A PROPOS DE LA
THÉORIE DES 3 MONDES
.....La division du monde en trois mondes, pour
définir la situation internationale actuelle, n'est
pas une thèse toute récente. Le Parti
communiste chinois l'a formulée dans les
années 73-74. En janvier 1975, Chou En-Laï, dans
son "Rapport sur les activités du gouvernement
présenté à la première session
de la IVe Assemblée populaire nationale de la
République populaire de Chine", la développe
explicitement. Bien avant cela, les dirigeants du Parti
communiste chinois avaient à de nombreuses reprises
parlé en terme de "Tiers monde",
précisément Mao Tsé-toung, en juin
1973, lors d'une entrevue avec un dirigeant africain ; et
dans le rapport présenté au Xe Congrès
du PCC en août de la même année, Chou
En-Iaï indiquait : "La
prise de conscience du Tiers monde et la croissance de sa
force constituent un évènement de grande
importance dans les relations internationales de notre
temps". Pourtant, de
façon assez curieuse, c'est seulement après la
mort de Mao Tsé-toung, à partir de l'automne
76, qu'une polémique va s'engager sur la
définition de la situation internationale en terme de
trois mondes et sur la notion de tiers monde, au sens
où l'entendent Mao Tsé-toung, Chou
En-laï, le parti communiste chinois et de nombreux
partis communistes dans le monde. A cette polémique,
participent non seulement les différents courants
trotskystes, qui ont toujours entretenu de profondes
divergences avec les marxistes-léninistes sur
l'analyse de la situation internationale, entre autres
points, et particulièrement sur les mouvements de
libération nationale et la lutte contre
l'impérialisme, depuis le traité de
Brest-Litowsk jusqu'aux luttes des peuples d'Indochine, mais
aussi des groupes et partis qui se définissent comme
marxistes-léninistes. De ce côté, les
auteurs de la théorie des trois mondes sont tout
à coup qualifiés d'opportunistes,
d'éléments anti-marxistes... au fil d'une
polémique dont le ton s'enfle, sans que les
éléments de démonstration et les
arguments ne se précisent. Comme il est
fréquent dans de pareils cas, la thèse
critiquée, la thèse des trois mondes, est
présentée de façon
déformée et la polémique se nourrit,
dans une large mesure, des éléments qu'elle
apporte elle-même.
.....
Toutefois, comme son propos est
bien de discréditer la thèse des trois mondes,
il est indispensable de vérifier la pertinence des
critiques formulées, et ce faisant, de
vérifier aussi les fondements de la thèse des
trois mondes. C'est ce que nous commençons à
faire ici, particulièrement en examinant la notion de
tiers-monde.
..... En premier lieu, la théorie des trois
mondes est opposée à l'analyse du monde selon
les contradictions fondamentales de notre époque.
Cette remarque semble, à première vue,
pertinente. En effet, le mouvement communiste a toujours
analysé la situation internationale à partir
des contradictions fondamentales qui permettent de la
comprendre. Au lendemain de la Révolution d'Octobre
et de la première guerre mondiale, la situation du
monde s'est trouvée profondément
changée. L'époque qui s'est engagée
alors, et dans laquelle nous nous trouvons encore est bien
celle que définissait Lénine: l'époque
de l'impérialisme agonisant et des révolutions
prolétariennes. Tout au long de cette époque,
la réalité du monde est définie par le
développement des contradictions qui permettent d'en
décrire l'essence: les contradictions fondamentales.
Tous les changements qui se produisent dans la situation
internationale sont provoqués par le
développement de ces contradictions. Après la
révolution bolchévique de 1917, ces
contradictions, au nombre de quatre, peuvent être
ainsi définies :
.......
-la contradiction bourgeoisie -
prolétariat dans les pays
capitalistes.
.......
-La contradiction entre les pays
impérialistes et les peuples et les nations
opprimées
.......
-La contradiction entre les
différents pays impérialistes
.......
-La contradiction entre l'URSS
socialiste et les pays impérialistes
.....
