Partisan n°4- octobre 1985 -pages 20 à 21

Crise et restructuration

a propos de SCOP

Bien qu'ayant eu tardivement PARTISAN N° 3, je tiens à apporter ma contribution au dossier sur les
SCOP. A la fois parce que PARTISAN se veut un journal ouvert, en transformation et aussi parce que je pense que l'on ne peut fermer le dossier SCOP avec ce qui est dit dans le dernier article : " créer des SCOP ou détruire le capitalisme ".

SUR QUOI PORTE MA CRITIQUE

Je ne suis pas en désaccord sur le raisonnement de fond qui est fait pour expliquer qu'il n'existe pas
d'issue durable pour une SCOP avec les règles du jeu capitaliste. La SCOP, quelle que soit l'expérience qu'elle veut mettre en pratique, ne peut éviter les contraintes capitalistes: rentabilité, compétitivité. De ce point de vue, il est juste de le dire ou de le redire et d'être clair dessus lorsqu'on aborde pratiquement ou théoriquement le problème SCOP. D'autre part, l'enquête menée par Julien Bréau pour rédiger son dossier nous apporte une richesse d'informations: fonctionnement d'une SCOP, qui sont-elles ? etc.
 
Là où je porte mon désaccord, c'est que Julien Bréau estime toute expérience de SCOP comme un
échec total pour la simple raison qu'elles ne résolvent pas le chômage. Et que la seule richesse à en tirer, c'est de prendre le pouvoir, de renverser le capitalisme. Julien Bréau se croit au matin du grand soir. A la fois, il croit que la seule explication par les idées peut convaincre les ouvriers et d'autre part, il évacue la prise de conscience par l'expérience que peut apporter la tentative SCOP.

FAUT-IL CRÉER DES SCOP ?

Aujourd'hui, dans la situation concrète, il n'y a pas une position de principe sur cette question.
Il apparaît par exemple peu probable que nous impulsions l'expérience SCOP dans une entreprise comme MANUFRANCE, vue l'importance de l'usine et ce que cela nécessite pour la faire fonctionner. Cela supposerait aussi que nous soyons fortement implanté, ce qui est rarement le cas aujourd'hui. Nous nous contenterions dans cet exemple de faire l'expérience avec les ouvriers.
 
Mais dans d'autres cas, des entreprises plus petites par exemple, où nous sommes présents, où nous
avons un lien au masse conséquent, nous pouvons impulser l'expérience SCOP afin d'une plus grande prise de conscience à partir de l'expérience par les ouvriers eux-mêmes. Il serait stupide bien que ce soit le point de vue de Julien Bréau dans l'article de se séparer pour aller à l'ANPE, alors que les ouvriers peuvent par leur expérience enrichir leur conscience, tout en percevant un salaire même momentané. Enrichissement, je le répète, possible si cette expérience est réalisée avec des communistes à l'intérieur. Il y a d'autre part des considérations tactiques à tenir compte. Une SCOP qui est l'aboutissement généralement d'une longue lutte peut se fixer comme objectif d'être rachetée par un patron le plus rapidement possible et donc de poursuivre la lutte dans ce sens et de créer la SCOP pour subvenir aux besoins que crée une longue bataille.
 
Pour convaincre de la justesse de ses positions, on peut adopter différentes orientations: par exemple
si on veut convaincre un ouvrier de ne pas construire son pavillon, que ce n'est pas dans son intérêt, qu'il va rencontrer des problèmes, fatigue, dettes, rapport avec sa famille, ses amis, etc. on peut essayer de le faire par les idées, en lui expliquant et en rester là. Mais la plupart du temps, l'ouvrier n'est pas convaincu. Ou bien on peut après avoir expliqué aller construire les fondations de son pavillon avec lui et montrer au travers de la pratique que son pavillon n'est pas une solution à sa vie, et dans quel sens il doit aller pour résoudre les problèmes de sa vie misérable.

EN QUOI L'EXPÉRIENCE SCOP
PEUT ÉLEVER
LE NIVEAU DE CONSCIENCE ?

Au moment de création de la SCOP, la situation concrète est différente de celle où on travaille dans
une usine classique. Du fait que cette création surgit après une longue lutte avec l'ancien patron, les ouvriers voudront mettre en pratique leur façon de produire autrement. Je n'ai pas d'expérience directe pour argumenter, mais Julien Bréau le dit dans son article: " le rafiot et l'impasse " : " Et pas question de ramer comme à l'usine. Chefaillons, cadences infernales, gâchis, pointeuses par dessus bord ".
Les aspirations, les ouvriers tenteront de les mettre en place, tout comme les ouvrières de CIP en 76, qui fabriquaient des chemises, décidèrent de produire à chacune sa chemise. Ce qui était pour elle mais inconsciemment une lutte contre la division du travail.
 
D'autre part, l'expérience SCOP c'est que les ouvriers prennent souvent des responsabilités. Ils démontrent à eux-même d'abord qu'ils sont capables de faire beaucoup de choses, d'élargir leur horizon de connaissance. Et cela bien souvent après avoir été des robots pendant des années. Du point de vue de l'épanouissement, des ouvertures que cela offre aux révolutionnaires, c'est extrêmement positif. Une ouvrière de la CIP raconte: " Elles ( les ouvrières ) avaient l'habitude de parler aux délégués mais pas au patron. Ensuite, il n'y avait plus de patron ( occupation avec relance de la production ), on avait l'habitude de se parler entre nous. Ensuite, elles ont été reprises ( par un autre patron ) et elles se sont retrouvées toutes seules sans délégués. Il a fallu remettre tout en place ( des délégués ), mais l'acquit, c'est que les filles n'ont plus peur. Plus peur de parler au patron et je crois que c'est grâce au conflit qu'elles l'ont appris, enfin je pense ".

