- Bien qu'ayant eu tardivement PARTISAN N° 3, je
tiens à apporter ma contribution au dossier sur
les
- SCOP. A la fois parce que PARTISAN se veut un journal
ouvert, en transformation et aussi parce que je pense que
l'on ne peut fermer le dossier SCOP avec ce qui est dit
dans le dernier article : " créer des SCOP ou
détruire le capitalisme ".
SUR QUOI PORTE MA
CRITIQUE
- Je ne suis pas en désaccord sur le
raisonnement de fond qui est fait pour expliquer qu'il
n'existe pas
- d'issue durable pour une SCOP avec les règles
du jeu capitaliste. La SCOP, quelle que soit
l'expérience qu'elle veut mettre en pratique, ne
peut éviter les contraintes capitalistes:
rentabilité, compétitivité. De ce
point de vue, il est juste de le dire ou de le redire et
d'être clair dessus lorsqu'on aborde pratiquement
ou théoriquement le problème SCOP. D'autre
part, l'enquête menée par Julien
Bréau pour rédiger son dossier nous apporte
une richesse d'informations: fonctionnement d'une SCOP,
qui sont-elles ? etc.
-
- Là où je porte mon désaccord,
c'est que Julien Bréau estime toute
expérience de SCOP comme un
- échec total pour la simple raison qu'elles ne
résolvent pas le chômage. Et que la seule
richesse à en tirer, c'est de prendre le pouvoir,
de renverser le capitalisme. Julien Bréau se croit
au matin du grand soir. A la fois, il croit que la seule
explication par les idées peut convaincre les
ouvriers et d'autre part, il évacue la prise de
conscience par l'expérience que peut apporter la
tentative SCOP.
FAUT-IL CRÉER DES SCOP ?
- Aujourd'hui, dans la situation concrète, il
n'y a pas une position de principe sur cette question.
- Il apparaît par exemple peu probable que nous
impulsions l'expérience SCOP dans une entreprise
comme MANUFRANCE, vue l'importance de l'usine et ce que
cela nécessite pour la faire fonctionner. Cela
supposerait aussi que nous soyons fortement
implanté, ce qui est rarement le cas aujourd'hui.
Nous nous contenterions dans cet exemple de faire
l'expérience avec les ouvriers.
-
- Mais dans d'autres cas, des entreprises plus petites
par exemple, où nous sommes présents,
où nous
- avons un lien au masse conséquent, nous
pouvons impulser l'expérience SCOP afin d'une plus
grande prise de conscience à partir de
l'expérience par les ouvriers eux-mêmes. Il
serait stupide bien que ce soit le point de vue de Julien
Bréau dans l'article de se séparer pour
aller à l'ANPE, alors que les ouvriers peuvent par
leur expérience enrichir leur conscience, tout en
percevant un salaire même momentané.
Enrichissement, je le répète, possible si
cette expérience est réalisée avec
des communistes à l'intérieur. Il y a
d'autre part des considérations tactiques à
tenir compte. Une SCOP qui est l'aboutissement
généralement d'une longue lutte peut se
fixer comme objectif d'être rachetée par un
patron le plus rapidement possible et donc de poursuivre
la lutte dans ce sens et de créer la SCOP pour
subvenir aux besoins que crée une longue bataille.
-
- Pour convaincre de la justesse de ses positions, on
peut adopter différentes orientations: par exemple
- si on veut convaincre un ouvrier de ne pas construire
son pavillon, que ce n'est pas dans son
intérêt, qu'il va rencontrer des
problèmes, fatigue, dettes, rapport avec sa
famille, ses amis, etc. on peut essayer de le faire par
les idées, en lui expliquant et en rester
là. Mais la plupart du temps, l'ouvrier n'est pas
convaincu. Ou bien on peut après avoir
expliqué aller construire les fondations de son
pavillon avec lui et montrer au travers de la pratique
que son pavillon n'est pas une solution à sa vie,
et dans quel sens il doit aller pour résoudre les
problèmes de sa vie misérable.
EN QUOI L'EXPÉRIENCE
SCOP
PEUT ÉLEVER
LE NIVEAU DE CONSCIENCE
?
- Au moment de création de la SCOP, la situation
concrète est différente de celle où
on travaille dans
- une usine classique. Du fait que cette
création surgit après une longue lutte avec
l'ancien patron, les ouvriers voudront mettre en pratique
leur façon de produire autrement. Je n'ai pas
d'expérience directe pour argumenter, mais Julien
Bréau le dit dans son article: " le rafiot et
l'impasse " : " Et pas question de ramer comme
à l'usine. Chefaillons, cadences infernales,
gâchis, pointeuses par dessus bord ".
Les aspirations, les ouvriers tenteront de
les mettre en place, tout comme les ouvrières de
CIP en 76, qui fabriquaient des chemises,
décidèrent de produire à chacune sa
chemise. Ce qui était pour elle mais
inconsciemment une lutte contre la division du travail.
-
- D'autre part, l'expérience SCOP c'est que les
ouvriers prennent souvent des responsabilités. Ils
démontrent à eux-même d'abord
qu'ils sont capables de faire beaucoup de choses,
d'élargir leur horizon de connaissance. Et cela
bien souvent après avoir été des
robots pendant des années. Du point de vue de
l'épanouissement, des ouvertures que cela offre
aux révolutionnaires, c'est extrêmement
positif. Une ouvrière de la CIP raconte: "
Elles ( les ouvrières ) avaient l'habitude de
parler aux délégués mais pas au
patron. Ensuite, il n'y avait plus de patron ( occupation
avec relance de la production ), on avait l'habitude de
se parler entre nous. Ensuite, elles ont
été reprises ( par un autre patron ) et
elles se sont retrouvées toutes seules sans
délégués. Il a fallu remettre tout
en place ( des délégués ), mais
l'acquit, c'est que les filles n'ont plus peur. Plus peur
de parler au patron et je crois que c'est grâce au
conflit qu'elles l'ont appris, enfin je pense ".
