L'INVASION DU CAMBODGE
PAR LE VIETNAM : éléments d'histoire et points de repère.

(Catherine QUIMINAL) -Editions Potemkine 1979-

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II) INTERET DES PAYS. INTERET DES PEUPLES. L'ÉGALITÉ DANS LE RESPECT DE LA DIFFÉRENCE : UNE PRATIQUE DIFFICILE.

A) SIHANOUK: UNE POLITIQUE EXTÉRIEURE DE NEUTRALITÉ, UNE POLITIQUE INTÉRIEURE D'EXTERMINATION DES RÉVOLUTIONNAIRES.

    En 1954, Sihanouk obtint de régler lui-même leur sort aux Khmers Issaraks, afin qu'ils ne contrôlent aucune zone du pays. Les pays socialistes acceptent l'évacuation du pays par les troupes Viet-Minh.
    "Sur les 5000 guérilleros Issaraks-Vietminh que comptait le Cambodge en 1950, 2500 quittent le pays dans les fourgons de l'armée de libération Vietnamienne, 2000 combattants enterrent leurs armes; 200 cadres politiques se réfugient à Hanoï (ou en Chine et URSS). Les autres disparaissent dans les villes et les campagnes Cambodgiennes. A Phnom Penh apparaît alors un Parti Communiste Khmer, le Pracheachon (Parti du Peuple) (NDLR: selon les Vietnamiens il s'est créé en 1951)... Ses dirigeants arrêtés et emprisonnés malgré l'amnistie promise par Sihanouk à Genève, sont éliminés... Vers 1958 le Pracheachon se saborde et ses membres, ceux qui sont encore en vie et en liberté, se réfugient à leur tour au Nord-Vietnam"
                "Le Cambodge"... F. Debré ouvrage cité.

    S'ouvre alors une période sombre pour les révolutionnaires. "Durant les années 59 et 60, les arrestations se sont multipliées aussi bien dans les villes que dans les campagnes. A cette date dans les campagnes, les forces révolutionnaires ont été détruites à 90%"
                "Vive le 17ème anniversaire de la fondation du P.C.K." 1977.

    Les Cambodgiens ont à lutter contre un gouvernement en apparence nationaliste et qui réussit à obtenir un certain consensus autour de lui.

B) LE VIETNAM : CONSTITUTION DU F.N.L.

    La fin des années 50 est d'ailleurs une période difficile également pour les Vietnamiens. Après avoir préparé réclamé et attendu en vain les élections promises à Genève, il se trouvent aux prises avec la détermination américaine de les exterminer. Dès 1956, les américains ont mis au pouvoir dans le Sud qui n'était pas encore une entité, un régime à leur solde dirigé par Diem. Leur objectif et leurs méthodes:
    "Nos premiers efforts visaient à aider le gouvernement du Sud-Vietnam à maintenir des forces de police comprenant une armée régulière de 150 000 hommes, une garde civile mobile de quelques 45 000 hommes et des unités locales de lutte contre la subversion. Nous sommes en train de fournir à ces forces de l'argent et de l'équipement, et nous avons la mission d'entraîner l'armée Vietnamienne"
                  "US State Département Bulletin - 11 Juin 1956" Cité par Jean Chesnaux "Le Vietnam" Maspéro.

    Les Vietnamiens ont directement à lutter contre l'impérialisme américain. C'est là une différence de situation d'avec les Cambodgiens.
    Dès 1957, l'armée comptait 200 000 hommes. C'est dans ces conditions que la lutte armée reprend dans le sud en 59. Les ratissages, emprisonnements, tueries, ont obligé de nombreux Vietnamiens, cadres politiques et paysans à se réfugier au Cambodge, notamment ceux qui étaient près de la frontière.
    La résistance, sous diverses formes, occupation des terres, grèves ouvrières, la lutte armée est d'abord spontanée jusqu'en 1960, date de création du Front National de Libération.
    Date aussi de la fondation du Parti Communiste du Kampuchea, "organisation véritablement nationale".

C) HISTOIRE DU PARTI COMMUNISTE DU KAMPUCHEA (P.C.K.): LA PREMIERE ORGANISATION DU PEUPLE CAMBODGIEN.

    Nous passerons relativement vite sur l'histoire du Vietnam qui est ou devrait être mieux connue (nous développerons dans un ouvrage ultérieur, car les mémoires s'usent).
    Par contre, en ce qui concerne le Cambodge, il est nécessaire de porter ici à la connaissance de tous une histoire largement inconnue et sans laquelle la lutte pour l'indépendance du peuple Cambodgien ne peut être comprise et défendue de manière vivante. Pour cela, nous citerons largement un document récent du P.C.K., auquel nous nous sommes permis de rajouter des intertitres.

    -1) DEUX ENNEMIS: l'impérialisme américain, les propriétaires fonciers.

    Le premier congrès a tracé: "la ligne stratégique fondamentale de la révolution nationale démocratique".

    -a) L'IMPÉRIALISME AMÉRICAIN ET L'INDÉPENDANCE NATIONALE.

