CRITIQUE ET AUTOCRITIQUE
Un texte de Gaston Monmousseau (1883-1960) L'un des
dirigeants de la CGT -
..... La critique et
l'autocritique, à la lumière de la
théorie marxiste, sont la condition d'une
activité militante juste dans ce sens qu'elles posent
le problème de l'analyse du mouvement des masses sous
tous ses aspects, des conditions de son
développement, de l'analyse du mécontentement
des travailleurs à tous les stades de l'exploitation
capitaliste, de leurs désirs revendicatifs et de leur
état d'organisation afin d'établir les
conditions de leur entrée en lutte et de leur
victoire.
.... La critique et
l'autocritique, à la lumière de la
théorie marxiste, sont la condition d'une
activité militante juste dans ce sens dans ce sens
que c'est le seul moyen qu'il y a de tirer toutes les
leçons de chaque expérience, en en recherchant
les erreurs ou les faiblesses, en les analysant pour en
découvrir les causes jusqu'à la racine afin de
les corriger.
l
..... Il faut donc faire du
bon travail et la critique et l'autocritique sont les seuls
moyens de bien travailler.
..... Nous autres, militants
avons précisément besoin de faire beaucoup
d'efforts pour exprimer avec des mots simples, des
idées claires traduisant les changements qui
s'opèrent sous nos yeux.
..... Lorsqu'une
vérité se fait jour dans notre esprit, nous
oublions, le plus souvent, que la veille encore elle nous
échappait.
..... Alors on fait son
seigneur, on se répand en affirmations, on
s'étonne que tout le monde n'ait pas compris en
même temps ce que nous avons ignoré
nous-mêmes pendant toute notre vie passée : on
pontifie.
..... La connaissance du
rôle de la critique et de l'autocritique est capitale
pour un militant. Elle le fait redescendre les pieds sur la
terre. Elle lui fait comprendre que tout progrès dans
les idées est le résultat d'efforts permanents
qu'il a dû faire lui-même. Elle l'aide à
comprendre l'inégalité du développement
de la lutte des classes et du niveau politique des masses,
l'influence des idéologies bourgeoises et des
campagnes réactionnaires dans la conscience des
travailleurs.
..... La connaissance du
rôle de la critique et de l'autocritique rapproche le
militant des masses, l'oblige à se faire,
compréhensif, à demeurer fraternel et modeste,
et non paternaliste et pédant.
..... Pour bien connaître
et aimer les masses il faut d'abord se bien connaître
et se souvenir du chemin parcouru, c'est le seul moyen de se
sentir de leur classe et de ne pas pontifier.
..... Je crois qu'il
était nécessaire de faire descendre la
question sur ce plan pour aider nos militants à
passer de la critique et de l'autocritique mécaniques
et inconscientes à la critique et à
l'autocritique conscientes.
..... Un certain nombre de
camarades, en effet, se refusent à la critique et
à l'autocritique ou ne se livrent qu'à une
critique ou à une autocritique formelle.
..... En allant au fond de ce
refus ou de cette caricature d'autocritique on
découvrira toujours soit un esprit de suffisance,
soit des blessures d'amour-propre.
..... C'est la
caractéristique du pontife qui ne veut pas
s'être trompé, qui vit sur le passé, sur
son expérience acquise, sur des idées acquises
une fois pour toutes et qui, par conséquent, se
trompe en trompant les autres.
..... Le matérialisme
dialectique nous enseigne que tout, dans la nature, chez
l'homme, dans le mouvement des classes et dans la
société socialiste est le produit des
oppositions, des contraires, c'est-à-dire d'un combat
permanent.
..... C'est un combat permanent
entre ce qui naître et ce qui va disparaître,
entre ce qui naît et ce qui disparaît, entre
l'avenir et le passé.
..... La pensée de
l'homme qui est le reflet de la vie, est le produit de ce
même combat.
..... Il s'ensuit que la
pensée reflète la double pression du
passé et de l'avenir, de ce qui est transmis et
acquis et de ce qui va naître et s'imposer.
..... L'habitude de faire ceci,
de faire cela de telle manière, à tel moment,
dans un cadre habituel, l'habitude n'est rien d'autre que la
force du passé et pour avancer dans une autre
direction, avec d'autres moyens, il nous faut combattre et
vaincre l'habitude.
..... Il n'y a pas de bonnes
habitudes : il y a de meilleures méthodes
d'activité.
