L'Humanité Rouge n°634 -26 et 27 février 1977 (page 7) - quotidien des communiste marxistes-léninistes de France

culturel

UN LIVRE A LIRE

" Rencontre avec un paysan français révolutionnaire "

De Suzanne Bernard

Suzanne Bernard,
une intellectuelle au service des luttes
des ouvriers et des petits paysans

.... "Rencontre avec un paysan français révolutionnaire", c'est le nouveau livre de Suzanne Bernard. Ce livre sur un paysan marxiste-léniniste est l'aboutissement de toute une évolution, d'une progression qui va de la révolte individuelle de l'artiste petit-bourgeois dans les années 55, au service des luttes des ouvriers et des petits paysans.
Il y avait eu entre temps la Grande Révolution culturelle prolétarienne en Chine et Mai 68 en France. Nous avons retracé au cours d'un entretien avec Suzanne Bernard les étapes successives de son évolution.

HR : Quel était votre point de départ ?

SB : La base commune à tous les artistes, intellectuels et écrivains issus de la petite-bourgeoisie, c'est qu'ils se sentent exclus, marginaux. La société leur refuse une place. Sans aller jusqu'à la conscience politique, on avait une révolte contre un monde faux basé sur de fausses valeurs sociales et culturelles. C'était la première étape de mon évolution. Elle a duré 15 ans.

Est-ce que tu peux préciser ce que vous faisiez sur le plan artistique à cette époque ?

.... Dans les faits, c'était un travail solitaire coupé des autres, coupé de la réalité sociale, un travail de recherche stérile sur le langage. On manifestait un besoin de vraie communication avec les autres, avec n'importe qui. Mais c'était plus difficile de comprendre à l'époque qu'aujourd'hui. Il n'y avait pas eu Mai 1968.

Qu'est-ce que vous avez fait plus concrètement ?

.... Nous avions compris que le travail solitaire était stérile. Et là le facteur économique a joué. Je me suis trouvée en possession d'une petite somme que j'ai consacré à un certain type d'action collective : l'ouverture d'une galerie d'art socio-expérimental.
.... C'était la recherche d'un art qui serait pour tous, cela impliquait la lutte contre le marché de l'art et le contact direct avec le public le plus large.
.... Nous avons fait des recherches et des expériences dans des disciplines très diverses arts plastiques, architecture, danse, etc.

Quelles leçons tires-tu de la galerie et de son échec ?

.... On peut expliquer l'échec par des raisons économiques. Du moment que nous refusions le marché de l'art toutes les portes nous étaient fermées. Nous avons rapidement épuisé nos ressources. Ce que nous voulions, c'était parvenir sur la base de recherches pratiques à ce que l'art soit fait par tous.
.... Auparavant, il était fait par l'avant-garde parisienne de la petite-bourgeoisie. C'était une recherche qui visait à mettre le spectateur en état d'expression et de création. Nous étions contre les élites, contre les spécialistes. Nous pensions que l'artiste avait une fonction sociale. Nous étions contre l'art gratuit. Mais l'art social pour qui ?

Peux-tu parler des premiers contacts que vous avez eu avec les travailleurs ?

.... Il y avait des travailleurs qui venaient. Nous avions fait "Questions posées aux artistes", Les questions exposées avec les oeuvres permettaient une démystification de l'oeuvre plastique. Mais le contact avec les travailleurs a été stoppé par les révisionnistes.

Et l'"Opposition artistique" ?

.... Parallèlement à ces recherches, nous avons voulu faire une action plus révolutionnaire, lire Marx, Mao Tsé-toung etc. et nous avons ressenti la nécessité de fonder un journal de combat : " L'Opposition artistique".
.... Ce journal était fait par des artistes intellectuels d'extrême-gauche, non PCF.
C'était un peu éclectique au début. Il y avait même des trotskistes et des anarchistes. Nous étions pour la défense des droits de l'artiste, pour le contact avec la classe ouvrière, pour la naissance d'un nouvel art prolétarien et la critique du révisionnisme. Nous étions pour la recherche du contact avec les gens apparemment non concernés par l'art et qui refusent un art de classe bourgeois.
.... Dès le premier ou deuxième numéro, nous avons été traînés dans la boue par "L'Humanité blanche".

Que s'est-il passé au moment de la Révolution culturelle ?

