LA GUERRE D'ALGÉRIE ICI EN FRANCE
mémoire politique d'une période noire

CPAC -mars 1980- Comité Populaire Anti-Capitaliste -

Sommaire:

INTRODUCTION

CHRONOLOGIE ..............................................................................p.III

LES FORCES POLITIQUES FACE A LA GUERRE...................... p.1

-les radicaux et les socialistes

-le PCF ;

-La droite ;

-l'extrême droite.

 

I --LE PEUPLE DÉSARMÉ FACE A LA GUERRE D'ALGÉRIE.........p.5

1- les rappelés et la question de la desertion.

2- la torture: quel mouvement démocratique ?

3- le soutien au FLN ou la paix.

 

II --LES GERMES D'UNE RÉSISTANCE A LA GUERRE ET LES DÉBUTS DE LA
RUPTURE AVEC LA GAUCHE
..............................................................................................p.8

1- le réseau Jeanson.

2- Jeune Résistance.

3- Renouveau du mouvement de masse et divisions.

a) les manifeste des 121.

b) le mouvement étudiant.

4- le réseau FLN en France.

 

III -- L'IMPORTANCE D'UNE MÉMOIRE POLITIQUE DE LA GUERRE D'ALGÉRIE
POUR LA POLITIQUE RÉVOLUTIONNAIRE D'AUJOURD'HUI.....................................p.15

1- la capitulation de la gauche face à la guerre coloniale.

a) aujourd'hui, le PS ou l'oubli de l'histoire;

b) aujourd'hui, le PC ou la falsification de l'histoire ;

2- le réseau Jeanson ou la rupture avec la gauche .

3- le CPAC et la mémoire politique de la guerre d'Algérie. 

 

 

(INTRODUCTION)

Pourquoi cet essai de bilan politique de la guerre d'Algérie, pour la classe ouvrière et le peuple ici en France ?

Parce que le COMITÉ POPULAIRE ANTI-CAPITALISTE pense que ce bilan est d'un certain poids pour la période actuelle, caractérisée par

- d'une part, l'offensivité de l'état impérialiste français: interventions en Afrique, au Tchad, au Zaïre; lois racistes Bonnet Stoléru contre les immigrés; projet de non renouvellement des cartes de séjour pour les Algériens.

- mais d'autre part, un courant anti-raciste qui s'est développé à partir du grand mouvement Sonacotra et qui se structure autour du mot d'ordre "Egalité des droits Français Immigrés"

Ce bilan, il est à faire vivre dans la mémoire populaire, à plusieurs titres:

* parce que c'est un bilan noir pour le peuple en France, qu'il ne faut pas chercher à enfouir, mais qu'il faut essayer de comprendre au regard de la trahison des partis politiques de gauche.

* parce qu'il a existé les germes d'une résistance à la guerre... la pratique d'un soutien à une guerre de libération nationale; et parce que les intellectuels, artisans de cette démarche militante, de cette démarcation de la gauche française, du PCF, ont préfiguré d'autres temps: ceux des Comités Vietnam de base, ceux de Mai 68

* enfin parce qu'il fixe les tâches de la politique révolutionnaire d'aujourd'hui: l'autonomie politique du peuple face à tout impérialisme, face aux dangers de guerre.

 

 

REPÈRES CHRONOLOGIQUES
POUR LA PERIODE DE LA GUERRE D'ALGÉRIE

en France

en Algérie

17-6-54. Mendès France président du conseil.
Mittérand ministre de l'intérieur

1 novembre 1954: Insurection en Algérie en
différents points du territoire. Acte de naissance
du FLN qui va rapidement s'imposer comme la
seule organisation dirigeante de la lutte de
libération nationale.
Ses objectifs: l'indépendance de l'Algérie
par la lutte armée.

Janvier 55. Début des dénonciations d'intellectuels
contre la torture en Algérie.

1-2-54. J. Soustelle Gouverneur Général.

6-2-55. Edgar Faure président du conseil

31-2-55. L'Assemblée Nationale vote l'état
d'urgence en Algérie.

24-8-55. décret de rappel sous les drapeaux
des classes démobilisées.

11-9-55. Manifestation de rappelés à Lyon

7-10-55. Manifestation de rappelés à Rouen.

1956

31-1-56. Gouvernement GUY MOLLET .

Catroux, ministre résident.

A partir de début 56, le FLN a pu étendre la
guerre à la majeure partie du pays.

6-2-56. Manifestation à Alger contre la visite de
Guy Mollet.
Démission de Catroux remplacé le : 9-2-56 par
R. Lacoste, ministre résident qui tout en
poursuivant l'effort de guerre, va vainement
essayer d'introduire quelques réformes pour
maintenir le régime colonial (loi cadre).

mai 1956, indépendance du Maroc et de la Tunisie
mais la France conserve des troupes dans ces deux pays.

12-3-56. Vote des "pouvoirs spéciaux"

Fin de ce qui restait de vie démocratique
en Algérie.

12-4-56. Rappel des "disponibles"

20-8-56. Ouverture du congrès de la SOUMMAM.
1er congrès du FLN qui se dotte d'une plate-forme
(indépendance, république démocratique et sociale)
et s'organise sur les plans politique et militaires.
(création du CNRA, assemblée de 34 membres et
du CCE, sorte de gouvernement , 5 membres.

3-5-56. Manifestation des rappelés à Lézinan.
18-5-56 à Grenoble.

22-8-56. Arraisonnement de l'avion transportant
Ben Bella et 4 autres chefs FLN.

23-5-56. Démission de Mendès France du
gouvernement Guy Mollet.

31-8-56. Début de l'intervention franco-britannique
à Suez après la nationalisation du canal par Nasser.
22-10-56 Insurection de Budapest.
4-11-56 Les chars russes entrent à Budapest.

1957

26-2-57 Arrestation à Paris des chefs du FLN en métropole.

