Exclusif :
Interview de Jacques JURQUET
-réalisée par les EP, fin novembre 2004-

La vie de Jacques JURQUET est celle d'un militant dont on peut ne pas partager toutes les positions mais dont tous ceux qui le connaissent reconnaissent la fidélité envers ses engagements anti-racistes, anti-fascistes et internationalistes.
Dans les années trente, il baigne dans l'ambiance des luttes contre la montée du fascisme. Pendant la guerre, il tombe amoureux d'une jeune-fille juive (qui deviendra la mère de ces enfants) ; il entre dans la Résistance et, en 1941, adhère au Parti Communiste. Après guerre, il participa aux luttes de cette époque, connut la prison et eut sa période " stalinienne ". En 1956, il désapprouva le vote des pouvoirs spéciaux à Guy Mollet. Il rencontra aussi Baya, communiste algérienne expulsée d'Algérie, et participa à l'action de solidarité avec le peuple algérien. Au moment du grand désaccord entre communistes chinois et soviétiques, il refuse de suivre la direction du PCF dans la condamnation des Chinois.
Il va devenir l'un des fondateurs du PCMLF et l'un des principaux dirigeants du courant " maoïste " en France. Aujourd'hui dans sa quatre-vingtième année, il continue de militer contre le racisme…
Ce volume de son autobiographie porte sur la période " mao ". C'est un livre précieux pour qui veut comprendre les enjeux de cette époque et le parcours de nombreux militants, jeunes et chevronnés, enthousiasmés par la révolution chinoise, qui ont voulu travailler à des changements révolutionnaires dans leur propre pays, lutter contre l'impérialisme et promouvoir la solidarité entre les peuples.
" A contre- courant 1963-1986 " de Jacques JURQUET
4ème de couverture
Editions du Temps des Cerises

Jacques JURQUET est un camarade qui a joué un grand rôle dans l'histoire du mouvement marxiste-léniniste en France. Il a été l'un des fondateurs du Parti Communiste Marxiste-Léniniste de France dont il était l'un des principaux dirigeants durant toute sa brève existence.

Ces questions/réponses ne sauraient remplacer la lecture de son excellent biographie " A contre- courant 1963-1986 " dont nous ne pouvons que vous conseiller la lecture mais donnera un aperçu d'une vie militante au service du communisme.

Interview de Jacques Jurquet -fin novembre 2004-

1 - Pourquoi avoir adhéré au PCF ?

JJ - A 14 ans mon père voulait me faire entrer aux Jeunesses Socialistes. Mais des éboueurs, membres du PCF, me donnaient chaque jour l'Humanité en 1936.
Ma rupture politique avec les idées de mon père s'est produite lors de la décision de non-intervention en Espagne prise par Léon Blum.
Je suis devenu communiste d'idées (comme ma mère). Mon adhésion effective au PCF a eu lieu fin 1941 à Saint Marcel (quartier de Marseille) auprès de l'ancien trésorier de la cellule des cheminots de la gare St Charles. Elle était justifiée par mon hostilité spontanée dès 1940 au maréchal traître Pétain.
Mon hostilité aux nazis remontait à 1935/36 alors que je n'avais encore que 13/14 ans. Mon père était antifasciste mais encore influencé par la S.F.I.O. Il adhéra au PCF en 1962 ou 63.

2 - Quel a été l'événement déclencheur qui t'a amené à quitter le PCF ?

JJ - Mon plein accord avec la position du PCC contre le traité de Moscou signé par le PC.URSS et les Américains.
J'avais déjà exprimé des désaccords à partir du vote des pouvoir spéciaux en 1956 (guerre d'Algérie).

3 - Quelle était la ligne suivie par le PCF envers le PCC et le Mouvement Communiste International ?

JJ - Une ligne antagonique totalement alignée sur celle du P.C. d'URSS (révisionniste - depuis le XXè congrès et le rapport Khrouchtchev).

4 - Existait-il un débat dans le PCF, au sein des cellules, sur les thèses du PCC ?

JJ - Non, pas du tout. Il était impossible, sinon interdit. Mais personnellement j'ai fait débattre ma cellule non sans difficulté et indifférence jusqu'à mon exclusion.

