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De Réhault à Alsthom...
quatre années au coeur des luttes

   "L'histoire de Fougères, c'est l'histoire de la chaussure". Ainsi commençait le premier article de mon premier reportage publié dans le numéro 5 du Quotidien du Peuple. On était le 3 octobre 1975. Quelques jours plus tôt, le 30 septembre très précisément, les flics avaient sauvagement attaqué une manifestation des travailleurs de la chaussure qui protestaient contre la fermeture de leurs usines; sans aucune sommation, sans le moindre avertissement. Christine Mochon, une jeune chômeuse fougeraise reçut une grenade tirée à tir tendu en plein visage; elle en perdit un oeil. Une autre manifestation de protestation était immédiatement décidée pour le lendemain.
    On n'avait pas longtemps tergiversé au journal ce 1er octobre. Réaliser un "journal au coeur des luttes", c'est la tâche qui nous avait été fixée. Là-bas, en Bretagne, des ouvriers se battaient; il fallait y aller. Le soir même, j'arrivais en pleine manifestation, appareil photo en bandoulière et carnet de notes en poches. Et puis un petit pincement au coeur : comment je vais m'y prendre ? journaliste au Quotidien du Peuple, ce journal communiste qui n'avait que trois jours d'existence... Ce n'est pas évident. L'expérience journalistique ? nulle ! J'ai bien rédigé deux trois tracts, mais enfin... Il y a une semaine, je travaillais encore à l'usine. Et les travailleurs de Fougères, comment est-ce qu'ils vont m'accueillir ?

    On a tous à peu près commencé comme ça à la section Luttes du Quotidien. L'enthousiasme militant remplaçant (souvent avantageusement) l'expérience journalistique.
    Des dizaines d'occupations, des centaines de grèves, de manifestations, des affrontements avec les flics, des débats intenses, des villes mortes ou révoltées, des opérations coup de poing... Pendant quatre années, le Quotidien du Peuple était là chaque fois que les travailleurs sont entrés en lutte. A Grenoble ou à Dunkerque, à Brest ou à Clermont-Ferrand, à Caen ou a Longwy... Réo, Imro, Lip, Peugeot-cycles, Rhône-Poulenc, Sescosem, Saviem, Schlumpf, Boussac, Renault, Moulinex, Usinor... Alsthom... Il faudrait un livre pour les citer toutes.
    Beaucoup de choses apprises, des liens tissés en grand nombre avec les travailleurs, avec des militants par dizaines. C'est aussi cela, quatre ans de travail à ce journal "au coeur des luttes".

Ni fleurs ni couronnes

    Le 20 août dernier, Le Nouvel Observateur annonçait que le Quotidien du peuple "pourrait" ne pas reparaÎtre à la rentrée. Plus récemment, un journal d'extrême-gauche, naguère hebdomadaire, et devenu mensuel après trois mois d'interruption, nous décrivait comme "moribonds" dès le premier numéro de sa nouvelle formule. Côté Perdriel encore, un journaliste du Matin vient de faire imprimer que nous n'existons que grâce à des subsides de l'étranger, nés de son imagination.
    Voilà 1000 numéros du Quotidien du Peuple qui sont parus. Par le seul effort de nos camarades et de nos lecteurs. Et nous en resterions là... !
    Rendez-vous au numéro 2 000, messieurs les fossoyeurs.

Dans le camp
du peuple

    Disons-le nettement: nous ne sommes pas objectifs au Quotidien du Peuple. Du moins au sens où l'entendent généralement les gens qui travaillent dans les "grands moyens d'information". Eux non plus ne le sont pas d'ailleurs. La différence, c'est que nous, nous l'affirmons très fort. Notre camp, c'est celui du peuple, celui des travailleurs. Notre seule raison d'être, c'est de servir le peuple. Dans nos colonnes, ce sont les travailleurs qui ont la parole. Ceux que l'on fait taire, ceux qui n'ont pas droit à la parole à la télé ou dans les grands journaux, s'expriment dans le Quotidien.
    Par un bel après-midi du printemps 1976, elles étaient bien une douzaine, les filles de Bourgogne-Electronique de Dijon, assises sur la pelouse de l'usine autour de moi. Pendant plus de deux heures, elles m'ont raconté leur vie dans l'atelier, les chefs, les cadences... et puis surtout leur lutte. Quand je leur ai demandé leur avis sur l'article que j'avais écrit avant de le téléphoner au journal, il y en a plus d'une qui n'en revenait pas: "Dis donc, c'est drôlement chouette, ce que tu as écrit, c'est de notre côté... D'habitude, dans les journaux...". Des choses de ce genre, chacun à la section pourrait en raconter des douzaines: L'enthousiasme des Boussac dont l'un ne trouvant plus de Quotidien disponible, avait fait une trentaine de photocopies d'une "Une" du journal sur leur lutte pour les repasser à ses copains; les grévistes des grandes presses de Flins qui avaient arraché le journaliste du Quotidien des mains des flics qui voulaient lui piquer son appareil photo; et puis, plus près, la solidarité de nombreux travailleurs et militants longoviciens lors du procès de Briey.
    Nos "sources d'information", nous les trouvons parmi les travailleurs; c'est leur point de vue qui nous intéresse d'abord. Dans les masses, on est chez nous.