Le 7-1-57 Le Général Massu est investi par le
gouvernement des pouvoirs de police pour les
opérations de maintien de l'ordre à Alger.
C'est le début de la bataille d'Alger qui va
durer jusqu'en septembre 57. Une des phases
les plus sanglantes de la guerre, ordonnée par
le gouvernement Guy Mollet.
Le CEE est obligé de quitter alger pour la Tunisie
ou se trouvent les dirigeants FLN de l'"extérieur".
28-5-57. Massacre de Mélouza (conflit FLN/MNA).

Septembre 57. Début du réseau Jeanson.

30-9-57 Bourges Maunoury cède la place à
F. Gaillard comme président du conseil

8-12-57. Création de l'Union de la Gauche Socialiste.

1958

15-4-58. Chute du gouvernement Gaillard.

8-2-58. Bombardement de Sakiet Sidi Youcef
en territoire tunisien, contre l'ALN par l'armée
française.
L'affaire a un écho important à l'ONU,
contribuant à isoler diplomatiquement
la France.

28-5-58. Manifestation anti-fasciste de la Gauche contre De Gaulle.

En avril les combats sont très durs, les attentats
nombreux, le climat de plus en plus lourd parmi
les européens.

13 mai 58 l'insurrection éclate à Alger,Massu
prend la tête d'un Comité de Salut Public; donne
sa confiance à De Gaulle.

1er juin 58 De Gaulle est investi par l'assemblée
nationale.

25-8-58. Le FLN s'attaque à des objectifs
industriels en métropole.

15-9-58. Création du PSA : parti socialiste autonome.

20-9-58. 1er numéro de "Vérité pour".

28-9-58 Référendum pour la constitution de la Ve
République. Approuvée par 79% des suffrages
exprimés.

 

19-9-58. Création du G.P.R.A. (Gouvernement
provisoire de la République Algérienne)

 

14-10-58. Massu et les officiers quittent les
Comités de Salut Public sur ordre du gouvernement.

23-10-58. De Gaulle offre "la paix des braves"

octobre 58 indépendance de Madagascar, Soudan, Sénégal, Gabon, Tchad, Moyen Congo, Mauritanie, Centrafrique, Côte d'Ivoire, le Dahomay, Haute Volta et le Niger

Les 3 et 5-12-58, des militants algériens
arrêtés sont torturés au siège de la DST.

21-12-58 De Gaulle est élu président de
la République

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1959

8-1-59. Michel Debré nommé 1er ministre.

Challe; commandant en Chef en Algérie adopte
une nouvelle conduite de la guerre, meurtrière
pour l'ALN.
Promoteur des D.O.P.: spécialistes du
renseignement et de la torture.

2-5-59. Fondation du mouvement: "jeune résistance".

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. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Juillet 59 opération "jumelle" du plan Challe
contre la kabylie.

16-9-59. Discours de De Gaulle sur
"l'autodétermination"

28-9-59. Le FLN en réponse à l'autodétermination
déclare: "le libre choix ne peut s'exercer sous la
pression d'une armée d'occupation".

3-11-60. Le PC approuve la politique
d'autodétermination.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1960

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

23-1-60. Massu est relevé des ses fonctions.

du 24 au 31-60. "semaine des barricades"
semaine sanglante, pour l'Algérie française
contre l'autodétermination.

20-2-60. Premières arrestations dans le Réseau
Jeanson.

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13-12-60. Explosion de la 1ere bombe atomique
française dans le désert saharien.
3-3-60. Voyage du G. De Gaulle en Algérie:
"la tournée des popotes"; "l'Algérie algérienne"
liée à la France.

3-4-60. Fondation du PSU
13-4-60. Congrès de l'UNEF à Dijon.
13-4-60. Conférence de presse clandestine
de F. Jeanson.
25 au 29-6-60. Pourparlers de Melun et échec
de ces pourparlers.
5-9-60. Ouverture du procès du réseau Jeanson.
6-9-60. Manifeste des 121 en soutien au
réseau.
6-9-60. Discours de De Gaulle: "L'Algérie algérienne
est en marche".
20.10.60. Arrestation d'H. Curiel.

. . . . . . . . . . . . . . . . . .

27-10-60. Meeting UNEF - CFTC - FEN
Pour la Paix en Algérie.

11-11-60
Violentes manifestations européennes à Alger.

. . . . . . . . . . . . .

28-11-60. Indépendance de la Mauritanie.

. . . . . . . . . . . . .

du 9 au 14-12-60. Nouveau voyage de
De Gaulle en Algérie. Nombreux heurts
sanglants entre européens et musulmans.
Les drapeaux du FLN apparaissent dans
les manifestations musulmanes. On crit
"vive De Gaulle" "vive l'Algérie algérienne".

1961

8-1-61. Référendum sur l'organisation des pouvoirs publics en Algérie. Majorité de "oui".

. . . . . . . . . .

7-7-61. Premier tract O.A.S.
21-4-61. Putch d'Alger

20-5-61. début des pourparlers d'Evian.

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. . . . . . . . . .

1-7-61. Grève générale dans les grandes villes
d'Algérie organisée par le FNL, suivie à 93%

17-10-61. Manifestation algérienne à Paris.
12000 arrestations, des centaines de morts.

6 et 19-12-61. Manifestations anti OAS organisées
par le PCF.

. . . . . . . . . .

1962

8-12-62. Manifestation syndicats - PCF anti-OAS
à Charonne. 8 morts.

. . . . . . . . . . . . . . .

18 mars 1962 Signature des accords d'Evian.

 

Les forces politiques face à la guerre

1) LES RADICAUX: Mendès-France
. . LES SOCIALISTES: Mitterrand (UDSR)
......................................Guy Mollet (SFIO)

Quand les premiers coups de feu éclatent en Algérie le 1er novembre 1954, Mendès-France est président du Conseil: à sa seule réplique "L'Algérie c'est la France", Mitterrand, son ministre de l'intérieur fait écho: "La seule négociation, c'est la guerre".
Quand Guy Mollet arrive au pouvoir (Début 56), lui non plus ne fait pas preuve d'originalité: "L'Algérie est et restera indissolublement liée à la France métropolitaine".

