires,
l'établissement de conventions collectives puis il
fera voter la loi sur les congés payés et les
40h. Devant la poursuite des occupations, Thorez affirme:
"Il faut savoir terminer une grève, tout n'est pas
possible". Dans de nombreuses usines, les travailleurs ont
le sentiment d'être dupés, ils aspiraient
à une autre issue.
.....
Un immense espoir, un espoir
de changement radical est brisé. C'est une voie
ouverte par le mouvement de masses, son ampleur, sa force,
sa détermination qui est refermée.
L'insatisfaction profonde de la classe ouvrière se
concrétisera sous forme de grèves, de
manifestations, d'occupations, période d'agitation
qui se poursuivra jusqu'en 1938.
.....
Ainsi, l'enthousiasme du
printemps 36, porté par de profondes aspirations
révolutionnaires, sombrera dans l'amertume de
l'automne 38, amertume nourrie par la conviction, chez de
nombreux ouvriers, que la situation aurait dû
déboucher sur une autre issue. Privée ainsi de
l'initiative, la classe ouvrière verra à
nouveau s'ouvrir une période sombre pour elle.
1945
.....
1939 : la deuxième
guerre mondiale éclate. Sacrifiant
l'indépendance nationale à ses propres
intérêts de classe, la bourgeoisie organise la
défaite et la capitulation. En juin 40, ce n'est pas
le peuple de notre pays qui est vaincu par l'agression
nazie: c'est la bourgeoisie qui préfère Hitler
au Front Populaire. Mais les premiers actes de
résistance dans notre pays seront à
l'initiative de la classe ouvrière. C'est elle qui
animera la Résistance intérieure.
.....
1944-1945 : les peuples du
monde contraignent les fascistes à la capitulation.
En France, la guerre de libération nationale est
victorieuse. Cette victoire, c'est principalement celle du
peuple de notre pays. Au coude à coude, au prix de
dures privations, au prix du sang, ouvriers et paysans se
sont dressés contre l'occupant nazi. Pourtant,
celui-ci défait, deux voies sont possibles:
poursuivre l'offensive contre la bourgeoisie pour en finir
avec la domination de cette classe ou bien pactiser avec
celle-ci pour ouvrir une nouvelle période
d'exploitation et d'oppression. C'est dans cette impasse que
le PCF engagera les ouvriers de notre pays.
.....
Au lendemain de la guerre,
l'impérialisme français est
considérablement affaibli. Son économie est
profondément perturbée: des usines
détruites, les communications coupées, le
ravitaillement mal assuré. La collaboration ouverte
de nombre de ses représentants, ses manoeuvres pour
priver le peuple des moyens de s'organiser et d'être
partout à l'initiative ont démasqué
à large échelle sa nature de classe. Par
ailleurs, au plan mondial, l'impérialisme, à
nouveau, a montré qu'il engendrait
nécessairement la guerre, la destruction, la
désolation pour les peuples. En France, les forces
politiques traditionnelles sont fortement
ébranlées et le pouvoir central ne
détient qu'une autorité fragile.
.....
Enfin, la bourgeoisie ne
dispose que d'une armée sérieusement
lézardée, son potentiel militaire est faible
et beaucoup d'armes sont dans les mains des ouvriers et des
paysans organisés dans la Résistance.
.....
Le camp du peuple s'est au
contraire renforcé. Même si nombreux dans ses
rangs ont été fusillés, de nouvelles
vagues se sont levées vite aguerries par la lutte.
Dans la guerre de libération contre l'occupant nazi,
le peuple a beaucoup appris. Par sa propre
expérience, il a compris la force du peuple en armes,
combattant pour une cause juste. Face à une
armée puissante, munie des armes les plus
sophistiquées, il a su se constituer en une force
décisive. Surtout, il a acquis la conviction qu'il
n'était plus possible de se laisser opprimer et
exploiter comme avant. La Libération a soulevé
une immense espérance, celle, notamment pour la
classe ouvrière, d'être à l'initiative
dans la nouvelle situation qui s'ouvrait. Celle d'assurer
les conditions d'un monde nouveau, qui rompe avec
l'impérialisme décadent et ses
conséquences. Cet espoir il est notamment
porté par les gardes et milices patriotiques en
armes, il est porté par les comités de
libération et par tous ceux, ouvriers et paysans, qui
commencent à se réorganiser
indépendamment du pouvoir central.
.....