    Primo: le congrès a analysé et déterminé la véritable nature de la société du Kampuchea à cette époque ? Quelles étaient ces contradictions ? ... Le Kampuchea à cette époque dépendait de l'impérialisme, en particulier de l'impérialisme américain... Cette analyse a-t-elle pu s'effectuer sans lutte ? Certes non ! Nous avons du lutter dans nos rangs, nous avons du lutter dans certains milieux de la société. A cette époque, au sein de la nation, certains soutenaient que le Kampuchea était indépendant depuis 1949, d'autres affirmaient que l'indépendance avait été acquise en 1954 grâce aux accords de Genève. En définitive, ces 2 opinions, à part la divergence sur la date affirmaient que le Kampuchea était indépendant. Mais la véritable nature de la société d'alors, la véritable nature du pays permettaient-elles de parler d'indépendance ? Assurément non ! Ni l'économie, ni la culture n'étaient indépendantes. Ni même la politique: certains secteurs en étaient indépendants, mais d'autres ne l'étaient pas. Il en était de même pour la vie sociale. Ne pas être indépendant signifie être dépendant de l'étranger, dépendant de l'impérialisme en général dont l'impérialisme américain est le chef de file. Sur le plan militaire, le Kampuchea n'était pas non plus indépendant. Les accords militaires Khmêro-américains du 16 Mai 1955 en étaient la preuve. En outre, l'Organisation du Traité de l'Asie du Sud-EST (SEATO) avait étendu son "parapluie" sur le Kampuchea. Par conséquent, bien que formellement indépendant, bien que formellement neutre, le Kampuchea, de par son essence, sa véritable nature, ne l'était guère.
    L'économie était par son essence, entièrement dominée par l'impérialisme. Il en était de même pour la culture. Quant à la nature de la société et au mode de vie, ils étaient sous l'empire impérialiste, notamment au niveau des milieux dirigeants.
    Nous avons défini le Kampuchea d'alors comme étant un pays inféodé à l'impérialisme, un pays semi-colonial.
    Cette analyse devait permettre à chacun de se convaincre qu'il existait des contradictions. Le Kampuchea n'était certes pas totalement dépendant, mais il l'était à MOITIÉ. S'il en était ainsi, existait-il des contradictions ? Assurément ! Les contradictions existaient. Il y avait contradiction entre la nation du Kampuchea et l'impérialisme venu de l'extérieur, en particulier l'impérialisme américain. Ce n'était pas une agression armée, mais c'était une agression économique, culturelle, sociale et même militaire du fait qu'il avait soumis l'armée du Kampuchea à ses emprises multiformes.
    Par conséquent, de par sa véritable nature, la société du Kampuchea était en proie à des contradictions. Il ne pouvait en être autrement. Seulement certains s'efforçaient de les enterrer en affirmant qu'il n'en existait pas. Mais en vérité, les contradictions existaient. Il existait des contradictions entre la nation du Kampuchea et l'impérialisme, en particulier l'impérialisme américain, et il fallait les résoudre. Il fallait les résoudre en définissant correctement les tâches révolutionnaires, à savoir rassembler toute la nation en une force pour lutter contre l'impérialisme, en particulier l'impérialisme américain, pour l'indépendance, la souveraineté, l'intégrité territoriale.
    C'est là la tâche de la révolution nationale. Elle signifie qu'il fallait chasser l'impérialisme et libérer la nation. (...)

    -b) PAS DE RÉVOLUTION NATIONALE DÉMOCRATIQUE SANS LES PAYSANS - 85% DE LA POPULATION.

