l'Humanité Rouge n°994 -17 décembre 1978- page 8
Organe central du Parti communiste marxiste-léniniste

DOSSIER

 

Entre le capital et le prolétariat

Quel avenir
pour
les artisans ?

 

Nous publions ici la contribution d'un lecteur à propos des artisans. Sa correspondance vient en
réponse à une lettre de lecteur qui, de fait, assimilait les artisans, les cadres et techniciens aux petits et moyens patrons et même aux capitalistes monopolistes, ce qui bien sûr est erroné. Si comme le souligne justement le camarade, le "monde des artisans" ne constitue pas une priorité d'implantation pour notre Parti, l'appréciation correcte de leur place dans la disposition des forces de classe dans notre pays n'en est pas moins importante. En effet, c'est à partir d'une telle analyse que la classe ouvrière pourra établir les alliances qui lui sont nécessaires pour triompher de la bourgeoisie capitaliste et de l'État des monopoles. Seule, la classe ouvrière ne peut vaincre. C'est le combat de tout le peuple qu'elle doit organiser et diriger pour en finir avec le système d'exploitation de l'homme par l'homme. Dans ce sens, de telles contributions sont précieuses.
 
Je vais vous dire pourquoi j'étais révolté.
Je suis fils d'un artisan qui est mort pour les monopoles. Mon père était représentant mécanicien, et
c'est usé qu'il devait décéder dans un accident de la route !
De son vivant, il employait mon frère sans le payer. Et quand il est mort, mon frère prit sa suite avec
pour héritage 6 000 000 anciens francs de dettes.
Je fréquente des artisans dans ma famille, parmi mes amis. Par ailleurs, pour le parti, dans ma famille
ou parmi mes amis, je fréquente des jeunes ouvriers de Citroën ou autres qui n'ont qu'un rêve, c'est de devenir artisan.
 
POURQUOI DEVENIR ARTISAN ?
 
