Partisan n°3- septembre 1985 -pages 17 à 19

Crise et restructuration

Créer des SCOP
ou
détruire le capitalisme

 

Le mouvement SCOP a son histoire ( voir Partisan n° 1 ). Il a sa pratique quoti-
dienne ( voir Partisan n° 2 ). Il a donc une ligne politique. Elle est représentative d'un courant à combattre pour élever la conscience et les objectifs de la lutte ouvrière.
 
En gros, ce courant politique propose aux ouvriers une issue libératrice dans la
société capitaliste. Une accumulation de petits pouvoirs ici ou là, faisant basculer le cours des choses: créer son entreprise pour lutter efficacement contre le chômage, produire " utile" pour calmer les excès du capitalisme, " s'associer" pour supprimer les antagonismes de classes.
 
Je partirai de l'extrait d'article de la Revue RESISTER n° 15 reproduit ci-dessous
pour critiquer cette orientation politique, lui en opposer une autre.

(...) Si, en France, nous ne connaissons pas d'applications des plans, par contre nous connaissons l'expérience des "scops" (Sociétés coopératives ouvrières de production). Celles-ci, lancées sous Barre, développées depuis 1981, relèvent de l'idéologie de la nécessité "d'entreprendre" et, en ce qui concerne les travailleurs, de l'idée qu'ils peuvent produire autrement, gérer autrement et sans pouvoir patronal, dictatorial, dans leur entreprise, ceci dans le cadre du régime tel qu'il existe.

Depuis plus de 3 ans que les expériences se sont faites, permettez-moi de citer quelques exemples de ma région (mais qui sont les mêmes partout, les camarades qui se battent "sur le terrain" sans avoir la tête dans les nuages alternatifs, les connaissent bien !!).

La SCOP JAPY (St-Dizier, 52) fabrique des ustensiles de cuisine émaillés; en 2 ans, elle a conquis 13% de l'ensemble du marché français. Les autres fabricants privés, trouvant la concurrence saumâtre, font pression sur les banques nationalisées. Celles-ci, au service des intérêts privés, imposent des taux et des délais contraires aux promesses gouvernementales faites. Toutes les promesses (ah ! la comédie des députés godillots, accompagnant des délégations aux ministères, et ressortant avec les promesses futiles comme les vents !)

... jamais tenues. Bref, c'est l'étranglement voulu, organisé, lent, d'une usine qui marchait bien ! Le tribunal de Commerce, heureux enfin, prononce la liquidation (...).

Tiré de la Revue RESISTER n°15

D'après le camarade de Résister, les SCOP périssent car elles sont victimes " d'un étranglement
voulu " par les banques " au service des intérêts privés ". C'est une conclusion totalement opposée à l'analyse de la réalité que nous avons faite dans Partisan n° 2. A savoir : les SCOP, comme toute entreprise, sont soumises à la concurrence, à la loi du profit. C'est ce qui détermine leur vie ou leur mort. Analyse fondamentale qui secondarise absolument tout calcul politique. Les capitalistes ont-ils boycotté la France " socialiste " depuis 5 ans: Certainement pas. Les avantages sont bien trop intéressants. AVANT TOUT AUTRE CHOSE, le capital s'investit où ça en vaut la chandelle du point de vue du profit maximum. Le thème de " l'étranglement voulu " fait partie de la famille des thèmes réformistes chers au PCF et à la CGT : " spéculation "," un coup des multinationales ","la casse organisée "... Ils reviennent à nier que le capital est UN RAPPORT SOCIAL DE PRODUCTION. L'objectif politique n'est alors pas de détruire le capitalisme, mais de le réformer, pour que petits bourgeois, bureaucrates syndicaux et politiques jouissent de responsabilités, soient eux-mêmes les fonctionnaires du capital.

SUFFIT-IL DE S'APPROPRIER LE CAPITAL ?

Quand les réformistes avancent leurs solutions politiques, avec la langue, tout paraît simple. Y'a qu'à !
Halte à la casse, halte à la spéculation. Et tout baignera dans l'huile. Mais quand ils se mettent au boulot, rien ne marche. A.R.C.T. Roanne échec. SCOP Manufrance, échec. Gouvernement de gauche, échec. Gouvernement entièrement " communiste " dans les pays de l'Est, échec. La simplicité, c'est-à-dire arrondir les angles du capitalisme pour qu'il soit bienfaiteur, changer les têtes pour le réaliser, est une voie de garage. Le mouvement SCOP CONFIRME CELA. La classe ouvrière ne sortira pas de la crise en contournant les vrais problèmes, et c'est compliqué, mais en les attaquant ELLE-MEME de front.
 
