manifeste pour le socialisme
(suite de la troisième partie -Demain le socialisme-)

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(suite) troisième partie -Demain le socialisme-

QUELQUES POINTS DE REPERE
POUR UNE ÉCONOMIE
SOCIALISTE

Chapitre 1

 

ROMPRE AVEC L'IMPÉRIALISME

 

..... Au moment où mûrissent les conditions politiques de la révolution, où les aspirations au changement de société se frayent un chemin, certes difficile mais irrésistible, vers le socialisme, les conditions économiques d'une édification rapide de ce monde nouveau sont pleinement réunies. En fait elles le sont depuis longtemps, depuis que le capitalisme a atteint toute sa maturité en prenant la forme de l'impérialisme, depuis la première guerre mondiale au moins. La bourgeoisie en divisant le peuple, en le réprimant, en faisant pénétrer son idéologie dans les organisations mêmes de la classe ouvrière a réussit à retarder le moment qui lui sera fatal. Mais de chacune des crises qui jalonnent son histoire elle n'est parvenue à sortir qu'en rendant un peu plus inextricable l'écheveau des contradictions qui minent son pouvoir .

..... Rompre avec le capitalisme, avec la logique du profit est aujourd'hui plus que jamais une nécessité pour redonner à la production un cours ascendant, pour vaincre tous les blocages qui débouchent sur le gaspillage, le parasitisme que secrète chaque jour le capitalisme, pour permettre la véritable satisfaction des besoins sociaux. A l'époque de la crise générale de l'impérialisme, rompre avec le capitalisme c'est briser tous les rapports impérialistes qui enserrent l'économie nationale dans le marché mondial, les rapports de domination de l'impérialisme français sur sa zone d'influence comme ses rapports de dépendance vis-à-vis des autres impérialismes car tous ces rapports constituent une unité indissociable. L'escroquerie du PCF consiste justement à prétendre conduire la France sur la voie du socialisme sans remettre en cause effectivement le caractère impérialiste de l'économie française mais en offrant au contraire pour perspectives aux nationalisations d'élever la compétitivité des productions françaises et de favoriser la spécialisation dans les produits de "haut de gamme", ce qui s'inscrit directement dans l'effort de la bourgeoisie au pouvoir. La divergence entre PCF et les capitalistes actuels réside dans la façon d'atteindre ce résultat: par une nationalisation large de l'économie disent les dirigeants du PCF qui se voient déjà dans leur rôle de "nouveaux bourgeois" alors que l'équipe en place s'accroche aux vieux remèdes traditionnels de la politique économique de l'entre-deux guerres.
..... Mais pour les masses la perspective n'est pas de choisir entre différentes variantes de capitalisme, mais de lutter pour le socialisme qui, sur la base du pouvoir populaire, peut seul assumer la marche vers la satisfaction complète des besoins sociaux, vers la réduction de tous les écarts au sein de la société et conduire au terme d'une longue lutte à l'édification du communisme.

..... Un aspect essentiel de la rupture avec le caractère impérialiste de la société française consiste à mettre au poste de commande dans l'édification du socialisme la politique de compter sur ses propres forces. Cela signifie que le socialisme doit se construire en s'appuyant principalement sur toutes les ressources nationales, qu'il s'agisse des matières premières, de l'énergie, et en développant la production de tous les biens nécessaires pour la consommation des masses comme pour le fonctionnement de l'économie. Aller, à contre-courant de la spécialisation internationale poussée à l'extrême par l'impérialisme est une nécessité vitale car le maintien de la dépendance qui résulte de cette spécialisation serait la base sur laquelle les pays impérialistes de l'Ouest comme de l'Est appuieraient leurs pressions pour faire obstacle au développement du socialisme, serait une source permanente d'ingérence impérialiste dans les affaires de la France socialiste. Il faut que les travailleurs, producteurs des richesses, acquièrent la maîtrise du développement de l'économie. Ce n'est ni à New-York, ni à Moscou ni à Rome que le choix de ce qu'il faut produire, de la façon de produire peut s'élaborer mais au sein des organisations de base du pouvoir populaire. Dans l'univers impérialiste où règne la loi du plus fort un tel objectif est incompatible avec le maintien de la dépendance actuelle.
..... Compter sur ses propres forces c'est aussi modifier radicalement la logique qui guide la production. Alors que le capitalisme produit pour vendre et faire du profit, qu'avec l'impérialisme cela se traduit par la logique de produire pour exporter, le socialisme s'assigne de satisfaire nos besoins sociaux. Aussi les échanges extérieurs ne peuvent constituer qu'un aspect secondaire de l'activité économique, subordonné à la mise en valeur de toutes les ressources nationales, limité aux ressources absentes du territoire national et qu'aucun autre produit ne peut remplacer.
..... Ces échanges, limités, ne peuvent être durablement établis que sur la base des principes d'égalité et d'avantage réciproque. C'est bien sûr vers les autres pays socialistes et nombre de pays du Tiers-Monde que s'orienteront prioritairement les échanges.

..... Mais une telle politique est-elle possible dans un pays économiquement développé comme la France ? Sa situation actuelle de dépendance ne fait-elle pas justement obstacle à cet effort d'autonomie dans la construction du socialisme ? N'est-ce pas un retour en arrière ? On trouve là l'influence de la vieille idée selon laquelle le socialisme ne serait bon que pour les pays pauvres.

..... La nécessité de mettre en oeuvre ce principe de compter sur ses propres forces peut se présenter de façon très brutale au cas où au lendemain de la révolution socialiste une coalition de pays impérialistes organiserait le blocus économique de la jeune France socialiste. Une telle hypothèse doit être envisagée sérieusement tant il est certain que la bourgeoisie mondiale ne se résignera pas plus que la bourgeoisie française à l'établissement d'un pouvoir révolutionnaire en France et ripostera par tous les moyens dont elle disposera compte tenu de l'état des rapports de force internationaux.

