L'INVASION DU CAMBODGE
PAR LE VIETNAM : éléments d'histoire et points de repère.

(Catherine QUIMINAL) -Editions Potemkine 1979-

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DOCUMENT: Interview de Teng Siao Ping concernant la position de la Chine par rapport à la situation en Asie du Sud-Est (publié par le journal "Le Monde" en Octobre 1978).

La conquête de Phnom-Penh par les

Vietnamiens montrerait les véritables

intentions de Hanoï

affirme M. Teng Hsiao-ping 

De notre correspondant

    Bangkok. - Après son voyage au Japon, M. Teng Hsiao-ping est attendu début novembre en Thaïlande et en Malaisie, deux des cinq pays de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN), dont les régimes anticommunistes bénéficient du soutien de Pékin. Ou fait des conflits et tensions régionales entre les anciens alliés communistes de la guerre d'Indochine, le Vietnam, et, dans une moindre mesure l'U.R.S.S., après avoir affiché leur hostilité envers l'ASEAN. multiplient depuis cette année les ouvertures et les concessions pour gagner des appuis diplomatiques nouveaux. Le premier ministre vietnamien, M. Pham Van Dong, vient d'achever une série de visites dans les capitales de l'ASEAN. Le vice-premier ministre cambodgien, M. Ieng Sary. Est à Djakarta, où, après Manille, il dénonce " l'agression vietnamienne ". Avant M. Teng Hsiao-ping, M. Piroubine. vice-ministre soviétique des affaires étrangères, est attendu ces jours prochains dans plusieurs capitales de la région.
    Il s'agit essentiellement pour chaque camp - Pékin et Phnom-Penh d'un côté. Hanoi et Moscou de l'autre - de convaincre les pays tiers, et en premier lieu ceux de l'Asie du Sud-Est, de la menace que fait peser sur eux l'hégémonisme du groupe adverse. Les régimes communistes eux-mêmes brandissent en quelque sorte à leur profit la théorie des dominos invoquée hier par divers dirigeants américains pour justifier leurs interventions et leurs pactes militaires dans le Sud-Est asiatique…
    Les pays non communistes de la région se contentent, pour le moment, d'attendre. Ils professent une stricte neutralité que les faits ne confirment pas toujours. Ces pays ont marqué un point capital : ils ont obtenu, en bonne et due forme, la renonciation des Vietnamiens - tant celle du gouvernement de Hanoï que celle du parti, comme l'a confirmé à Singapour M. Pham Van Dong - à toute ingérence dans leurs affaires intérieures et, plus explicitement, à tout soutien aux mouvements de guérilla pro-communistes dans le Sud-Est asiatique. M. Pham Van Dong a pris cet engagement à Bangkok et à Kuala-Lumpur, où les mouvements insurrectionnels sont les plus actifs et, paradoxalement, très pro-chinois. Il serait vain de s'attendre à ce que la Chine prenne le même engagement, du moins officiellement.

"Plusieurs dizaines de milliards de dollars d'aide"