Voilà des ouvriers qui regroupent économies, indemnités de licenciement, créent ou redémarrent une
entreprise, élisent leurs dirigeants. Ils chamboulent quelques habitudes au niveau de la production, projettent d'atténuer les différences entre ceux qui usinent sur leur bécane et ceux qui conçoivent dans les bureaux. Devenus coopérateurs, ces ouvriers-patrons sont bien décidés à ne pas reproduire les " erreurs de gestion" passées. Et pourtant la plupart des SCOP créées CASSENT. Il a fallu d'abord abandonner les idéaux premiers de" produire utile ", " autrement ". Puis licencier ses propres copains. Enfin fermer la boutique. S'approprier l'outil de travail n'a pas suffi. Pourquoi cela ?
 
Indépendamment de l'étiquette du propriétaire, le capital reste capital. Qu'il soit " propriété du peuple
tout entier" comme en URSS ou " propriété collective " pour les coopératives ouvrières. Nous avons dit qu'il est avant tout un rapport social. Cela signifie que le Capital ce n'est pas simplement de l'argent, des usines, qu'on peut utiliser à bon escient, pour " nos besoins ", mais qu'il est un ENSEMBLE de lois, de règles,; d'idéologie, de politique, dont le fondement commun est L'EXPLOITATION DES OUVRIERS. Le capital y puise son énergie, son développement, sa vie donc. Traqué sans cesse par la concurrence du marché, il riposte en aggravant l'intensification du travail. Demande toujours plus aux ouvriers, augmente la part qu'il soutire de leur exploitation. S'il ne peut faire cela, le capital d'un secteur, d'une usine, est contraint de disparaître, laisse ruines et chômage, car il ne peut se renouveler ( il doit toujours investir en machines plus compétitives pour produire plus vite et moins cher ).

Les lois qui animent le Capital :

1/ Lui font produire des marchandises à vendre.

Et l'on voit bien que marchandise et " nos besoins " se marient plutôt mal. Nous avons besoin de lait et
le capital tue la marchandise vache, car il y en a trop du point de vue de ses règles. Nous avons besoins de logements pas chers et le capital construit la marchandise résidence ou pavillon.
Nous avons besoin de crèches, d'écoles, de transports, et le capital produit la marchandise guerre ( Euréka ). Et si c'était vraiment nos besoins, pourquoi tant de pub pour les vendre :

2/ Lui font produire des relations de concurrence entre les producteurs.

Quand on produit des marchandises pour le marché, on produit nécessairement des relations de
CONCURRENCE entre les producteurs. Une usine, une coopérative, n'est pas seule à fabriquer telle marchandise. Sur le marché, il y a de multiples produits communs, le consommateur achète le moins cher possible. Aussi pour vendre pas cher, il faut fabriquer pas cher. Cela veut dire réduire au maximum le coût de production. Chacun sait comment: restructurer, augmenter les cadences, baisser les salaires, précariser les ouvriers, employer des auxiliaires dans les SCOP.
Relations de concurrence entre les ouvriers d'une même boîte : augmentations individuelles, division
entre OS et OP. Entre les ouvriers de différentes boîtes: il faut vendre contre l'autre. Entre les chômeurs et les actifs: accepter les licenciements pour que les autres travaillent. Entre hommes et femmes, entre femmes et vieux. Entre français et immigrés: " qu'ils rentrent chez eux ! ".

3/ Lui font produire des dirigeants, des dirigés.

Quand l'objet de la production s'inscrit dans la logique du profit, l'organisation du travail ne peut être
que celle que nous connaissons : une armée de manuels aux ordres d'une élite intellectuelle qui a tout le pouvoir de décision. Ce sont les pistons du moteur capitaliste. Sans remettre en cause la logique du profit, donc la rivalité de marché, on ne peut échapper à l'organisation capitaliste " classique " du travail. Comme il faut aller toujours plus vite, passer le moins de temps possible pour fabriquer un produit, les ouvriers sont cantonnés à assumer exclusivement cette course au temps. Rivés sur leur machine. Temps durant lequel les intellectuels des méthodes, de l'encadrement, sélectionnent dans la boîte à idées ce qui permet d'augmenter les cadences. Le commercial se chargeant de trouver les marchés. Tout est ainsi découpé, morcelé, pour gagner en compétitivité.
 
Nous voulons de " nouveaux critères de gestion" disent PCF et CGT. Espérant faire tourner autre-
ment le moteur Capital. Mais le squelette de ces critères restant concurrence, profit, loi de la jungle, cela ne peut conduire qu'aux expériences Manufrance ou Menzer ( voir encart ) : casse et licenciements. Des capitalistes de gauche ont simplement remplacé ceux de droite, mais l'Ensemble Capital laisse socialement chacun à sa place: l'ouvrier aux manivelles. Et quand ça rapporte plus, à l'ANPE.

