Il y a 20 ans, le 1er
novembre 1954 éclatait
LA LUTTE DE
LIBERATION NATIONALE DU PEUPLE ALGERIEN
Dossier de Monique CHERAN et
Grégoire CARRAT
l'essor de la
révolution
Depuis le début de l'agression
coloniale de l'Algérie par les troupes
françaises en 1830, le peuple algérien n'a
jamais cessé de lutter contre l'oppression coloniale,
contre l'armée d'occupation et les milliers de
colons. Plus de 200.000 morts, tel est le prix qu'a
payé le colonialisme français sous les coups
du peuple algérien qui, bien avant 54, luttait
déjà contre l'exploitation féroce et la
répression. La volonté du peuple
algérien de combattre pour son indépendance
nationale s'est scellée dans le sang des massacres
comme celui de Sétif, le 8 mai 1945. Ce
jour-là, plus de 50.000 paysans, ouvriers et artisans
manifestaient pour l'application des promesses de
l'impérialisme français qui avait
utilisé le peuple algérien comme chair
à canon pendant la guerre. Ils réclamaient
plus de justice et de démocratie. La
répression est sanglante: pendant toute une semaine,
l'armée coloniale et les bandes de colons
armés massacrent plus de 45.000
Algériens.
Les massacres de
Sétif ont prouvé une fois de plus la nature du
colonialisme, et permis à de nombreux militants de
voir que seule la lutte armée pourrait arracher
l'Indépendance. C'était aussi la leçon
qu'ils tiraient des combats héroïques du peuple
vietnamien contre le même ennemi, de sa victoire de
Dien Bien Phu. C'était la seule voie juste pour tous
les peuples opprimés par l'impérialisme
français.
le déclenchement
de l'insurrection armée
Le 1er novembre 1954, à une
heure du matin, les attaques armées sont
déclenchées en 310 points du territoire
algérien: Alger, Oran, Constantinois, Biskra, Batna,
Tlemcen... Des casernes, des édifices coloniaux, des
voies ferrées, des dépôts d'armes
sautent. Une proclamation annonce la création du
Front de Libération Nationale et de l'Armée de
Libération Nationale. Les maquisards du 1er novembre
sont encore peu nombreux, mal équipés. Mais le
succès des attaques de guerilla, surtout dans les
Aurès et la Kabylie, la persévérance
des combattants dans la voie de la lutte armée,
amèneront à l'A.L.N. des milliers de patriotes
algériens, qui battront finalement à plate
couture l'armée coloniale française.
La masse du peuple
algérien répond à l'appel du F.L.N. La
classe des paysans pauvres, les fellagha, classe la plus
nombreuse, rejoindra massivement l'armée: le 25
août 1955, des dizaines de milliers de paysans,
armés de pelles, de faux et de serpes marchent sur
Philippeville. Le mouvement touche tout le
nord-Constantinois. Soustelle, gouverneur
général de l'Algérie, dirige la
répression sur place, arme les colons. Dans cette
seule région, en moins d'une semaine,
12.000Algériens seront assassinés ou
portés disparus.
La population des villes
entre aussi dans la lutte massivement. Le 1er anniversaire
de l'insurrection est marqué par une grève
générale largement suivie, et le 1er novembre
56, la grève générale a encore plus
d'ampleur. La Kasbah d'Alger, dont la population est faite
surtout de chômeurs de petits artisans et
commerçants, s'est rapidement transformée en
base du F.L.N., qui y délivre les papiers officiels
pour les mariages ou les naissances. Le F.L.N. y crée
une organisation militaire d'autodéfense pour mettre
la population à l'abri des attentats fascistes.
Chaque homme assure son tour de garde sur les terrasses des
immeubles après le couvre-feu de 20h. Ce sont ces
liens vivants avec le peuple algérien, tant à
la Kasbah d'Alger qu'à la campagne, qui ont permis au
F.L.N. d'échapper longtemps aux quadrillages de
l'armée coloniale et de reconstituer très vite
ses réseaux après chaque
démantèlement.
Les notables
algériens, qui, jusqu'en 55, collaboraient
ouvertement avec les autorités coloniales en
participant aux conseils municipaux, au Parlement et
à l'Assemblée Algérienne, sont
contraints par la pression de la lutte des masses à
démissionner de toutes leurs fonctions et
amenés à rejoindre en bloc le F.L.N.