Avec les transformations
provoquées par ces contradictions dans la situation
du monde, les termes opposés de ces contradictions se
modifient. Ainsi, après l'apparition, au terme de la
seconde guerre mondiale, d'un vaste ensemble de pays
socialistes, unis entre eux et organisés en un camp
opposé au camp impérialiste organisé
par l'impérialisme US, les termes de la contradiction
fondamentale (URSS socialiste -pays impérialistes)
ont changé, la même contradiction fondamentale
entre le socialisme et l'impérialisme se jouant alors
entre un camp socialiste et un camp impérialiste. En
retour, lorsque l'Union soviétique a
dégénéré en un pays
social-impérialiste, après avoir
rétabli le capitalisme, alors que le camp
impérialiste lui-même voyait dissocier ses
liens internes et contester l'hégémonie
américaine, la contradiction impérialisme-
socialisme s'exprimait dans les termes: la contradiction qui
oppose les pays socialistes aux pays impérialistes et
au social-impérialisme.
.....
Dans le même temps, l'Union
soviétique, qui au lendemain de 1917 constituait le
seul pays socialiste, en se transformant vers 1968 et au
moment de l'invasion de la Tchécoslovaquie, en un
pays social-impérialiste, se trouve totalement
concernée par la contradiction fondamentale qui
oppose entre eux les pays
impérialistes.
.....
Ainsi les termes des
contradictions fondamentales se modifient-ils avec les
progrès -et les reculs temporaires qui ne
contredisent pas la progression d'ensemble de la
révolution prolétarienne mondiale- dans le
développement de ces contradictions. Celles-ci
caractérisent l'ensemble de l'époque ouverte
par la première guerre mondiale et le succès
de la révolution bolchévique. Ces
contradictions sont indissociablement unies entre elles, il
n'est possible, pour penser la situation mondiale, ni d'en
prendre une seule en considération -par exemple
d'envisager l'évolution de la situation mondiale
uniquement à partir de la contradiction fondamentale
bourgeoisie-prolétariat, ce que font les
trotskystes-, ni de négliger les liens qui existent
entre ces quatre contradictions. Dans le débat au
sein du Mouvement communiste international qui s'est
déroulé dans les années 60 et au cours
duquel les partis marxistes-léninistes authentiques
ont mené la lutte contre le révisionnisme
moderne, ce point fut particulièrement mis en
lumière. Ainsi dans la "lettre en 25 points"
rédigée par le Parti communiste chinois en
1963, il était dit, à propos des
contradictions fondamentales: "Ces contradictions, de même que les
luttes qu'elles entraînent, sont liées entre
elles et influent les unes sur les autres. Personne ne peut
nier une seule de ces contradictions fondamentales, ni
prendre subjectivement l'une d'elles pour la substituer aux
autres" et aussi, pour
préciser ce point, par rapport à la position
du parti révisionniste de l'Union soviétique,
qui réduisait l'ensemble des contradictions
fondamentales à la contradiction camp socialiste,
camp impérialiste: "La
contradiction entre le camp socialiste et le camp
impérialiste est celle entre deux systèmes
sociaux radicalement différents, le socialisme et le
capitalisme. Elle est indubitablement très
aiguë. Mais les marxistes-léninistes ne doivent
pas considérer les contradictions à
l'échelle mondiale comme réduites simplement
et uniquement à celle entre le camp socialiste et le
camp impérialiste".
.....
Les quatre contradictions
fondamentales doivent donc être envisagées
simultanément dans leur liaison interne, lorsque l'on
tente de saisir ce phénomène extrêmement
complexe que constitue la situation mondiale; aussi
s'agit-il d'apprécier correctement l'état de
développement de chacune de ces contradictions, la
position respective de chacun des contraires qui les
définissent. Cette étude dialectique de la
réalité n'est pas du tout résolue
lorsque l'on se contente de rappeler, comme nous venons de
le faire, la nature des contradictions fondamentales en acte
dans le monde, tout au long de l'époque
engagée par la première guerre mondiale et la
révolution d'Octobre 17. L'essentiel reste à
faire, c'est-à-dire l'analyse concrète de
l'état de la lutte entre bourgeoisie et
prolétariat dans les pays capitalistes, entre les
pays impérialistes et les peuples et nations
opprimées, entre les pays impérialistes
eux-mêmes, entre les pays socialistes et les pays
impérialistes. Réaliser cette analyse
concrète est une tâche de très grande
ampleur, puisqu'elle embrasse tous les aspects de la lutte
qui se mène à l'échelle mondiale entre
classes antagonistes, systèmes sociaux
opposés, ainsi que les contradictions
inter-impérialistes et entre l'impérialisme et
le mouvement de libération nationale ; or, la
diversité de ces aspects se trouve très
rarement rassemblée à l'intérieur d'un
même pays, de même qu'il est quasiment
impossible de saisir la réalité d'un pays
à partir de l'énoncé d'une seule de ces
contradictions fondamentales.