Le problème qui se pose alors, et où je suis en désaccord avec Julien Bréau, c'est: pouvons-nous élever la conscience des ouvriers en sachant que leur expérience de SCOP va couler ?

Très vite, en effet, comme l'explique Julien Bréau, le" rafiot" SCOP se trouve confronté à la réalité capitaliste : compétitivité et concurrence. C'est là que l'intervention des communistes est déterminante pour transformer l'échec pratique en conscience positive qui a son tour permettra de mener de nouveau une lutte concrète plus avancée. Pour reprendre l'expérience des ouvrières de la CIP, une autre ouvrière raconte: " On voulait essayer de faire des vêtements entiers. Des chemises, des pyjamas entiers. Et puis elles ( les ouvriers en AG) ont demandé à revenir à la chaîne. Elles n'ont pas voulu faire la chemise entière. Elles ont dit qu'on irait plus vite et c'est vrai, il nous fallait produire. Il n'y avait plus de cadences, plus de rendement, mais elles ont voulu retravailler comme avant. Là j'ai réalisé combien le système était bien ancré. Nous, on croyait qu'on pourrait apprendre à faire le vêtement en entier, on n'était pas bousculées, on faisait ce qu'on voulait. Et bien non, ça n'a pas passé ! Malgré tout, il y a du positif, certaines savaient, après, qu'elles pouvaient le faire et ça nous a aidé par la suite ".

De cette expérience, Julien Bréau tirera l'échec du retour en. arrière, de la chemise entière au travail à
la chaîne. Mais quel contenu donner à cette expression: " Elles savaient qu'après elles pouvaient le faire ". Là est concentré tout le positif de cette expérience. Ce n'est pas la façon de produire ( la leur) qui a coulé l'expérience mais la volonté d'être compétitif dans le système. Notre action à nous, communistes, à ce moment-là, c'est de montrer quelles sont les conditions nécessaires pour que le travail à chacun sa chemise continue. Conditions posant concrètement la nécessité de la transformation non pas seulement du rafiot mais de la société par la prise du pouvoir.
 
Le fait que les ouvrières aient fait marche arrière ne veut pas dire qu'elles jugent négatifs leur expérience
précédente. Mais seulement elles ne voient pas quelle autre orientation suivre sans qu'elles coulent. De leur expérience locale, se sont posées les contraintes du pouvoir central. A nous de nous en emparer dans notre travail. Julien Bréau ne traite pas la question de cette façon, il dit :
Notre expérience de la gauche, des SCOP, des propositions gestionnaires des syndicats, montre que c'est la seule perspective réaliste au chômage ( détruire le capitalisme ) ".
 
Le problème lorsque nous engageons une lutte tactique n'est pas de savoir si ça résout le chômage,
nous savons qu'il faut changer la société entière pour cela. Mais ce qu'il faut savoir, c'est si cette bataille tactique, locale, contribue à la seule perspective réaliste au chômage. Et une SCOP dans certaines conditions y contribue. Pour détruire le capitalisme, il faut les masses avec nous. Et elles engageront cette lutte lorsqu'elles seront convaincues que c'est la SEULE ISSUE possible.

Ne pas avoir cette démarche lorsqu'on dirige un mouvement ne peut qu'aboutir a une propagande d'idée d'un côté et à une lutte économiste ( Salaires, 35 h... ) de l'autre. Sans aucun lien entre les deux.

Il est faux de dire comme Julien Bréau " que l'expérience SCOP enterre totalement les aspirations ouvrières à faire autrement, autre chose ". Les SCOP permettent par la pratique de responsabiliser, d'intéresser les ouvriers devant de grandes questions. Ils seront comme dit justement Julien Bréau confrontés à la contradiction de leurs aspirations d'un côté et de faire survivre le rafiot de l'autre. Seront alors en débats de grandes questions pour trouver des solutions : si la compétitivité est la cause, comment lutter contre ? Si la concurrence étrangle, comment l'étrangler ? Que faire de notre production ? Faut-il diminuer la qualité du produit ? Les salariés, etc., etc. Voilà les questions auxquelles les communistes devront trouver des réponses pour diriger le mouvement non plus sur le colmatage du rafiot ou une marche en arrière, mais d'engager des luttes plus grandes, plus conscientes, plus politiques contre les causes de l'exploitation.
 
Il n'y a peut-être pas de solution en termes d'entreprise, de travail ( et encore, il faut se battre, il y a des
reculs partiels. ) mais il faut justement ELARGIR le point de vue des coopérateurs pour élargir leur ambition, leur vision du monde et permettre qu'ils prennent en mains, en conscience, le problème de la prise centrale des problèmes. Sinon, on se met sur le trottoir et on discerne des bons points. La plus grande expérience de " SCOP " en France nous l'avons impulsée, c'est celle de faire avec les ouvriers l'expérience de la gauche au pouvoir. Est-ce négatif ?

 

F. Gaccioni

çarticle précédent du Dossier SCOP " Créer des SCOP ou détruire le capitalisme " 

Suite et fin du dossier sur les SCOP dans Partisan n°5 -article " Non, nous n'avons pas à impulser des SCOP " è

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