FRONT ROUGE n°160 -12 juin 1975- hebdomadaire
organe central du
Parti Communiste Révolutionnaire (m.l.)
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Le mouvement des prostituées

    Des prostituées se sont installées, depuis plusieurs jours, à Lyon, puis dans d'autres villes, dans des églises. Avant qu'elles en soient chassées par la police de Poniatowski, évoques et Archevêques avaient eu le temps de témoigner leur compréhension et leur sollicitude à leur égard. Il est vrai que depuis quelques mois Daniélou et un de ses confrères ont trouvé la mort dans l'exercice de cette tâche apostolique. La presse et la radio bourgeoise se sont fait avec une certaine complaisance l'écho des " revendications " de ces manifestantes.
    Toutes sortes de bonnes âmes font semblant d'oublier que des prostituées ne sauraient en aucun cas exprimer librement, collectivement la moindre révolte, qu'elles sont asservies, soumises à " la loi du milieu ", au réseau de proxénètes qui ont sur elles, avec la complicité tacite de la police, tous les droits, y compris, si besoin est pour les mettre au pas, de tuer. En conséquence la prostitution indépendante ne peut être qu'occasionnelle et marginale. Et de fait, le mouvement présenté comme spontané ne remet pas le moins du monde en cause la prostitution. Au contraire, il s'agit de réclamer (suppression des amendes, imposition " raisonnable " des revenus, droit à la Sécurité Sociale, à la retraite pour les prostituées mères de famille...) une " législation de la prostitution comme étant un métier utile ". On ne voit pas ce que les proxénètes on à perdre dans ces revendications. Déjà, en 1972, à Lyon, les proxénètes avaient fait manifester les prostituées pour revendiquer la recrudescence contre des amendes... et pour le libre exercice des activités de leurs protégées. Le plus cocasse de cette histoire, c'est que parmi les commissaires chargés de canaliser cette manifestation, plusieurs ont été un peu plus tard convaincu de proxénétisme. Ils étaient en bonne place pour diriger " leur " manifestation !

    De quoi s'agit-il alors ? Fin 1972, il était apparu clairement que politiciens bourgeois, hommes d'affaires, policiers, truands, proxénètes et prostituées formaient une chaîne ininterrompue. A l'époque, à Lyon déjà, à la veille des législatives de 1973, des forces bourgeoises hostiles à l'UDR avaient soulevé le " scandale " des policiers-proxénètes, pour discréditer l'UDR largement impliquée dans l'affaire. Avec 3 ans de recul, il est plus que jamais indéniable que l'opération a profité... aux " républicains indépendants " de Giscard, et aux réformistes.

    Aujourd'hui, Giscard est président, Poniatowski ministre, de l'intérieur. La lutte ne semble pas pour autant terminée. L'IGS, police des polices, mène une enquête sur certains policiers haut placés protégeant et rackettant à la fois plusieurs bordels de luxe. Cette enquête viserait à savoir pour le compte de qui ont travaillé les " établissements de luxe " parisiens. Car, d'après ce que l'on sait, ces établissements fonctionnaient pour certains services de renseignements français : SDECE (service de contre-espionnage), DST, Renseignements Généraux... et même, comme ce fut le cas à Lyon, pour le compte de policiers chargés de lutte contre le proxénétisme.

    Plusieurs tenanciers auraient commencé à parler... en particulier une certaine Katia, dite La Rouquine, ancienne maîtresse de Souchon, l'un des deux policiers qui ont enlevé Ben Barka. Elle aurait donné toute une liste d'établissements protégés soit par la brigade mondaine de Paris, soit par différents services secrets... elle aurait même donné les tarifs précis des sommes versées par les diverses boîtes à certains services de la police pour pouvoir continuer leurs affaires. Voilà qui promet... à moins que tout ne soit étouffé avant que l'on en sache davantage,..

    S'opposant en fait à un contrôle causé par l'enquête de l'IGS et renforcé par les amendes, les lourdes impositions, le " mouvement " actuel des prostituées ne peut se comprendre que comme un épisode, une conséquence d'une bataille dans laquelle s'affrontent les clans rivaux de la bourgeoisie.

    S'assurer une position dominante dans les réseaux de prostitution, cela veut dire consolider ses points d'appui dans la police, avoir un accès aux revenus énormes (plus de 300 milliards d'anciens francs par an) tirés de la prostitution, disposer d'hommes de main, de truands à gage... et de moyens de scandale de mœurs contre toute une série de personnalités politiques rivales, tout en s'en protégeant soi-même.

    Mais le dessous de cette affaire, et les manœuvres de ceux qui tirent les ficelles ne sauraient faire perdre de vue, la révolte importante qui existe dans toute la France chez ces femmes contraintes à se prostituer. Issues pour la plupart des couches populaires, poussées par la misère vers le milieu de la prostitution, l'organisation même de ce milieu ne leur laisse pratiquement aucune chance pour s'en sortir. Elles se trouvent ainsi soumises non seulement aux menaces directes des souteneurs, mais aussi à celui tout aussi permanent de l'état capitaliste. Parce que sous couvert de faire la chasse au proxénétisme, les interventions de police répétées n'ont qu'une seule conséquence, la collecte régulière des amendes infligées aux prostituées. Parfaitement hypocrite avec sa législation, l'Etat loin de détruire les réseaux de souteneurs et de prostitution, les tolère et en tire des revenus très importants. Le plus grand bénéficiaire du proxénétisme c'est évidemment l'Etat !

    Pour les prostituées ce racket permanent auquel elles sont soumises conduit nombre d'entre elles, à ne disposer que de faibles revenus. Soumises en plus de la répression des proxénètes, à la menace perpétuelle de la prison sans aucune assurance de leur avenir quand elles seront âgées, sans aucunes ressources quand elle sont malades, les prostituées ont de nombreux motifs de révolte. C'est ce qui les a conduit à déclencher leur mouvement sur toute la France et à avancer leurs revendications. Les manœuvres des proxénètes, des policiers véreux et des fractions politiques de la bourgeoisie n'ont fait que se greffer sur cette situation.

    Un tel mouvement rappelle opportunément que c'est le capitalisme qui perpétue la prostitution.

La prostitution est le pendant de la famille bourgeoise. Elle sont toutes les deux liées à la propriété privée et aujourd'hui au système capitaliste.

    La prostitution, intimement liée au système d'exploitation et d'oppression capitaliste, ne pourra disparaître qu'avec la société bourgeoise elle-même.

Thérèse VERNET. 

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