Le mouvement des
prostituées
Des
prostituées se sont installées, depuis
plusieurs jours, à Lyon, puis dans d'autres villes,
dans des églises. Avant qu'elles en soient
chassées par la police de Poniatowski, évoques
et Archevêques avaient eu le temps de témoigner
leur compréhension et leur sollicitude à leur
égard. Il est vrai que depuis quelques mois
Daniélou et un de ses confrères ont
trouvé la mort dans l'exercice de cette tâche
apostolique. La presse et la radio bourgeoise se sont fait
avec une certaine complaisance l'écho des "
revendications " de ces manifestantes.
Toutes
sortes de bonnes âmes font semblant d'oublier que des
prostituées ne sauraient en aucun cas exprimer
librement, collectivement la moindre révolte,
qu'elles sont asservies, soumises à " la loi du
milieu ", au réseau de proxénètes qui
ont sur elles, avec la complicité tacite de la
police, tous les droits, y compris, si besoin est pour les
mettre au pas, de tuer. En conséquence la
prostitution indépendante ne peut être
qu'occasionnelle et marginale. Et de fait, le mouvement
présenté comme spontané ne remet pas le
moins du monde en cause la prostitution. Au contraire, il
s'agit de réclamer (suppression des amendes,
imposition " raisonnable " des revenus, droit à la
Sécurité Sociale, à la retraite pour
les prostituées mères de famille...) une "
législation de la prostitution comme étant un
métier utile ". On ne voit pas ce que les
proxénètes on à perdre dans ces
revendications. Déjà, en 1972, à Lyon,
les proxénètes avaient fait manifester les
prostituées pour revendiquer la recrudescence contre
des amendes... et pour le libre exercice des
activités de leurs protégées. Le plus
cocasse de cette histoire, c'est que parmi les commissaires
chargés de canaliser cette manifestation, plusieurs
ont été un peu plus tard convaincu de
proxénétisme. Ils étaient en bonne
place pour diriger " leur " manifestation !
De quoi
s'agit-il alors ? Fin 1972, il était apparu
clairement que politiciens bourgeois, hommes d'affaires,
policiers, truands, proxénètes et
prostituées formaient une chaîne ininterrompue.
A l'époque, à Lyon déjà,
à la veille des législatives de 1973, des
forces bourgeoises hostiles à l'UDR avaient
soulevé le " scandale " des
policiers-proxénètes, pour discréditer
l'UDR largement impliquée dans l'affaire. Avec 3 ans
de recul, il est plus que jamais indéniable que
l'opération a profité... aux "
républicains indépendants " de Giscard, et aux
réformistes.
Aujourd'hui,
Giscard est président, Poniatowski ministre, de
l'intérieur. La lutte ne semble pas pour autant
terminée. L'IGS, police des polices, mène une
enquête sur certains policiers haut placés
protégeant et rackettant à la fois plusieurs
bordels de luxe. Cette enquête viserait à
savoir pour le compte de qui ont travaillé les "
établissements de luxe " parisiens. Car,
d'après ce que l'on sait, ces établissements
fonctionnaient pour certains services de renseignements
français : SDECE (service de contre-espionnage), DST,
Renseignements Généraux... et même,
comme ce fut le cas à Lyon, pour le compte de
policiers chargés de lutte contre le
proxénétisme.
Plusieurs
tenanciers auraient commencé à parler... en
particulier une certaine Katia, dite La Rouquine, ancienne
maîtresse de Souchon, l'un des deux policiers qui ont
enlevé Ben Barka. Elle aurait donné toute une
liste d'établissements protégés soit
par la brigade mondaine de Paris, soit par différents
services secrets... elle aurait même donné les
tarifs précis des sommes versées par les
diverses boîtes à certains services de la
police pour pouvoir continuer leurs affaires. Voilà
qui promet... à moins que tout ne soit
étouffé avant que l'on en sache
davantage,..
S'opposant en
fait à un contrôle causé par
l'enquête de l'IGS et renforcé par les amendes,
les lourdes impositions, le " mouvement " actuel des
prostituées ne peut se comprendre que comme un
épisode, une conséquence d'une bataille dans
laquelle s'affrontent les clans rivaux de la
bourgeoisie.
S'assurer une
position dominante dans les réseaux de prostitution,
cela veut dire consolider ses points d'appui dans la police,
avoir un accès aux revenus énormes (plus de
300 milliards d'anciens francs par an) tirés de la
prostitution, disposer d'hommes de main, de truands à
gage... et de moyens de scandale de mœurs contre toute une
série de personnalités politiques rivales,
tout en s'en protégeant soi-même.
Mais le
dessous de cette affaire, et les manœuvres de ceux qui
tirent les ficelles ne sauraient faire perdre de vue, la
révolte importante qui existe dans toute la France
chez ces femmes contraintes à se prostituer. Issues
pour la plupart des couches populaires, poussées par
la misère vers le milieu de la prostitution,
l'organisation même de ce milieu ne leur laisse
pratiquement aucune chance pour s'en sortir. Elles se
trouvent ainsi soumises non seulement aux menaces directes
des souteneurs, mais aussi à celui tout aussi
permanent de l'état capitaliste. Parce que sous
couvert de faire la chasse au proxénétisme,
les interventions de police répétées
n'ont qu'une seule conséquence, la collecte
régulière des amendes infligées aux
prostituées. Parfaitement hypocrite avec sa
législation, l'Etat loin de détruire les
réseaux de souteneurs et de prostitution, les
tolère et en tire des revenus très importants.
Le plus grand bénéficiaire du
proxénétisme c'est évidemment l'Etat
!
Pour les
prostituées ce racket permanent auquel elles sont
soumises conduit nombre d'entre elles, à ne disposer
que de faibles revenus. Soumises en plus de la
répression des proxénètes, à la
menace perpétuelle de la prison sans aucune assurance
de leur avenir quand elles seront âgées, sans
aucunes ressources quand elle sont malades, les
prostituées ont de nombreux motifs de révolte.
C'est ce qui les a conduit à déclencher leur
mouvement sur toute la France et à avancer leurs
revendications. Les manœuvres des proxénètes,
des policiers véreux et des fractions politiques de
la bourgeoisie n'ont fait que se greffer sur cette
situation.
Un tel
mouvement rappelle opportunément que c'est le
capitalisme qui perpétue la prostitution.
La prostitution est le pendant de la famille
bourgeoise. Elle sont toutes les deux liées à
la propriété privée et aujourd'hui au
système capitaliste.
La
prostitution, intimement liée au système
d'exploitation et d'oppression capitaliste, ne pourra
disparaître qu'avec la société
bourgeoise elle-même.
Thérèse VERNET.
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