- Le problème qui se pose alors, et où je
suis en désaccord avec Julien Bréau, c'est:
pouvons-nous élever la conscience des ouvriers en
sachant que leur expérience de SCOP va couler ?
Très vite, en effet, comme l'explique Julien
Bréau, le" rafiot" SCOP se trouve confronté
à la réalité capitaliste :
compétitivité et concurrence. C'est là
que l'intervention des communistes est déterminante
pour transformer l'échec pratique en conscience
positive qui a son tour permettra de mener de nouveau une
lutte concrète plus avancée. Pour reprendre
l'expérience des ouvrières de la CIP, une
autre ouvrière raconte: " On voulait essayer de
faire des vêtements entiers. Des chemises, des pyjamas
entiers. Et puis elles ( les ouvriers en AG) ont
demandé à revenir à la chaîne.
Elles n'ont pas voulu faire la chemise entière. Elles
ont dit qu'on irait plus vite et c'est vrai, il nous fallait
produire. Il n'y avait plus de cadences, plus de rendement,
mais elles ont voulu retravailler comme avant. Là
j'ai réalisé combien le système
était bien ancré. Nous, on croyait qu'on
pourrait apprendre à faire le vêtement en
entier, on n'était pas bousculées, on faisait
ce qu'on voulait. Et bien non, ça n'a pas
passé ! Malgré tout, il y a du positif,
certaines savaient, après, qu'elles pouvaient le
faire et ça nous a aidé par la suite ".
- De cette expérience, Julien Bréau
tirera l'échec du retour en. arrière, de la
chemise entière au travail à
- la chaîne. Mais quel contenu donner à
cette expression: " Elles savaient qu'après elles
pouvaient le faire ". Là est concentré tout
le positif de cette expérience. Ce n'est pas la
façon de produire ( la leur) qui a coulé
l'expérience mais la volonté d'être
compétitif dans le système. Notre action
à nous, communistes, à ce moment-là,
c'est de montrer quelles sont les conditions
nécessaires pour que le travail à chacun sa
chemise continue. Conditions posant concrètement
la nécessité de la transformation non pas
seulement du rafiot mais de la société par
la prise du pouvoir.
-
- Le fait que les ouvrières aient fait marche
arrière ne veut pas dire qu'elles jugent
négatifs leur expérience
- précédente. Mais seulement elles ne
voient pas quelle autre orientation suivre sans qu'elles
coulent. De leur expérience locale, se sont
posées les contraintes du pouvoir central. A nous
de nous en emparer dans notre travail. Julien
Bréau ne traite pas la question de cette
façon, il dit :
Notre expérience de la gauche, des
SCOP, des propositions gestionnaires des syndicats,
montre que c'est la seule perspective réaliste au
chômage ( détruire le capitalisme ) ".
-
- Le problème lorsque nous engageons une lutte
tactique n'est pas de savoir si ça résout
le chômage,
- nous savons qu'il faut changer la
société entière pour cela. Mais ce
qu'il faut savoir, c'est si cette bataille tactique,
locale, contribue à la seule perspective
réaliste au chômage. Et une SCOP dans
certaines conditions y contribue. Pour détruire le
capitalisme, il faut les masses avec nous. Et elles
engageront cette lutte lorsqu'elles seront convaincues
que c'est la SEULE ISSUE possible.
Ne pas avoir cette démarche lorsqu'on dirige un
mouvement ne peut qu'aboutir a une propagande d'idée
d'un côté et à une lutte
économiste ( Salaires, 35 h... ) de l'autre. Sans
aucun lien entre les deux.
- Il est faux de dire comme Julien Bréau " que
l'expérience SCOP enterre totalement les
aspirations ouvrières à faire autrement,
autre chose ". Les SCOP permettent par la pratique de
responsabiliser, d'intéresser les ouvriers devant
de grandes questions. Ils seront comme dit justement
Julien Bréau confrontés à la
contradiction de leurs aspirations d'un côté
et de faire survivre le rafiot de l'autre. Seront alors
en débats de grandes questions pour trouver des
solutions : si la compétitivité est la
cause, comment lutter contre ? Si la concurrence
étrangle, comment l'étrangler ? Que faire
de notre production ? Faut-il diminuer la qualité
du produit ? Les salariés, etc., etc. Voilà
les questions auxquelles les communistes devront trouver
des réponses pour diriger le mouvement non plus
sur le colmatage du rafiot ou une marche en
arrière, mais d'engager des luttes plus grandes,
plus conscientes, plus politiques contre les causes de
l'exploitation.
-
- Il n'y a peut-être pas de solution en termes
d'entreprise, de travail ( et encore, il faut se battre,
il y a des
- reculs partiels. ) mais il faut justement ELARGIR le
point de vue des coopérateurs pour élargir
leur ambition, leur vision du monde et permettre qu'ils
prennent en mains, en conscience, le problème de
la prise centrale des problèmes. Sinon, on se met
sur le trottoir et on discerne des bons points. La plus
grande expérience de " SCOP " en France nous
l'avons impulsée, c'est celle de faire avec les
ouvriers l'expérience de la gauche au pouvoir.
Est-ce négatif ?
F. Gaccioni
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