    En effet, M. Teng a déjà annoncé la couleur : la Chine ne cessera pas formellement son soutien aux mouvements communistes de la région, il le dit dans une interview, dont nous reproduisons des extraits, accordée par le premier ministre chinois à des journalistes thaïlandais avant sa visite a Bangkok. L'entretien a duré plus de deux heures et a eu pour cadre le Palais du peuple à Pékin.
    M. Teng Hsiao-ping y dresse un réquisitoire violent contre le Vietnam et l'Union soviétique. Il affirme que Moscou a des militaires au Vietnam et envisage calmement que Hanoï puisse prochainement conquérir Phnom-Penh - " Ce ne serait pas mal ", dit-il. Il exclut ainsi toute intervention militaire de la Chine pour sauver le régime de M. Pol Pot mais lance en même temps une sévère mise en garde quant aux conséquences d'une mainmise vietnamienne sur le Cambodge.
    M. Teng Hsiao-ping déconseille implicitement aux pays qui souhaitent avoir de bonnes relations avec Pékin. - par exemple, le Japon - de s'engager trop avant dans une politique d'aide au Vietnam. Il parle avec les certitudes que paraissent lui conférer le temps, le poids spécifique de son pays et, partant, son influence dans le monde asiatique.
    Au sujet du contentieux Chine-Vietnam-Cambodge, M. Teng déclare : " Dés le début, la dégradation des relations a été causée par le Vietnam. On a répandu des rumeurs selon lesquelles la Chine serait une menace pour le Vietnam, II est regrettable que l'on souligne toujours les exemples de l'histoire ou des Vietnamiens sont regardés comme des héros parce qu'ils ont lutté victorieusement contre les Chinois. Notre aide au Vietnam a été constituée à 90 % de dons, avec moins de 10 % de prêts, y comprit pour les armes stratégiques et la construction d'industries. La valeur totale de cette aide s'élève à plusieurs dizaines de milliards de dollars. "
    " La Chine n'a pas demandé de contrepartie (...). L'U.R.S.S. a tout le temps tenté de s'immiscer de plus en plus fortement en soutenant le Vietnam contre la Chine et en lui fournissant des armes. Dans ces conditions, les positions politiques du Vietnam et celles de la Chine se sont éloignées l'une de l'autre et la raison n'a pas pu prévaloir Après la réunification du Vietnam, la campagne anti-chinoise a été accrue avec, pour conséquence, l'expulsion des Chinois vivant au Vietnam, Le Vietnam avait déjà fait dix pas (contre la Chine) et la Chine pas un seul. Lorsque le Vietnam a fait le onzième, la Chine a fait le premier pas. Après le douzième, la Chine a fait le deuxième. Quand le Vietnam fera le treizième pas, la Chine sera obligée de faire le troisième. "
    " Le Vietnam, poursuit M. Teng Hsiao-ping, a une idée comique : il croit que ses forces armées sont les troisièmes du monde, après celles des Etats-Unis et celles de l'U.R.S.S. Le Vietnam est très arrogant. La Chine a tenté de trouver les raisons de la position du Vietnam contre la Chine. Les raisons importantes sont les suivantes :
    " Premièrement, le Vietnam veut créer une Fédération de l'Indochine englobant le Laos et le Cambodge. Il veut utiliser cette fédération comme base pour augmenter son influence dans le Sud-Est asiatique. Deuxièmement, la Chine a, dès le début, été opposée à cette Fédération. Pour ces deux raisons, la Chine est considérée par le Vietnam comme un grand obstacle. Pour sa part, l'Union soviétique cherche des positions en Asie du Sud-Est et utilise le Vietnam comme une base stratégique (...). Le Vietnam veut obliger le Cambodge à capituler. Il sait que le Cambodge a moins de troupes que lui. Le Vietnam prépare une grande offensive pour la saison sèche et pourrait même conquérir Phnom-Penh. Cela ne serait pas si mal que le Vietnam prenne Phnom-Penh, car ainsi le monde entier connaîtrait ses intentions (...). Si le Vietnam croit que, comme troisième puissance militaire mondiale il peut utiliser la force contre un autre pays, il n'a qu'à essayer. Il aura une surprise.
    " Le Vietnam a deux atouts. Il utilise la Chine dans ses négociations avec l'Union soviétique et se sert de l'U.R.S.S. dans ses négociations avec la Chine. Le Vietnam va avoir à se rendre compte des réalités après avoir eu affaire quelque temps à l'Union soviétique. L'Egypte, la Somalie et l'Inde sont des exemples à cet égard (...). Le Vietnam est un fardeau que l'U.R.S.S. porte. Le Vietnam recherche de l'aide dans le monde entier. J'ai entendu dire que le Japon lui a donné une aide de 50 millions de dollars. La Chine, elle, a donné plusieurs dizaines de milliards de dollars, et pourtant elle n'a pas pu l'aider. Comment les 50 millions de dollars du Japon pourraient-ils aider le Vietnam ? Le Japon dit qu'il aide le Vietnam pour qu'il ne s'adresse pas à l'U.R.S.S. Mais la Chine a dit au Japon que le Vietnam s'est depuis longtemps adressé à l'U.R.S.S. et que les Soviétiques ont depuis longtemps des bases militaires au Vietnam.

