Interview de Jacques Jurquet
-fin novembre 2004-
1 - Pourquoi avoir adhéré au PCF
?
JJ - A 14 ans mon père voulait me faire entrer aux
Jeunesses Socialistes. Mais des éboueurs, membres du
PCF, me donnaient chaque jour l'Humanité en
1936.
Ma rupture politique avec les idées de mon
père s'est produite lors de la décision de
non-intervention en Espagne prise par Léon
Blum.
Je suis devenu communiste d'idées (comme
ma mère). Mon adhésion effective au PCF a eu
lieu fin 1941 à Saint Marcel (quartier de Marseille)
auprès de l'ancien trésorier de la cellule des
cheminots de la gare St Charles. Elle était
justifiée par mon hostilité spontanée
dès 1940 au maréchal traître
Pétain.
Mon hostilité aux nazis remontait à
1935/36 alors que je n'avais encore que 13/14 ans. Mon
père était antifasciste mais encore
influencé par la S.F.I.O. Il adhéra au PCF en
1962 ou 63.
2 - Quel a été
l'événement déclencheur qui t'a
amené à quitter le PCF ?
JJ - Mon plein accord avec la position du PCC contre le
traité de Moscou signé par le PC.URSS et les
Américains.
J'avais déjà exprimé des
désaccords à partir du vote des pouvoir
spéciaux en 1956 (guerre d'Algérie).
3 - Quelle était la ligne suivie par le PCF
envers le PCC et le Mouvement Communiste International
?
JJ - Une ligne antagonique totalement alignée sur
celle du P.C. d'URSS (révisionniste - depuis le
XXè congrès et le rapport Khrouchtchev).
4 - Existait-il un débat dans le PCF, au
sein des cellules, sur les thèses du PCC ?
JJ - Non, pas du tout. Il était impossible, sinon
interdit. Mais personnellement j'ai fait débattre ma
cellule non sans difficulté et indifférence
jusqu'à mon exclusion.
5 - Le révisionnisme des
Khrouchtchev/Thorez/Togliatti était-il un
phénomène compris à la base et de
quelle manière ?
JJ - Je ne confond pas le révisionnisme de
Khrouchtchev avec ceux de Thorez et Togliatti. Voici dans
l'ordre : le plus révisionniste et traître fut
Khrouchtchev, puis Togliatti, le moins réviso fut
Thorez. Il refusa la diffusion en France du rapport
Khrouchtchev contre Staline pendant deux ans.
6 - Quelles étaient les thèses
avancées par le PCC qui se différenciaient de
celles défendues par le PCUS ?
JJ - Se reporter aux brochures du PCC de l'époque.
Mais le texte fondamental fut les " Propositions en 25
points " envoyées par le PCC au PC URSS et au PCF.
Voir cette position en brochure. Concrètement les
différences se situaient dans la politique
internationale. Le PC.d'URSS était opportuniste et
conciliant avec les pays capitalistes. Le PCC soutenait les
pays du tiers-monde et les militants communistes
fidèles aux principes du marxisme-léninisme.
7 - Y a t-il eu des exclusions marquantes ?
JJ - Oui, plusieurs. Des cadres fédéraux ou
syndicalistes, ou d'anciens déportés de la
Résistance en tant que communistes (Louis Rovini
à Marseille par exemple). Beaucoup d'anciens FTP et
autres Résistants.
Cadres fédéraux : Marty,
moi-même et d'autres comme Combe et je crois Casa
(mais en 1966).
Syndicalistes : Vincent Marchetti -ex FTP-
secrétaire du syndicat des marins de Marseille (gros
syndicat), également Casas à Blois etc…
(Roustan ? j'ignore sa bio.). J'en oublie certainement
plusieurs.
Personnalités communistes
déjà militantes avant 1939:
-François Marty -Perpignan-
-Docteur Lluccia -Marseille- et d'autres
ailleurs.
8 - Comment se sont constitués les premiers
Cercles ML ?
JJ - A partir de l'Association des Amitiés
Franco-Chinoises, par rencontres de membres du
parti.
Voir les bulletins de l'époque.
9 - Etait-ce un phénomène important
regroupant de nombreux militants du PCF
JJ - Non, pas important. Une centaine pour toute la
France au début, dont une quarantaine à
Marseille.
10 - Qu'envisageaient alors ces Cercles. Quelle a
été leur première action politique
JJ - Se reporter à HN. Un gros point positif le "
Non à De Gaulle Non à Mitterrand " alors que
le PCF faisait voter Mitterrand dès le premier tour,
nous avions édité un bulletin de vote sur
lequel était inscrit: " Je vote communiste ".
11 - La fédération des Cercles ML a
t-elle été une nécessité
immédiate. La création d'un nouveau parti
s'est fait sentir à compter de quel moment et
pourquoi
JJ - Cercles ML oui, nécessité avant
même les exclusions.
Nécessité du Parti nullement ressentie en
dépit des pressions des Belges et des Albanais. Nous
n'étions pas des gauchistes, le PCMLF n'a
été crée qu'après 4
années des formations M-L. On ne peut pas
créer un Parti communiste de façon
volontariste et spontanée. Il ne peut naître
que si les travailleurs le désirent.