5 - Le révisionnisme des Khrouchtchev/Thorez/Togliatti était-il un phénomène compris à la base et de quelle manière ?

JJ - Je ne confond pas le révisionnisme de Khrouchtchev avec ceux de Thorez et Togliatti. Voici dans l'ordre : le plus révisionniste et traître fut Khrouchtchev, puis Togliatti, le moins réviso fut Thorez. Il refusa la diffusion en France du rapport Khrouchtchev contre Staline pendant deux ans.

6 - Quelles étaient les thèses avancées par le PCC qui se différenciaient de celles défendues par le PCUS ?

JJ - Se reporter aux brochures du PCC de l'époque. Mais le texte fondamental fut les " Propositions en 25 points " envoyées par le PCC au PC URSS et au PCF. Voir cette position en brochure. Concrètement les différences se situaient dans la politique internationale. Le PC.d'URSS était opportuniste et conciliant avec les pays capitalistes. Le PCC soutenait les pays du tiers-monde et les militants communistes fidèles aux principes du marxisme-léninisme.

7 - Y a t-il eu des exclusions marquantes ?

JJ - Oui, plusieurs. Des cadres fédéraux ou syndicalistes, ou d'anciens déportés de la Résistance en tant que communistes (Louis Rovini à Marseille par exemple). Beaucoup d'anciens FTP et autres Résistants.
Cadres fédéraux : Marty, moi-même et d'autres comme Combe et je crois Casa (mais en 1966).
Syndicalistes : Vincent Marchetti -ex FTP- secrétaire du syndicat des marins de Marseille (gros syndicat), également Casas à Blois etc… (Roustan ? j'ignore sa bio.). J'en oublie certainement plusieurs.
Personnalités communistes déjà militantes avant 1939:
-François Marty -Perpignan-
-Docteur Lluccia -Marseille- et d'autres ailleurs.

8 - Comment se sont constitués les premiers Cercles ML ?

JJ - A partir de l'Association des Amitiés Franco-Chinoises, par rencontres de membres du parti.
Voir les bulletins de l'époque.

9 - Etait-ce un phénomène important regroupant de nombreux militants du PCF

JJ - Non, pas important. Une centaine pour toute la France au début, dont une quarantaine à Marseille.

10 - Qu'envisageaient alors ces Cercles. Quelle a été leur première action politique

JJ - Se reporter à HN. Un gros point positif le " Non à De Gaulle Non à Mitterrand " alors que le PCF faisait voter Mitterrand dès le premier tour, nous avions édité un bulletin de vote sur lequel était inscrit: " Je vote communiste ".

11 - La fédération des Cercles ML a t-elle été une nécessité immédiate. La création d'un nouveau parti s'est fait sentir à compter de quel moment et pourquoi

JJ - Cercles ML oui, nécessité avant même les exclusions.

Nécessité du Parti nullement ressentie en dépit des pressions des Belges et des Albanais. Nous n'étions pas des gauchistes, le PCMLF n'a été crée qu'après 4 années des formations M-L. On ne peut pas créer un Parti communiste de façon volontariste et spontanée. Il ne peut naître que si les travailleurs le désirent.

12 - Rétrospectivement, la création du PCMLF était-elle juste. Le PCF n'était-il plus redressable de l'intérieur comme de l'extérieur

JJ - Oui, le PCMLF résultait des actions antagoniques du PCF contre tout adhérent posant des questions sur les positions du PCC. Au bout de 4 ans les marxistes-léninistes commençaient à être connus. La lutte interne est devenue impossible -exclusions - menaces - violences.

13 - Quelles étaient les contacts avec le PCC et le PTA

JJ - Voir ce que j'ai écrit dans " A contre-courant ". Au début la RPC n'était pas reconnu en France, ni à l'ONU.

14 - Dans le monde, des groupes se détachaient des PC officiels, existaient-ils des contacts entre ces groupes et la volonté de reconstruire une nouvelle Internationale ?

JJ - Oui, contacts peu fréquents, à Tirana oui, jamais à Pékin ou exceptionnellement avec par exemple les Indonésiens.
Seuls les gauchistes -déjà les trotskistes puis les " maoïstes "- parlaient d'une nouvelle internationale.
Staline lui même avait dissout la 3è Internationale en 1943. Trotskistes et pro-albanais ont eu la même orientation sur cette question. Jamais les Chinois qui connaissaient les conditions objectives du mouvement ML dans le monde. Mao a toujours recommandé de " partir des réalités ".