En permanence sur le terrain

    Des grèves, il y en a chaque jour plusieurs dizaines en France. S'il fallait faire un article sur chacune d'elles, cinquante pages n'y suffiraient pas. Mais toutes n'ont pas la même signification. Par leur caractéristiques, certaines luttes ouvrières marquent une période, concentrent à un moment tous les points d'avancée de la conscience ouvrière. C'est ce qui détermine notre choix de reportages.
    De ce point de vue, l'année 1977 fut pour nous une longue traversée du désert. Il se passait beaucoup de choses, le débat politique était intense, mais les directions syndicales verrouillaient solidement les affaires, s'employaient à faire avorter tout ce qui pouvait ressembler de près ou de loin à des velléités de lutte un peu déterminée, tout en concentrant toute la vapeur sur des chapelets sans fin de journées d'action, principalement axées sur le soutien au programme commun.
    Les Bibs en firent les frais en décembre. Eux qui ne bougent pas souvent étaient bien partis contre le travail du samedi à Michelin. Nous, on s'apprêtait à envoyer un copain à Clermont. Pas le temps ! Les directions syndicales avaient fait reprendre le boulot vite fait bien fait; sans rien évidemment. Mais là n'était pas leur problème. Le grand moment tant attendu approchait: Mars 1978. Il fallait que les élections se déroulent "dans la sérénité".

    Aussi, les militants communistes que nous sommes se réjouirent-ils quand, après la débâcle de la gauche, dès le début du mois de Mai, des signes avants-coureurs firent leur apparition, : le 3e tour était parti. C'est l'époque, souvenons-nous, ou chacun dans la gauche (parti et syndicats) et beaucoup dans "l'extrême-gauche" expliquaient à longueur de colonnes que la classe ouvrière en avait pris "un méchant coup sur la cafetière" et mettrait beaucoup de temps à remonter la pente. Nous, pas surpris, mais heureux.
    On avait pris ce qu'on appelle des "dispositions exceptionnelles", "détournant" des copains de leur tâches habituelles. On avait des envoyés spéciaux en quantité pour la section Luttes: un à Cléon et Sandouville, un à Flins, un à Moulinex Caen et Alençon, un à l'arsenal de Brest. On suivait l'évolution des choses jour après jour, heure par heure. Souvent, une dernière information, un dernier coup de fil à 11h30 (1) : "Allo... je suis dans l'usine... il y a plusieurs milliers de gars qui défilent dans les ateliers... ils vont bloquer la sortie des chaînes... je raccroche parce qu'il y a des cadres qui commencent à me regarder de travers...". On était dans notre élément ; de 7h le matin à 10 h le soir, souvent la nuit pour certains d'entre nous.
    Un matin tôt, un furieux coup de sonnette me tira d'un profond sommeil. Le copain entra en coup de vent: "T'es pas à Flins ? m'étonnai-je. " J'y étais, mais j'ai bien été obligé de sortir". Les CRS venaient d'expulser les grévistes de l'atelier des grandes presses. Le Quotidien du Peuple avait réalisé ce que Nicolas Dubost appelle dans son livre (2) le "super-scoop sur l'évacuation des presses". Qu'il soit rassuré cependant, ce n'était pas là notre préoccupation principale.