12 - Rétrospectivement, la création
du PCMLF était-elle juste. Le PCF n'était-il
plus redressable de l'intérieur comme de
l'extérieur
JJ - Oui, le PCMLF résultait des actions
antagoniques du PCF contre tout adhérent posant des
questions sur les positions du PCC. Au bout de 4 ans les
marxistes-léninistes commençaient à
être connus. La lutte interne est devenue impossible
-exclusions - menaces - violences.
13 - Quelles étaient les contacts avec le
PCC et le PTA
JJ - Voir ce que j'ai écrit dans " A
contre-courant ". Au début la RPC n'était pas
reconnu en France, ni à l'ONU.
14 - Dans le monde, des groupes se
détachaient des PC officiels, existaient-ils des
contacts entre ces groupes et la volonté de
reconstruire une nouvelle Internationale ?
JJ - Oui, contacts peu fréquents, à Tirana
oui, jamais à Pékin ou exceptionnellement avec
par exemple les Indonésiens.
Seuls les gauchistes -déjà les
trotskistes puis les " maoïstes "- parlaient d'une
nouvelle internationale.
Staline lui même avait dissout la 3è
Internationale en 1943. Trotskistes et pro-albanais ont eu
la même orientation sur cette question. Jamais les
Chinois qui connaissaient les conditions objectives du
mouvement ML dans le monde. Mao a toujours recommandé
de " partir des réalités ".
15 - Le PCMLF a ses débuts et jusqu'à
sa transformation en PCML était-il réellement
implanté dans la classe ouvrière, dans
l'industrie. Etait-il reconnu des travailleurs ?
JJ - Non. Pas dans la classe ouvrière, sauf au
tout début en 1964 (voir liste des militants dans
l'HN) dans les cercles -pas encore le PCMLF-
16 - Quels étaient les rapports avec les
organisations syndicales. Des militants du PCMLF
étaient-ils investis dans les syndicats ?
JJ - Non, ils en étaient écartés.
Seul je suis resté membre de la CA de l'UD CGT des
Bouches du Rhône pendant 2 ans. Sur 51 membres de
cette CA, seul 2 membres me serrait la main : un
secrétaire âgé des dockers -le
nommé Brachet- et la secrétaire (religieuse
ouvrière) de l'habillement -nommée
Lachenal-
C'était très dur -Provocations
fréquentes à déjouer- Il paraît
que Benoit Frachon s'était opposé à mon
exclusion de la CGT -que demandait la Fédé
PCF-.
17 - Ces militants ont-ils conduits des
grèves, lesquelles ?
JJ - Peut-être oui pour Casas, mais pas très
longtemps à Air Equipement -voir avec lui-.
Mais ailleurs non, sauf à Marseille la
grève de 150 ouvriers des dépots de
Géant Casino ou un camarade dirigeait la CGT. Il fut
poursuivi devant les tribunaux et condamné,
d'où sont licenciement, il fut mis dehors de Casino.
18 - Des scissions ont affaibli le PCMLF, quelles
en étaient les causes ?
JJ - : Sans revenir en détail sur toutes les
scissions, les principales datent de l'après 68 et
des années 70-71.
On peut dire simplement qu'il y a eu des
scissions de type gauchiste, d'autres droitières ou
bien ouvriéristes, ou encore légalistes.
Suite à l'interdiction du PCMLF, et aux
difficultés liées à la
clandestinité, les scissions furent objectivement un
coup dur contre l'édification du Parti ML. Toutes les
scissions n'ont pas eu le même impact, ni la
même ampleur. Par exemple, certains groupes
scissionnistes -" Le travailleur "- voyant au bout de
quelques temps l'impasse dans lequel ils s'étaient
fourvoyés, firent marche arrière et
redemandèrent leur réintégration au
sein du PCMLF.
C'est surtout la scission " des jeunes " -Gilquin
et Cluzot- qui fut la plus importante, elle est à
l'origine de la création du PCRml en 1974. Il est
dommage que l'unification entreprise avec le PCRml n'ait pas
aboutie. De toutes façons il ne faut pas identifier
les scissionnistes à l'ennemi. Il importe de
comprendre qu'ils s'agit de militant qui se trompent. Il
faut faire le maximum possible pour aboutir à des
justes solutions au sein du peuple, dans le respect des
principes stratégiques de Marx, Engels,
Lénine, Staline et Mao Zedong.
19 - La fin du PCMLF en PAC était-elle
inéluctable ?
JJ - Oui, 1°) dans la mesure ou
l'illégalité à rendu plus difficiles
les communications.
2°) à la suite de l'entrée
trop massive d'éléments petits bourgeois
après 1968.
3°) du fait des magouilles
social-démocrates de Bauby et consort surtout
après la victoire de Mitterrand en 1981.
20 - Que t'inspires, aujourd'hui, le PCMLF d'hier
?
JJ - Je pense que la situation de classe en France
n'était pas mûre. Le Parti réviso
pouvait illusionner encore beaucoup de camarades.
