FRONT ROUGE n°150 -03 avril 1975- hebdomadaire
organe central du
Parti Communiste Révolutionnaire (m.l.)
---

- page 8 -

ç

REFUSONS DE SERVIR DE COBAYES
AU PROGRAMME NUCLEAIRE DE LA BOURGEOISIE

Manifestations à Bugey, Fessenheim, Erdeven, Flamanville, protestations et pétitions à Braud, la Palme, la lutte contre la politique nucléaire du gouvernement s'amplifie, et s'étend peu à peu à toutes les communes " choisies " par l'EDF pour l'implantation de ces centrales nucléaires. Dernièrement, ce sont les scientifiques dont certains travaillent au Commissariat de l'Energie Atomique, qui, dans une pétition se sont dressés contre les décisions du gouvernement en matière d'énergie nucléaire : 1500 signatures ont déjà été recueillies.
Ce que visent ces différentes luttes, ce n'est pas l'énergie nucléaire en tant que telle, mais l'orientation actuelle du programme nucléaire français, et les conditions dans lesquelles il est mis en œuvre.

Quelles sont les revendications posées ?

Essentiellement l'exigence que ne soient construites de centrales nucléaires que dans la mesure où tout danger d'accident, de radiations graves, aura été écarté et que toutes les mesures de sécurité nécessaires auront été prises. Et l'exigence de stopper la construction des centrales tant que toutes les assurances n'auront pas été données.
A en croire les dirigeants de l'EDF, et les ministres, le programme nucléaire ne présente que d'infimes risques qui ne valent pas la peine d'être considérés étant donné tous les avantages de l'énergie nucléaire.

Mais s'agit-il vraiment de risques imaginaires ? La question demande un examen plus sérieux que les rapides dénégations de l'EDF.


Vingt centrales nucléaires sur les bords du Rhin, dans quelques années, 10 de chaque côté. Contre cette perspective, 15.000 manifestants, dont de nombreux Français ont affronté les policiers à Wyhl (RFA) et les ont chassé du territoire où doit être édifiée une centrale nucléaire.

 

CONTRE LES DANGERS DES CENTRALES NUCLEAIRES

      Le fonctionnement normal d'une centrale nucléaire présente plusieurs risques sérieux, liés au caractère particulier de ce combustible : l'uranium qui est radio-actif.

Il s'agit d'abord de radiations rejetées par la centrale nucléaire, et dont les effets sont mal connus. D'après l'agence de l'environnement US, malgré leur faible taux ces radiations risquent de provoquer entre 500 et 2500 morts supplémentaires par cancer dans les 150 années à venir, à condition de maintenir un faible taux de radioactivité ; ce qui mésestime l'augmentation prévue du parc de centrales nucléaires. Ces évaluations ne tiennent pas compte des autres risques : risques génétiques (déformations chromosomiques) qui sont difficilement chiffrables. Les réacteurs choisis par l'EDF rejettent notamment dans l'atmosphère, en fonctionnement normal du Krypton 85, et de l'iode 131, éléments radioactifs, en doses infimes certes, mais qui peuvent se concentrer en certains points de la chaîne alimentaire, c'est à dire que la radioactivité, présente dans l'eau, en dose infime, peut se concentrer à des taux dangereux dans les poissons, ou les oiseaux, mangeant ces poissons ou tout autre animal qui se nourrit des oiseaux, on arrive ainsi jusqu'à l'homme. Le plancton de la rivière Clinch qui reçoit les affluents de l'usine atomique d'Oak Ridge aux USA est 10.000 fois plus radioactif que l'eau dans lequel il vit. Que risque-t-il de se passer, du plancton au poisson et du poisson à l'homme, au bout de quelques dizaines d'années ? Il n'est pas actuellement possible de répondre avec certitude à cette question, d'écarter les risques d'un revers de manche en prétextant que les radiations des centrales sont inférieures à la radioactivité naturelle.

      Le fonctionnement d'une centrale c'est aussi une pollution thermique aux conséquences inconnues. Environ 60% de la chaleur produite par les réacteurs nucléaires est rejetée sous forme de chaleur soit dans l'atmosphère soit dans un fleuve ou dans la mer. Le Rhin et le Rhône qui refroidiront les centrales nucléaires verront la température de leurs eaux s'élever de plusieurs degrés. Quelles en seront les conséquences pour la faune et la flore, déjà mises à mal par la pollution industrielle ?