Rien d'étonnant à cela: radicaux et socialistes sont à la tête d'un Etat colonialiste, à la tête d'un empire colonialiste encore pratiquement intact: il font la politique qu'exige cet Etat, une politique coloniale conséquente: répressive quand il le faut, réformiste à la hâte, quand il commencent à prendre la mesure de la révolte populaire.
Toute la fin de la IVe République sera marquée par cette intransigeance, cette absolue bonne foi dans la justesse de la domination coloniale: il n'y a pas de différence entre la droite et la gauche.

Sauf que la gauche se paie le luxe d'une image de marque plus libérale:
* D'abord parce qu'elle fait croire qu'elle veut la paix:
-Mendès-France "l'homme-de-la-paix-en-Indochine", à Genève, en 1954 (après combien d'années de lutte du peuple vietnamien ? et en négociant pas à pas la division du Vietnam en deux...)
-Guy Mollet au Maroc (le nationalisme des féodaux et du sultan n'est pas une menace pour les intérêts français) au point que ce dernier sucite une grosse désillusion au lendemain de son élection: après avoir fait campagne "contre une guerre imbécile et sans issue", une fois élu, il déclare qu'il va la continuer !!

* Ensuite parce que le peuple a été habitué à juger des partis et de leur politique uniquement par rapport à la France: par rapport aux questions sociales et jamais par rapport à l'existence d'autres peuples: nul doute qu'à cette époque, pour un grand nombre de Français, Guy Mollet était avant tout l'homme qui venait d'accorder la 3ème semaine de congés payés... Pas celui de l'intervention coloniale brutale... et c'est seulement parce que le peuple algérien résiste, les armes à la main, entraînant un engagement militaire français plus grand et de plus en plus insupportable pour le peuple en France que celui-ci va commencer à manifester son mécontentement.

 Non, Guy Mollet, Mendès-France, Mitterrand... ne sont pas de belles personnalités généreuses du panthéon français: moderniste ou à l'ancienne, réformistes ou intransigeants, ce sont avant tout de fervents défenseurs du colonialisme français, des figures exemplaires de l'oppression des peuples.

 

2) LE PCF
. . a- Discours et réalité
Souvent critiqué sur sa "politique coloniale" depuis déjà longtemps, le PCF a mis au point une tactique qui lui permet de polémiquer à l'aise, avec ses détracteurs: (ainsi encore récemment dans le Monde) : tronquant ses discours, y découpant les grandes déclarations de principes anti-colonialistes, mais oubliant curieusement ses positions concrètes prises lors même des événements et peu avouables de nos jours (ex: au lendemain du 1er novembre 1954, le PCF affirme-t-il "qu'il ne saurait approuver le recours à des actes individuels suceptibles de faire le jeu des pires colonialistes" (1) ; de même les militants du PPA, lors de l'insurrection de Sétif en 1945, se voyaient traiter "d'éléments troubles d'inspiration hitlérienne". (2)
En fait, tout en réaffirmant régulièrement des principes qui ne lui coûtent rien, le PCF sur la question de l'Algérie, évoluera pesamment de la notion "d'Union française" à celle de "nation algérienne en formation" pour aboutir, à partir de Février 57 à celle de "nation constituée !"
Il était temps ! Et le FLN fut certainement heureux de l'apprendre... ; nation dans laquelle il incluait d'ailleurs généreusement "un million d'Algériens d'origine française et européenne dont l'immense majorité n'a rien à voir avec le colonialisme" ! (Huma 2 mars 57).

. . b- Révisionnisme
* La Partie et le tout
C'est à la même époque qu'il développe sa théorie de la partie et du tout: le socialisme en France d'abord quant à l'Algérie... une France socialiste saurait généreusement lui trouver "une solution démocratique" qui ne lèserait pas "les intérêts de la France". (3)
Ce qui veut tout dire: c'est l'éternelle questions des diverses forces politiques qui se succèdent au gouvernement depuis le début du conflit:
-faire la paix, oui, mais quelle paix ? (un "paix honorable", de compromis, comme le propose De Gaulle et comme le refuse le F.L.N. ?)
-l'indépendance: il faudra bien en arriver là, mais quelle indépendance ?

(1) : Cahiers du communisme, n°11-12, nov.-déc. 1954
(2) : L'Humanité, 11 Mai 1945
(3) : Selon la déclaration du Bureau Politique du PC algérien repris dans l'Humanité du 11 Mai 1954.

Car le PCF, effectivement depuis le début est pour la paix, comme beaucoup de monde en France d'ailleurs, mais le plus court chemin pour y parvenir n'est-il pas :
. . . - celui du soutien au F.L.N., organisation nationale authentique du peuple algérien ?
. . . - celui de l'organisation du peuple en France contre la guerre ?

- Sur le premier point: Jamais "soutien au FLN" ne fut un mot d'ordre du PCF, mot d'ordre qui trace les camps; car si on n'est pas avec le F.L.N., avec qui est-on ?

- Sur le deuxième point: être contre la guerre coloniale n'entraîne-t-elle pas de se donner les moyens politiques de refuser de la faire ?
S'appuyant sur un décalque mécanique de la guerre 14 et des discours de Lénine, le PCF envoie la jeunesse à la guerre, pour y mener campagne contre la guerre ! Pas question de déserter !
Ceux qui le feront auront d'abord droit au silence, puis à une condamnation sans réserve, parfois à un humanisme apitoyé, le PCF faisant de ses propres militants déserteurs, un cas humainement triste mais pas du tout un exemple politique à suivre...

* Autre trait propre au révisionnisme: son chauvinisme
Dans la première partie de la guerre, le PCF se montre plus préoccupé à mener campagne "contre le réarmement de l'Allemagne" qu'à soutenir le peuple algérien: à tel point que le "Mouvement de la paix" dont il est membre dirigeant fait de ce mot d'ordre son principal objectif de lutte, en pleine guerre d'Algérie !!!
Le PCF est aussi soucieux, déjà à l'époque, de préserver l'espace impérialiste soviètique: au début, jugeant préférable que les colonies restent sous le joug français plutôt que de risquer de tomber dans la sphère américaine.