21 - Aujourd'hui, plusieurs groupes se revendiquent
du marxisme-léninisme, te sens-tu politiquement
proche de l'un de ces groupes ? Pourquoi ?
JJ - Evidemment je suis plus que proche avec les Editions
Prolétariennes, dont les responsables ont bien
compris l'histoire du PCMLF, mais je n'ai que peu de
confiance dans tous ces petits groupes bavards et souvent
sectaires. Où participent-ils aux luttes de classes ?
dans quelles entreprises ?
22 - Un de ces groupes pourrait-il figurer le PCMLF
de demain ou du moins le Parti dont a besoin la classe
ouvrière ?
JJ - Je ne crois pas que ce soit mûr pour le
moment. Mais à terme les Editions
Prolétariennes me paraissent les plus aptes pour
l'avenir.
23 - Un dernier mot sur Mao Zédong,
penses-tu que ses enseignements soient encore valables et
applicables pour les combats actuels, tant en France que
partout ailleurs dans le monde ?
JJ - Les enseignements de Mao Zedong sont valables
stratégiquement et tactiquement pour tous les peuples
du Tiers-Monde. Mais on ne peut pas les appliquer de la
même façon aux pays capitaliste
développés. Il y a des enseignements
universels, d'autres seulement pour le Tiers-Monde.
Exemple : révolution prolétarienne
avec pour force principale les paysans pauvres et autres
petits paysans. Cela ne peut être le cas en
France.
Mais sur le plan stratégique tout ce qu'a
dit Mao reste valable. Aujourd'hui la théorie des 3
mondes est tout à fait d'actualité même
si le premier monde n'est plus que le seul
hégémonisme USA. L'agression des USA en Irak,
en Afganistan, dans les Balkans permet de mieux comprendre.
La Palestine aussi, ainsi que la politique de Chirac par
rapport aux USA en Irak notamment. C'est la politique du
capitalisme français, pays du second monde en lutte
économique et politique avec le 1er monde mais
exploiteur du tiers-monde, exemple : la Côte-d'Ivoire.
24 - Différentes organisations se revendiquant
du maoïsme luttent les armes à la main, que ce
soit au (Pérou, Népal), que peux-tu dire de
ces luttes ?
JJ - Ce sont des pays du Tiers-Monde. Je soutiens par
principe toutes ces luttes dont j'ignore les détails.
25 - La situation de la classe ouvrière, des
salariés plus généralement est
catastrophique, tant dans son existence quotidienne que du
point de vue de ses organisations (politiques et
syndicales), comment vois-tu l'avenir politique ?
JJ - Ce sont seules les masses qui, un jour futur,
imposeront des changements. De nouvelles structures
organisationnelles syndicales et politiques naîtrons
avec de nouveaux cadres militants issus de ces
luttes.
C'est la pratique qui décidera du
succès. La théorie ne sortira qu'ensuite, de
la pratique.
26 - A 83 ans, que dirais-tu à la jeunesse
de ce nouveau siècle. Aux militants communistes -les
plus nombreux- en recherche d'une véritable
organisation basée sur les enseignements de Marx,
Engels, Lénine, Staline et Mao ?
JJ - Il ne faut pas baisser les bras. Il faut rester
confiant dans l'avenir.
Quelque part Mao a eu raison d'indiquer : Dans
les situations de défaites il faut penser aux
victoires de l'avenir, dans les situations de victoire il
faut penser aux défaites susceptibles de survenir
dans l'avenir. C'est la dialectique de l'histoire.
27 - Quelques mots en guise de conclusion….
JJ - Je reste persuadé que tous les conseils de
Mao pour résoudre les contradictions entre camarades
et pour condamner les vrais ennemis restent toujours
valables et d'actualité.
Le concept de lutte de classes vient de loin. Je
suis entrain de lire les ouvrages de Marat (1770-1792). Il
voyait déjà juste et en parlait de
manière juste. Je m'intéresse beaucoup
à la politique actuelle du Parti Communiste Chinois.
Ici on la présente comme capitaliste -la bourgeoisie
de tous les pays ne peut pas accepter de reconnaître
que l'essor de la Chine s'effectue sous la direction du PCC,
alors elle dit " c'est le capitalisme ! "- mais c'est une
manière de contester ses résultats
spectaculaires. Le premier rôle de la chine reste de
sortir de la précarité des centaines de
millions de chinois(e)s. Le socialisme doit-il
perpétuer la pauvreté ou la combattre ? Bien
sûr que non.
Mao a parlé de la probabilité de
socialisme pour une époque assez lointaine : 2 ou 3
siècles ( ?!) . Je pense qu'il avait raison ( ?!)
mais le capitalisme mondial, l'hégémonisme USA
font de plus en plus l'unanimité des peuples contre
eux. Je reste confiant pour l'avenir mais ce sera encore
très dur pour les peuples et l'on ne peut rien
prédire à l'avance. Les communistes sont des
adeptes du matérialisme dialectique, mais n'ont rien
à voir avec la lecture du futur dans le marc de
café.
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