15 - Le PCMLF a ses débuts et jusqu'à sa transformation en PCML était-il réellement implanté dans la classe ouvrière, dans l'industrie. Etait-il reconnu des travailleurs ?

JJ - Non. Pas dans la classe ouvrière, sauf au tout début en 1964 (voir liste des militants dans l'HN) dans les cercles -pas encore le PCMLF-

16 - Quels étaient les rapports avec les organisations syndicales. Des militants du PCMLF étaient-ils investis dans les syndicats ?

JJ - Non, ils en étaient écartés. Seul je suis resté membre de la CA de l'UD CGT des Bouches du Rhône pendant 2 ans. Sur 51 membres de cette CA, seul 2 membres me serrait la main : un secrétaire âgé des dockers -le nommé Brachet- et la secrétaire (religieuse ouvrière) de l'habillement -nommée Lachenal-
C'était très dur -Provocations fréquentes à déjouer- Il paraît que Benoit Frachon s'était opposé à mon exclusion de la CGT -que demandait la Fédé PCF-.

17 - Ces militants ont-ils conduits des grèves, lesquelles ?

JJ - Peut-être oui pour Casas, mais pas très longtemps à Air Equipement -voir avec lui-.
Mais ailleurs non, sauf à Marseille la grève de 150 ouvriers des dépots de Géant Casino ou un camarade dirigeait la CGT. Il fut poursuivi devant les tribunaux et condamné, d'où sont licenciement, il fut mis dehors de Casino.

18 - Des scissions ont affaibli le PCMLF, quelles en étaient les causes ?

JJ - : Sans revenir en détail sur toutes les scissions, les principales datent de l'après 68 et des années 70-71.
On peut dire simplement qu'il y a eu des scissions de type gauchiste, d'autres droitières ou bien ouvriéristes, ou encore légalistes.
Suite à l'interdiction du PCMLF, et aux difficultés liées à la clandestinité, les scissions furent objectivement un coup dur contre l'édification du Parti ML. Toutes les scissions n'ont pas eu le même impact, ni la même ampleur. Par exemple, certains groupes scissionnistes -" Le travailleur "- voyant au bout de quelques temps l'impasse dans lequel ils s'étaient fourvoyés, firent marche arrière et redemandèrent leur réintégration au sein du PCMLF.
C'est surtout la scission " des jeunes " -Gilquin et Cluzot- qui fut la plus importante, elle est à l'origine de la création du PCRml en 1974. Il est dommage que l'unification entreprise avec le PCRml n'ait pas aboutie. De toutes façons il ne faut pas identifier les scissionnistes à l'ennemi. Il importe de comprendre qu'ils s'agit de militant qui se trompent. Il faut faire le maximum possible pour aboutir à des justes solutions au sein du peuple, dans le respect des principes stratégiques de Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao Zedong.

19 - La fin du PCMLF en PAC était-elle inéluctable ?

JJ - Oui, 1°) dans la mesure ou l'illégalité à rendu plus difficiles les communications.
2°) à la suite de l'entrée trop massive d'éléments petits bourgeois après 1968.
3°) du fait des magouilles social-démocrates de Bauby et consort surtout après la victoire de Mitterrand en 1981.

20 - Que t'inspires, aujourd'hui, le PCMLF d'hier ?

JJ - Je pense que la situation de classe en France n'était pas mûre. Le Parti réviso pouvait illusionner encore beaucoup de camarades.

21 - Aujourd'hui, plusieurs groupes se revendiquent du marxisme-léninisme, te sens-tu politiquement proche de l'un de ces groupes ? Pourquoi ?

JJ - Evidemment je suis plus que proche avec les Editions Prolétariennes, dont les responsables ont bien compris l'histoire du PCMLF, mais je n'ai que peu de confiance dans tous ces petits groupes bavards et souvent sectaires. Où participent-ils aux luttes de classes ? dans quelles entreprises ?

22 - Un de ces groupes pourrait-il figurer le PCMLF de demain ou du moins le Parti dont a besoin la classe ouvrière ?