Il faudrait se poser la question, qu'est-ce qui les pousse à refuser la vie d'ouvriers ?
D'abord par l'entourage familial ou autre, ils se font vite une idée de l'esclavage que constitue le travail
à la chaîne.
Ensuite, dans les CET (LEP) ou LT, qu'est-ce qu'on est chargé de leur apprendre ?
Il y a 10 ou 15 ans, on y formait de bons ouvriers, connaissant les secrets de leurs métiers, pouvant
maîtriser la machine. On apprenait à réussir de belles pièces, de bons assemblages... Depuis les professeurs ont été chargés d'enseigner " les séries ". Ceci consiste à ne réaliser qu'une ou deux faces d'une pièce mais en tenant des cadences. Le futur ouvrier commence par ignorer la technique qu'il sera chargé d'appliquer. Ce que Marx explique très bien quand il dit que le capitalisme enlève le savoir, la technique des mains de ceux qui sont chargés de l'exécuter.
Cette année, ça va encore plus loin puisque le gouvernement essaie de généraliser le " travail utile ",
c'est-à-dire utilisable par les capitalistes.
Dans ces conditions, la très grande majorité des ouvriers rêvent de devenir artisan où ils pourront réa-
liser à leur rythme et selon leur maîtrise un travail manuel.
Ceci étant rappelé, à quelle classe appartient ce monde des artisans.
Il est vrai que pour les marxistes-léninistes, cela ne constitue pas une priorité d'implantation du parti.
Mais quand on y regarde de plus près, qu'est-ce qui diffère fondamentalement un petit artisan d'un
marin-pêcheur, d'un moyen voire d'un petit paysan. Quand on cherche bien, on n'y trouve pas grand-chose. A part que le premier emploie souvent des ouvriers ou des apprentis.
Mais il existe aussi des ouvriers ou apprentis chez des moyens voire parfois chez des petits paysans.
Alors quoi ? Ils ont un capital ? Les autres aussi. Ils ne seraient pas productifs ? Voyons, ça ne peut
pas tenir debout.
En fait de capital, ils ont souvent des emprunts qu'ils ont du mal à rembourser. Un menuisier travaillant
seul m'a raconté que s'il prenait un ouvrier avec lui, tous calculs faits, cela lui reviendrait à 40 000 anciens francs par mois. Quand on ajoute le travail de paperasse exigé, ces 40000 anciens francs sont bien mérités.
Aujourd'hui nous vivons sous le règne absolu du capitalisme monopoliste d 'État.
Toute la plue-value du travail d'un ouvrier chez les artisans est prise par l'Etat sous forme de cotisa-
tions diverses. Plus on monte dans la hiérarchie capitaliste et plus les patrons empochent de plus-value. Les monopolistes, eux, ont des subventions d'Etat en plus des profits qu'ils réalisent sur le dos des ouvriers.
Ceci étant dit, il faut ajouter que souvent ces artisans sont un rouage nécessaire pour les capitalistes.
Par exemple, prenons un mécanicien agricole. Il travaille en réparant le matériel des petits paysans. Ceux-ci étant endettés, cela se répercute sur lui. Pourquoi pensez-vous que Mac Cormic ou Renault n'emploient pas de mécaniciens salarié. Les boites y trouvent tout leur avantage. Elles exigent d'être payées par les artisans qui, de leur côté, sont coincés par les petits paysans. S'ils n'existaient pas, c'est à ces boites qu'auraient directement à faire les paysans.
Donc, c'est bien une forme de l'exploitation de l'homme par l'homme que dénoncent les communistes.
Maintenant du point de vue idéologique et politique, c'est vrai que parmi ces hommes se réfugient des
idéologies réactionnaires. C'est vrai que le plus souvent, ils sont un soutien politique au grand capital ( " ils votent à droite " comme dirait le PCF).
C'est vrai qu'ils exploitent souvent des apprentis par exemple, en les faisant travailler sans les payer.
En un mot, c'est vrai qu'idéologiquement, ces hommes et ces femmes sont coincés entre le capitalisme monopoliste et le prolétariat.
Mais Marx ne disait-il pas que de l'émancipation de la classe ouvrière devrait dépendre l'émancipa-
tion de toute l'humanité ?
Devons-nous accentuer ces tendances qui les font aller vers le grand capital ou devons-nous appeler
les plus exploités d'entre eux à s'unir et à lutter contre le grand capital ?
Prenons un exemple: Le problème des apprentis. Si je choisis celui-là, croyez le, c'est volontairement
parce qu'il est le plus difficile à résoudre.
 
Avec le Plan Barre, bien des apprentis se sont vus placer chez des artisans, souvent pas payés ou peu, et apprenant les moindres travaux qui ne pouvaient pas les former. J'applaudis des deux mains quand je sais que la JCMLF essaie d'organiser ces jeunes à la lutte. Encore faut-il bien voir la cible. La cible, est-ce ces artisans qui souvent ne peuvent pas faire plus ou est-ce l'Etat qui désocialise l'éducation, qui se décharge sur eux des besoins d'éducation de notre peuple ?
A mon avis, la lutte doit avoir deux aspects, sur cette question:
-Exiger des artisans que ceux qui emploient des jeunes, les forment réellement !
-Exiger que les travaux effectués aux clients soient payés aux apprentis qui les ont réalisés.
Mais aussi : -Exiger que l'Etat paye le temps d'éducation fourni par un artisan et qu'il paye le complément de salaire aux apprentis.
 
Cela peut paraître tout-à- fait secondaire d'aborder cette question aujourd'hui, mais je ne le pense
pas.
D'une part, bien que ce soit loin d'être notre axe prioritaire aujourd'hui, il faut éviter de dire n'importe
quoi quand on peut en rencontrer.
Mais surtout, parce que je reste persuadé que notre implantation dans les couches du peuple et sur-
tout dans la classe ouvrière est et sera la conséquence de notre ligne politique. Aussi il est urgent de toujours la préciser davantage, de saisir la cible de notre révolution.
Et pourquoi ne dirions nous pas qu'avec notre socialisme, le travail ne serait plus une aliénation, que
l'homme maîtriserait la machine. Mais que ceci sera rendu possible que si tout le peuple, y compris les artisans, se retrouvent contre le grand capitalisme.
 
NDLR : Les intertitres sont de la rédaction

 

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