. . c- Colonialiste et impérialiste
Comme les autres partis politiques, le PCF part avant tout du point de vue de l'intérêt de l'Etat français, il a l'avantage sur les autres qu'il n'est pas au pouvoir et qu'il peut se permettre des discours qui ne l'engagent à rien !

Son refus de soutenir le F.L.N. et d'organiser la désertion vient de là:
- des intérêts d'un Etat colonialiste: pas la peine de risquer de se faire interdire pour le bien d'un peuple dont on attend encore des profits !
- des intérêts de la France de l'intérieur: au début, quand il est encore à "l'Union française" et vote les pouvoirs spéciaux à Guy Mollet en 1956: après 1958, lors de l'arrivée au pouvoir de De Gaulle, quand il crie au fascisme et qu'il recherche activement l'alliance avec la SFIO contre De Gaulle (en vain, celle-ci préférant s'allier à De Gaulle).
Le danger du "fascisme" n'est pas tellement dans son existence réelle que dans la crainte qu'a le PC de se voir interdire en tant que Parti.
Aussi, si jusqu'en 1958, le PCF s'est surtout fait remarquer par sa passivité et son refus d'organiser la résistance du peuple, après 1958, il s'active mais cette fois, autour du mot d'ordre "anti-fasciste" et pour "la défense de la République" (française bien sûr: car c'est tout juste si, de son point de vue, la lutte de libération du peuple algérien existe encore sinon en filigrane derrière le mot "paix").
Vision impérialiste française on ne peut plus classique.

 

3) LADROITE
Elle se divise selon les intérêts qu'elle représente dans la société:

- ceux des colons d'Algérie ou épiciers de France (mouvement poujadiste), farouchement attachés à leurs privilèges, bourgeoisie à la Debré défendant l'Algérie française par nationalisme
- ceux de la bourgeoisie d'affaires que la guerre d'Algérie et ses retombée populaires en France, gêne de plus en plus dans sa grande entreprise de modernisation capitaliste.
Elle trouve en De Gaulle, l'homme du moment, habile politicien, qui, n'ayant pas cessé d'intervenir dans la vie politique française, saura exploiter la crise du 13 mai 1958:

* S'appuyer sur l'armée, user d'un double langage, duper les colons divisés et mal organisés,
* profiter du consensus plus ou moins avoué des partis de gauche
* de l'inertie du peuple peu enclin à se mobiliser pour sauver la IVe, alors qu'aucun parti ne l'a aidé à s'organiser jusque là contre la guerre
* et installer un Etat fort (la Ve) qui lui permettra de terminer la guerre en Algérie, et par la même occasion de brimer le peuple pour assurer le redéploiement économique à l'intérieur

En fait de grandeur, De Gaulle: le champion du redéploiement de l'impérialisme français.
Ceci ne se fera pas sans tâtonnements et sans tergiversations: essentiellement dans le rapport avec le F.L.N.:

- Il est d'abord hautainement nié: De Gaulle cherche la "3ème force musulmane" qui lui permettrait encore une "Algérie associée ou fédérée à la France", mais en vain: l'Algérie n'est pas le Maroc ou la Tunisie...

-Puis il est reconnu par la force des choses: tout le problème sera alors de négocier au plus fort ! (exactement le rôle de Mendès-France à la conférence de Genève pour règler le conflit indochinois...): quelle indépendance pour l'Algérie, quel rapport futur avec la France: comment préserver les intérêts français en Algérie après l'indépendance (politique qui a tellement bien réussi en Afrique noire à la même époque !).

Rien d'étonnant alors que l'affrontement se fasse plus dur et la répression plus féroce pendant les 6 derniers mois de la guerre, et qu'il ait fallu encore 4 ans après le 13 mai 58, pour y mettre fin !
Et ceci, au milieu des clameurs de

4) L'EXTREME-DROITE

* Politiquement, elle n'est pas représentée que par quelques résidus du régime de Vichy, certains quittant même la France pour organiser l'insurrection en Algérie, et instaurer le "contre-terrorisme, se donnant sous la couleur du mouvement intégriste catholique, des anciens combattants, du nationalisme étroit et de l'anti-communisme primaire.
* L'extrême-droite puisera ses forces:
- parmi les colons: les gros ralliant et organisant la grande majorité des petits,
- et dans l'armée française bien entendu, peu habile au jeu politique, jouant l'armée coloniale de grand papa quand ses chefs politiques commençaient à entrevoir l'ère glorieuse de l'arme atomique et de l'impérialisme nucléaire...
Elle trouvera appui au sein même de l'Assemblée nationale et du gouvernement (Soustelle)... surtout quand elle réalisera que De Gaulle l'abandonne: ce sont les soubresauts des années 60 et les attentats de l'OAS, qui ont donné à cette période une atmosphère de "guerre civile". 

 