      Une centrale atomique en plus d'électricité produit également des déchets radioactifs résultats de la fission de l'uranium. Ces déchets subissent d'abord une désactivation dans une piscine, pendant quelques mois où ils perdent alors 98 % de leur radioactivité. Mais la radio activité restante est encore très dangereuse, et il n'est pas possible de les disperser à l'air libre. Si certains déchets perdent leur radioactivité en une dizaine d'années, certains éléments demeurent radioactifs sur de très longues périodes (24.000 ans pour le plutonium 239).

Une partie des déchets après retraitage est recyclée et sert à nouveau dans les centrales nucléaires, une autre partie est séparée en déchets de moyenne radioactivité qui sont enterrés et déchets de longue durée stockés en attendant une solution... Ces déchets contiennent 1 % de plutonium il faut donc les préserver de l'extérieur pendant 24.000 ans ! Pour éviter qu'ils ne prennent une trop grande place : l'aire de stockage de l'usine de La Hague sera saturée en 1980, il est prévu de les solidifier en les incluant dans des blocs de verre. Il n'existe actuellement aucune garantie sur la stabilité à très long terme du verre, même si c'est plus sûr que la solution précédente qui consistait à rejeter les déchets en mer, dans des contenaires de béton.

Enfin, on ne peut négliger les risques d'accident grave de fonctionnement d'une centrale. Si une explosion nucléaire n'a aucune chance de se produire dans un réacteur, le manque de fluide réfrigérant : l'eau en l'occurrence peut provoquer une catastrophe. Dans ce cas, à la suite par exemple d'une rupture de canalisation, le cœur du réacteur n'étant plus refroidi, atteint rapidement une très haute température, le métal de la cuve entre en fusion, l'ensemble des métaux fondus s'enfonceront alors dans le sous-sol et des éléments très radioactifs contamineraient la région environnante. Les risques ont été calculés... pour fixer les tarifs des compagnies d'assurance ; bilan prévu : 2300 morts, 6 milliards de dollars de dégâts, 775 km2 de territoire contaminés pour des millions d'années. La probabilité de cet accident calculée en fonction de toutes les précautions prises, est très faible mais existe. Les parades prévues ne sont pas réellement sûres pour l'instant, une simulation effectuée aux USA a totalement échouée, l'accident provoqué volontairement, n'a pas pu être stoppé par les techniques prévues.

Ces risques sont encore accrus par le fait que l'EDF, et le Commissariat à l'Energie Atomique ne possèdent pas la maîtrise des techniques mises en œuvre dans les centrales construites sous licence US et connaissent mal ses particularités.

La dépendance vis-à-vis des USA dans ce domaine a plusieurs conséquences graves :

En cas d'accident dans le fonctionnement des centrales, les firmes US enverront les directives nécessaires pour réparer les avaries, mais sans être tenues de fournir d'explication sur les raisons et l'origine de la panne ou de l'accident.

Les perfectionnements apportés à partir des centrales fonctionnant aux USA ne seront pas transmis aux constructeurs français.

      - En cas de déficience reconnue des centrales, les firmes US peuvent décider l'arrêt total de leur fonctionnement et l'imposer aux centrales françaises.

      - Si le constructeur français apporte des modifications à ses centrales, il s'expose à ne plus être couvert pour les accidents survenant par la suite, les firmes US pourront dans ce cas refuser et de réparer et de couvrir les dégâts éventuels.

LUTTONS POUR NOTRE SECURITE

Les risques présentés par les centrales nucléaires, dans l'état actuel des techniques, ne sont ni infimes, ni imaginaires comme le prétendent les responsables de l'EDF et les membres du gouvernement. De nombreux incidents se sont déjà produits, montrant que les techniques utilisées sont loin d'être au point. On a relevé en 1973, 861 anomalies de fonctionnement dans les centrales nucléaires américaines, dont 371 qui auraient pu être sérieuses et 18 qui le furent réellement et cela pour des centrales du type de celles construites en France.

Des accidents très fréquents se produisent au niveau des gaines de protection des matériaux radioactifs qui se déforment, l'EDF le reconnaît et admet que cette technique n'est pas sûre mais elle prétend qu'étant donné l'urgence des besoins énergétiques, il n'est pas possible de retarder le programme nucléaire, en attendant que toutes les techniques aient été éprouvées

Dans ces conditions, la décision de construire en France d'ici 1980 une cinquantaine de centrales nucléaires selon le procédé US montre le mépris de la bourgeoisie pour les conditions de vie des masses.