 4/ Lui font produire une façon de vivre

Produire des marchandises, fournir l'énergie nécessaire au moteur Capital, c'est produire et reproduire
pour les ouvriers une vie de producteurs soumis, consommateurs de besoins façonnés par le capitalisme, ballottés par les crises interminables. Tu travailleras à la sueur de ton front dit le bourgeois à l'ouvrier. C'est la sanction pour avoir été paresseux à l'école ! Derrière cette leçon de morale se cachent des rapports de classes où violemment la bourgeoisie assure aux siens les bases du pouvoir sur la société. La seule perspective qu'elle laisse à l'ouvrier c'est de s'en sortir en écrasant les autres, de trouver sa vraie liberté dans la production et l'accumulation de biens matériels. Pendant ce temps sa tête se vide. C'est l'aboutissement organisé de la société de consommation, bagne à perpétuité pour les OS presse-boutons et les professionnels routiniers.

L'effondrement de Menzer, coopérative exemplaire

Reprise en 1982 sous forme de SCOP à l'initiative de la CGT, l'entreprise alsacienne de maroquinerie devait être le symbole du "changement". Elle vient d'être mise en liquidation.

Strasbourg (de notre correspondant)

Cela devait être le symbole du changement. Malheureusement la SCOP Menzer à Sélestat (Bas-Rhin) lancée en 1982 par la CGT a été mise en liquidation mercredi 31 juillet par le tribunal de Colmar (Haut-Rhin. Les 132 salariés, actuellement en vacances, perdront pour la seconde fois en quatre ans leur emplois le 31 octobre prochain, délai accordé pour terminer les commandes en cours. "Nous n'avons pas changé de gouvernement pour poursuivre la même politique". En février 82, la CGT d'Alsace s'empare à bras le corps de Menzer. Cette affaire de maroquinerie presque centenaire qui a employé jusqu'a un millier de personnes bat de l'aile depuis de nombreuses années. Alors qu'elle emploie encore plus de 730 personnes en 1978, ses effectifs avaient fondu à 460 salariés quand intervient la liquidation et le licenciement collectif prononcé le 18 juin 1981. Contre deux projets de reprise avancés par les anciens patrons, les frères Milo et Daniel Menzer, et par des cadres de l'entreprise, la CGT annonce son intention de reprendre Menzer sous forme de coopérative.
Le syndicat et le parti communiste se réjouissent. " La victoire du 10 mai, la situation nouvelle qui s'en est suivie, la construction du changement, doivent bénéficier également aux travailleurs de Sélestat", proclame le PCF, "la relance du pouvoir d'achat et de la consommation entraînera une amélioration des ventes, y compris en maroquinerie... La loi du profit ne peut plus être le moteur de notre économie..., Le mot d'ordre "produisons français" n'est pas nouveau pour les communistes. Il faut maintenant lui donner une réalité." Accepté
par la justice, le projet de SCOP permet le redémarrage au cours de l'été 82. Le député communiste européen Francis Wurtz, puis en novembre Henri Krasuki témoignent par leur présence de la sollicitude de la CGT et du PCF pour le projet. Sur les 460 licenciés, 176 sont repris, et apportent en moyenne 15 000 francs d'indemnité.
Guy Clément, secrétaire de l'union régionale CGT, s'installe à la présidence du directoire de la nouvelle société et annonce la couleur : 176 emploi immédiatement, 238 dès 1983; et 6nalement 341 au bout de deux ans. En fait la SCOP n'atteindra jamais ces effectifs, et tourne dès la reprise à faible régime. Car le commerce de la maroquinerie bas de gamme, le créneau de Menzer , se détourne de la production alsacienne. Les produits bon marché d'Extrême-Orient ou des pays de l'Est inondent le marché. Les centrales d'achat désertent la SCOP privée de son infrastructure commerciale, les vendeurs ayant refusé de suivre la CGT dans l'aventure. En deux ans, la SCOP accumule 14 millions de perte d'exploitation.
Début 85 c'est l'effondrement. Les salariés manifestent contre les retards de versement des salaires. Des licenciements interviennent. Au printemps des inconnus saccagent le siège de l'union régionale CGT à Strasbourg. Le syndicat, d'habitude prompt à dénoncer toute agression contre l'organisation de la classe ouvrière, tait l'incident. Bien que non revendiquée, cette mise à sac est mise sur le compte des difficultés de Menzer. Le 31 juillet, la justice met un terme à l'expérience. La CGT adopte un profil bas. Toute solution permettant de sauvegarder les emplois sera bienvenue. " Notre seul souci était les emplois ", assure le syndicat, oubliant ses ambitions de 1981.