.....
De ce fait, des différences
d'appréciation peuvent se faire jour entre partis
communistes sur des aspects plus ou moins importants de
l'évolution de la situation mondiale. Ces
différences ont existé, y compris lorsque
l'ensemble des partis communistes au plan mondial se
trouvaient rassemblés au sein de l'Internationale
communiste, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. La mise en
oeuvre commune des principes de l'internationalisme
prolétarien et la discussion approfondie entre partis
communistes réduit ces différences
inévitables d'appréciation.
..... A une étape donnée du
développement des quatre contradictions fondamentales
peut apparaître une contradiction principale, qui ne
se confond pas avec ces contradictions fondamentales, mais
résulte de leur développement. Cette
contradiction principale n'existe pas, de part en part, tout
au long de l'existence du phénomène
envisagé, mais caractérise un moment de
l'existence de ce phénomène. C'est ce qui est
nettement apparu au cours de la deuxième guerre
mondiale, où deux camps opposés se sont
clairement dessinés: le camp comprenant les
états fascistes (Allemagne, Italie, Japon) et le camp
antifasciste qui regroupait un pays socialiste: l'URSS, des
pays capitalistes (Grande-Bretagne, États-Unis),
à l'intérieur des pays capitalistes le
prolétariat uni à d'autres classes, et couches
dans la résistance anti- fasciste, des mouvements de
libération nationale engagés dans la
révolution de démocratie nouvelle (Chine,
Vietnam). Une fois cette guerre achevée et cette
contradiction principale résolue par la victoire du
camp antifasciste, le développement des
contradictions fonda- mentales a pris un nouvel essor. La
définition du monde, au cours de la deuxième
guerre mondiale, en deux camps n'avait pas pour origine la
dissimulation des contradictions fondamentales, qui
continuaient à agir pendant cette période,
mais bien un bilan scientifique, une synthèse
rigoureuse de l'état de développement de
l'ensemble de ces contradictions
fondamentales.
.....
Aussi l'analyse de la situation
mondiale, à partir des quatre contradictions
fondamentales n'est-elle "pas contradictoire avec la
définition d'une contradiction principale
caractérisant un moment de l'époque
envisagée, ni avec une appréciation du partage
du monde à une période de cette époque.
C'est d'ailleurs ce que faisait Lénine lorsqu'il
exposait dans son " Rapport sur la situation internationale"
au IIème Congrès de l'Internationale
Communiste en 1920, comment, à la suite de la
première guerre mondiale et du développement
inégal des impérialismes, que l'on aboutissait
à une division de caractère politique entre
trois groupes de pays dans le monde:
.....
"Cela
nous donne, en ses traits généraux, le tableau
du monde tel qu'il apparaît après la guerre
impérialiste. Un milliard et quart d'hommes dans les
colonies opprimées, les pays démembrés
comme la Perse, la Turquie, la Chine et les pays vaincus,
réduits à l'état de
colonies (NDRL : empire
austro-hongrois, Allemagne, Bulgarie et Union
Soviétique) ; un quart
de milliard d'hommes dans les pays qui se sont maintenus
dans leur situation d'antan, mais qui sont tombés
sous la dépendance économique de
l'Amérique et qui, durant toute la guerre, furent
sous sa dépendance militaire... Enfin l'on compte
encore un quart de milliard d'habitants, tout au plus, dans
les pays (NDLR : USA, Japon,
Grande-Bretagne ) dont, bien
entendu, seul le haut du panier, seuls les capitalistes ont
profité du partage du globe... Je tiens à vous
rappeler ce tableau du monde, car toutes les contradictions
fondamentales du capitalisme, de l'impérialisme qui
mènent à la révolution, toutes les
contradictions fondamentales du mouvement ouvrier qui ont
amené la lutte acharnée contre la
deuxième internationale, tout cela est lié au
partage de la population du globe". (Pékin Information N° 45-
1977).