    Secundo: le congrès a analysé et défini les contradictions au sein de la société du Kampuchea. A l'époque où nous avons élaboré la ligne du Parti, la société du Kampuchea était divisé en classes bien distinctes: la classe ouvrière, la classe paysanne, la petite bourgeoisie, la bourgeoisie et la classe féodale. En tout, cinq classes.
    Existait-il des contradictions entre ces diverses classes ?
    Il en existait, et elles étaient complexes. Il existait des contradictions entre les ouvriers et les capitalistes, entre la petite bourgeoisie et les capitalistes, entre les paysans et les propriétaires fonciers, entre les capitalistes et les paysans, etc... Les contradictions étaient très complexes et très enchevêtrées. Cependant, quelles étaient les contradictions qui jouaient le rôle prépondérant dans la société de l'époque ?
    Pour trouver la réponse à cette question, il fallait trouver parmi les multiples contradictions au sein de la société, celle qui concernait la population la plus nombreuse. Quelle était la classe qui exploitait le plus les autres? Quelle était la classe qui était la plus exploitée et la plus nombreuse ?
    L'examen de la société du Kampuchea à cette époque a révélé que les paysans représentaient 85 % de la population du pays. Les paysans constituaient donc l'écrasante majorité de la population. Ils subissaient à la fois l'exptoitatation des propriétaires fonciers et l'exploitation des capitalistes. Cependant, les paysans subissaient l'exploitation de façon plus dure, plus multiforme et plus directe de la part des propriétaires fonciers. Par conséquent, 85% de la population, c'est-à-dire les paysans, étaient en contradiction avec la classe exploiteuse qui les exploitait directement, la classe des propriétaires fonciers. Parmi toutes les contradictions au sein de la société du Kampuchea, la contradiction qui jouait le rôle prépondérant, c'était celle qui existait entre les paysans et les propriétaires fonciers, parce que la classe paysanne, 85%, représentait l'écrasante majorité de la population. Il fallait résoudre en priorité cette contradiction principale afin de rassembler les forces de la paysannerie qui sont les plus importantes.
    Ainsi, dans la société du Kampuchea de cette époque, les contradictions étaient multiples et complexes, mais il en était une qui jouait un rôle prépondérant, c'était la contradiction entre la classe paysanne et la classe des propriétaires fonciers.
    L'exploitation des propriétaires fonciers sur les paysans revêtait des formes variées et existait jusque dans les endroits les plus reculés du Kampuchea. Nous avons procédé à des enquêtes directes pendant plusieurs années dans nos villages et communes et nous avons réuni des documents précis à ce sujet.
    Je cite un exemple: celui de Thmâ Kaul, dans la province de Battambang. Durant les années 1957-1958, c'était une région de grandes propriétés rizicoles: 90% des rizières se trouvaient entre les mains des propriétaires fonciers. Sur les dizaines de milliers d'habitants que comptait Thmâ Kaul, 4 à 10% étaient des propriétaires fonciers qui accaparaient 90% des terres. Les dizaines de milliers de paysans se partageaient les 10% de rizières restantes. C'est la raison pour laquelle nous avons conclu à l'existence d'un processus de paupérisation à la campagne. Cela veut dire que les paysans s'appauvrissent de plus en plus. Les paysans riches qui persévéraient à cultiver eux-mêmes leurs terres tombaient à la condition de paysans moyens. Les paysans moyens qui cultivaient eux-mêmes leurs terres, exploités pendant un certain temps, descendaient au rang de paysans moyens-pauvres. Les paysans moyens-pauvres peu à peu passaient au rang de paysans pauvres et les paysans pauvres, ayant petit à petit perdu toutes leurs terres devaient émigrer vers les villes pour se faire ouvriers, travailleurs ou tireurs de cycles ou de "remorques". Voilà le processus de paupérisation dans nos campagnes. Seuls les propriétaires fonciers s'enrichissaient.
    Tel était donc l'état des contradictions dans la société du Kampuchea. Ces contradictions existaient partout dans la société, partout dans le Kampuchea.
    Voici un autre document résultant de nos enquêtes menées dans la commune de Dontey, située dans la partie orientale de la province de Kampong Cham, zone Est. Nous avons examiné comment et sous quelles formes les propriétaires fonciers exploitaient les paysans.
    Une culotte de toile noire coûtait à l'époque 2 à 3 riels. Mais les paysans devaient l'échanger contre 10 à 15 thangs (un thang égale environ 40Kgs) de paddy livrés au moment de la récolte. Dans cette commune, pour ses besoins annuels, une famille de paysans moyens de cinq personnes: le mari, la femme et trois enfants, ne disposait que de 30 thangs de paddy, y compris pour les semences. Ainsi, avec 15 thangs de paddy, pour une culotte, pour deux culottes il fallait 30 thangs de paddy, c'est-à-dire toutes les ressources d'une famille de paysans moyens pendant un an.
    Telle était donc la grave exploitation qui sévissait dans nos campagnes. Ceux qui ne voyaient pas ces problêmes ne se rendaient pas compte de la gravité de l'exploitation dans les campagnes. Cette contradiction était par conséquent antagoniste, irréconciliable. Telle était la profonde contradiction dans la société du Kampuchea et qui concernait 85 % de la population. C'est pour cette raison que le 1er congrès de notre Parti a défini cette contradiction comme étant une contradiction antagoniste.
    S'il en était ainsi, comment résoudre cette contradiction ? Il fallait mobiliser les paysans pour lutter contre la classe exploiteuse qui est celle des propriétaires fonciers. C'était la seule solution. Cependant, pour vaincre, les paysans devaient avoir à leurs côtés d'autres forces sociales. Notre expérience concrète a bien montré que lorsqu'on est parvenu à mobiliser 85% du peuple, le reste suit, exceptée une infime minorité.
    Voilà comment nous avons défini nos tâches dans la révolution démocratique. Par "révolution démocratique", nous entendons la libération du peuple. Concrètement, c'est la libération de la majorité du peuple, les 85%, la classe paysanne. Libérer les paysans qui constituent 85% de la population, c'est du même coup libérer tout un peuple. Parmi les 15% restants, la grande majorité rejoint la masse des 85%. Cette masse constitue une puissante force révolutionnaire. Puissante non pas seulement du point de vue quantitatif, mais aussi du point de vue qualitatif puisque c'est une contradiction antagoniste. Découvrir cette force, c'est la clé de la victoire. Considérer nos paysans comme arriérés, sans hygiène, misérables, incultes, incapables de faire la révolution, c'est tomber dans une grave erreur d'analyse. Ce n'est pas procéder à l'analyse scientifique des contradictions au sein de la société.
    En vérité, les 85% de la population constituent une force immense et par son nombre et par les contradictions qui la régissent. Les contradictions engendrent la haine. Mais elles étaient restées enfouies. Pourquoi ? Parce que la classe des propriétaires fonciers, les tenants du pouvoir et les maîtres à penser au service des classes dominantes se sont employées à les enterrer. L'idéologie, telle celle qui consiste à imputer tous nos malheur en ce monde aux méfaits que nous aurions accomplis dans un monde antérieur, vise à duper les paysans et à les empêcher de voir les contradictions. Et pourtant, les contradictions existent. L'analyse scientifique de la société en révèle l'existence. Il ne reste plus qu'à agiter la paysannerie pour qu'elle s'en rende compte, s'enflamme de haine de classe et engage la lutte.
    Voilà le problème-clé, le problème fondamental qui décide de la victoire. Telle est la conclusion de notre analyse et telle est notre conviction.
    En résumé, la révolution nationale démocratique devait accomplir deux tâches:
    1- combattre l'impérialisme
    2- combattre les féodaux-propriétaires fonciers. Combattre les féodaux-propriétaires fonciers non en tant qu'individus, mais combattre leur régime féodal d'exploitation.
    Suivant cette ligne, nous devons mobiliser les paysans pauvres et les paysans moyens-pauvres. Les cadres responsables du travail à la campagne ne vivaient pas dans les agglomérations, mais dans les endroits les plus reculés. C'est là que nous avons pu savoir notamment combien de thangs de paddy les paysans consommaient chaque année et combien de thangs de paddy il fallait échanger contre une culotte. Comment les paysans pauvres et les paysans moyens-pauvres étaient exploités, nous le savions parce que nous vivions avec eux et nous menions notre travail de propagande et d'agitation parmi eux sur l'exploitation féodale et semi-féodale, l'exploitation des marchands et des capitalistes.