I -- Le peuple désarmé face à la guerre

1) LES RAPPELÉS: LA QUESTION DE LA DÉSERTION

A la suite de la décision gouvernementale d'envoyer en Algérie non pas seulement l'armée de métier mais aussi les soldats du contingent (en commençant par les "appelés", c'est à dire ceux qui avaient déjà accompli leur service militaire), les premières manifestations populaires sont précisément celles des "rappelés", en 1955-56:
A Grenoble, Rouen, Lyon, Lézignan et beaucoup d'autres villes de province: cela commence souvent par une révolte plus ou moins spontanée des soldats: dans les casernes, dans les gares, ils refusent de grimper dans les camions ou dans les trains; en soutien, de nombreuses manifestations ont lieu: on se couche sur les voies pour empêcher les trains de partir, parfois on s'affronte les flics.
A l'origine de ces manifs de soutien: telle union locale CGT, telle section PCF, des chrétiens, des gens de la "Nouvelle Gauche".
Certes le PCF fait de la propagande autour de ces révoltes, mais il ne fait guère que protester: à aucun moment, il ne lance le mot d'ordre d'insoumission collective, de désertion et il n'organise rien en ce sens.
Au contraire, il recommande à ses propres militants de partir à la guerre, d'y faire de la propagande anti-impérialiste: alors que les premiers témoignages de soldats montreront à l'évidence que c'est un mot d'ordre abstrait, impossible à réaliser sur le terrain.
D'abord, tous les "meneurs" repérés au cours de ces journées de révolte, sont envoyés sciemment en première ligne: et là, pas le choix: tu tires le premier ou tu te fais descendre et la plupart des soldats français seront petit à petit pris dans cet engrenage, jusqu'à pratiquer même la torture, eux qui étaient partis pleins d'humanisme, le coeur à gauche, pacifiques et anti-militaristes !
Cette guerre coloniale, il faut refuser de la faire, voilà la seule voie juste, celle que spontanément, les rappelés en s'insurgeant, avait montrée: mais livrés à eux-mêmes, accompanés seulement par les pleurs et les protestations, en quelque sorte trahis, ils n'ont plus qu'à se soumettre, entrer dans le raang, jouer le sale rôle qu'on leur demande de jouer: d'où souvent cette amertume, cette aigreur rentrée, une fois de retour, et souvent, le comble, l'envers exact de ce qui était le point de départ de leur révolte: une haine de l'"arabe", un racisme exacerbé: voilà en partie sur quoi repose la conscience du peuple aujourd'hui.
Le problème de désertion se posera avec de plus en plus de force tout au long de la guerre: nous verrons dans la 3ème partie quel début de réponse organisée il y sera donné.

2) LA TORTURE: QUEL MOUVEMENT DÉMOCRATIQUE ?

Dès le début, les témoignages affluent. Dès le début, des intellectuels se sensibilisent au problème, des comités fleurissent qui le posent sur la place publique: la torture ne se réduit pas, comme le prétend le gouvernement, à quelques bavures: c'est, surtout à partir de 1956, (après le vote des pouvoirs spéciaux qui suspend ce qui restait de vie "démocratique" en Algérie, et laisse libre champ à la police et à l'armée d'intervenir), qu'elle devient pratique systématique.

Car, comme l'expliquent "naïvement" les militaires, comment lutter efficacement contre la guérilla urbaine, sans employer la torture ? Les militants du F.L.N. profitent du soutien du peuple, il faut donc extorquer les renseignements au peuple, lui faire avouer où se cachent les militants: ici, pas de tanks ni de chars, par contre la torture qui, à leurs yeux, n'est pas plus "sale" qu'une bombe.
Ces militaires ont une certaine logique implacable, plus sans doute que bien des intellectuels: les mêmes qui dénonceront la torture dans des journaux comme "France-Observateur", "le Monde"... dénonceront aussi les déserteurs comme "traîtres à la patrie" ! Quelle solution envisagent-ils donc ? une guerre "propre" ?

Cette impasse du mouvement démocratique est du même type que celle du PCF: être contre la guerre ou contre la torture mais sans aller jusqu'au bout, sans aller jusqu'au refus de la guerre impérialiste, jusqu'au soutien de la lutte anti-impérialiste : la question, isolée en tant que telle, non reliée à une politique populaire sur la question de la guerre, n'organisera personne dans le camp du peuple, ne sortira pas des comités d'intellectuels ou d'enseignants.
Elle ne soulève pas une indignation de masse dans les rangs de la classe ouvrière : elle est comme le reste de la guerre : elle demande un débat et un engagement politiques autres.
Elle demande surtout qu'on se détache du contexte national français : qu'on quitte ses lunettes paternalistes, fussent-elles de gauche ! Le peuple algérien ne demande pas la bienveillance et la pitié, mais seulement qu'on le reconnaisse, ce qui implique, à l'époque, une profonde scission à l'intérieur même de la conscience intellectuelle: c'est l'intrusion dans la pensée occidentale, de la révolte du Tier monde.

Voilà deux faits qui, dès le début de la guerre méritent d'être réfléchis:

- Une écrasante majorité de soldats qui ne veut pas faire la guerre et la fera quand même.
- Une opinion démocratique qui ne se transformera pas en force.

Mais, dès le début aussi, on peut repérer le nouveau:

- d'abord les désertions individuelles
- mais surtout ceux qui s'engagent de plus en plus dans le soutien au F.L.N.

3) LE SOUTIEN AU F.L.N. OU LA PAIX ?

a) Quest-ce qui amène les Français à soutenir le F.L.N. ?
Les premiers à soutenir le F.L.N. sont naturellement,
- ceux qui désertent : car la désertion en soi n'est pas complètement un choix : le déserteur, condamné à se cacher, prend conscience rapidement que sa condamnation de la guerre colonialiste le fait nécessairement passer dans l'autre camp : si on n'est pas pour l'armée coloniale, on est pour ceux qui se battent contre elle.

- ceux qui militent contre la torture : c'est le cas de nombreux prêtres de la Mission de France : ils prennent conscience de la dérision qu'il y a à s'époumonner, à crier dans l'oreille d'un sourd; il n'est pas pire sourd qui ne veut entendre : pas la peine de faire la morale à l'armée et au gouvernement: leur choix politique implique la torture dès lors, il n'est d'autre choix pour combattre la torture que de combattre la politique qui l'a amenée : et donc de rejoindre ceux qui se battent depuis le début de la guerre: le F.L.N.

- ceux qui, bien avant la guerre d'Algérie, étaient sensibilisés à la question du Tiers monde: comme Colette et Francis Jeanson par exemple; ceux qui s'étaient déjà en partie arrachés au cadre étroit de la nation française et qui ont témoigné de leur amitié pour les peuples du Tiers monde jusqu'au bout: jusqu'au soutien de leur lutte, contre "leur" propre Etat français.

Car telle était bien le fond du problème: cet Etat français, cette République française (la IV ou la Ve, peu importe) appartiennent-ils bien à tous les Français ? Les "intérêts de la France", comme dit l'Huma, en Algérie, sont-ils ceux de tous les Français ?