..... A l'inverse des économies des pays du Tiers-Monde, celle de la France est caractérisée par de grandes faiblesses dans le développement des "productions primaires" c'est-à-dire des matières premières et de l'énergie et par contre par un développement très poussé des produits manufacturés, notamment des biens d'équipements. Cela ne résulte pas des "conditions naturelles" mais du caractère impérialiste de la division internationale du travail, de la spécialisation des productions à l'échelle internationale.

..... Substituer aux importations d'énergie et de matières premières l'exploitation des ressources nationales constitue donc un élément décisif de l'édification économique du socialisme dans les premières années et notamment dans la phase d'un éventuel blocus. Si l'on se réfère aux résultats dérisoires des efforts de la bourgeoisie pour atténuer la dépendance énergétique actuelle maintenant que les producteurs de pétrole résistent aux pressions impérialistes, il parait utopique d'espérer aboutir à une autosuffisance énergétique rapide. Mais cela ne vaut pas car, conformément à sa nature, le capitalisme ne peut mettre en oeuvre une politique énergétique que sur la base des critères de rentabilité et de profit. Or ceux-ci aboutissent à laisser inexploitées de nombreuses sources énergétiques nouvelles ou anciennes. La logique du socialisme est tout autre: la priorité est politique. Pour donner au socialisme une base économique indépendante toutes les ressources énergétiques seront sollicitées.

..... Aujourd'hui les 3/4 de l'énergie sont importés et le pétrole constitue les 2/3 de ce qui est consommé en France. Cela résulte de la politique du "tout-pétrole" développée à la fin des années 50 qui s'est traduite par l'arrêt de l'équipement hydraulique de la France, par la politique de liquidation des charbonnages et par le blocage de la mise en oeuvre des énergies nouvelles (géothermie ou énergie solaire par exemple). En fait la France peut acquérir en quelques années son autonomie énergétique complète.

..... En premier lieu la consommation globale d'énergie peut être diminuée à court terme par la suppression de nombreux gaspillages liés à l'anarchie de la production capitaliste et au développement d'activités parasitaires. Quand on sait que les transports engloutissent un cinquième de l'énergie totale et que le "tertiaire" en consomme 17 % on imagine les économies d'énergie qu'il est possible de réaliser par le réaménagement du territoire et par ses conséquences sur les transports ainsi que par l'élimination progressive des activités "tertiaires" liées au pourrissement de la société actuelle.

..... D'autre part cette autonomie peut être atteinte en développant massivement les sources d'énergies nationales. La prise en main par les masses de cette tâche, dont l'enjeu politique doit être rendu clair, par un large débat sur l'édification des bases économiques du socialisme, pour permettre de réaliser ce que la bourgeoisie, avec son point de vue borné par le profit, considère aujourd'hui comme impossible. Prenons des exemples.

..... En 1952, l'EDF estimait qu'il était possible de produire 75 milliards de kWh à partir des importantes ressources hydrauliques de la France. Actuellement, plus de 20 ans après, l'EDF n'en produit que 50 milliards. De plus des évaluations récentes prouvent qu'en exploitant toutes les ressources disponibles, c'est 100 milliards, c'est-à-dire le double de la production actuelle, qu'il est possible d'obtenir. Construire des milliers de petits barrages "au fil de l'eau" de quelques kWh, voilà qui est inconcevable aujourd'hui mais que les masses peuvent réaliser.

..... Autre exemple: la production charbonnière, condamnée par le capitalisme alors qu'il existe l'équivalent de 30 années de la consommation actuelle, sous terre, sur la base des gisements prospectés. Les réelles difficultés d'extraction du charbon notamment dans le Nord-Pas de Calais ne servent aux Houillères qu'à justifier la récession charbonnière tout en imposant aux mineurs l'aggravation de leur exploitation. la nouvelle politique bourgeoise du "tout électrique" fondée sur son programme nucléaire, entraîne, dans sa logique, le refus d'une véritable relance charbonnière. Ici aussi les masses, déployant leur énergie pour répondre aux besoins d'ensemble de la société tout en apportant toute leur attention aux exigences particulières des mineurs liées au travail du charbon, peuvent résoudre les problèmes posés par une large relance de la production charbonnière. La lorraine, riche en charbon à coke nécessaire à la sidérurgie, disposant de réserves évaluées à 800 millions de tonnes, peut apporter une contribution importante. Les petits gisements "en découverte" du Midi peuvent fournir à court terme un appoint substantiel à la production charbonnière. Mais la mise en exploitation de nombreuses réserves parfois importantes comme dans le Jura (200 millions de tonnes de charbon cokefiable) ou plus limitées comme dans la Creuse, la Nièvre, l'Allier... apportera non seulement des compléments utiles mais encore constituera aussi un facteur d'industrialisation locale qui favorisera le réaménagement du territoire et la réduction des différences entre ville et campagne.

..... De plus une large prospection, s'appuyant sur une large mobilisation des masses et sur l'emploi des techniques les plus modernes disponibles, permettra sans aucun doute de découvrir d'autres petits gisements.

..... Les ressources géothermiques aujourd'hui pratiquement inexploitées sont importantes puisque, sur la base d'un repérage très peu systématique, on estime que cette énergie peut fournir à court terme chaque année l'équivalent de 10 millions de tonnes de pétrole (un dixième de la consommation totale) et atteindre l'équivalent de 40 millions de tonnes de pétrole par l'exploitation des différents gisements connus. Cette énergie bien adaptée au chauffage des logements mais qui peut également servir à la production d'électricité est très économique. La mise en place des installations qui font appel à l'équipement d'exploitation pétrolière pourra être réalisée progressivement et apporter au bout de quelques années une substitution importante pour le chauffage urbain.