    -c) LE MOUVEMENT PAYSAN A LA CAMPAGNE: CONSTITUTION DES FORCES RÉVOLUTIONNAIRES.

    Que les camarades examinent la situation de cette époque ! Comment se sont développées les luttes à la campagne à partir de 1964 ?
    1964, 1965, 1966, 1967, les luttes se sont développées avec impétuosité. Nous suivions de près le mouvement. C'était impétueux. 1964-1965: le mouvement était déjà puissant. 1966: il l'était encore plus. 1967: il était d'une impétuosité extraordinaire. Par milliers, par dizaines de milliers les paysans manifestaient, se soulevaient, se rendaient aux sièges administratifs de la commune, du district, de la province, pour réclamer les terres. Toutes les formes de luttes étaient utilisées: pétitions, interventions auprès des députés, mais surtout ce qui est important, les paysans s'armaient de couteaux, de haches et d'autres armes traditionnelles. Les armes à la main, les paysans investissaient les postes de police, les postes militaires, recouraient à la violence révolutionnaire, car les classes dirigeantes refusaient de résoudre les problèmes des terres qu'elles avaient pillées aux paysans pauvres de connivence avec les propriétaires fonciers. Les classes dirigeantes étaient des féodaux, des propriétaires fonciers et des capitalistes. Comment pouvaient-elles satisfaire les revendications des paysans ? Elles ne le pouvaient pas. Leurs mensonges et leurs subterfuges ne pouvaient leur servir que pendant un certain temps. Après plusieurs actions, les paysans, n'ayant pu récupérer leurs terres, le mécontentement se transformait en colère puis en haine de classe, haine engendrée par les contradictions de classes. A ce stade, comment résoudre le problème ? Il ne restait plus aux paysans qu'à s'armer d'armes blanches et à chasser eux-mêmes les accapareurs de terres. Ils n'avaient pas peur désormais de la mort, n'ayant plus rien c'était déjà pour eux la mort.
    Tel était le mouvement impétueux de nos paysans. Le mouvement s'étendait dans tout le pays.
    D'aucuns nous demandaient où était notre force. Faire la révolution les mains vides, est-il possible de vaincre ?
    Ceux-là ne voyaient pas la force de notre peuple en pleine ébullition, avec une conscience de classe en plein éveil. Cette conscience de classe n'était pas due au seul travail de propagande et d'éducation de notre parti, mais elle était acquise à travers la lutte, à travers la haine de classe et à travers tes contradictions de classes non résolues. Autant de problèmes qui amenaient nos paysans à trouver la solution dans la violence révolutionnaire. L'utilisation de la force brutale venait de notre peuple lui-même, instruit par les expériences de ses propres luttes. Ainsi, nous avons pu mobiliser 85% de paysans dans tout le pays. C'est une force prodigieuse. C'est pourquoi nous avons osé lutter. Notre Parti a confiance dans le peuple. Pourquoi ? Parce que le Parti a bien vu les contradictions de classes et que le peuple lutte de son propre mouvement pour les résoudre. Nous nous bornons seulement à le guider pour qu'il s'unisse en force et qu'il n'aille pas au combat en ordre dispersé.
Telle est l'analyse formulée par le premier congrès. Elle a ouvert la voie à une juste orientation de notre parti. Si nous n'avions pas trouvé cette voie, nous serions dans une mauvaise direction.

-d) ET LES OUVRIERS ?