La paix, tout le monde la désire, mais quelle paix ?
"Paix en Algérie" n'implique aucun engagement, ne trace pas les camps. On l'a vu, tout le monde veut la paix : même Mendès, même Mollet, même De Gaulle, le peuple en France veut aussi la paix; et qui ne souhaite plus ardemment la paix que le peuple algérien et le F.L.N. endurant dans leur chair, depuis le début de la guerre, les pires souffrances ?
Le problème est plutôt : quelle paix pour quelle indépendance ?
Ainsi, le FLN a-t-il toujours refusé d'engager des négociations et de cesser le feu tant que le gouvernement français se refusait lui-même à des négociations pour l'indépendance : pas question de déposer les armes et de se faire acheter, à mi-chemin de la victoire : le peuple n'avait pas versé son sang, pour s'entendre pardonner par ses oppresseurs et se voir accorder quelques réformes... Le temps des réformes était passé. c'était celui de la levée des peuples du Tiers monde, de leur lutte de libération nationale qui était là : le reconnaître jusqu'au bout, au-delà des discours, c'était s'engager pratiquement du côté de cette lutte, du côté des organisateurs de cette lutte : le F.L.N.
Cela impliquait:
- .soutien au FLN.
- .Organisation du peuple en France, contre la guerre, pour le peuple algérien.

 

II -- Les germes d'une résistance
Le début de la rupture avec la gauche

1) LE RÉSEAU JEANSON

L'Histoire de cette "résistance française à la guerre d'Algérie" est retracée de façon vivante dans un livre récent: "LES PORTEURS DE VALISES -LA RÉSISTANCE FRANCAISE A LA GUERRE D'ALGÉRIE de Hervé Hamon, Patrick Rotman -Albin Michel- 1979 )".
Ce réseau s'organise autour de Francis Jeanson, intellectuel, proche de Sartre, gérant des "Temps modernes".
Il recrute au départ par affinités, par connaissances plus ou moins proches, et donc regroupe dans sa grande majorité : des intellectuels, des artistes, mais aussi des chrétiens, des prêtres, des femmes, des socialistes de la "Nouvelle Gauche" et même des "dissidents" du PCF qui finirent d'ailleurs par s'en faire exclure...

a)- Un mot d'ordre clair
Ils ne sont pas très nombreux : car ne sont pas nombreux à l'époque les gens qui désignent clairement l'Etat impérialiste français comme le seul ennemi et le F.L.N. comme l'organisation du peuple algérien en lutte, qu'il faut soutenir.
Voilà une démarcation nette de toutes les tergiversations honteuses de la gauche : pas de paix sans soutien organisé au FLN.
Et Francis Jeanson envoie au diable ceux qui espèrent s'en tirer sans choisir leur camp, tous les humanistes et hommes de gauche au grand coeur, qui osent le qualifier de "traître à la patrie" (Ce sont les mêmes qui sont contre la torture, et bien sûr contre la guerre...) : "Et faut-il que nous éprouvions des scrupules à nous dresser, aux côté des Algériens, contre ceux qui leur infligent cela -ou qui se contentent de déplorer que d'autres leur infligent ?- Quand les choses en sont parvenues à ce point, il n'y a plus de place pour un 3e camp : on est avec les uns ou avec les autres". (Lettre à J.-P. Sartre, 21 avril 1960).

b)- Avant-garde
Peu nombreux, mais regroupés sur des positions justes, Francis Jeanson et son réseau vont à contre-courant de leur époque : ils fonctionnent comme une avant-garde, qui trace la voie, car "la politique doit-elle se réduire à l'art de coller aux masses en suivant leurs inclinations ?" (Réf. id.)
Ils montrent le chemin, conscients que "ceux qui s'y risquent se font traiter d'aventuristes, d'activistes et de gauchistes" (Réf. id.) (cf. le PCF bien sûr, qui ne se risquera pas, lui, sur la voie de la clandestinité : ainsi opposa-t'il arbitrairement la légalité, l'action de masse, comme seul moyen de lutte authentiquement communiste... à la l'illégalité, caractérisée comme l'aventure gauchiste... : certes, le contexte d'une guerre impérialiste n'est pas la même que celui d'une paix "démocratique" : il impliquait nécessairement une grande part de clandestinité, ce que fit à juste titre, le réseau Jeanson.)

c)- Société impérialiste
C'est aussi le début d'une analyse de la société impérialiste française dont les bénéfices qu'elle tire de l'exploitation des peuples colonisés profitent à tous, même à des ouvriers (bénéfices finançant les augmentations de salaires, par ex...).
On comprend alors le développement d'une contradiction entre l'intérêt immédiat d'une partie de la classe ouvrière et le soutien politique à la révolte des peuples du Tiers monde ; contradiction d'autant plus aigüe que l'action politique anti-colonialiste vivante avait été, de longue date, abandonnée par le PCF et les syndicats.
Francis Jeanson dénonce la gauche, PCF en tête qui n'a cessé d'entretenir ce silence, de participer au consensus autour de l'Etat français, en y embrigadant le peuple, et ce, depuis longtemps (1945: Sétif ; 1947: Madagascar...)
Comme le dit M. Péju dans les "temps modernes", oct. 60, distinguer l'identification du socialisme en Europe et les rapports avec le Tiers monde, "c'est donner le pas à l'aménagement de l'héritage colonial sur la libération des pays sous-développés", et le socialisme, alors, même pour la France, n'est qu'un mot creux.
Et Françis Jeanson voit loin: le "coût politique" que ce honteux compromis entraînera pour la classe ouvrière toute entière : il se bat autant pour le soutien au peuple algérien en lutte que pour le peuple français de demain.

d)- Organisation
Et avec une grande honnêteté intellectuelle, il organise le soutien pratique : car aucune idée, fût-elle juste, ne vaut quoi que ce soit, si elle n'est pas organisée, si elle ne se traduit pas par un engagement concret et quotidien.
Quelles sont les tâches de ce réseau ?
- "porter les valises" pleines de l'argent collecté auprès des Algériens vivant en France, cacher les dirigeants du F.L.N., leur faire passer les frontières.
- mais aussi faire de la propagande anti-colonialiste qui s'efforce de déborder les marges de la clandestinité, avec le journal "Vérités Pour", avec des publications : sur la désertion, des témoignages de soldats de retour d'Algérie, avec le livre de F. Jeanson "Notre guerre", et même, par une conférence de presse que celui-ci tient au coeur de Paris, alors qu'il est activement recherché par la police...