..... Mais qu'en sera-t-il du pétrole ? Les ressources nationales connues sont pratiquement nulles alors que l'on consomme plus de 100 millions de tonnes par an. L'arrêt des importations de pétrole pourrait être compensé assez rapidement par la substitution d'autres sources d'énergie à un grand nombre d'emplois: la production d'électricité thermique (actuellement 15 millions de tonnes de pétrole), le chauffage domestique (31 millions de tonnes). Mais il reste un certain nombre d'usages pour lesquels une énergie de substitution est difficile à mettre en oeuvre : c'est d'une part le cas des carburants (20 millions de tonnes) et du pétrole comme matière première pour la pétrochimie (8 millions de tonnes). En ce qui concerne l'emploi du pétrole comme carburant, il faut souligner que d'importantes économies résulteront d'une part d'une meilleure organisation de l'activité sur le territoire qui réduira les besoins de transport et d'autre part, le remplacement dans de nombreux cas des transports routiers par d'autres modes de transport et notamment par le train, permettant de réduire considérablement la consommation d'énergie. Notons par exemple qu'une tonne de marchandise transportée dans des trains complets consomme 4 à 5 fois moins d'énergie que par camion.
..... Il reste que les besoins irréductibles de pétrole subsisteront pendant toute une période. Un effort devra donc être fait pour produire du pétrole, même en petite quantité. Toutes les possibilités seront exploitées: ressources nationales de pétrole, schistes bitumineux (en bordure du bassin parisien notamment) et pétrole de synthèse. Les ressources en schistes bitumineux évaluées à l'équivalent d'un milliard de tonnes de pétrole rien que pour les gisements du bassin parisien prouvent que s'il subsiste des problèmes technologiques et écologiques à résoudre, il est tout à fait faux de dire que la France n'a pas de pétrole...

..... Si le problème de l'énergie est le problème le plus épineux parmi tous ceux que l'impérialisme léguera en héritage à la société socialiste, il existe également des difficultés pour certaines matières premières minérales ou agricoles.

..... La reconversion des hauts fourneaux actuels permettra de réutiliser la minette Lorraine à la place des minerais de fer importé. Pour l'aluminium il n'existe pas de difficultés particulières étant donné les gisements nationaux. Par contre pour le cuivre et la plupart des autres métaux non ferreux, les ressources nationales sont nulles ou très faibles. C'est pourquoi dans ce domaine, il faudra d'une part améliorer la récupération des déchets (actuellement un tiers de la consommation de cuivre est couverte par cette récupération), développer la substitution (par exemple la substitution de l'aluminium au cuivre), enfin pousser plus loin la prospection des ressources nationales.
Dans le domaine des produits agricoles, ce sont principalement les produits d'origine tropicale (café, cacao...) et le coton que le climat tempéré de la France ne permet pas de produire.

..... D'autres restructurations de la production seront nécessaires pour s'adapter à la rupture des échanges de produits manufacturés. Globalement cela ne devrait pas poser de problèmes puisque les capacités de production de ces biens excèdent les besoins. C'est même un excédent qui se trouvera dégagé. Mais, compte tenu de la spécialisation qu'entraîne le développement impérialiste, pénuries pour certains produits (par exemple les machines outils) cohabiteront avec des capacités de production excédentaires (l'automobile par exemple). Bien souvent ces déséquilibres apparaîtront non seulement pour des produits mais aussi pour des pièces détachées, des éléments partiels de produits finis. Si toutes les pompes à gaz-oil sont aujourd'hui importées d'Allemagne il ne servirait à rien de vouloir construire des camions sans avoir résolu le problème de la fabrication en France de ces pompes !

..... On voit donc que les problèmes posés par l'accession à l'indépendance dans le domaine des matières premières et de l'énergie sont importants. Leur résolution suppose en premier lieu un effort d'adaptation de l'appareil de production pour tenir compte des changements de sources d'énergie, de qualité des matières premières etc.

..... Il faut également développer considérablement la production de ressources premières nationales ce qui suppose de produire massivement certains biens d'équipement nécessaires à cette production :turbo-alternateurs pour les installations hydrauliques, équipement de forage et tubes pour la géothermie, usines de traitement pour les schistes bitumineux.

..... Mais face à ces problèmes, le pouvoir populaire ne sera pas sans arme. En premier lieu, il y a la principale force productive: l'homme, le travailleur, en train de se libérer de la soumission au capital qui lui était imposée, dont l'énergie créatrice sera libérée pour la lutte entre l'ancien et le nouveau, rapportant son action à l'enjeu politique de cette lutte: édifier le socialisme. C'est sur les travailleurs que repose cette formidable transformation de la société et notamment de l'économie.

..... Tout le savoir accumulé par les travailleurs dans la production, que la division du travail rendait stérile, pourra se libérer dans la collectivité de l'atelier ou de l'usine. Les techniciens que le prolétariat aura su gagner à sa cause au cours même de la révolution apporteront leurs connaissances à la collectivité et contribueront à former les nouvelles générations de techniciens issus des masses.

..... Car dans la société que nous léguera l'impérialisme, les masses trouveront des instruments de production modernes et puissants mais qu'il faudra domestiquer pour qu'ils servent leurs nouveaux maîtres.

..... Il faudra recomposer les équipements existants pour réaliser de nouvelles productions, les adapter à leurs nouveaux usages selon les priorités qui seront dégagées par la collectivité.

..... Dans sa rupture avec l'impérialisme, la nouvelle société modifiera radicalement le but de la production. Il ne s'agira plus de produire pour exporter. Il ne s'agira plus non plus de produire pour vendre le plus possible mais pour satisfaire le mieux possible les besoins. Cela signifie une transformation radicale du point de vue dans la conception des produits. Alors qu'aujourd'hui les capitalistes veillent à ne pas produire des objets trop solides ce qui les priverait ensuite de client, la société socialiste, économe du travail comme des matières premières, s'emploiera à élever la qualité des produits, leur longévité, portera attention à ce que les produits soient bien adaptés aux besoins des masses.

..... De même, les entreprises capitalistes produisent constamment des modèles nouveaux pour certains produits (par exemple dans l'automobile ou l'électro-ménager) non pas pour améliorer le service que rendent ces produits mais pour amener -à coup de publicité- les consommateurs à renouveler leurs achats le plus vite possible.