Michel SOUSSE  

CHANGER LES LOIS POUR CHANGER LA VIE

Changer les lois, c'est détruire le capitalisme: donc pour les ouvriers se donner les moyens politiques
et organisationnels d'atteindre ce but. Notre expérience de la gauche, des SCOP, des propositions gestionnaires des syndicats, montre que c'est la seule perspective réaliste face au chômage, au travail inintéressant, à la vie routinière.
L'heure n'est pas à créer son entreprise, à " s'associer " pour " produire utile ", mais à construire le camp des exploités en se divisant, en se séparant des porteurs de contre-plan, en se démarquant de leurs soi-disant issues sous le capitalisme.
 
Le mouvement SCOP donne une réponse fausse à des questions réelles: produire quoi, désertification
des régions, formation des manuels, lutte contre le chômage, etc... Questions réelles car toutes apparaissent de plus en plus aiguës face à la crise du capitalisme. Réponses fausses car elles nient le seul moyen de leur solution : LE POUVOIR POLITIQUE sur toute la société. La classe qui a le pouvoir ( ou les bourgeois ou les ouvriers) décide et impose par son Etat quelle production, quelle industrialisation des régions, quelle formation. Croire à une cohabitation pacifique ou possible entre deux façons de produire, de vivre, en fait deux pouvoirs, est simplement illusoire. Les SCOP en sont l'éclatante démonstration.
 
La bourgeoisie vit du capital qui la reproduit sans cesse. Ce sont les deux mains d'un même corps.
Ainsi, elle veille à sa reproduction. La bourgeoisie met tout en oeuvre pour qu'à travers les crises, le Capital trouve l'oxygène nécessaire à sa vie. C'est aujourd'hui la flexibilité, les TUC et les TIG, la formation bidon, l'arrêt de telle production, le financement de telle autre, la propagande pour que chacun fasse sa petite entreprise.
 
Construire le camp des exploités, c'est lutter contre toutes ces mesures, cette propagande, qui en fait
d'oxygène pour tous, comme disent les bourgeois, n'est que gaz carbonique pour les ouvriers, les essoufflant davantage, les soumettant toujours plus au capitalisme, retardant toute véritable solution, en l'occurrence révolutionnaire, à la crise.
 
Construire le camp des exploités, c'est montrer que les créateurs des SCOP ne font que contourner le
problème de fond inévitable à savoir que le capitalisme développe le chômage et le développera davantage encore. Le choix est alors : s'embarquer à quelques uns sur le rafiot de l'impasse pour naviguer sur l'océan de concurrence capitaliste, ou engager le combat classe contre classe pour détruire le capitalisme. Pour cela rassembler toutes les forces ouvrières disponibles : actifs et chômeurs, français et immigrés, hommes et femmes, avec comme objectif la prise du pouvoir d'Etat. Condition indispensable pour imposer les règles, les lois d'une autre vie où chacun est utile et utilisé.
 
Construire le camp des exploités c'est, en s'appuyant sur l'expérience SCOP, montrer que même créée
par des ouvriers, une entreprise sous le capitalisme ne peut: 1/ satisfaire durablement leur première exigence de conserver un emploi; 2/ que concurrence, marchandise, profit enterrent totalement les aspirations ouvrières à faire autrement, autre chose.
 
Cet objectif fixé trace les exigences du seul combat d'aujourd'hui pour rassembler et unir tous les ouvriers :
  • -réduction du temps de travail : 30 heures immédiatement sans perte de salaire, sans augmentation de la charge de travail, avec embauche correspondante, sans distinction de sexe, de nationalité.
  • -salaire entier aux chômeurs.
  • -retraite pleine et entière à 55 ans.
  • -TUC/TIG = mascarade et exploitation.
Certains diront qu'aujourd'hui il faut mieux faire une SCOP que d'aller à l'ANPE et que la position poli-
tique ci-dessus est générale, superficielle. La position de l'article s'appuie sur le bilan de l'expérience que je connais. Que les camarades qui ont fait une expérience différente ou pense qu'une " utilisation " des SCOP autre est possible, fassent part de leur point de vue. Ecrit. Partisan se veut un journal ouvert. Justifions-le.

 

Julien Bréau

çarticle précédent du Dossier SCOP " SCOP le rafiot et l'impasse " 

Suite du dossier sur les SCOP dans Partisan n°4 -article " A propos de SCOP " è

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