.....
Ces groupes de pays, de même
que le partage du monde pendant la 2ème guerre
mondiale en un camp du fascisme et un camp anti-fasciste,
sont délimités non par
l'homogénéité des régimes
sociaux et économiques, mais par le regroupement des
forces politiques du monde. C'est pourquoi la
possibilité de tels regroupements entre des forces
sociales distinctes, des pays à régime social
et économique différent, quand elle se fait
jour, implique un bilan systématique du
développement des contradictions
fondamentales.
.....
La théorie des trois mondes
se fonde justement sur un tel bilan. C'est ce que
précise le rapport présenté au
XIème Congrès du PCC par Hua Kuo Feng :
"Appliquant la méthode
de l'analyse de classe, le Président Mao
étudie le développement des contradictions
fondamentales du monde contemporain et les changements
qu'elles ont connus ; il analyse la division et le
regroupement des différentes forces politiques ainsi
que la position politique et économique des divers
pays sur le plan international et il en dégage une
synthèse scientifique de la situation
stratégique du monde actuel". Ainsi, la théorie des trois mondes ne
se présente-t-elle pas comme distincte ou en
opposition à l'analyse des contradictions
fondamentales mais, au contraire, comme la synthèse
de la situation mondiale définie par le
développement des quatre contradictions
fondamentales. Aussi, il n'est pas possible de critiquer
sérieusement cette théorie sans discuter de
façon systématique l'ensemble des
éléments d'analyse dont elle constitue la
synthèse, sans apprécier l'état
réel de développement des contradictions
fondamentales du monde contemporain. En clair, ou l'on
soutient que l'analyse du regroupement des forces politiques
à l'échelle du monde n'est pas conforme au
marxisme-léninisme et dissimule les contradictions
fondamentales -et on tire ce faisant un trait sur soixante
ans de léninisme -ou bien on critique les limites et
les fondements de ces regroupements, et on lui oppose une
analyse distincte du développement des contradictions
fondamentales du monde contemporain -et force est de
constater que jusqu'ici la polémique
développée contre la théorie des trois
mondes ne s'est pas acquittée de cette tâche.
..... Prenons un simple exemple: les auteurs de la
polémique engagée contre la théorie des
trois mondes s'efforcent bien d'évoquer la
réalité du monde contemporain, mais quand ils
traitent, par exemple, du développement de la
contradiction bourgeoisie-prolétariat dans les pays
capitalistes, contradiction qui nous concerne tout
particulièrement en France, quelles indications
apportent-ils ? Après avoir souligné que
"les conditions objectives
deviennent chaque jour plus favorables à la
révolution" et que
"la révolution
prolétarienne y est un problème posé et
à résoudre", ce
qui fait déjà un certain temps, quelles
importantes précisions sont-elles fournies sur le
développement des conditions subjectives de la révolution ? A vrai dire peu de
choses, et parfois même des choses étonnantes.
Ainsi des syndicats présentés en
général comme luttant "de toutes les manières et par tous les
moyens pour désorienter les travailleurs, pour
saboter leur lutte révolutionnaire", ainsi du danger du fascisme
présenté comme "toujours plus menaçant" (positions avancées dans le rapport
présenté au Vllème Congrès du
Parti du Travail d'Albanie), ainsi surtout de la situation
subjective du prolétariat convaincu par la situation
"que le temps est
venu" pour mettre un terme aux
sacrifices sans nombre, de consentir "le sacrifice suprême, de se dresser pour
la révolution et d'instaurer la dictature du
prolétariat" (Brochure
intitulée: "l'attitude prolétarienne du PTA en
vue du juste développement de la lutte de classe
à l'échelle internationale").