..... La recherche technique pour l'amélioration de la qualité des produits sera prise en charge à l'échelle de tout le pays, en s'appuyant sur l'enquête auprès des consommateurs. Les secrets de fabrication, expression de la propriété privée, disparaîtront et pourront se développer de larges échanges d'expériences sur les méthodes de production les plus économes de travail et de matières premières.
..... De l'ensemble de ces efforts, résultera pour la société tout entière une immense économie de forces productives et pour chacun l'amélioration de la satisfaction de ses besoins.

Chapitre 2

LES CONTRADICTIONS VILLE-CAMPAGNE

..... Parmi les grandes tâches que les masses auront à résoudre pour l'édification de la société socialiste, celle de la résolution des contradictions entre la ville et la campagne, entre l'industrie et l'agriculture, entre la classe ouvrière et la paysannerie est une des plus urgentes.

..... Sur le plan politique, il s'agit de consolider l'alliance qu'ouvriers et paysans pauvres commencent à construire dans le combat pour la révolution socialiste. Dans la phase d'édification du socialisme, il faut donner à cette alliance une base objective qui, au lieu de creuser l'écart entre les deux forces révolutionnaires, rapproche au contraire leurs pratiques, leurs points de vue, sous l'impulsion de la classe ouvrière.

..... Sur le plan économique, la résolution progressive de cette contradiction a deux faces indissociables: supprimer le gonflement parasitaire des villes, et développer le reste du territoire. D'autre part, les transformations qu'il sera nécessaire de réaliser concernent à la fois l'industrie, l'agriculture et le secteur "tertiaire" si développé aujourd'hui dans les villes et notamment à Paris. La différence entre la ville et la campagne est le point où viennent se cristalliser un grand nombre de problèmes que la société socialiste doit résoudre.

..... La notion de tertiaire est très floue: elle désigne toutes les activités qui ne sont ni l'industrie, ni l'agriculture. Avec 11 millions de personnes, soit plus de la majorité de tous les "actifs" (salariés ou non), cette catégorie regroupe aussi bien le commerce, l'artisanat, l'administration, les services de santé et les PTT, les services financiers, ...
..... La croissance très rapide de ces activités depuis la seconde guerre mondiale est la manifestation du pourrissement de l'impérialisme, car si un certain nombre de ces activités sont utiles pour satisfaire les besoins sociaux, beaucoup d'autres ne sont que le produit de la nature capitaliste de notre société, de son développement parasitaire.

..... La décentralisation de l'activité économique et du pouvoir politique, les transformations de certaines institutions comme les impôts ou la Sécurité Sociale, conduiront à une réduction importante du poids de l'administration qui emploie aujourd'hui près de 4 millions de personnes. La transformation du système de santé qui débouchera notamment sur une médecine gratuite aura pour conséquence d'alléger considérablement la très lourde institution de la Sécurité Sociale qui emploie plus de 200 000 personnes -sans compter tous les emplois administratifs dans les hôpitaux occupés à remplir de multiples papiers. De même la modification du système des impôts (par exemple le remplacement de l'impôt sur le revenu par un prélèvement sur la production de l'entreprise pour tous les travailleurs de l'industrie) peut permettre d'alléger considérablement l'administration des impôts qui emploie près de 100 000 personnes...
..... Enfin, dernier exemple, une multitude de tâches de gestion sont actuellement centralisées, bureaucratisées et seront demain assumées localement au sein même des organisations de base du pouvoir. De telles transformations briseront le rapport oppressif que l'administration fait peser sur les masses.
..... Plus d'un million de personnes travaillent dans les services financiers, juridiques, immobiliers qui sont les prolongements du capital industriel et autant dans les bureaux des entreprises. Si une part de ces activités correspond à des tâches utiles (comptabilité et paie des salariés, services d'achat et de vente...) la simplification administrative, la lutte contre la bureaucratie allègera sensiblement le travail requis par ces tâches. D'autre part un certain nombre de ces services disparaîtront complètement. C'est le cas de la publicité, de services financiers uniquement liés à la propriété privée, des sociétés immobilières... Enfin le système bancaire étant complètement réorganisé par la suppression du réseau de guichets publics au profit des services bancaires des P.T.T. et par la concentration sur la banque d'Etat de toutes les transactions financières liées à l'activité économique, la concurrence entre banques disparaîtra et avec elle le gaspillage qui en résulte.

..... Si le pouvoir socialiste est fondé à opérer rapidement la transformation des structures administratives, faute de quoi le pouvoir des masses risquerait d'être compromis par la pesanteur rétrograde de l'administration, il faut que les conséquences de ces transformations sur la situation des employés concernés soient clairement débattues dans leurs organisations. En ce domaine comme dans tous les autres, les choses ne peuvent avancer à coups de décrets venant d'en haut, car ce qui est en jeu ici c'est la participation active, consciente de la masse des employés, aujourd'hui rouages anonymes de l'immense machine bureaucratique, à la reconstruction d'une administration servant les intérêts de l'édification du socialisme.

..... Si certains cadres devront sans doute être ménagés, dans la mesure où leur savoir technique est utile et tant que les travailleurs n'auront pas assimilé ce savoir, un très grand nombre d'entre eux seront fermement invités comme tous les parasites bourgeois à aller réanimer par leur travail les régions que le développement du capitalisme a vidées de leur substance.

..... Le poids de tous les services administratifs, publics ou privés, dans l'activité concentrée dans les grandes villes -et notamment Paris, se trouvera donc réduit d'une part en raison de l'allègement de tes services et d'autre part par la décentralisation de ces activités; cela apportera une contribution positive à la politique de désengorgement des villes et donc à la solution des écarts entre ville et campagne.