Un journal communiste

    Un journal communiste au coeur des luttes, ce n'est pas seulement la "couverture" des grèves. Il y a quelque chose "en plus". Sur le terrain de la lutte économique, les ouvriers font de multiples expériences politiques. Ils s'affrontent directement à la bourgeoisie en tant que classe, ils prennent conscience de leur force, ils apprennent progressivement à distinguer les faux amis des vrais. C'est cette dimension proprement politique des luttes ouvrières qui constitue l'intérêt fondamental, l'objet principal de notre travail. Rendre compte des débats qui se déroulent dans le cours des luttes, des avancées de la conscience ouvrière, de ses limites, des problèmes qu'elle rencontre, prendre part nous-mêmes au débat, donner notre point de vue de communiste, de Parti, c'est celà aussi un Quotidien au coeur des luttes.
    Nous avions été très attentifs, pour prendre cet exemple, aux tentatives faites en 1976 pour rassembler les "conflits longue durée". L'initiative en revenait aux Lip. Il y avait là, face à l'immobilisme et aux divisions des confédérations, l'amorce d'un processus qui pourrait, peut-être, peser de manière décisive sur la situation des luttes en France.
    Dans des interviews réalisées quelques jours avant la "coordination du 11 septembre" à Besançon, j'avais transmis aux Réo et aux Imro, quelques unes des questions que tout le monde se posait qu'allait-il sortir de ces coordinations ? Ces réunions étaient-elles consacrées à des "échanges de vues sur des problèmes communs" ou à l'étude de propositions de luttes communes posées en alternative au vide confédéral ? Les interviewés indiquèrent que c'était la seconde position qu'ils défendaient. Malheureusement, les pressions extrêmement violentes des directions confédérales ajoutées aux (déjà) fortes illusions sur mars 1978 eurent raison de cet embryon de regroupement de luttes.
    Dans cet épisode des luttes ouvrières, le Quotidien avait joué son rôle: valoriser ce qui va de l'avant, donner la parole à ceux qui luttent, prendre sa place dans le débat politique.
    Plus récemment, dans les luttes des sidérurgistes, on a essayé de comprendre: pourquoi Longwy, pourquoi Denain, pourquoi pas la vallée de la Fensch ou de l'Orne ? Pourquoi Usinor et pas Sacilor ? Toutes les leçons des luttes des sidérurgistes n'ont pas été tirées, c'est évident. Il reste que le Quotidien s'est vite saisi de ce qu'il y avait de nouveau, par exemple à Longwy, qu'il a essayé de faire comprendre à ses lecteurs ce qui se passait là-bas, en quoi cela représentait une progression intéressante de la conscience ouvrière.

    Dans ce journal que nous faisons chaque jour depuis le 29 septembre 1975, les pages "Luttes ouvrières" ont conquis une place privilégiée. C'est normal pour un quotidien communiste.
    Il arrive, certains jours, pourquoi le taire, qu'elles ne soient pas à la hauteur. Mais ce n'est pas la norme. Et de loin !
    Quatre années à forger cet outil devenu indispensable, quatre années de choses apprises, d'expériences accumulées, de connaissances engrangées, de liens tissés. Au service du peuple. Car nous, à la section "Luttes", comme les autres camarades du comité de rédaction, nous n'avons qu'un objectif: mériter notre titre.

G. P.

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NOTES

    (1) : le journal est imprimé à 13 heures. A 11 H 30, on a déjà largement dépassé l'heure du "bou- clage". Les camarades du secteur fabrication réalisaient des prouesses techniques souvent considérées comme impossibles dans les autres journaux pour "avaler" les toutes dernières informations.
    (2) : Dans son livre "Flins sans fin". Nicolas Dubost raille (à juste titre pour l'essentiel) la grande presse et ses méthodes. Toutefois, il parle d'un "super-scoop sur l'évacuation des presses par les CRS". Or, il se trouve que seul le journaliste du OdP se trouvait à ce moment-là avec les grévistes pour réaliser un reportage sur le thème: "Une nuit dans l'atelier occupé des grandes presses à Flins". Les seules photos parues dans tous les journaux avaient été prises par le journaliste du OdP.
    Dubost parle de certains journaux mais ne cite même pas, on se demande pourquoi, le Quotidien du Peuple.
    Bien que nous n'ayons pas l'habitude de faire dans le sensationnel, et puisque l'occasion m'en est donnée par cet article, j'ai pensé utile de faire cette petite mise au point.


Renault-Cléon, Juin 1978

Une militante du Nord évoque
la période de lancement du Quotidien du Peuple

            "On ressentait le besoin d'un quotidien pour participer pleinement au débat d'idées"

  è Peux-tu rappeler comment les militants du Parti ressentaient le besoin d'un quotidien avant même sa parution ?