..... L'habitude est le
résultat d'un état d'esprit donné
à un certain moment, elle se prend et s'incruste en
nous en raison de l'apparence d'immobilité du
mouvement qui nous entoure, entre des changements brusques
que nous n'avons pas prévus.
..... On a l'habitude de fumer
sa pipe sans penser qu'elle peut nous indisposer et on ne se
prend à combattre cette habitude que lorsque l'on
ressent l'indisposition. Et encore remet-on souvent à
demain, et d'un jour à l'autre, la décision
qu'il nous faut prendre, tellement l'habitude de penser et
d'agir de telle et telle manière est ancrée en
nous.
..... L'habitude
sclérose la pensée qui se rapporte à
elle : l'habitude devient ce qu'on appelle une seconde
nature.
..... On prend des habitudes
bureaucratiques et on pense bureaucratiquement. La force du
passé l'emporte sur l'autre. On la défend
contre qui la discute. Elle est en vous. Elle vous
empêche d'analyser et de voir clair et on pontifie
sans s'en rendre compte.
..... Seules la critique et
l'autocritique conscientes nous rendent capables d'analyser
ce qu'il y a d'habitudes en nous, quelles en est la nature,
et de les combattre quand elles nous empêchent
d'avancer.
l
..... On ne s'imagine pas ce
que la morale bourgeoise a laissé de traces en
nous.
..... Vous prenez la parole
dans une assemblée syndicale ou un congrès,
vous commettez une erreur flagrante sur tel sujet, vous
tapez à côté, quelqu'un vous interrompt
pour dire que vous vous trompez : c'est "un adversaire" -si
c'est est un il n'empêche que sur ce point il a
raison- mais vous voilà parti, vous enfonçant
dans votre erreur, essayant de prouver que ce n'en est pas
une, ou vous "déshabillez" l'interrupteur : question
"d'amour-propre".
.....Des amis, naturellement,
vous applaudissent, vous êtes content, vous vous dites
et vous leur dites : je lui ai rivé son clou :
"suffisance".
.....Vous avez "rivé"
les auditeurs attentifs et impartiaux à la conviction
que vous avez tort et que ce n'est pas sérieux pour
un militant : "mauvais travail".
.....Un camarade commet une
faute contre ses camarades ou contre l'organisation, il le
sait mais n'en veut pas convenir, question "d'amour-propre"
: "moi" au-dessus de tout, "vous le savez aussi, mais vous
le soutenez" : question "d'amitié personnelle" :
l'amitié personnelle au-dessus de tout,
l'intérêt de la vérité et de
l'organisation viens après.
.....Mais ce "moi" au-dessus de
tout n'est pas aussi d'aplomb sur ses jambes qu'il se
l'imagine. Il cherche aussitôt des points d'appui
autour de lui parmi ses "amitiés personnelles" ou
d'autres "moi" aussi chancelants que lui; s'il en trouve au
sein de l'organisation c'est un "clan", un clan contre
l'organisation.
.....De là il en cherche
ailleurs, en dehors de l'organisation, il en trouve sans
tarder parmi les adversaires : le "moi" au-dessus de tout ne
marche plus qu'avec son fil à la patte vers le camp
de la bourgeoisie qu'il baptisera pompeusement : "camp de la
liberté" : cela s'appelle trahir sa classe.
.....La morale bourgeoise sert
d'alibi et, chose curieuse, elle permet de vivre
misérablement, méprisé, sans remords de
conscience, car la conscience bourgeoise permet de vivre
ainsi.
.....La morale bourgeoise nous
empêche de nous dire franchement ce que nous devrions
nous dire sans gêne aucune et sans risque de troubler
en quoi que ce soit nos rapports de camaraderie.
.....Un camarade a
été placé à un poste. Il est
sérieux, honnête, fait ce qu'il peut, mais il
s'avère que ce poste ne correspond pas à son
niveau général. Il lui manque une
qualité, et c'est précisément
celle-là qu'il lui faudrait.
.....S'il fait son autocritique
il s'en apercevra, il n'aura pas la conscience
tranquille.
.....Mais ce n'est pas si
simple. Si ma manche est déchirée au coude,
mon voisin le découvrira plus facilement que
moi-même.
.....On vit dans sa peau et on
n'y voit pas toujours clair, on devrait être
reconnaissant aux amis qui nous ouvrent les yeux comme au
médecin qui vous avertit du danger.