..... Le retour au pays, au village où des millions de citadins d'aujourd'hui sont nés et dont ils ont été chassés par le chômage, permettra progressivement de désengorger les grandes villes. D'autre part, le rétablissement au sein même des grands centres des activités productives qui ont été étouffées par le développement des bureaux permettra de reconstituer une véritable vie sociale dans les quartiers qui sera encore favorisée par un effort pour réaliser, sur la base de la réanimation des quartiers, le rapprochement entre domicile et travail. C'est non seulement l'élimination de tous les gaspillages de temps et de richesses que cette restructuration des villes permettra, mais aussi la possibilité de constituer de véritables collectivités qui pourront prendre en charge leurs affaires.

..... Si la résolution de la contradiction entre ville et campagne suppose de profondes modifications des villes, elle repose surtout sur la transformation des campagnes: transformation de l'agriculture et industrialisation de l'espace rural.

..... L'agriculture actuelle doit être révolutionnaire tant sur le plan de sa production que sur celui de son organisation sociale.

..... Les grands domaines des paysans capitalistes et des propriétaires fonciers seront immédiatement collectivisés devenant propriété d'Etat et exploités par les anciens ouvriers agricoles, par des paysans pauvres n'ayant pas assez de terre pour vivre. Les anciens exploitants, s'ils acceptent le rôle dirigeant des ouvriers agricoles et des paysans pauvres, pourront être associés à l'exploitation de ces terres. La gestion de ces fermes d'État devra sur un grand nombre de questions être prise en charge par les organisations de base locales du pouvoir socialiste.
..... Le caractère avancé de cette forme d'organisation de l'agriculture constitue un stimulant à la socialisation d'ensemble de l'agriculture.

..... Car si la collectivisation du petit nombre de grandes exploitations accaparant une partie importante de la superficie agricole totale ne soulève pas de grandes difficultés, la transformation de l'agriculture doit résoudre surtout le problème des paysans pauvres qui n'emploient aucun salarié, qui ont tout juste aujourd'hui de quoi subsister et qui sont constamment acculés à la misère, à l'exode. Un décret de collectivisation des exploitations de ces paysans serait doublement erroné. En premier lieu parce qu'ils restent attachés à leur petite propriété qui leur semble, à tort, une garantie d'indépendance. A tort parce qu'aujourd'hui le capital parvient à se soumettre le travail des paysans par les contrats, par les prix, par le crédit, sans toucher à la propriété formelle du petit paysan. Mais, c'est dans la pratique, par l'expérience qu'il faut convaincre ces paysans que la socialisation de l'agriculture constitue bien la véritable issue pour eux.

..... La collectivisation forcée, que la bourgeoisie s'emploie à présenter comme le projet des communistes pour détourner les paysans pauvres de l'alliance avec la classe ouvrière, serait aussi une erreur économique. En effet des rapports de production socialistes fondés sur la propriété sociale n'ont de sens que si les forces productives ont elles mêmes acquis un caractère social. Ce qui n'est pas le cas de la petite production parcellaire.

..... Pour ces deux raisons la socialisation de la petite production agricole doit se réaliser par étapes, par le développement de la coopération entre paysans: mise en commun de certains instruments de production, exploitation en commun des terres. Dans les organisations de base du pouvoir le débat sur les transformations socialistes de la campagne sera impulsé par les ouvriers pour que les idées fausses léguées par la société capitaliste soient combattues en profondeur en s'appuyant sur les expériences les plus avancées de socialisation, sur les avantages qu'elles apportent aux paysans qui y participent.

..... Sur le plan de la production de grands efforts devront être faits pour que la production de la campagne et notamment celle de l'élevage fournisse des produits de qualité. Alors que dans la société capitaliste la bataille des rendements imposée par la concurrence débouche sur la baisse de qualité des produits, l'agriculture socialiste devra progressivement reconstruire toutes les chaînes alimentaires.

..... La recherche agronomique sera développée sur de nouvelles bases, prenant pour axe de produire dans les meilleures conditions des produits de qualité.

..... La baisse des rendements qui pourra en résulter sera largement compensée, au fur et à mesure du développement de la coopération socialiste, par une meilleure efficacité des équipements agricoles et de l'emploi des hommes.

..... Cette lutte pour produire des biens agricoles satisfaisant mieux les besoins alimentaires ne pourra être menée par les paysans qu'en rapport étroit avec les masses, notamment des ouvriers, par des enquêtes auprès des consommateurs. C'est surtout dans le domaine de l'élevage, de la production viticole et fruitière, des produits maraîchers que les plus grands progrès sont à faire.

..... L'autre aspect de la transformation socialiste des campagnes est l'industrialisation de l'espace rural. Le dépeuplement des campagnes et l'hypertrophie des villes ne peuvent être combattus que par une profonde redistribution de l'industrie dans le territoire national.
..... La résolution de la question de l'énergie et des matières premières, qui est une des conditions de l'indépendance de la France socialiste, sera un facteur de la décentralisation industrielle. Car, autour des multiples centres de production de ces produits, des industries de transformation peuvent se développer ce qui permettra par ailleurs de substantielles économies de transport.
..... La décentralisation sera aussi guidée par la volonté de répondre pleinement au mot d'ordre des masses "vivre et travailler au pays" et par le souci de permettre à ceux qui ont dû émigrer dans les villes de retourner au pays. Cet objectif rencontre celui d'implanter chaque fois que c'est techniquement possible des unités de production industrielle de petite taille à proximité des lieux de consommation. Un grand nombre de produits d'usage courant, notamment ceux nécessaires à l'agriculture peuvent ainsi être produits dans des usines installées au niveau de l'arrondissement ou du département. Une telle répartition, outre les économies de transport, permet un allègement des tâches de commercialisation et une meilleure adaptation quantitative et qualitative aux besoins. Enfin elle renforce les liens entre ouvriers et paysans par le rapprochement des activités agricoles et industrielles, qui se traduit par la présence côte à côte des ouvriers et des paysans dans les organes du pouvoir local.