Nous ne rejetons pas définitivement tes centrales nucléaires, mais s'engager dans cette voie suppose que toutes les précautions ont été prises, que les risques sont parfaitement maîtrisés. Or nous savons que le capitalisme fait toujours passer le profit avant la sécurité des travailleurs. Nous le constatons chaque jour dans les usines, dans les mines et dans notre environnement. Avec le nucléaire, les dangers sont encore accrus, et à la différence des techniques précédentes, les éléments radioactifs libérés, la destruction de l'environnement auront des effets durables dont héritera une France socialiste. C'est pourquoi nous soutenons les luttes contre les implantations des centrales dans les conditions actuelles, lutter maintenant pour imposer qu'aucune centrale ne soit construite tant que toutes les conséquences ne seront pas parfaitement connues et tous les risques surmontés, c'est lutter pour nos conditions de vie futures y compris sous le socialisme.

Serge LIVET


LE "TOUT-ELECTRIQUE...
TOUT-NUCLEAIRE"...

Jusqu'en 1973, la politique énergétique de l'impérialisme français était fondée pour l'essentiel sur le pillage du pétrole des pays producteurs du Tiers Monde. Les pays impérialistes, imposant un prix ridiculement bas aux pays producteurs, avaient progressivement tiré une part croissante de leur énergie du pétrole importé ! Ainsi la France avait dévalorisé ses propres ressources en charbon, en énergie hydraulique et la recherche d'une technique nucléaire indépendante (la filière uranium naturel - graphite, gaz) parce qu'il était plus rentable de consommer du pétrole : la lutte des pays producteurs pour imposer un juste prix du pétrole, qui a conduit au quadruplement en un an de son prix, a bouleversé les plans des pays impérialistes, de la France, en particulier, dont la balance commerciale est devenue déficitaire. C'est pour tenter de remédier à cette situation nouvelle que l'impérialisme français déploie tous ses efforts, dans le but d'être moins dépendant du pétrole des pays arabes, qu'il ne peut plus piller comme avant.
Le 4 mars 74, Messmer annonçait la décision du gouvernement français de construire d'ici 1980 une cinquantaine de centrales nucléaires et dès 1974, 1975, 13 centrales de 1000 MW chacune (1MW = 1 million de watts). La politique du " tout pétrole " devrait progressivement être remplacée par la politique du " tout électrique, tout nucléaire " : " la priorité, nous la donnons à l'électricité et dans l'électricité nous la donnons à l'électricité nucléaire ". La nouvelle politique énergétique comme la précédente est fondée presque exclusivement sur une seule source d'énergie, la moins chère dans l'immédiat, celle qui permet de réaliser le plus rapidement possible les meilleurs profits.
L'EDF, chargée de réaliser le programme nucléaire, a fait appel pour construire ses centrales nucléaires aux techniques US qui sont pour l'instant les moins coûteuses sur le marché.
Elles sont basées sur la technique dite " filière uranium enrichi - eau légère " (LWR) se présentant sous deux variantes. La variante Westinghouse à eau pressurisée (PWR) et la variante Géneral Electric à eau bouillante (BWR). Douze des 13 centrales mises en chantier en 74-75 seront des PWR, construites en France par Framatome, filiale des Schneider et de Westinghouse sous licence de ce dernier. Pour ces firmes, le profit est immédiat, et les commandes assurées pour un certain temps, c'est ce qui explique la bataille que se sont livrés les trusts de l'acier de Wendel et Usinor pour le contrôle de Framatome.
Une centrale nucléaire se compose schématiquement :
- d'un réacteur où les atomes d'uranium sont soumis à un processus de fission, c'est-à-dire qu'ils éclatent en plusieurs fragments, en libérant une grosse quantité d'énergie.

- d'un circuit d'eau primaire qui recueille l'énergie de fission de l'uranium sous forme de chaleur. Pressurisée, l'eau reste liquide à de très hautes chaleurs.

- d'un circuit d'eau secondaire recevant la chaleur du circuit primaire d'eau chauffée qui se transforme en vapeur et va actionner un alternateur qui produit de l'énergie électrique.

ç

RETOUR