    Certains croyaient à l'importance de la lutte parlementaire. Le Parti devait certes mener la lutte à l'assemblée, (NDLR: Khieu Samphan était secrétaire d'Etat chargé du commerce. Il le restera jusqu'en 1967), mais c'était une forme de lutte complémentaire. Elle ne constitue pas la principale forme de lutte de notre révolution. La lutte par les moyens de la presse est une forme pour mobiliser l'opinion des larges masses, mais elle ne constitue pas non plus une forme principale de lutte.
    La force fondamentale de notre révolution est celle des paysans. Dans notre pays, la situation est différente des pays industriels. Les ouvriers ne constituent pas la principale force de lutte de notre révolution. Au début, nous avons aussi mené un travail actif dans le milieu ouvrier. Une association sur le plan national a été créée pour impulser le mouvement ouvrier. Le camarade secrétaire-adjoint de notre Parti avait reçu la tâche de diriger le mouvement. Cependant, notre classe ouvrière était faible numériquement. Dans chaque usine, le mouvement était actif, mais il ne pouvait résister à la répression ennemie. Chaque fois qu'un mouvement se déclenchait, il était aussitôt enrayé. Le mouvement reprenait mais l'ennemi l'anéantissait de nouveau.
    Prenons l'exemple des chemins de fer. Le mouvement y était le plus puissant de la classe ouvrière de notre pays, mais il a été exterminé. Du fait des sévices subis, certains camarades restés ont perdu la raison.
    Par conséquent, la classe ouvrière par sa nature de classe est la meilleure force révolutionnaire, la force dirigeante. Cependant, elle était peu nombreuse et se trouvait totalement entre les mains de l'ennemi dans les usines et sur les chantiers.
    Ainsi, notre analyse de la société du Kampuchea de cette époque est fondamentalement juste. Les paysans étaient en contradiction avec les propriétaires fonciers. Sur la base de cette analyse, nous avons pleinement confiance en nos propres forces. Quoiqu'on disent certains, quelles que soient les difficultés, nous demeurons inébranlables, car le peuple a lutté et il lutte sous la direction d'un Parti éclairé par une ligne juste.
    Un événement parmi tant d'autres, un événement de cette époque que je vais évoquer à titre d'exemple montre la richesse des formes de lutte de notre peuple.
    Le village Krâvar, de la commune du même nom, dans le district de Baray, est un village perdu de la haute région, situé à la lisière des forêts, sur la rive du Stung Chinit. L'ennemi l'avait soumis à toutes sortes d'exactions et à une dures exploitation, principalement par l'exploitation des terres. Les habitants avaient lutté. L'ennemi avait arrêté tous les hommes. Il ne restait au village que les femmes et les enfants. Le Parti avait alors recommandé une forme de lutte complémentaire: lutter à l'assemblée. Les paysannes nous avaient aussitôt répondu: "Comment ? Nous, lutter à l'assemblée ? Nous qui ne connaissons ni Phnom Penh ni l'assemblée ! Avec qui lutter et contre qui ? Nous leur avons dit de prendre le car de Kompong Cham et une fois à Phnom Penh, de prendre des cycles en demandant à ces derniers de les emmener à la maison de Chau Sen Cocsal, président de l'assemblée. Elles sont venues, tout un groupe, avec des enfants à la main, des bébés au bras. Les cycles les ont déposés chez Chau Sen Cocsal. Là, elles ont refusé de partir jusqu'à ce que Chau Sen Cocsal au bout de quelques jours accepta en fin de compte de s'arranger pour qu'on leur rendit leurs maris et leurs terres.
    Voilà comment nos paysannes illettrées qui n'avaient jamais connu ni aucune ville, ni Phnom Penh, ni l'assemblée, avaient cependant osé lutter sous la direction du Parti. Les forces de leur lutte étaient variées. Le peuple, c'est une force immense, capable de tout faire. Pourquoi en est-il ainsi ? La raison en est que notre analyse des contradictions est juste et que nous avons mobilisé les forces nécessaires pour y apporter une juste solution.
    Telle est la ligne que nous avons adoptée. L'analyse des contradictions au sein de la société du Kampuchea étant faite, comment déterminer les ennemis et les forces de la révolution.
    Nous avions deux ennemis à combattre: le premier était l'impérialisme, en particulier l'impérialisme américain, le deuxième était la classe des féodaux, des propriétaires fonciers, des compradores réactionnaires.
    Les forces de la révolution étaient constituées par les ouvriers, les paysans, la petite bourgeoisie, la bourgeoisie nationale, les personnalités progressistes et patriotes. Toutes les forces de la communauté nationale étaient mobilisées. L'issue de la lutte en dépendait directement.

-e) UN LARGE FRONT UNI.