Chapitre 3

LES TRAVAILLEURS MAÎTRES DE LA PRODUCTION

 

..... Apprécier le rapport entre le juste effort que les travailleurs doivent déployer dans une tâche pour contribuer à l'édification du socialisme et la juste satisfaction de leurs besoins, revient en somme à évaluer sur chaque cas le rapport entre l'intérêt général et chaque intérêt particulier. Il ne saurait évidemment y avoir de règles édictées une fois pour toute, sinon que les intérêts particuliers ne peuvent être durablement satisfaits que si l'intérêt général est pleinement pris en compte.

..... C'est le débat qui sera à la base de toutes les décisions que les travailleurs prendront sous le socialisme pour améliorer la situation matérielle des travailleurs, leur place dans la production.

..... Comme nous l'avons plusieurs fois souligné le socialisme fera un bon usage des forces productives, aujourd'hui gaspillées par l'impérialisme. Cela est vrai en premier lieu en ce qui concerne l'emploi. Car sous le socialisme, le chômage, cette tare indélébile du capitalisme est inconcevable. Laisser chômer un travailleur cela signifierait non seulement lui faire supporter une situation personnelle précaire et misérable mais aussi priver la société des richesses qu'il est en état de produire.

..... En réalité, la question qui vient à l'esprit n'est plus: "y aura-t-il du chômage dans une société socialiste ?" Mais au contraire "ne manquera-t-on pas de bras ?".
..... Le problème se pose d'autant plus que, nous l'avons dit, il est nécessaire de réduire la durée du travail pour permettre aux travailleurs d'exercer effectivement le pouvoir, pour disposer du temps nécessaire à l'étude, à l'enquête, aux discussions politiques. Semaine de 30 heures, 35 heures ? Ce sera aux masses d'en débattre en tenant compte de tous les aspects du problème.
..... En réalité les facteurs permettant de libérer des capacités de travail nouvelles sont nombreux.
..... En premier lieu la suppression totale du chômage représente déjà un accroissement considérable des forces de travail disponibles si l'on songe qu'aujourd'hui le nombre de chômeurs représente le quart de l'emploi dans l'industrie. Donner du travail à tous les chômeurs suffit à compenser la réduction d'activité qui accompagnerait le passage à la semaine de 30 heures ou 35 heures par exemple.
..... Tous les oisifs, tous les parasites qui vivent du travail des autres seront contraints de travailler. Contraints par le fait que l'instrument de leur enrichissement leur aura échappé et que comme tout le monde ils devront travailler pour vivre. Contraints aussi par la pression du pouvoir politique des masses.
..... D'autre part la suppression progressive d'activités parasitaires dans le tertiaire dégagera des forces supplémentaires pour la production.
..... Enfin le changement profond dans l'organisation du travail productif et la modification du point de vue des travailleurs sur le rôle de leurs efforts, transformeront qualitativement la vie de travail et lui donneront une efficacité nouvelle. Car, dès le début, les masses mettront en oeuvre leur pouvoir fraîchement conquis sur la bourgeoisie, et dans le but de le consolider devront s'attaquer fermement à la réduction des écarts entre travail manuel et travail intellectuel, entre travail d'organisation, travail de conception et travail d'exécution. Les profondes divisions que le capitalisme a créées dans ce domaine, qui sont la manifestation des rapports de production capitaliste dans l'organisation du travail, deviennent dans la société socialiste des freins au développement social et économique. Les travailleurs dirigeront leurs usines; cela signifie qu'ils prendront en mains aussi bien la répartition du travail entre les différentes équipes d'ouvriers que la fixation des normes de travail pour chaque poste. Mais cela signifie aussi que des travailleurs seront choisis par leurs camarades, selon leurs compétences et aussi selon la détermination qu'ils manifestent à servir les intérêts des masses, pour prendre en charge la fixation des objectifs de production, la conception des produits à réaliser pour satisfaire les besoins et les innovations améliorant les équipements de production et les adaptant aux besoins. Révocables à tout moment par ceux qui les ont choisis, continuant à participer régulièrement au travail productif, menant des enquêtes sur la marche de la production, sur les difficultés rencontrées, ils feront tomber toutes les barrières qui séparent les travailleurs de leur propre travail.
..... Saisissant dans son ensemble le processus de la production tant sur le plan technique que social, chaque ouvrier ne sera plus cantonné dans l'horizon limité des tâches de détail de son propre travail; il pourra rapporter son effort à celui de la collectivité de l'atelier de l'usine et au-delà de la société toute entière.
..... Sur le plan de la production il en résultera une efficacité du travail inconcevable dans la société capitaliste, sans que celle-ci provienne d'une surexploitation des ouvriers mais au contraire parce que l'exploitation aura disparu et que le travail, s'il n'est pas source de satisfaction directe des besoins pour les travailleurs, l'est par l'intermédiaire de la satisfaction des besoins sociaux qui conditionnent la réponse aux aspirations de chacun.
..... Sans conduire à un égalitarisme absolu qui ne reflèterait pas la réalité des différences qui subsistent sous le socialisme entre travailleurs, la politique des salaires visera à réduire fortement les écarts. Tout d'abord les travailleurs qui seront responsables de la gestion de l'usine et qui remplaceront les actuels cadres dirigeants garderont le salaire qu'ils avaient avant d'être choisis par leurs camarades. C'en sera fini des salaires de directeur qui sont souvent plus de dix fois supérieurs à ceux des ouvriers. D'autre part les critères de fixation des niveaux de salaire individuels, débattus par les travailleurs eux-mêmes, seront profondément bouleversés et joueront sur des fourchettes limitées. Ces critères mettront en jeu notamment l'expérience de chaque ouvrier, la pénibilité de son travail.