.....
Pour ne reprendre que ces points,
ils ne manquent pas de laisser circonspects les
marxistes-léninistes qui mènent la lutte de
classe dans un pays capitaliste comme le nôtre.
Comment, alors même qu'une lutte difficile et
prolongée est engagée depuis des années
contre le révisionnisme moderne, qui tente par tous
les moyens de dissuader la classe ouvrière de
s'engager dans la voie de la révolution, alors que
s'effectue, de façon très encourageante, mais
reconnaissons-le avec honnêteté, encore
limitée, une première accumulation des forces
révolutionnaires, que se font jour des victoires
ponctuelles sur le révisionnisme, comment peut-on
avancer que la classe ouvrière, encore largement
influencée par le révisionnisme, en est
arrivée à la conviction que le temps est venu
de "consentir le sacrifice suprême" ? Une telle
affirmation n'a strictement aucun rapport avec la
réalité; elle ne renvoie à aucun bilan
sérieux de l'avancée de la contradiction
bourgeoisie-prolétariat dans notre pays et, à
notre connaissance, dans les pays
capitalistes.
.....
Quant aux autres affirmations
touchant aux syndicats, elles sont tout à fait
unilatérales et négligent la claire
démonstration de Lénine sur les syndicats dans
"La maladie infantile du communisme, le gauchisme". Touchant
à la menace du fascisme, n'est-il pas
inquiétant de voir cette menace évoquée
à propos de l'Espagne quelques mois après la
mort de Franco, au moment même où la
bourgeoisie espagnole se voit contrainte de concéder,
sous la pression des masses, des libertés
démocratiques bourgeoises qu'elle avait abolies
pendant une quarantaine d'années ?
.....
Ces affirmations, on le voit bien,
ne sont pas sérieuses; peut-on s'engager de
manière aussi légère dans une
réfutation bruyante mais peu convaincante de la
théorie des trois mondes, avec des arguments aussi
précaires ? Il serait plus conforme à l'esprit
et à la méthode du marxisme-léninisme
d'établir un bilan scientifique du
développement des contradictions fondamentales du
monde.
.....
Un second exemple est de ce point
de vue tout aussi éclairant: c'est celui que
développent largement les auteurs de la
polémique sur les trois mondes: l'exemple du Tiers
Monde.
.....
Le concept de Tiers monde, qui est
apparu après la deuxième guerre mondiale, n'a
pas été forgé par les
marxistes-léninistes. Par analogie à la
définition des classes populaires avant la
Révolution bourgeoise de 1789 sous le nom de
Tiers-Etat, cette notion a servi à désigner le
vaste ensemble de pays d'Afrique, d'Asie et
d'Amérique latine qui ont subi et subissaient encore
la domination coloniale et néo-coloniale, mais
parvenaient de plus en plus nombreux à
l'indépendance politique, sinon économique.
Regroupant des pays à régimes sociaux
différents et dépendants à des
degrés très divers de l'impérialisme,
cette notion n'avait pas, au moment où elle a
été formulée, de claire implication.
Elle renvoyait alors à un certain nombre de
caractéristiques économiques voisines, du
point de vue du développement des forces productives
qui caractérisait improprement ces pays. Aussi, tant
qu'il en était ainsi, les marxistes n'employaient pas
cette notion et en organisaient la critique. Cependant, avec
l'essor du mouvement de libération nationale, la
victoire de nombreux peuples contre le colonialisme et le
néo-colonialisme, la défaite militaire de
l'impérialisme américain en Indochine,
français en Indochine et en Algérie, Portugais
en Afrique... s'est dessiné avec de plus en plus de
force un mouvement des pays nouvellement
indépendants, qui a joué, depuis le
début des années 70, un rôle politique
marquant.
.....