    Comment mobiliser les forces ouvrières, les forces paysannes, les forces de la petite bourgeoisie, les forces de la bourgeoisie nationale, les forces des personnalités patriotes ?
    Nous avons procédé suivant la ligne déjà tracée. Il fallait avoir toujours en vue les principales contradictions. Les contradictions principales, c'étaient l'impérialisme et le régime des féodaux et des propriétaires fonciers que nous avions à combattre. Quant aux contradictions secondaires, elles devaient être résolues par concessions réciproques de façon à permettre l'union de toutes les forces en vue de la lutte contre l'impérialisme, en particulier l'impérialisme américain et le régime des féodaux, des propriétaires fonciers et des compradores réactionnaires. En nous basant sur cette ligne, nous avons rassemblé toutes les forces.
    Nous avons réparti notre travail en fonction de ces forces. Certains de nos camarades se sont chargés du travail parmi les ouvriers, d'autres du travail parmi les paysans, d'autres encore parmi la petite bourgeoisie, les intellectuels, les élèves, les étudiants, parmi les bonzes, parmi la bourgeoisie nationale et parmi les personnalités patriotes et progressistes. C'est pour dire que nous rassemblons toutes les forces susceptibles d'être rassemblées: pas seulement les ouvriers et les paysans, mais aussi la petite bourgeoisie, les élèves, les étudiants, les intellectuels, les bourgeois nationaux, les personnalités patriotes et progressistes. Nous rassemblons tout le monde.
    Mais comment parvenir à rassembler les gens ? Il fallait bien que notre politique fut juste, c'est-à-dire que nos raisons fussent fondées. Il fallait faire en sorte qu'ils comprissent ces raisons. Il fallait également que notre politique fut conforme à leurs intérêts pour qu'ils nous apportassent leur soutien. Nous leur parlions, nous discutions avec eux. Parfois, ils étaient d'accord avec nous, parfois ils ne l'étaient pas. Nous revenions plusieurs fois sur la matière. D'abord, on ne voyait pas le vrai visage de l'impérialisme américain. Mais au fur et à mesure, ils finissaient par le voir plus clairement de plus en plus et s'unissaient avec nous pour le combattre, pour conquérir l'indépendance, la paix et la neutralité.
    Toutes les forces ont leur rôle à jouer, mais les forces fondamentales sont les paysans qui représentaient 85% du peuple. Nous avons réussi à mobiliser ces dernières et ceci nous a permis de rassembler les autres au fur et à mesure. Nous avons pu ainsi mobiliser des forces à plus de 95%. Des forces représentant 95 % de notre peuple, qui consentaient à s'unir pour combattre l'ennemi.
    Il est vrai qu'elles sont de catégories différentes: certaines sont des forces stratégiques, d'autres des forces tactiques. Nous considérons les forces ouvrières et paysannes comme forces stratégiques.
    Le petite bourgeoisie, les élèves, étudiants, intellectuels de toutes catégories sont des alliées des ouvriers et des paysans. Il en était ainsi auparavant, et il en est de même à l'heure actuelle encore, en parlant de la classe d'origine de chacun.
    La bourgeoisie nationale constitue une force complémentaire dans le cadre de la révolution nationale démocratique. Elle n'est pas la force fondamentale car elle est instable. Tantôt elle passe du côté de l'ennemi, tantôt elle se tient du côté de la révolution, suivant le côté où le vent est le plus fort.
    Quant aux forces tactiques, elles sont constituées par les personnalités appartenant à l'aristocratie féodale, à la classe des capitalistes compradores ou à la classe des propriétaires fonciers qui acceptent de lutter selon leurs possibilités contre l'ennemi. Nous nous sommes efforcés de les rassembler tous. Samdech Penn Nouth et Samdech Sihanouk, Samdech Chef des Bonzes de l'ordre Mohanikay Chuon Nath et Samdech Chef des Bonzes de l'ordre Thammayuth sont des personnalités que nous nous sommes efforcés de rassembler. Nous avons rassemblé tout le monde. Notre ligne est juste et nous l'avons appliqué correctement.
    Suivant notre ligne de Front Uni, nous avons rassemblé toutes les forces nationales en un front uni, large et solide, sur la base de l'alliance des ouvriers et des paysans, sous la direction de notre Parti. Nous avons enregistré successivement d'excellents résultats dans l'organisation de ces forces révolutionnaires stratégiques et tactiques, ce qui a eu pour effet de gagner à la révolution des forces de plus en plus importantes et d'acculer l'ennemi à un isolement de plus en plus grand.
    Nous avons poursuivi notre politique de rassemblement des forces jusqu'à différencier même les ennemis pour ne frapper que les plus réactionnaire. Nous différencions nos ennemis en 3 catégories:
    -1 gagner l'ennemi susceptible d'être gagné, ne serait-ce que dans certaines circonstances,
    -2 amener certains autres à adopter une position de neutralité,
    -3 isoler les plus réactionnaires pour les frapper.
    Nous avons ainsi réussi à différencier nos ennemis et, dans certaines circonstances, à utiliser leurs contradictions internes. Citons un cas. Les traîtres Sim Var et Sam Sary étaient l'un et l'autre des agents de la CIA. Le traître Sim Var était du groupe des "Khmers Serei" du traître Son Ngoc Thanh, un agent de la CIA. Le traître Sam Sary était lui aussi un agent de la CIA. Mais pendant un certain temps, nous avons réussi à établir l'unité d'action avec Sim Var pour lutter avec succès contre Sam Sary. Sim Var a coopéré avec nous pendant 2 ou 3 ans. Il s'est retourné par la suite contre nous et nous avons révisé en conséquence notre position à son égard.
    C'était là profiter de toutes les occasions pour rassembler les forces en vue de frapper l'ennemi. Si nous avions été rigides et sectaires, nous aurions manqué certaines occasions de rassembler des forces au service du mouvement révolutionnaire. Mais il ne s'agissait là que de forces tactiques. Les forces stratégiques vers lesquelles tendaient tous nos efforts, c'étaient les ouvriers et les paysans, en particulier les paysans pauvres et les paysans moyens-pauvres qui se trouvaient partout à travers le pays.
    Précisons que sans une telle ligne et sans une telle application de la ligne de rassemblement des forces, il n'aurait pas été question de remporter la victoire. Aucun mouvement révolutionnaire ne peut remporter la victoire s'il n'a pas su rassembler toutes ses forces.
    Dans la révolution nationale démocratique, nous avons remporté la victoire parce que nous avons organisé nos forces suivant cette ligne, nous avons correctement rassemblé les forces suivant celle ligne.
    Quelles sont les forces stratégiques, quelles sont les forces tactiques, sur quelle question de principe il faut savoir être intransigeant, sur quelle question il faut savoir s'unir, sur quelle question de détail il faut savoir faire des concessions pour favoriser l'union contres l'ennemi principal, telle est la ligne de notre Parti. C'est cette ligne qui nous a guidés. (...)