.....Si je me sens
grippé je le dis bien. Si l'on m'en fait la remarque
je ne m'en fâche pas, et si l'on insiste pour que je
me soigne je ne crierai pas contre je ne sais quelle entorse
à l'amitié, j'irai me coucher.
.....Mais dans le cas du
militant auquel il manque une qualité ou autre chose,
voilà que s'interpose la question d'amour-propre, la
peur de le heurter, de porter atteinte aux rapports
d'amitié.
.....Comme c'était un
déshonneur de ne pas connaître tout, de ne pas
être parfait, de ne pas savoir ou pouvoir tout faire,
de ne pas être en un mot un militant universel.
.....Comme si c'était un
déshonneur de vieillir, de sentir qu'on ne peut plus
brasser tant de choses à la fois et qu'il faut
concentrer ses efforts là où l'on peut mieux
faire.
.....Pour dire ce que nous
pensons à notre bon camarade jeune ou vieux ou ni
l'un ni l'autre, nous prenons la chose de loin, nous
tournons autour et même il arrive que, las de tourner
autour, nous lui cassons le morceaux sans aucun
ménagement cette fois, sans explication, à
moins que nous lui fassions faire la commission.
.....Dans bien des cas les
précautions sont nécessaires pour ne pas
décourager des camarades qui n'ont pas accompli au
même moment que nous le pas qui sépare la
critique inconsciente de la critique consciente.
.....Mais je trouve que le plus
souvent, cet embarras entre camarades témoigne d'une
amitié formelle, superficielle, conventionnelle,
qu'il est le reflet de rapport de fausse politesse
petite-bourgeoise, qu'il conduit à l'hypocrisie,
à l'accumulation des critiques, puis à des
griefs réciproques, aux cancanages, et qu'il nuit aux
rapports de réelle amitié qui doivent exister
entre militants : se dire ouvertement, tranquillement la
vérité, nous soumettre ensemble
volontairement, consciemment, ouvertement et tranquillement
à la critique et à l'autocritique, comme
à une fonction nécessaire de l'activité
militante.
l
.....Cette lutte que nous
menons, c'est la lutte entre la nouvelle et la vieille
morale, entre ce qui rentre en nous de l'homme nouveau et ce
qu'il y a ou ce qui reste en nous d'individualisme
petit-bourgeois.
.....Les blessures
d'amour-propre, l'esprit de suffisance et le sectarisme par
rapport à la critique et à l'autocritique
conscientes sont les manifestations typiques de la morale et
de l'individualisme petit-bourgeois basé sur
l'appropriation individuelle des richesses et moyens de
production : la liberté individuelle d'exploiter
autrui, l'individu au-dessus de tout, libre de mentir, de se
débrouiller aux dépents de n'importe qui,
etc...
.....La critique et
l'autocritique conscientes de notre comportement individuel
et de notre activité militante sont les ressorts de
la transformation de la conscience bourgeoise en conscience
révolutionnaire.
.....La morale qui nous permet
de confronter nos pensées et nos actes selon des
principes nouveaux est fondée sur les principes d'une
société nouvelle, sur les principes d'une
société sans classe, sur de nouveau rapports
de production entre les hommes, sur les principes d'une
société socialiste et communiste.
.....Mais déjà
cette conscience révolutionnaire a les
éléments permanents de sa formation et de son
développement dans le développement de la
classe ouvrière et dans nos rapports avec les
masses.
.....C'est dans la notion de
nos devoirs envers la classe ouvrière que nous devons
soumettre notre comportement à la critique et
à l'autocritique, à l'autocritique
intérieur ou publique, selon les cas et la
nécessité.
l
..... La critique et
l'autocritique ne sont pas des articles de foi, ni
d'opportunité tactique, mais une loi de la
dialectique établie à la lumière du
matérialisme dialectique.
.....C'est par la critique et
l'autocritique conscientes que nous arrivons à
refouler en nous la morale réactionnaire bourgeoise
et ce qui reste en nous d'individualisme petit-bourgeois,
que nous nous délivrons des idéologies
réactionnaires qui servirent et servent encore aux
pontifes du système capitaliste à gouverner
les peuples qu'ils oppriment.
.....C'est ainsi que nous nous
préparons à notre rôle de guides d'une
humanité nouvelle fondée sur une morale
supérieure.
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