Ce regroupement politique a
adopté, de manière de plus en plus
fréquente, des positions de lutte relativement
unifiées contre l'impérialisme. Si l'on
considère l'évolution de ce mouvement depuis
la réunion afro-asiatique de Bandoeng en 1955, il est
évident qu'il a, dans l'ensemble,
considérablement progressé dans son extension
à de nouveaux pays et dans sa résolution
à engager la lutte, malgré des reculs
momentanés ou partiels. Ce regroupement est
constitué de pays à régimes sociaux et
économiques différents, il englobe des pays
dans lesquels le prolétariat, loin de diriger, est
souvent exploité et réprimé; dans
lesquels des luttes acharnées se déroulent
parfois entre les masses populaires et la bourgeoisie
dirigeante.
.....
La réalité de ce
regroupement politique doit être soigneusement
examinée. Elle pose trois questions: Qu'est-ce qu'en
fait que le Tiers Monde ? Lutte-t-il vraiment contre
l'impérialisme ? Quelle attitude doivent adopter
à son endroit les marxistes-léninistes ? A ces
trois questions, certains répondent: le Tiers Monde
est une notion confusionniste qui masque les contradictions
de classe, les pays qui sont censés le composer sont
dépendants de l'impérialisme, quant aux
marxistes-léninistes, ils doivent balayer cet
amalgame douteux où l'on voit les émirs
côtoyer les pays socialistes. Telle est en substance
leur réponse. Mais qu'en est-il effectivement
?
.....
Qu'est-ce qu'en fait que le Tiers
Monde ? Dans un "Document international" publié en
janvier 1974 par le PCC, il se trouve ainsi défini :
"Le Tiers Monde est une force
montante, qui s'est développée pas à
pas depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Les
pays du Tiers Monde, qui étaient depuis longtemps
victimes de l'oppression de l'impérialisme et du
colonialisme, et qui aujourd'hui font face à
l'oppression, à la vexation et à la menace des
superpuissances et du colonialisme ancien et nouveau, sont
tous en voie de développement sur le plan
économique. La grande majorité des pays
d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine appartiennent
au Tiers Monde.
..... Les régions d'Afrique, d'Asie et
d'Amérique Latine occupent une place importante dans
le monde. Leur superficie totale représente 63 % du
territoire de la planète. Elles sont dotées de
très abondantes ressources naturelles et leur
population compte pour presque les trois quarts de la
population totale du monde entier.
..... La formation du concept de Tiers Monde a connu
un certain processus. Il est apparu lorsque, après la
seconde guerre mondiale, les mouvements de libération
nationale en Asie, en Afrique et en Amérique Latine
se sont déchaînés, et que des dizaines
de pays, s'étant débarrassés l'un
après l'autre du joug colonial, ont conquis
l'indépendance nationale. C'est dans ce contexte que
le concept de Tiers-Monde commença a être
utilisé. Dans les années 50, certains
appelèrent le camp impérialiste le premier
monde, le camp socialiste le deuxième monde, et les
pays qui avaient obtenu leur indépendance nationale
le Tiers Monde. Au fur et à mesure du
développement de la lutte révolutionnaire des
peuples du monde, et de l'accentuation des
différentes contradictions fondamentales mondiales,
une situation de grand bouleversement, de grandes divisions
et de grandes réorganisations s'instaura sur la
scène internationale. Le déclin constant de
l'impérialisme américain conduisit à la
scission et à la désorganisation du camp
impérialiste. De même, le camp socialiste cessa
d'exister dès le moment où la restauration du
capitalisme par la clique renégate du
révisionnisme soviétique fit
dégénérer l'Union soviétique, de
socialiste qu'elle était, en
social-impérialiste. Dans le même temps, le
Tiers-Monde gagnait en vigueur, en devenant chaque jour plus
fort, plus conscient et plus uni.
..... Mais l'impérialisme américain ne
se résigne pas à se retirer de la scène
de l'histoire, tandis que le social-impérialisme
soviétique rêve de le remplacer pour dominer le
monde, bien que ses forces ne soient pas à. la mesure
de ses ambitions. Les deux superpuissances se disputent
l'hégémonie mondiale et entreprennent partout
agression, expansion, subversion et intervention.. Devant
une telle situation, les nouveaux pays du Tiers-Monde font
cause commune pour mener à bien la tâche de
lutter contre l'impérialisme et le colonialisme
ancien et nouveau, s'opposer à
l'hégémonisme et à la politique du plus
fort des super-puissances, combattre le racisme et le
sionisme, conquérir et sauvegarder
l'indépendance nationale, défendre la
souveraineté et les ressources du pays,
développer l'économie et la culture
nationales, établir des forces armées
nationales indépendantes capables de défendre
leur patrie et de lutter pour les intérêts de
l'immense majorité de la population. Ces pays
renforcent sans cesse leur solidarité dans la lutte
et jouent un rôle de plus en plus important dans les
affaires mondiales.