..... Alors que le capital prend plus de soin de ses machines que de la santé des travailleurs qu'il emploie, que chaque modernisation des procédés de production est l'occasion d'un renforcement de l'exploitation, la logique du socialisme sera tout autre. Le "capital" le plus précieux c'est l'homme. De nombreuses transformations du processus de production et des machines employées devront être mises au point par les travailleurs pour alléger leur peine pour améliorer la sécurité et l'hygiène du travail. Cela est particulièrement important pour les travaux dangereux comme ceux des mines, du bâtiment ou de la sidérurgie. Un grand effort devra également être fait pour réduire au maximum les besoins du travail "en feux continus" qui mine la santé des travailleurs. L'institution de 5 équipes est une mesure minimale en ce domaine.
..... Les profondes restructurations de l'économie que rend nécessaires la rupture avec son caractère impérialiste actuel devront être réalisées en réduisant au maximum le déplacement des travailleurs. D'abord parce que cela est conforme à l'aspiration de vivre et travailler au pays. Ensuite parce que cela va dans le sens de l'économie: déplacer les travailleurs, cela signifie devoir construire de nouveaux logements, de nouveaux équipements sociaux alors que dans le même temps d'autres sont laissés à l'abandon. Enfin parce que les équipements productifs existant sur place serviront de base à la restructuration des activités.
..... La planification socialiste c'est le moyen de la maîtrise sociale du développement économique. Elle repose sur la propriété sociale des moyens de production mais ne se réduit pas à cela. Condition nécessaire mais non suffisante.
..... Condition nécessaire car, tout le prouve, la propriété privée des moyens de production fait à chaque instant obstacle au développement de la production, à son développement équilibré, à sa finalité sociale. La planification socialiste n'a donc rien à voir avec la "planification" actuelle qui n'est qu'un moyen limité pour la bourgeoisie d'orienter le développement du capital.

..... Condition non suffisante comme en atteste. aujourd'hui la restauration du capitalisme en URSS, alors que formellement les moyens de production restent propriété collective, comme en attestent aussi les projets de nationalisations larges du PCF, qui visent à créer un très large secteur de propriété d'État alors même que la finalité de l'économie actuelle, le profit, la concurrence, l'exploitation, ne sont pas remis en cause. Dans ces conditions la "planification démocratique" prônée par le PCF ne sera qu'une forme d'organisation supérieure de la reproduction du capitalisme.
..... Pour conduire effectivement à la maîtrise sociale du développement économique la planification socialiste doit s'appuyer sur la propriété sociale des moyens de production, ce qui constitue la transformation de la base des rapports de production, et sur le pouvoir politique des masses, qui représente le facteur déterminant de la révolution des superstructures (Etat, système politique...). Il faut marcher sur deux jambes.
..... Dans ces conditions les aspects techniques de la planification socialiste (établir les "grands équilibres" entre production et consommation, entre secteurs de la production sociale, entre consommations et accumulations...) ne constituent qu'un élément subordonné de la pratique de la planification, subordonné à la politique, à l'exercice du pouvoir des masses !

..... Si la propriété sociale des moyens de production de l'agriculture ne peut être établie immédiatement sur l'ensemble de ces moyens en raison de l'état encore très parcellaire de beaucoup des exploitations agricoles, il en est tout autrement pour l'industrie et ses dépendances financières (banques, services financiers...). L'ensemble des moyens de production des entreprises industrielles capitalistes, y compris les PME, seront nationalisés immédiatement par le pouvoir socialiste. Le grand nombre de PME (plusieurs centaines de mille) et leur petite taille ne font pas obstacle à leur nationalisation car aujourd'hui elles sont pour leur plus grand nombre directement dépendantes des grandes entreprises. D'autre part l'exploitation féroce des travailleurs dans une PME rend nécessaire cette nationalisation.
..... Il ne peut en effet y avoir deux poids deux mesures pour les travailleurs, certains s'engageant dans le bouleversement des rapports de production les autres étant condamnés à subir encore l'exploitation capitaliste !

..... Ces nationalisations seront faites bien sûr sans indemnisation des actionnaires. Cela est une mesure de simple justice et une mesure de précaution. De simple justice car d'où vient le capital que possèdent les exploiteurs sinon du travail qui a été approprié par les capitalistes ? De précaution car l'indemnisation donnerait aux capitalistes expropriés des moyens financiers qu'ils ne manqueraient pas d'utiliser pour saboter l'édification du socialisme, pour se dispenser de travailler en vivant sur leur fortune.
..... Bien évidemment l'ensemble des activités financières seront nationalisées et profondément réorganisées sur la base de la simplification et de l'unification des circuits financiers. Il en sera de même de tous les "services aux entreprises" (bureaux d'étude, services informatiques, conseil juridique...) dont beaucoup seront supprimés et d'autres regroupés dans des établissements publics.

..... Pour tous les secteurs d'activités qui ne seront pas immédiatement nationalisés une extrême vigilance devra être apportée à leur socialisation progressive, à l'élimination complète de tout rapport d'exploitation.
..... Si la propriété collective des moyens de production ne constitue que la base de la planification socialiste c'est parce que la logique qui guidera l'emploi de ces moyens de production est l'affaire du constant débat politique dans les masses sur l'édification du socialisme, débat qui constitue le facteur dirigeant de cette planification. Sur le plan économique l'édification du socialisme a pour axe général la satisfaction maximum des besoins sociaux. Pour y parvenir il faut saisir dans leur réalité complexe la nature et l'étendue des besoins. Rapportée aux possibilités de la production, la connaissance de ces besoins permet de fixer les orientations du développement de l'économie.
..... Mais engager un tel processus n'est pas suivre une voie toute droite, tracée une fois pour toute. Les contradictions à résoudre sont nombreuses. Quelles priorités établir dans les besoins de la population ? Quel partage effectuer entre la satisfaction de ces besoins et les exigences de développement de l'appareil de production qui la conditionne ? Quelles proportions faut-il respecter dans le développement relatif de l'agriculture et de l'industrie et au sein de l'industrie entre celui des biens d'équipements et celui des biens de consommation, entre industrie lourde et industrie légère ? Ces questions, qui sont propres à l'édification du socialisme dans tous les pays, se présentent d'une façon particulière compte tenu de l'héritage que l'impérialisme léguera. Deux contradictions majeures constitueront l'axe central pendant toute la période de "reconstruction" de l'économie. 

l En premier lieu le déséquilibre entre les ressources insuffisantes, en matières premières et en énergie et l'abondance des moyens de production modernes. Cela exige qu'en utilisant efficacement tous les moyens de production existant, toutes les ressources nationales soient exploitées intégralement.

l La seconde contradiction à résoudre est celle entre le développement exagéré des secteurs tertiaires et la faiblesse relative des secteurs industriels. La résolution de cette contradiction par l'allègement des tâches administratives et la suppression des activités parasitaires, conditionne pour partie la résolution de la précédente en libérant des forces productives aujourd'hui socialement inutiles.