Le Congrès de la Soummam, en
août 1956, consacre l'unité nationale du peuple
algérien rassemblé dans le F.L.N. Cette
unité nationale s'est forgé progressivement,
dans la lutte. Mais dès cette époque, la
classe ouvrière algérienne n'a pu exercer sa
direction, car elle n'avait pas de parti communiste. Le seul
parti qui s'affublait du titre de parti
marxiste-léniniste, c'était le P"C"A, officine
locale du P"C"F qui avait pris ouvertement fait et cause
pour l'impérialisme français, défendant
depuis le début toutes les solutions de type
néo-colonial, qui avait ouvertement condamné
l'insurrection du 1er novembre 1954 et les "nationalistes".
Ce parti a servi de repoussoir au communisme, il n'a fait
que dégoûter de nombreux militants du
marxisme-léninisme. En France, les travailleurs
algériens immigrés voyaient chaque jour la
trahison du P"C"F, le sabotage du soutien qu'il organisait
consciemment. Le chauvinisme du P"C"F et la ligne de
collaboration du P"C"A sont grandement responsables de
l'absence d'un parti véritablement
marxiste-léniniste qui aurait empêché
les couches non prolétariennes d'usurper la direction
du Front. Les militant du P"C"A qui voudront mener
réellement la lutte seront amenés à
quitter le P"C"A, comme Fernand Yveton, fusillé plus
tard sur l'ordre du "socialiste" Mitterrand. Non content de
collaborer, le P"C"A fournira un contingent important de
membres de l'OAS. Les travailleurs algériens
tourneront aussi le dos à la CGT qui n'organisera
plus que des pieds noirs, et s'organiseront massivement dans
l'UGTA, syndicat clandestin. C'est l'UGTA qui mènera
les luttes des mineurs et des dockers. En France, rejetant
les " mises en garde" des révisionnistes, les
ouvriers algériens s'organiseront dans le F.L.N.,
organiseront des manifestations contre la terreur
policière et pour l' indépendance,
s'acquitteront régulièrement de leurs
cotisations, entreront dans les rangs de l'Armée de
Libération Nationale. Ils organiseront au coeur
même de la métropole impérialiste des
opérations de sabotage comme à Maurepiane,
où des réserves de pétrole seront
incendiées.
la défaite de
l'impérialisme français
L'échec de la pacification En
1956, face au développement de la lutte armée,
Guy Mollet, "socialiste", demande les pleins pouvoirs. Les
députés révisionnistes du P"C"F lui
accordent leurs voix, et Guy Mollet obtient carte blanche
pour envoyer 600.000 hommes en Algérie à la
disposition du gouverneur "socialiste" Lacoste et du
tortionnaire Massu.
L'objectif, c'est de
briser le moral du peuple algérien afin d'isoler le
F.L.N. et de le détruire. L'impérialisme
français inaugure les méthodes des yankees au
Vietnam: villages détruits, hommes fusillés,
populations parquées dans des camps de concentration,
bombardement au napalm dans les Aurès... A Alger,
Massu et ses acolytes ont recours à la torture
systématique. Mais cette répression barbare
obtient le résultat inverse du but poursuivi. La
haine de l'occupant ne fait que renforcer la
détermination du peuple algérien, la lutte
armée prend encore plus d'ampleur et en 58, l'A.L.N.
rassemble 130.000 hommes en Algérie. Ces combattants,
connaissant parfaitement le terrain et se
déplaçant sans cesse, attaquent l'ennemi
à l'improviste: à la bataille de Bouze Gzeb,
trois compagnies de l'A.L.N. anéantissent
complètement une forte unité de
légionnaires, à seulement 50 km d'Alger. En
juin 1959, l'A.L.N. qui utilise l'artillerie pour la
première fois, occupe la région d'Annaba (anc.
Bône).