Mais il est vrai que la meilleure publicité sera celle que leur feront involontairement les médias au moment des premières arrestations et donc des premiers procès, début 60 : certes, les militants arrêtés y sont pour beaucoup, qui ont transformé ces procès en tribunes politiques... Et l'on peut dire que c'est seulement à ce moment-là que furent posés les véritables termes du débat pour l'ensemble de la France : paix ou soutien au FLN, insoumission ou pas ?

e)- Importance et limites
Le rôle historique du Réseau Jeanson dépasse donc largement son importance numérique... : peu nombreux, mais parce qu'ils voyaient juste et loin, ses militants ont contribué à faire avancer l'histoire de leur époque, et, pour ceux qui les ont suivis (Mai 68) et pour nous aujourd'hui, ils sont les premiers à avoir opéré la rupture au sein du consensus impérialiste; ils sont les premiers maillons de la Résistance populaire à l'Etat impérialiste français.

Leur limite essentielle est d'être restée une avant-garde, ayant certes un écho de masse, mais impuissante à organiser un véritable mouvement du peuple et pour cause : cette tâche gigantesque ne pouvait être le fait que d'une organisation politique de type parti : participant lui-même au consensus, le PCF ne se risque pas à organiser le peuple dans le combat anti-impérialiste : son engagement n'exède pas la protestation : ainsi les rappelés livrés à eux-mêmes, ainsi les familles de soldats (pensons à ce que firent par contre les femmes portugaises contre la guerre en Angola), ainsi les travailleurs immigrés algériens, ainsi la jeunesse (Dans les lycées, elle en fut réduite, dans un premier temps, à s'opposer à l'extrême-droite, en s'appuyant sur le mendèsisme !!! Après la création du Réseau Jeanson, elle fut souvent fort à l'écoute de leur politique, parfois jusqu'à s'y engager).

2) JEUNE RÉSISTANCE

C'est le réseau mis en place  par les premiers déserteurs de la guerre d'Algérie, dénommé "officiellement" "Jeune Résistance" à partir de mai 1959.
Ils ont des liens avec le réseau Jeanson, tout en étant autonomes.
- Peu nombreux eux aussi, mais très déterminés : car il faut de la détermination à l'époque pour quitter l'armée et l'Algérie où certains d'entre eux, communistes, sont allés en toute bonne foi, prêcher la bonne parole anti-impérialiste... Et c'est aussi parce qu'ils ne veulent pas croupir en prison, comme tant d'autres jeunes militants communistes qu'ils désertent : ils veulent agir.
Mais l'action n'est pas facile à mener en exil : en Suisse d'abord où ils se réfugient, puis en Allemagne, après leur expulsion. Aussi consacreront-ils tous leurs efforts à éviter la solitude aux déserteurs : les regrouper d'abord, puis leur donner les moyens d'agir contre la guerre.
- Ils se réclament de la révolte des rappelés de 55-56 et leur démarcation politique est claire comme en témoigne la plaquette "Jeune Résistance s'explique" qu'il publie début 60 : "La titmidité des responsables politiques plus encore que la torpeur des masses a engourdi la gauche française. Les jeunes, eux, parce qu'ils font la guerre parce qu'ils ont à subir concrètement le fascisme dans l'armée d'Algérie, parce qu'il sentent l'avenir du pays bouché, ont déjà eu l'énergie nécessaire pour promouvoir un mouvement révolutionnaire de Refus. S'ils savent s'organiser, s'ils peuvent convaincre leurs aînés, ils passeront du Refus à la Résistance active et pourront provoquer le réveil du peuple français."
Dans la réalité, l'efficacité du réseau ne portera pas le chiffre des déserteurs à plus de 3000, selon les estimations les plus optimistes.
Mais leur importance historique, comme pour le Réseau Jeanson, dépasse leur faiblesse numérique :
* Parce que certains participent au soutien du F.L.N.
* Parce que beaucoup d'entre eux rentrent fin 1960 en France, et, clandestinement, font leur "tour de France" universitaire : ils constituent ainsi un foyer d'agitation actif contre la guerre, parmi le jeunesse.
* Les premières arrestations leur fourniront à eux aussi une publicité gratuite... A tel point que le sigle "J.R" fut repris plus ou moins spontanément dans divers facs, et des comités de base furent crées, des brochures diffusées, sans forcément avoir de liens avec l'organisation Jeune Résistance; certains groupes furent même résolument autonomes.

Ainsi, Jeune Résistance et le Réseau Jeanson, organisation d'avant-garde sur la question coloniale, par l'écho provoqué chez les intellectuels, amorcèrent un début de division du mouvement de masse, dont les manifestations furent : le Manifeste des 121, et le remou au sein du mouvement étudiant.

3) RENOUVEAU DU MOUVEMENT DE MASSE ET SA DIVISION

a)- Manifeste des 121 et plus
A la suite des procès des membres du Réseau Janson et des débats qu'ils sucitèrent, des intellectuels prennent clairement position et s'engagent à les soutenir autour de deux points :
- soutien à la lutte de libération nationale du peuple algérien
- soutien aux déserteurs