..... Le processus d'élaboration du plan doit être en tous ses moments sous le contrôle des masses. Dans la première phase les travailleurs de chaque unité de production, usine, coopérative de production agricole, élaborent un projet de plan pour l'usine.

..... Ce projet repose d'une part sur la connaissance des capacités de production existantes et de leurs développements possibles. Il prend d'autre part en compte des éléments partiels de connaissance des besoins tels qu'ils résultent des enquêtes que les ouvriers de l'usine mènent sur les besoins auprès de leurs clients (autres usines pour des biens servant à la production, centrales d'achat distribuant les biens de consommation), nouveaux produits, amélioration de la qualité, accroissement des besoins. Enfin ce plan est élaboré compte tenu de la connaissance de la situation d'ensemble fournie par les services d'information et de statistiques. Des commissions de travailleurs sont constituées par élection dans l'usine pour prendre en mains ces différentes tâches.
..... Ces plans locaux qui sont centralisés à un niveau intermédiaire qui délègue des représentants des unités de production à la structure centrale du pouvoir populaire qui a la charge d'élaborer le plan national.
..... Cette dernière procède à l'évaluation des besoins et des priorités et les confronte aux propositions des divers plans. Pour remplir cette tâche elle dispose des moyens nécessaires pour mener des enquêtes dans tous les domaines. D'autre part un organisme technique assiste les délégués des masses en leur fournissant les éléments statistiques nécessaires, en effectuant les calculs permettant de chiffrer les diverses priorités et les conséquences des choix effectués. En aucune façon cet organisme ne doit acquérir, au nom de sa capacité technique, un pouvoir de décision. C'est pourquoi l'ensemble de ses tâches sera placé sous le contrôle, à la fois de l'organe central et des organes locaux de pouvoir. Lorsque les délégués ont achevé d'élaborer le plan d'ensemble, les plans locaux sont rediscutés pour les insérer dans le cadre des grandes orientations qui ont été fixées.

..... Faisant confiance aux masses, la planification socialiste n'est pas tatillonne, ne porte que sur les grandes orientations nationales et leurs répercussions locales laissant aux organes locaux et intermédiaires du pouvoir une large initiative. C'est ainsi que pour un grand nombre de produits d'usage courant, l'équilibre entre la production et les besoins est réalisé au plan local, par exemple à l'échelon de l'arrondissement ou du département, grâce à la décentralisation industrielle. La planification nationale veille uniquement, pour ces produits, à ce qu'un inégal développement n'apparaisse pas et corrige les déséquilibres qui sont dus à des différences objectives des ressources locales.

..... Il n'est évidemment ni possible, ni utile de définir aujourd'hui avec précision les modalités concrètes de l'exécution du plan. Mais il est une chose certaine. Ce n'est pas une avalanche de normes, de coefficients, d'indices, qui conduira l'exécution du plan dans la bonne voie. Si le plan a été élaboré par un large débat dans les masses sur les objectifs qu'il était possible et nécessaire d'atteindre, des bases solides pour sa bonne exécution sont réunies. Les indices et autres "coefficients", ne servent alors qu'à fournir aux travailleurs l'information nécessaire pour suivre et ajuster le plan.

..... Dans la société socialiste les produits continuent d'être vendus et non pas encore, comme ce sera le cas dans le communisme, répartis directement, sans vente. Les produits auront donc encore un prix. La monnaie continuera d'exister. Mais bien que le rôle fondamental des prix subsistera, le fonctionnement du système des prix sera profondément modifié par rapport à ce qui existe dans le capitalisme. D'une part la maîtrise sociale de développement de la production fera disparaître totalement l'inflation. Au contraire les prix auront tendance à baisser au fur et à mesure du développement des forces productives, reflétant ainsi l'évolution de la valeur des produits. Mais le système des prix sera entre les mains du pouvoir socialiste, un instrument d'une politique consciente de réduction des écarts, d'élimination des inégalités, permettant la satisfaction rapide des besoins prioritaires par la réduction des prix.

..... Quant à la monnaie, détachée pour l'essentiel du système monétaire international qui est dans une crise durable, son cours sera étroitement ajusté aux besoins des échanges. Les grands investissements des entreprises seront financés par la répartition des ressources collectées par l'État sur la base d'un prélèvement effectué sur la production des entreprises. L'impôt sur les salaires pourra certainement disparaître dès qu'il ne servira plus à corriger les inégalités de fortune issues de la vieille société.

..... En définitive, c'est la capacité de la classe ouvrière à exercer son pouvoir, à le renforcer qui garantira, dans la France socialiste, un développement de l'économie correspondant aux besoins de l'immense majorité. Il n'existe pas d'économie socialiste dont les lois seraient fixées, une fois accomplie la révolution: tous les choix économiques concernant la production et la répartition des biens seront, à chaque moment, des choix essentiellement politiques.

..... Voie socialiste ou voie capitaliste ? C'est la grande lutte du prolétariat au pouvoir pour mener la société vers le communisme qui éclairera et entraînera l'effort conscient d'édification du socialisme, l'effort pour éliminer progressivement de la société, au plan même de sa base économique, les tares et les distorsions léguées par le capitalisme et l'acheminer jusqu'au point où pour chacun le travail sera devenu un besoin, et où la satisfaction de ses besoins, sans restriction, la norme même de la vie quotidienne.

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