-l'échec des manoeuvres
Dans cette situation catastrophique
pour l'armée impérialiste française, de
Gaulle est amené au pouvoir par le coup d'Etat du 13
mai 58. Le but est toujours de trouver la solution la moins
dommageable aux intérêts de
l'impérialisme français, et de Gaulle pourrait
être le personnage capable de sortir "la France" de
cette mauvaise posture. Malgré la propagande
bourgeoise qui tente de faire croire que de Gaulle
après "la liquidation de l'A.L.N. par l'armée
coloniale aurait octroyé l'indépendance", dans
un accès de générosité. En fait,
quand il arrive au pouvoir, de Gaulle continue à
clamer "vive l'Algérie française" (discours du
7 juin 58 à Mostaganem) après avoir
déclaré trois jours avant à Alger: "Je
déclare qu'à partir d'aujourd'hui, la France
considère que dans toute l'Algérie, il n'y a
qu'une seule catégorie d'habitants. Il n'y a que des
Français à part entière. Des
Français à part entière avec les
mêmes droits et les mêmes devoirs". Il n'est
donc pas question d'indépendance, mais de poursuivre
la tentative de "pacification" avec, fait nouveau,
l'utilisation massive de l'aviation. C'est le plan "Challe".
L'échec de cette
dernière tentative l'amène à une
première modification de tactique: il reconnaît
le droit à l'autodétermination du peuple
algérien en septembre 59, et accepte de
négocier avec le F.L.N. en juin 1960. Il n'est
toujours pas question d'indépendance, mais d'une
vague autonomie préservant
l'intégralité de la possession
française sur les richesses de l'Algérie.
Cette manoeuvre suscite la riposte immédiate de
dizaines de milliers d'Algériens qui, à
l'appel du F.L.N., réclament l'ouverture de
véritables négociations avec le Gouvernement
Provisoire de la République Algérienne et
arborent sans crainte le drapeau national. Les paras, une
fois de plus, tirent sur la foule.
Après
l'échec de cette manoeuvre, de Gaulle tente une autre
solution au début de 1961, la "partition" de
l'Algérie, laissant à la France le Sahara et
donc le pétrole, les villes et les plaines de la
Mitidja, très fertile. Les Algériens devaient
se contenter de plateaux arides. Nouvelle riposte
foudroyante du F.L.N. : le 5 juillet 61, journée
nationale de manifestations à son appel, massivement
suivie en Algérie. En France, des dizaines de
milliers d'Algériens manifestent le 17 octobre
à Paris, malgré la féroce
répression: plus de 25.000 arrestations, des
centaines de tués jetés à la Seine.
C'est quand l'indépendance de l'Algérie
devient l'issue inévitable de la guerre, que l'OAS,
dont un grand nombre de membres étaient d'anciens,
gaullistes comme Soustelle, entre en contradiction violente
avec le gouvernement français, car ils ne sont pas
résignés à abandonner les avantages
énormes de la colonisation. Les attentats odieux
auxquels ils se livrent soulèvent la colère
des peuples algériens et français.
Cette fois, la
défaite est consommée, l'impérialisme
français doit accepter un compromis qui accorde
l'indépendance: les accords d'Evian sont
signés en mars 62. L'Algérie proclame son
indépendance le 5 juillet 1962.
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TÉMOIGNAGE D'UN
ANCIEN MILITANT DU P"C"F
COMMENT LE P"C"F A-T -I L
EXPLIQUE LE VOTE DES POUVOIRS SPÉCIAUX
?
En 56, il y a eu la
"grande victoire électorale". La gauche avait
déjà plus de 11 millions de voix. Le P"C"F en
avait plus de 5 millions 600.000. En Algérie,
après le soulèvement des Aurès, la
lutte armée prenait une très grande ampleur.
Guy Mollet demandait les pouvoirs spéciaux qui
entraînaient l'envoi du contingent en Algérie.
La position du P"C"F c'était qu'il fallait un
gouvernement de "gauche" et qu'on ne pouvait le faire
qu'avec les socialistes; puisque Mollet demandait les
pouvoirs spéciaux on devait les voter, sinon ce
serait rompre le Front Républicain, l'alliance avec
les socialistes et faire le jeu de la droite, en causant un
renversement du gouvernement Mollet, ce qui annulerait la
victoire électorale, en permettant le retour d'un
gouvernement de droite. Si on ne votait pas les pouvoirs
spéciaux, le contingent partirait quand même,
et le Front Républicain serait rompu. C'est pourquoi
le P"C"F a permis d'envoyer le contingent en Algérie
alors qu'il s'y était toujours fermement
opposé pour l'Indochine.
QUELLE RÉACTION A
SUSCITÉ CETTE POSITION ? Le comité de section a
été chaud. Il a failli y avoir de la bagarre.
Les JC disaient: "c'est ce que vous faites de notre peau".