..... "La Chine socialiste appartient au Tiers-Monde.
La Chine, qui est elle aussi un pays en voie de
développement, a souffert des mêmes maux que
les autres pays et peuples du Tiers-Monde, doit affronter
les mêmes ennemis et lutter dans un combat commun. La
Chine et les peuples du Tiers-Monde se témoignent une
sympathie réciproque, se soutiennent mutuellement, et
avancent du même pas dans leur lutte contre
l'impérialisme, le colonialisme et
l'hégémonisme."
..... Cette définition souligne le rôle
de force politique du regroupement que constitue le Tiers
monde, en même temps que l'évolution
progressive de cette force dans la détermination de
ses objectifs. Né des succès du mouvement de
libération nationale, le mouvement du Tiers Monde
s'emploie à liquider les vestiges du colonialisme. Le
soutien qu'il apporte aux mouvements de libération
nationale, et particulièrement en Afrique australe,
ne peut être nié, comme à la
Révolution palestinienne et hier aux luttes des
peuples d'Indochine. Son soutien militaire, matériel
et politique aux luttes de libération nationale est
une réalité, toutes les fois où ces
luttes ont pour cible directe les puissances
impérialistes. Mais avec l'accession à
l'indépendance politique d'un grand nombre de
nouveaux pays, les relations politiques et
économiques existant dans le monde actuel qui visent
à perpétuer la suprématie des
puissances impérialistes sont également mises
en cause. Bien sûr, la domination des puissances
impérialistes est loin d'être réellement
ébranlée aujourd'hui, les liens qui rattachent
la plupart des pays du Tiers Monde à
l'impérialisme restent solides, et il serait
illusoire de croire que ces liens pourront être rompus
sans que les rapports de classe, à l'intérieur
même des pays du Tiers Monde soient
profondément modifiés, dans le sens des
intérêts du prolétariat et des masses
populaires, mais il est tout à fait erroné de
nier la réalité
concrète de la force
politique constituée aujourd'hui par le Tiers Monde,
tel qu'il est, dans la diversité des systèmes
économiques et sociaux qui le définissent et
de sous-estimer les coups que cette force porte à
l'impérialisme. Le mouvement, majoritaire à
l'Assemblée générale de l'ONU a
commencé à poser avec force la question de
l'échange inégal, du prix des matières
premières, de la nationalisation des biens
impérialistes ; s'il est exact que la plupart des
résolutions formulées par le mouvement du
Tiers Monde, n'ont reçu la plupart du temps qu'un
commencement très limité d'exécution,
la tendance qui se dessine nettement depuis une vingtaine
d'années va dans le sens de contrer les
intérêts de l'impérialisme et de
progresser en audace et fermeté dans cette lutte,
sous la double pression du mouvement de libération
nationale et des masses populaires des nouveaux pays. Quant
à la pression exercée sur les pays
impérialistes pour qu'ils accordent
l'indépendance à leurs vestiges coloniaux ou
qu'ils réduisent leur soutien aux régimes
racistes d'Afrique, elle ne constitue pas une
démarche velléitaire, mais un fait
indéniable.
.....
C'est pourquoi, les premiers pas
conséquents engagés dans la lutte contre
l'impérialisme ne peuvent être traités
comme de simples faux-semblants, de la poudre aux yeux
jetée en direction de leurs propres peuples par les
forces dirigeantes des pays du Tiers-Monde. Ils constituent
en vérité, l'amorce d'un mouvement de grande
ampleur, au cours duquel la tendance à la
conciliation avec l'impérialisme des couches
dirigeantes de ces pays sera inévitablement battue en
brèche par le prolétariat et les masses
populaires, au cours duquel la confrontation politique avec
l'impérialisme et en premier lieu, les
superpuissances se développera nécessairement
en luttes armées.