    Quand on ne disposait que d'un hebdomadaire, et qu'on le diffusait principalement en fin de semaine, sur les marchés, on ressentait. un certain décalage sur l'actualité. Entre le moment de sa rédaction et celui de la diffusion que nous faisions, il s'était passé beaucoup de choses... Et pour vendre un journal à nos camarades de travail, il était souhaitable qu'il soit en prise sur ce qui pouvait faire les conversations du matin à l'usine. Alors, nous attendions du Quotidien qu'il nous serve pour mener la discussion et même que sa diffusion puisse être un certain prolongement à ces discussions.
   
Dans un quotidien, il est possible de rendre compte des luttes dans leur évolution. Et puis, en étant en prise directe sur ceux qui luttent, on a ainsi les moyens de faire progresser la lutte en contribuant à leur réflexion; on ressentait le besoin d'un quotidien pour participer pleinement à ce débat d'idées.

  è Dans quel esprit les moyens financiers pour faire paraître le quotidien ont-ils été rassemblés ?

    Malgré l'ampleur de la tâche, cela n'est pas apparu comme une utopie. C'est au contraire dans un grand enthousiasme que tous les camarades se sont mobilisés pour réunir les moyens de faire paraître le quotidien. Et l'on savait qu'il nous faudrait compter uniquement sur nos propres forces; c'est pourquoi pendant des mois, nous avons alimenté la souscription en mobilisant tous nos contacts et sympathisants qui partageaient notre combat pour réaliser ce projet.

  è Comment a-t-on fait connaître Le Quotidien du Peuple ?

    Avec son lancement, il y a eu une campagne d'abonnement. Je me souviens qu'un camarade de ma cellule avait fait à lui tout seul une quinzaine d'abonnements dans les milieux ouvriers de son quartier. Pour faire connaître le journal, tous les soirs, je faisais du porte à porte dans un quartier sur le chemin en sortant de l'usine. En quelques semaines, il s'était dégagé des lecteurs fidèles que je retournais voir systématiquement. J'ai continué pendant trois ans. Parmi les travailleurs qui me prenaient régulièrement le Quotidien, il y en a certainement qui ont voté pour l'union de la gauche en 1978 -ils ont été déçus qu'elle ne soit pas passée -mais ils m'avaient donné de l'argent pour soutenir notre campagne électorale.

  è Qu'est-ce que Le Quotidien du Peuple a changé dans ton activité quotidienne ?

    Dès 6 H 30, avant d'aller à l'usine, j'achetais le QdP. J'y jetais un coup d'oeil. On y puise de la matière pour des discussions. On y trouve des éléments d'information, des commentaires. Il s'en dégage un point de vue. On se sent alors plus à même de discuter, d'argumenter...

    Moi, ça m'a tout simplement permis de LIRE. Des femmes comme moi qui travaillent à l'usine ne lisent pas forcément volontiers. Le Quotidien a été un instrument irremplaçable de réflexion. C'est assez dur de réfléchir tout seul, de se faire une opinion au jour le jour... avec les seules informations de la radio... Avec le Quotidien, il y a un enrichissement de notre réflexion...

Le rôle précieux
des correspondants
du Quotidien du Peuple

    C'est une évidence: sans ses correspondants, le Quotidien du Peuple ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui. Tout au long de ces quatres années, les correspondants ont pris une place importante dans la vie de notre journal.
    C'est quoi une correspondance au QdP : c'est le coup de téléphone que l'on reçoit à 7 heures du matin: "Hé, les gars, vous êtes au courant ? Les flics ont investi l'usine Machin. Je vais essayer d'y aller avant d'aller au boulot... Je vous rappellerai !".
    C'est l'article sur telle grève, l'interview de tel ou tel dirigeant syndical... C'est la petite nouvelle brève; c'est le courrier... l'article "qui ne presse pas" et qu'on a envoyé par la poste ; et avec l'article, c'est aussi des photos, souvent originales; c'est des tracts ou des coupures de journaux locaux avec un petit mot: "J'ai pensé que ça vous intéresserait".
    En gros, il y a ce qui est directement utilisable pour publication immédiate (articles, interviews, brèves...) et puis tout ce qui n'apparaît pas immédiatement dans le journal et dont, parfois, les lecteurs peuvent penser que "ce n'est pas intéressant pour le journal". Erreur ! Tout intéresse le journal. Pour une raison simple: c'est la masse des informations, des éléments d'enquête, d'analyses qui nous permet, au comité de rédaction (basé à Paris) de nous faire un point de vue d'ensemble. Le Quotidien du Peuple dispose de ce qu'aucun autre journal ne possède et ne possèdera jamais: un réseau d'informateurs, d'enquêteurs, de correspondants à travers tout le pays. C'est extrêmement précieux ; c'est la base sur laquelle nous nous appuyons pour organiser une grande partie de notre travail.
    Par exemple, pour les luttes ouvrières: le nombre de correspondances que nous recevons. leur contenu comparé, recoupé, nous permettent de nous faire un point de vue très précis de l'évolution des situations, et ceci, au jour le jour, parfois heure par heure.
    Volet indispensable d'un journal comme le nôtre, le travail des correspondants, articulé harmonieusement à celui du comité de rédaction permet de réaliser le Quotidien du Peuple tel qu'il est aujourd'hui.