Le secrétaire fédérale a dit:
"écoutez camarades, 500.000 hommes en Algérie
en comparaison de l'alliance avec les socialistes, ce n'est
pas l'essentiel".
QUELLE ETAIT L'ACTIVITÉ
DU PARTI CONTRE LA GUERRE D'ALGÉRIE
?
On en discutait un peu
à chaque réunion. Les directives,
c'était de faire signer les motions du mouvement de
la paix, et une manifestation pour la paix de temps en
temps.
AUCUNE AUTRE ACTIVITÉ
CONTRE L'ENVOI DES TROUPES, CONTRE LE QUADRILLAGE EN
ALGÉRIE ?
Ecoute, lorsque je suis
arrivé à Paris en 1959, dans une cellule, il y
avait un jeune qui venait d'Algérie.
Il critique le parti
"lorsque j'étais en Algérie, j'ai
demandé en vain des directives de travail dans
l'armée. On a systématiquement refusé
de me renseigner". Les camarades ont répondu "Faire
du travail dans l'armée, ça ne sert à
rien. Ce serait une provocation, De Gaulle est prêt
à nous réprimer, il en profiterait".
L'essentiel était de lutter pour la "paix en
Algérie" et l'autodétermination.
Pire en 1960,
j'étais dans le 15e. Cinq jeunes avaient
refusé de partir en Algérie. Plusieurs
camarades les avaient approuvés. Mais le
secrétaire de la section du 15e Javel leur a dit: "Il
faut qu'ils aillent en Algérie, pour faire leur
devoir de communiste". C'était quoi ? quand on savait
que le parti n'avait pas d'activité dans
l'armé.
QUEL ETAIT LE SOUTIEN APPORTE AU
FNL ?
Aucun, sauf à titre
individuel de la part de militants. Le P"C"F n'a jamais
soutenu le FNL. Il demandait la paix et
l'autodétermination. Tout en critiquant la politique
gaulliste, il l'appuyait: pas de travail dans
l'armée, refus de réclamer
l'indépendance. En 1960, le FNL a fait une
série d'attaques en France contre la police,
l'armée. Il avait recommandé de ne pas toucher
la population et la population n'a pas été
touchée. Dans une cellule la plupart
condamnèrent: "c'est de l'aventurisme". Une camarade,
jeune algérienne, s'est révoltée "Alors
le peuple algérien a tort". Ils répondirent
"Non, on ne dit pas ça, mais il ne doit pas faire la
guerre en France".
La majorité des
camarades pensaient d'après la ligne du parti que le
FNL n'avait qu'à se battre chez lui, qu'un
soulèvement était une mauvaise chose car les
fils étaient dans l'armée coloniale, et
risquaient de se faire tuer. Que les Algériens se
fassent tuer, ce n'était pas gênant. Cette
attitude n'avait rien de communiste !
POURTANT IL Y A EU LA
MANIFESTATION DE CHARONNE ?
Oui à Charonne il y
a eu 5 morts. Mais le P"C"F a fait une véritable
mystification, en prétendant que c'était pas
les flics qui avaient matraqué que c'était des
fascistes déguisés en flics: c'est les CRS qui
ont fait ça. La manifestation a été
matraquée parce qu'on n'avait pas pris de
dispositions nécessaires. C'était juste de
faire une manifestation de masse contre l'OAS qui, avait
fait plus de 20 plasticages. Mais organiser une
manifestation pacifique ne pouvait se faire en cette
période (en plein dans la fin de la guerre
d'Algérie, quand de Gaulle était
décidé à réprimer) que si on
s'organisait pour les risques d'affrontement. En refusant
par pacifisme d'envisager ces mesures, le P"C"F a
envoyé les manifestants à la boucherie.
A QUELLE PRISE DE CONSCIENCE A
CONDUIT LA TRAHISON DU PEUPLE ALGERIEN PAR LE P"C"F
?
J'ai pris conscience
à cette époque de la trahison du parti. J'ai
rendu ma carte en 1961, un peu avant la manifestation du 17
Octobre. D'autres camarades ont compris que lutter à
l'intérieur de ce parti n'était plus possible,
que ce n'était plus un parti communiste. Ils
relevaient peu de temps après le drapeau du
marxisme-léninisme en jetant les bases de la
construction d'un nouveau Parti Communiste: c'est à
cette époque il y a 10 ans, que sont
réapparues les premières forces
marxistes-léninistes dans notre pays.
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