JJ - Je ne crois pas que ce soit mûr pour le moment. Mais à terme les Editions Prolétariennes me paraissent les plus aptes pour l'avenir.

23 - Un dernier mot sur Mao Zédong, penses-tu que ses enseignements soient encore valables et applicables pour les combats actuels, tant en France que partout ailleurs dans le monde ?

JJ - Les enseignements de Mao Zedong sont valables stratégiquement et tactiquement pour tous les peuples du Tiers-Monde. Mais on ne peut pas les appliquer de la même façon aux pays capitaliste développés. Il y a des enseignements universels, d'autres seulement pour le Tiers-Monde.
Exemple : révolution prolétarienne avec pour force principale les paysans pauvres et autres petits paysans. Cela ne peut être le cas en France.
Mais sur le plan stratégique tout ce qu'a dit Mao reste valable. Aujourd'hui la théorie des 3 mondes est tout à fait d'actualité même si le premier monde n'est plus que le seul hégémonisme USA. L'agression des USA en Irak, en Afganistan, dans les Balkans permet de mieux comprendre. La Palestine aussi, ainsi que la politique de Chirac par rapport aux USA en Irak notamment. C'est la politique du capitalisme français, pays du second monde en lutte économique et politique avec le 1er monde mais exploiteur du tiers-monde, exemple : la Côte-d'Ivoire.

24 - Différentes organisations se revendiquant du maoïsme luttent les armes à la main, que ce soit au (Pérou, Népal), que peux-tu dire de ces luttes ?

JJ - Ce sont des pays du Tiers-Monde. Je soutiens par principe toutes ces luttes dont j'ignore les détails.

25 - La situation de la classe ouvrière, des salariés plus généralement est catastrophique, tant dans son existence quotidienne que du point de vue de ses organisations (politiques et syndicales), comment vois-tu l'avenir politique ?

JJ - Ce sont seules les masses qui, un jour futur, imposeront des changements. De nouvelles structures organisationnelles syndicales et politiques naîtrons avec de nouveaux cadres militants issus de ces luttes.
C'est la pratique qui décidera du succès. La théorie ne sortira qu'ensuite, de la pratique.

26 - A 83 ans, que dirais-tu à la jeunesse de ce nouveau siècle. Aux militants communistes -les plus nombreux- en recherche d'une véritable organisation basée sur les enseignements de Marx, Engels, Lénine, Staline et Mao ?

JJ - Il ne faut pas baisser les bras. Il faut rester confiant dans l'avenir.
Quelque part Mao a eu raison d'indiquer : Dans les situations de défaites il faut penser aux victoires de l'avenir, dans les situations de victoire il faut penser aux défaites susceptibles de survenir dans l'avenir. C'est la dialectique de l'histoire.

27 - Quelques mots en guise de conclusion….

JJ - Je reste persuadé que tous les conseils de Mao pour résoudre les contradictions entre camarades et pour condamner les vrais ennemis restent toujours valables et d'actualité.
Le concept de lutte de classes vient de loin. Je suis entrain de lire les ouvrages de Marat (1770-1792). Il voyait déjà juste et en parlait de manière juste. Je m'intéresse beaucoup à la politique actuelle du Parti Communiste Chinois. Ici on la présente comme capitaliste -la bourgeoisie de tous les pays ne peut pas accepter de reconnaître que l'essor de la Chine s'effectue sous la direction du PCC, alors elle dit " c'est le capitalisme ! "- mais c'est une manière de contester ses résultats spectaculaires. Le premier rôle de la chine reste de sortir de la précarité des centaines de millions de chinois(e)s. Le socialisme doit-il perpétuer la pauvreté ou la combattre ? Bien sûr que non.
Mao a parlé de la probabilité de socialisme pour une époque assez lointaine : 2 ou 3 siècles ( ?!) . Je pense qu'il avait raison ( ?!) mais le capitalisme mondial, l'hégémonisme USA font de plus en plus l'unanimité des peuples contre eux. Je reste confiant pour l'avenir mais ce sera encore très dur pour les peuples et l'on ne peut rien prédire à l'avance. Les communistes sont des adeptes du matérialisme dialectique, mais n'ont rien à voir avec la lecture du futur dans le marc de café.

 

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