"Un fardeau que porte l'U.R.S.S. " 

    Suite aux propos tenus par M. Pham Van Dong aux pays de l'EASEAN sur la cessation de tout soutien vietnamien aux mouvements communistes régionaux, M. Teng a déclaré : " La Chine ne va pas changer ses principes. Tout reste en l'état ainsi que nous l'avons dit à M. Kukrit Pramot, ancien premier ministre thaïlandais, et au premier ministre, le général Kriangsak. Les relations entre les deux partis communistes (chinois et thaïlandais) doivent continuer. C'est une question qui s'inscrit dans le mouvement communiste international. Pham Van Dong a soulevé ce problème pour enfoncer un coin entre nos deux pays. On voudrait savoir si Teng va dire la même chose en Thaïlande. Je peux déjà vous affirmer que, si la Chine parlait comme Pham Van Dong, la Chine serait fort détestable. Elle ne serait pas un vrai pays socialiste."
    " J'espère que Pham Van Dong sait ce qu'il fait. Je crois que les paroles auront une certaine force d'attraction, c'est la raison pour laquelle nous devons être prudents en ce domaine. Lorsque Kukrit et Kriangsak sont venus en Chine, nous sommes tombés d'accord sur le fait que ce problème existe, mais qu'il ne constitue pas un obstacle aux relations amicales. Soyons clairs à ce sujet : si nous voulons être amis, nous devons dire la vérité. Le parti communiste thaïlandais est un problème interne à la Thaïlande, le gouvernement thaïlandais seul doit régler ce problème. Evidemment, la question des relations entre les deux partis communistes est un obstacle au développement plus poussé de nos relations, mais cela ne veut pas dire que nos relations ne se développeront pas. La Chine ne ment pas comme Pham Van Dong. Les hommes politiques, de quelque nationalité qu'ils soient, ne devraient pas mentir. "
    " La Chine n'a jamais envoyé de troupes au Cambodge comme le Vietnam l'affirme. Le Vietnam a gagné la guerre contre les Etats-Unis parce que d'autres Etats, l'U.R.S.S. et la Chine, l'ont soutenu. Mais le Cambodge doit compter sur ses propres forces. Bien sûr, la Chine fournit une aide au Cambodge, mais seulement égale au dixième de celle qu'elle avait fournie au Vietnam. Nous avons décidé de soutenir le Cambodge et nous espérons que d'autres Etats d'Asie de l'Est soutiendront aussi le Cambodge. "
    " Quels sont les risques d'un conflit étendu ?
- Si le Vietnam attaque le Cambodge en force, indique M. Teng, je ne crois pas que les développements seront limités au Cambodge. Le monde verra le vrai visage du Vietnam et, à ce moment-là, les Etats de l'ASEAN auront à prendre position. "
" Une réconciliation entre le Vietnam et la Chine est-elle possible ? "
    M. Teng répond : " La Chine dit ce que la Chine pense. Les rapports entre le Vietnam et la Chine sont très mauvais en ce moment. Il sera très difficile de remettre le Vietnam sur la bonne voie. Si, plut tard, le Vietnam est incapable de résoudre ses problèmes, il connaîtra mieux l'U.R.S.S. et verra ce qu'est l'U.R.S.S. La Chine continuera à développer son pays. Si le Vietnam veut diffamer la Chine, nous le laisserons faire. La Chine a assez à faire par ailleurs. Malgré tout la Chine soutient la déclaration de Pol Pot qui veut améliorer ses relations avec le Vietnam (...). Bien qu'il ne soit pas possible de résoudre les problèmes entre la Chine et le Vietnam maintenant, nous les résoudrons dans dix ans. Si ce n'est pas possible dans dix ans, nous saurons les résoudre d'ici cent ans !"

R.-P. PARINGAUX. 

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