    -f) LES FORMES DE LUTTE.

    Dans la préparation et l'édification des forces révolutionnaires pour combattre victorieusement l'ennemi, les forces étant ainsi préparées, quelles formes de lutte fallait-il utiliser ?
    Le premier congrès de notre Parti a déterminé les formes de lutte révolutionnaires suivantes:
    - primo: le recours à la violence révolutionnaire politique et à la violence révolutionnaire armée. Nous avons recouru à la fois à la lutte politique et à la lutte armée en employant la violence révolutionnaire. Cette violence, c'est la force brutale pour résister à l'ennemi et attaquer l'ennemi.
    - secundo: les formes de lutte légale, semi-légale et illégale, en prenant les formes de lutte illégale comme base. Nous avions pris les formes de lutte illégales comme base parce que normalement, faire la révolution, c'est "illégal", parce qu'il n'existe aucune législation des classes exploiteuses qui autorise de faire la révolution. Mobiliser le peuple pour lutter, c'est "illégal", mais osons-nous lutter pour autant ? Si on fait la révolution, il faut oser lutter parce que la révolution est "illégale". La révolution renverse l'ancien pouvoir et instaure un nouveau pouvoir. C'est pour cette raison que notre ligne a déterminé les formes illégales comme base.
    Nous avons soulevé ce problème pour mieux clarifier les conceptions et les positions. Si ce sujet n'avait pas été bien clair, on n'aurait lutté que sur le plan légal. Si les lois ne l'avaient pas autorisé, nous n'aurions pas osé lutter ce qui signifie que nous n'aurions pas fait la révolution.
    Ainsi, les formes de lutte constituent un principe révolutionnaire dans notre marche vers la victoire.
    - tertio: les formes de lutte ouverte, semi-ouverte et clandestine, en prenant les formes de lutte clandestine comme base. Nous avons utilisé aussi bien les formes de lutte ouverte que semi-ouverte, mais nous avons pris comme base les formes de lutte clandestine, car l'ennemi ne nous laisse pas faire la révolution. Par conséquent, pour pouvoir faire la révolution, pour pouvoir faire de l'agitation auprès du peuple, il fallait aller auprès du peuple, faire de la propagande auprès du peuple, vivre avec le peuple, soulever le peuple en prenant la forme clandestine comme forme principale.
    Les formes de lutte ouverte ne suffisent pas. Elles n'opèrent que sur le plan de l'étendue et ne pénètrent pas profondément dans le peuple. Prenons le cas de la presse. En admettant que nous ayons pu éditer 100 quotidiens, nous n'aurions pu écrire que dans le cadre des lois de l'Etat des classes féodales et capitalistes. Ainsi, le contenu révolutionnaire n'aurait pas atteint le peuple. Le contenu de classe, le contenu de la lutte renversant les classes exploiteuses ne peuvent parvenir jusqu'au peuple à la base. C'est seulement quand nous allons travailler clandestinement dans le peuple que le contenu révolutionnaire pénètre jusqu'au peuple de la base. Il faut que les lignes d'action et les formes de lutte soient correctes pour obtenir des succès dans notre travail pour pouvoir mobiliser les forces.
    Aussi le parti s'est-il attaché à bien répartir le travail entre les cadres. A tels camarades a été confié le travail ouvert, à tels autres le travail en tant que député de l'Assemblée, en tant que membre du gouvernement sous l'ancien régime, en tant que fonctionnaire de l'administration, le travail ouvert dans les diverses organisations de masse, le travail de presse. Ce sont là, différentes formes à utiliser pour le travail d'agitation des masses. C'est ainsi que nous avons réparti le travail entre nous. Cependant, il existait des sections de travail clandestin, pour faire de l'agitation parmi la population clandestinement.
    A Phnom Penh, il y avait des sections de travail ouvert et des sections de travail clandestin. De même à la campagne, il existait des sections de travail ouvert et des sections de travail clandestin. Le travail clandestin était fondamental: il permettait de défendre les forces révolutionnaires et permettait également de soulever le peuple. Si un trop grand nombre de nous ou si nous tous avions travaillé à découvert, l'ennemi aurait pu nuire à beaucoup d'entre nous ou nous nuire à tous.
    Telles sont les formes de lutte destinées à utiliser avec efficacité toutes les forces qui résident dans le peuple. Nous n'avons pas utilisé inconsidérément ces forces pour ne pas les exposer à des destructions. En empruntant toutes ces formes, notre lutte s'est étendue à tout le pays. Nous avons pu mener la lutte aussi bien à la campagne que dans les villes, aussi bien clandestinement qu'ouvertement à l'assemblée, dans le gouvernement, dans les associations, les organisations de masse, dans la presse, les associations pour le développement de l'enseignement, même dans les associations pour l'incinération des morts, les associations de défense des pagodes, de défense du bouddhisme. Nous avons pu y mener la lutte, y mobiliser au maximum les masses suivant diverses formes et suivant divers mots d'ordre.