.... La Révolution culturelle a permis de voir clair. La prise de position de l'opposition artistique en faveur de la Révolution culturelle a provoqué l'éclatement, la démission de la majorité de ses membres.
.... Cela a été très rapide. Cela se passait en 66. Nous avons continué à deux à sortir le journal, nous avons fait un numéro spécial sur la Révolution culturelle alors que dans la presse bourgeoise il y avait un courant de désapprobation unanime de la Révolution culturelle.
.... Nous avons fait aussi un numéro spécial sur tes "résolutions d'Argenteuil" (propositions du parti révisionniste en matière de culture). En 1967, nous nous sommes engagés aux côtés des ML et "l'opposition artistique"est devenue l'organe culturel du " Mouvement communiste français " puis du PCMLF jusqu'à l'interdiction.

Quels étaient les buts du projet de livre sur le paysan ?

.... Le but essentiel, c'était de donner la parole à un paysan révolutionnaire d'aujourd'hui. Non pas réaliser une oeuvre d'auteur à partir des enregistrements, mais faire entrer, à l'état brut, le personnage et son discours dans un ouvrage littéraire.
.... Je voulais surtout éviter le reportage journalistique. C'est là que se situait le travail de l'écrivain.

C'est là qu'intervient la "refonte idéologique" de l'intellectuelle ?

.... Oui, ou plus exactement l'idée de cette possibilité. Aujourd'hui, en Chine, il est admis pour les artistes et les intellectuels la nécessité de se tourner en direction des masses révolutionnaires pour transformer leur conception du monde. Dans notre société, cette refonte ne peut s'effectuer qu'auprès d'une avant-garde de paysans et d'ouvriers.
.... Je tiens beaucoup à cette notion d'avant-garde, au sens léniniste du terme. Avant-garde prolétarienne dont le rôle essentiel consiste à "éduquer les masses elles-mêmes, à les débarrasser de l'influence petite- bourgeoise"... "Lutte de masse longue et difficile", dit encore Lénine...
C'est le travail de révolutionnarisation dont parle le président Mao...
.... Chez nous, cette idée de refonte des intellectuels est peut-être celle qui suscite, même chez les intellectuels progressistes, le plus de controverses, de restrictions, d'oppositions. Pour moi, grâce à l'expérience que j'ai vécue auprès d'Arthur, la chose m'est apparue comme une vérité fulgurante. J'ai été bouleversée. Bien sûr pour que cette refonte soit profonde, réelle, durable, il aurait fallu que je vive et que je renouvelle fréquemment mes séjours. Je me suis sentie quand même changée au niveau quotidien, au niveau des réactions les plus simples. C'est d'abord l'impression d'un changement qui apparaît, un changement difficile à préciser, à analyser. L'important pour moi reste d'avoir perçu la vérité, la réalité de cette notion de refonte, que j'abordais auparavant d'une manière seulement intellectuelle. Mais je crois pour finir que ces expériences basées sur la pratique sont difficilement communicables à qui ne les a pas vécues.
.... Ce que j'ai voulu faire, c'était montrer un petit paysan révolutionnaire tourné vers l'avenir pour détruire l'image qu'on donne toujours, du paysan tourné vers le passé, passéiste.

"Rencontre avec un paysan révolutionnaire" est édité chez Pauvert. Prix: 29 F.
On le trouve notamment à la Librairie "Les Herbes sauvages", 68, rue de Belleville 75019 Paris.

(EXTRAITS)

.... ...Je regarde dans la même direction, et là, au milieu de la nature, perdu dans un champ où l'on discerne les rangées des bras noirs, tordus des vignes, j'aperçois la silhouette d'un homme debout, tout seul sous le soleil.

.... "Voilà, s'écrie Arthur, on a l'exemple sous les yeux. Tu vois, c'est un paysan, un vieux paysan, il y a cinquante ans qu'il travaille. Eh bien, il a remis ses terres à un propriétaire foncier, c'est-à-dire à un gars qui achète des terres à Orange, un peu partout, il lui a vendu ses terres vu qu'il n'avait pas d'enfant, que le père et la mère sont morts, bon, il n'en pouvait plus d'aller au marché, de vendre ses raisins, de ne pas les vendre, il a dit: " Moi j'en ai marre, je vais donner ces terres". Il a donné pour une rente viagère, mais lui, qu'est-ce qu'il fait maintenant ? Il s'ennuie, il n'a plus de terre, alors il va travailler chez le gars à qui il a vendu, il vient tailler dans ses propres vignes que lui il a plantées, et il est tout seul.. Ce n'est pas qu'il en a tellement besoin, mais il est attaché à ses vignes, il les avait bien installées, et tout ça... Alors il aime encore travailler dans sa propriété, maintenant il travaille pour le patron, il est ouvrier dedans son bien... Et c'est assez fréquent, cette situation. Seulement il y en a qui vendent et ne vont plus travailler après, ils préfèrent aller au café, bon, finir la vie comme ça..."

----

" Les intellectuels non rééduqués n'étaient pas propres"
Une citation du président Mao

-RETOUR-