Pourtant, cet espoir sera
cruellement et amèrement déçu. Une des
premières tâches que se fixe alors le chef de
l'impérialisme français, c'est désarmer
les milices d'ouvriers et de paysans qui constituent une
force redoutable. Le gouvernement bourgeois en place
prétend imposer la dissolution des milices
patriotiques. Malgré l'opposition farouche de
nombreux résistants, le PCF accèdera à
cette demande. Au moment où la bourgeoisie est
acculée à la défensive, incapable
d'imposer son pouvoir comme avant, alors que les ouvriers et
le peuple de notre pays aspirent à en finir avec le
vieux système pourri, le PCF ne trace pas la
perspective révolutionnaire. Tout au contraire, la
seule alternative qu'il ouvre, c'est celle de participer
à la reconstitution du pouvoir de la bourgeoisie.
Cette position ne fait que sanctionner une orientation
déjà présente au cours de la lutte de
libération nationale; dès ce moment, le PCF ne
préparait pas les masses à l'issue
révolutionnaire.
.....
Toutefois, après la
Libération, des dirigeants du PCF deviennent membres
du gouvernement, ministres, fait sans
précédent dans notre pays ! Les
difficultés de la bourgeoisie devaient être
bien grandes pour qu'elle fit appel à ceux qu'elle
avait si souvent désignés comme de dangereux
ennemis au sein même du pays.
.....
Ne faut-il pas s'attendre
à des bouleversements importants pour la vie du
peuple ? Ne va-t-on pas assister à une
révolution de l'intérieur même des
institutions bourgeoises ?
.....
Ce gouvernement s'attache
à la reconstruction économique du pays. Pour
cela, un impératif: produire plus. Ce sont les
ministres du PCF qui seront les plus zélés
pour appeler à la tristement célèbre
bataille pour la production. Est instauré alors le
système du salaire au rendement, des primes, des
heures supplémentaires. Prolétaires,
retroussez vos manches, travaillez plus et mieux: tels sont
les appels et mots d'ordre de ceux-là mêmes qui
dans l'État, prétendent représenter les
intérêts de la classe ouvrière. La
bourgeoisie fait, par le blocage des prix et des salaires,
payer ses difficultés aux travailleurs, c'est avec la
caution des ministres PCF que les collaborateurs
réinvestissent à tous les niveaux l'appareil
d'Etat.
.....
Et c'est bien le gouvernement
auquel ils participent qui massacre sauvagement le peuple
descendu dans la rue, en Algérie, en mai 1945, qui se
lance dans l'aventure coloniale en Indochine, qui
écrase dans un bain de sang la lutte du peuple
malgache pour son indépendance. Triste bilan pour ces
ministres du PCF !
.....
Une fois l'orage passé,
l'État restauré, son pouvoir consolidé,
la bourgeoisie remerciera ceux qui lui ont servi de
béquille, pour, dans un moment difficile, restaurer
sa domination.
.....
Au lendemain de la
Libération, une misère profonde se marque par
la pénurie, le rationnement, qui ne disparaissent pas
de si tôt. Pour les familles ouvrières
notamment, les privations sont le lot quotidien.
Colère, volonté de changements restent
profondément présentes. Par ailleurs, les
crimes de l'impérialisme ne sont pas oubliés.
Dans ces conditions, à l'aube des années 50,
la bourgeoisie, pour duper la classe ouvrière, pour
tenter de l'associer à son propre projet, pour
effacer la honteuse image d'elle-même, va faire
miroiter le mythe de la société d'abondance
dans une société paisible, où chacun
est à sa juste place. La prospérité
retrouvée profitera à tous et à chacun.
Mais cela ne peut se réaliser qu'à une
condition essentielle: que le prolétariat de notre
pays renonce à la lutte de classes, les luttes
compromettraient la prospérité dont chacun
tirera grand profit, dans une France où
prolétaires exploités et patrons exploiteurs
doivent se serrer les coudes en vue de l'effort commun.
Selon les bourgeois, c'est encore et de nouveau une
ère nouvelle qui s'ouvre, d'où la lutte de
classes doit être bannie. Celle-ci, selon eux,
constitue une entrave au progrès de la
société, dont les capacités immenses de
production doivent permettre de progressivement satisfaire
tous ceux qui le méritent. Grâce à
l'effort conjugué de tous les Français, une
France riche et prospère distribuera
généreusement à ses membres tous les
biens de consommation nécessaires. En fait, pour la
classe ouvrière, cela signifie toujours plus
travailler, se soumettre avec pour seul horizon la
possibilité d'achats, que la transformation des
conditions de vie imposées par le capitalisme rend
chaque jour plus nécessaires et indispensables. Sans
frigidaire, sans machine à laver, sans voiture, la
vie d'une famille ouvrière devient de plus en plus
impossible. Mais le prix de ces mirages d'une
société d'où l'exploitation serait
bannie, ce doit être le renoncement par les
prolétaires à leur propre projet de
société. Ce modèle de collaboration de
classes butera sur un obstacle insurmontable:
l'expérience même de la classe ouvrière,
qui aiguisera sa vigilance.