    Bien qu'à l'époque nous menions une lutte politique, nous empruntions des formes variées et multiples, à la manière de la guerre populaire. Ainsi, nous pouvions attaquer l'ennemi n'importe où. Nous pouvions mener aussi bien des attaques de grande envergure que des attaques de petite envergure.
    Voilà notre travail de mobilisation et d'entraînement successif du peuple. C'est grâce à l'utilisation de toutes ces formes de lutte que nous avons pu constituer nos forces. Si nous avions mené la lutte seulement à la campagne, les forces nous auraient manqué dans les villes. Si au contraire nous n'avions lutté que dans les villes, nous n'aurions pas eu de force à la campagne. Aussi, nous avons lutté aussi bien à la campagne que dans les villes, aussi bien ouvertement que clandestinement, aussi bien légalement qu'illégalement.
    Il en est de même pour le rôle des villes et le rôle de la campagne. Nous n'avons pas versé ni dans le gauchisme ni dans le droitisme. Si nous n'avions porté nos efforts qu'à la campagne sous prétexte que le rôle des villes est négligeable, nous aurions versé dans le gauchisme. Si par contre nous avions considéré que la campagne ne joue qu'un rôle mineur et que seule importe la lutte dans les villes sous prétexte que seule celle-ci est susceptible de provoquer des échos retentissants dans le monde, nous aurions versé dans le droitisme, car nous aurions négligé les forces stratégiques des paysans. Notre Parti n'a versé ni dans la gauchisme ni dans le droitisme parce que nous avons lutté des deux côtés à la fois. Nous avions une ligne d'action bien définie: nous luttions à la fois dans les villes et dans la campagne en prenant la campagne comme appui.
    Telle est notre ligne d'action. Pourquoi avons-nous pris la campagne comme appui et pourquoi n'avons-nous pas pris les villes comme appui.
    Les villes ne peuvent être un appui. Certes, la population y est nombreuse, mais la ville est petite, l'ennemi y est présent partout. L'assemblée, la justice, les prisons, la police, l'armée, tout est là. Les réseaux de l'appareil répressif de l'ennemi y sont serrés et la composition sociale des villes est très complexe. En revanche, la campagne est vaste, l'ennemi y est dispersé. Dans certains villages, il n'y a même pas l'ombre d'un ennemi, militaire ou autre . Dans certaines communes, on compte seulement un à deux militaires ou policiers. Cela signifie que les forces de l'ennemi à la campagne sont faibles et présentent des failles. Les paysans y sont très nombreux, la composition sociale du point de vue classe, par ailleurs, est bonne.
    Voilà pourquoi nous avons pris la campagne comme appui de la révolution. Premièrement, comme appui politique avec les masses paysannes comme forces. Deuxièmement comme appui économique, nous pouvions y vivre, produire et assurer nos moyens de subsistance en travaillant avec le peuple. Troisièmement, comme appui militaire. Quatrièmement, comme appui en tant que siège des divers organes de direction du Parti. Tel est le rôle d'appui de la campagne. C'est ce que nous avons réalisé dans la pratique. A partir de 1960, les membres du Comité Central ont transféré progressivement leurs activités à la campagne, et à partir de 1963, 90% des membres du Comité Central s'y sont établis. Il fallait s'installer à la campagne pour mobiliser directement les masses paysannes. En même temps, nous poursuivions notre travail dans les villes. De la sorte, nous avons obligé l'ennemi à disperser ses forces. Il ne pouvait les concentrer ni à la campagne, ni dans les villes. Nous l'attaquions simultanément sur ces deux fronts pour l'affaiblir.

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NOTE: La tâche que le P.C.K. se propose dès lors est celle de passer de l'indépendance formelle à l'indépendance réelle. C'est en quelque sorte le problème auquel se heurte aujourd'hui la plupart des pays du Tiers-Monde. Le P.C.K. est le premier Parti Communiste, nous sommes en 1960, qui dans des conditions toutes particulières, encerclement par l'impérialisme en guerre ouverte, décide de conduire jusqu'à sa réalisation la libération du pays.

Pour cela, nous dit le P.C.K., et c'est une leçon intéressante, reconnaître l'existence de deux ennemis. L'ennemi Externe, l'impérialisme américain, qui malgré les apparences reste bien l'ennemi principal, l'ennemi interne, les féodaux.

Deux points de divergence avec les Vietnamiens, comme on le verra plus loin. Mais reprenons le cours du texte. 

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suite pages 20 à 29 è

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