C'est le Manifeste des 121 dont voici un extrait :
" - Nous respectons et jugeons justifié le refus de prendre les armes contre le peuple algérien.
- Nous respectons et jugeons justifiée la conduite des Français qui estiment de leur devoir d'apporter aide et protection aux Algériens opprimés au nom du peuple français.
- La cause du peuple algérien, qui contribue de façon décisive à ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes libres."
Ce manifeste n'est pas une pétition de "principe", une liste de signatures apposées à la légère, puisque s'ensuivront des pertes d'emploi pour nombre des signataires et des arrestations pour certains.
Il est vrai que le texte tranche avec les discours habituels à la gauche, qu'il s'en démarque vigoureusement : on peut dire que c'est le tout début "pré-Mai 68" d'un mouvement autonome du peuple.
D'ailleurs la gauche (FEN - SNI - SNES - UNEF) ne s'y trompe pas, qui suscite immédiatement un contre-manifeste récupérateur et torpilleur du premier sur le thème:
- "pour une paix négociée en Algérie" : c'est le vieux mot d'ordre du PCF depuis le début de la guerre : celui, sous couvert de pacifisme et de bons sentiments, d'une force impérialiste qui ne s'incline pas et esssaie de s'en tirer au mieux.
- "pour une négociation sans exclusive" : car nombreux sont les gens de gauche à l'époque qui trouvent le FLN et ses refus de négocier par trop intransigeants ! (Le FLN refuse des négociations qui ne seraient pas des négociations en vue de l'indépendance).

Cette division du mouvement de masse se poursuit mais cette fois beaucoup moins clairement parmi

b)- Les étudiants
Le président de l'UNEF, Pierre Gaudez est poussé, comme il le reconnaît lui-même, par les étudiants, directement concernés par la guerre : "partir ou ne pas partir", telle est la question qu'ils posent: de plus en plus nombreuses sont les désertions.
L'UNEF, alors de mouvance chrétienne, ne peut laisser se débrouiller seuls ses propres militants, ses sympathisants : car le problème est moins la justesse ou non de la désertion (l'UNEF laisse la question de la "trahison de la patrie" aux chauvins de tout bord) mais que faire des déserteurs ?
Déserter, c'est l'exil, déserter sans être organisé, c'est se confronter à des problèmes personnels monstrueux, à la solitude, à l'inaction. (C'était bien le but de "J.R." de pallier à ces problèmes).
Pour Pierre Gaudez, "nous sommes condamnés ou à mener une action massive ou à entrer dans la clandestinité".
C'est la première voie qui est choisie. Et l'UNEF appelle à une manifestation le 27 octobre 1960 qui est interdite : elle la transforme en meeting ; elle a le soutien de la CFTC et de la FEN. Ce meeting, résultat de compromis, se fait encore autour de l'unique mot d'ordre "Paix en Algérie" : et pourtant ni le PCF ni la CGT n'ont appelé à y participer ; pour eux, ce meeting se fait "en collusion avec le gouvernement", c'est une "provocation"...
Le meeting opère d'ailleurs le début de la scission de l'U.E.C. 15 000 personnes sont venues : c'est le premier grand rassemblement de masse depuis les manifs de rappelés des années 55/56. Il n'y a pas que des étudiants qui participent ; beaucoup d'autres personnes sont venues spontanément, en dépit des syndicats : ce meeting fonctionne comme un pôle d'opposition réelle. Le gouvernement ne s'y trompe pas qui y envoie ses flics intervenir brutalement
Mais plus qu'une ligne de démarcation très nette, ce meeting est le reflet des tensions et des divisions de l'époque.

4) LE RESEAU F.L.N.

Ce sont les militants, algériens principalement qui collectent l'argent, font de la propagande auprès des immigrés algériens en France : leur intervention directe dans la vie politique française sera quasi-nulle,
- hormis une brève période d'attentats en août 58 (dont celui, raté contre Soustelle)
- hormis les manifestations regroupant uniquement les algériens,
Faiblesse et isolationisme dangereux, puisque la manif des algériens du 17 octobre 1961, rassemblant 30 000 personnes, fera plusieurs centaines de morts et près de 12 000 arrestations !
C'est la "fameuse" manifestation où les flics tirent dans la foule, balancent des manifestants dans la Seine, où des milliers d'Algériens sont parqués et tabassés dans le Parc des Expos... "Fameuse" manif où les Parisiens le lendemain pouvaient voir les corps flotter au fil de l'eau, pendus aux arbres, sans compter ceux retrouvés étranglés ou noyés dans les caves...
Pour retrouver une telle ampleur dans la répression dans l'histoire de France, il faudrait sans doute remonter à la rafle des Juifs du Vel d'hiv, sous Pétain... ou à la Commune de Paris...
ET POURTANT, QUI SE SOUVIENT DE CETTE DATE ?
ET QUELLES FURENT LES RÉACTIONS EN FRANCE, AU LENDEMAIN DE CETTE SANGLANTE JOURNÉE ?
Des protestations plus ou moins éplorées dans les journaux... Des mouvements de mobilisation populaire ? Des grèves, des manifestations ? Point. Un soutien quelconque aux familles algériennes éprouvées ? Zéro.
Citons "Les Porteurs de Valises", p.373.: "Pour l'honneur, à la veille du 1er novembre, 4 professeurs de faculté : Alfred Kastler, Laurent Schwartz, Jean Dresch et Robert Ricatte lisent une déclaration dans leurs amphithéâtres : "Si les Français acceptent l'institution légale du racisme en France, ils porteront dans l'avenir la même responsabilité que les Allemands qui n'ont pas réagi devant les atrocités du nazisme."

Lourde sentence ! Et, de fait, la division du mouvement de masse que nous avions vu s'amorcer parmi les intellectuels, ne se prolonge pas dans le peuple ; certes, il y a bien un renouveau du mouvement de masse : manifestations pendant les deux dernières années de la guerre, d'autant plus nombreuses qu'augmentent les attentats de l'O.A.S. Mais ce mouvement s'articule uniquement autour de mots d'ordre anti-fascistes, derrière les organisations politiques et syndicales.
S'il précipite l'échéance de la paix, ce mouvement évacue simultanément et définitivement tout rapport entre la classe ouvrière française et le peuple algérien.
De solidarité. Point ; d'internationalisme, non plus. Simplement les Français en ont marre de cette sale guerre. Il faut la terminer au plus vite !
Le "Front de soutien à la révolution algérienne" de Francis Jeanson, n'aura pas le temps de vivre. Les accords d'Evian sont signés en mars 62. 

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