.....
En fait d'abondance, c'est
pour elle l'intensification du travail, la
dégradation des conditions de vie. Mai 68 vient
ébranler avec force cette société dont
la bourgeoisie prétendait avoir écarté
les grandes secousses de la lutte de classes. Parti de la
jeunesse universitaire, le mouvement de mai déferle
sur le pays en un mouvement d'une ampleur
considérable, mobilisant simultanément des
millions de grévistes dans les usines, bloquant
pratiquement la production. C'est une profonde contestation
de cette société impérialiste qui se
développe, classe ouvrière et masses
populaires marquant leur opposition fondamentale à se
laisser duper par les promesses de la bourgeoisie.
Manifestations, occupations des usines se multiplient
à travers le pays. Le mythe d'une
société où les grandes oppositions de
classes auraient disparu vole en éclats: les
prolétaires affirment massivement leur force et
mettent en cause le sort que leur réserve cette
société pourrie. Une volonté de lutte,
une capacité d'initiatives sont
libérées partout. A tel point que la
bourgeoisie prend peur et prépare une riposte
violente, tout en organisant une répression brutale
et systématique des manifestations offensives.
Pourtant, le mouvement de masse ne parviendra pas à
se constituer en une force unie posant avec netteté
la question du pouvoir, et se plaçant sous la
direction de la classe ouvrière. Si le PCF se trouve
à large échelle mis en cause dans la classe
ouvrière, notamment critiqué pour la force
d'inertie qu'il oppose aux initiatives, et l'absence de
perspectives qu'il offre au mouvement de masse, il
parviendra pour l'essentiel à sauvegarder son emprise
politique, et en tout cas à la reconstituer en
partie. Il ne sera pas démasqué nettement
comme parti bourgeois et les ruptures partielles et
momentanées que des franges de la classe
ouvrière opèrent avec lui, ne se
développeront pas encore en une nette prise de
conscience politique. La formidable énergie des
masses qui est alors en oeuvre ne parviendra pas à
s'organiser en force politique. C'est qu'à ce
moment-là, la classe ouvrière ne dispose pas
d'un parti qui pourrait, à l'échelle du pays,
éclairer le combat présent et le rapporter
à l'objectif final, systématiser les
expériences multiples qui existent, concentrer en un
tout unique les efforts dispersés, approfondir et
renforcer la rupture entre le PCF et le mouvement de masse.
Dans ces conditions la force du mouvement ne pourra trouver
tous ses développements et une orientation ferme.
Momentanément, la bourgeoisie peut reprendre assez
vite la situation en main et surmonter le flottement
important qui l'a traversée. PCF et PS peuvent
canaliser le mouvement et lui offrir comme seule issue le
maintien du système de domination politique
bourgeois. Pourtant, Mai 68, par son ampleur, la profondeur
de sa contestation, a ouvert des brèches, a largement
lézardé cette société. Il a
ouvert un processus à partir duquel les
contradictions de classes ont pu s'approfondir, s'aiguiser,
où les contradictions entre le PCF et la classe
ouvrière ont pu connaître de nouveaux
développements. En réalité, Mai 68 a
été le révélateur de l'usure de
cette société. Six ans plus tard, une profonde
crise politique venait frapper l'impérialisme
français.
CONCLUSION
.....
1871, 1936, 1945, à
chacune de ces dates, la révolution est venue frapper
à la porte de notre pays. A chaque fois, la
bourgeoisie a pu trouver des points d'appui pour dessaisir
le prolétariat de l'initiative, lui infliger une
défaite, et finalement restaurer son pouvoir
menacé.
.....
1977. La crise qui secoue
aujourd'hui notre pays est à maints égards
beaucoup plus profonde que celles que notre peuple a
traversées depuis plus d'un siècle. La
possibilité d'une issus favorable au
prolétariat de France se trouve à terme
renforcée. Prendre toute la mesure de l'ampleur de la
crise actuelle, de l'aiguisement des antagonismes qui
secouent cette société arrivée à
son terme, laisse prévoir le mûrissement de la
crise politique actuelle, en une crise
révolutionnaire, en une crise nationale. La
capacité pour la classe ouvrière de
résoudre à son profit cette crise,
dépend fondamentalement de la compréhension
qu'elle aura de cette crise, de la capacité qu'elle
aura forgée dans les luttes d'aujourd'hui, d'agir de
manière autonome conformément à ses
intérêts de classe, rejetant la tutelle
révisionniste et réformiste. C'est justement
possible aujourd'hui, et c'est là une des composantes
et non des moindres, de la crise d'aujourd'hui.
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