.....
La diversité des pays
regroupés dans le mouvement politique du Tiers Monde
est flagrante et il est facile de souligner le
caractère odieux de la répression
exercée sur les masses populaires par un certain
nombre de dirigeants de ces pays, comme le caractère
réactionnaire, obscurantiste et parfois féodal
de certains régimes, mais ces critères ne
disent pas tout de la réalité politique du
Tiers Monde et ne permettent pas à eux seuls de
déterminer la position des communistes par rapport au
mouvement du Tiers Monde. Dans la mesure où le Tiers
Monde s'affronte à l'impérialisme, le
rôle et l'intérêt du prolétariat
international est de le soutenir activement dans cette
lutte, dans la mesure où les classes dirigeantes
répriment et exploitent le peuple, le rôle du
prolétariat est de faire la révolution et de
renverser le pouvoir de ces classes. Cette double
tâche n'est contradictoire qu'en apparence. En
vérité elle se fonde sur la diversité
et la liaison interne des tâches de la
révolution prolétarienne mondiale. Celle-ci
pour triompher, doit éliminer l'impérialisme,
et en premier lieu, les super-puissances
impérialistes. Tout coup porté à
l'impérialisme favorise la révolution
prolétarienne. C'est dans ce sens que Staline -dont
les auteurs de la polémique engagée contre la
théorie des trois mondes, disent avec force qu'il a
"maintenu toujours pure la théorie
marxiste-léniniste"- indiquait dans les Principes du
Léninisme :
.....
"Dans
les conditions de l'oppression impérialiste, le
caractère révolutionnaire du mouvement
national n'implique pas nécessairement l'existence
d'éléments prolétariens dans le
mouvement, l'existence d'un programme révolutionnaire
ou républicain du mouvement, l'existence d'une base
démocratique du mouvement. La lutte de l'émir
de l'Afghanistan est objectivement une lutte
révolutionnaire, malgré le ton monarchique des
conceptions de l'émir et de ses partisans; car elle
affaiblit, elle sape et désagrège
l'impérialisme... Lénine a raison lorsqu'il
dit que le mouvement national des pays opprimés doit
être apprécié, non du point de vue de la
démocratie formelle, mais du point de vue de ses
résultats effectifs dans la balance
générale de la lutte contre
l'impérialisme, c'est-à-dire à
l'échelle mondiale et non pas isolément. Les
mêmes raisons font que la lutte des marchands et des
intellectuels bourgeois égyptiens pour
l'indépendance de l'Egypte est une lutte
objectivement révolutionnaire, malgré
l'origine bourgeoise et la qualité bourgeoise des
leaders du mouvement national égyptien, et bien
qu'ils soient contre le socialisme". (Les principes du Léninisme).
..... De même, Mao Tsé-toung
développait dans De la démocratie nouvelle:
"Peu importe chez les peuples
opprimés, quelles classes, quels partis, quels
individus participent à la révolution et peu
importe qu'ils soient conscients ou non de ce que nous
venons d'exposer, qu'ils le comprennent ou non, il suffit
qu'ils s'opposent à l'impérialisme pour que la
révolution devienne une partie de la
révolution socialiste et qu'ils en soient les
alliés. "
..... Aussi, le prolétariat doit-il assumer
cette double tâche: abattre sa propre bourgeoisie pour
établir le socialisme, puis le communisme, tout en
participant à la lutte mondiale des peuples, nations
et pays opprimés contre l'impérialisme et
particulièrement les deux super- puissances.
..... Loin de détourner le prolétariat
international de la lutte révolutionnaire, la
théorie des trois mondes -au point où nous
l'avons examinée- l'arme, au contraire, d'une claire
vision de l'ensemble de ses tâches
stratégiques. Nous examinerons dans le prochain
numéro de Front Rouge, ce qu'il en est, selon la
théorie des 3 mondes, du premier et du second monde,
de la guerre et de la révolution.
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