La marée noire de l'Amoco Cadiz
en 1978
Une compréhension révolutionnaire du journalisme

    Nous avons voulu, avec Pierre PUJOL, à travers l'exemple de la marée noire de l'Amoco Cadiz en 1978, décrire notre conception des "informations générales".

  è Pourquoi avons-nous décidé de faire plusieurs reportages sur la marée noire de l'Amoco Cadiz ?

    Le superpétrolier Amoco Cadiz vient de s'échouer sur les côtes de Bretagne, livrant aux flots sa terrible cargaison. La nouvelle annoncée, nous en saisissions rapidement toute l'importance. Parce que la même terre de Bretagne, déjà maintes fois éprouvée, allait subir un assaut destructeur sans précédent; parce que des pêcheurs et leurs familles, questionnés rapidement par téléphone, nous avaient confié leur immense détresse et toute leur colère devant un tel gâchis.
    Très vite, nous prenions les moyens de cerner le problème sous ses divers aspects. Un premier reportage est mis en route. Avec un double souci :
    - celui d'informer le lecteur sur l'ampleur de la catastrophe et sur la réalité des moyens mis en oeuvre ;
    - également celui d'aller droit aux causes de l'accident, de ne pas se contenter, à l'instar de beaucoup, d'une compassion indignée sur les conséquences de la marée noire.

  è Comment le Quotidien a-t-il joué son rôle de façon spécifique, originale ? Qui avons-nous choisi de rencontrer ?

    Sur le terrain, le QdP remplit de façon efficace et originale ce double contrat :
   
l  Par l'interview exclusive des marins de l'Amoco Cadiz, dont le témoignage troublant " le Pacific nous a remorqué vers la côte ! " soulevait la légitime question que nous pouvions désormais poser: " Mais n'a-t-on pas un peu poussé le sort ?"

    l  Par le "coup de flash" donné sur l'effarant et dérisoire remue-ménage d'un plan nommé Polmar, sur la colère populaire en Bretagne, contre le gâchis capitaliste, pour une grève générale, que les partis de gauche affairés à leur guerre électorale, s'employèrent à rendre impossible.

    Le nettoyage aidant, le pouvoir espérait peu à peu s'en tirer à bon compte, la marée noire et ses victimes étaient relégués à l'arrière-plan de "l'information". Le QdP, tout en assurant le suivi des nouvelles, met en place une seconde enquête: un reportage politique pour faire le point sur la "lame de fond" qui, de la révolte contre la pollution à la haine contre le système, a traversé la Bretagne populaire. Réunissant autour de lui des pêcheurs, des goëmonniers, de Portsall à Plouguerneau, des ouvriers de plusieurs usines de Brest, des militants des "comités anti-marée noire", des scientifiques de la SEPNB, des écologistes, des appelés, le OdP prenait, avec eux tous, la mesure de l'approfondissement de la conscience politique, de son avancée, des obstacles dressés, des limites aussi. Ce mouvement vivant et profond, le OdP a été un des seuls journaux à essayer de le restituer dans sa complexité et son enthousiasme, et cela de manière solidaire et fraternelle.
    Le OdP a été le seul à s'inscrire solidement en faux contre la campagne de démobilisation orchestrée par la bourgeoisie, le seul à affirmer aussi nettement: " La mer n'a pas lavé la colère ".

  è A travers nos reportages, qu'avons-nous voulu montrer ?

    Enquêtes, témoignages, bilans: la marée noire aura été l'occasion d'affirmer, dans le domaine de l'information générale, cette conception tout à fait originale, propre à notre journal, du reportage et de l'information, radicalement différente de celle de la presse bourgeoise.
    Une conception révolutionnaire de la presse, indépendante des réseaux sournois de contrôle de l'information par le pouvoir. L'image d'une presse complètement opposée aux intérêts des exploiteurs et des pollueurs, en prise directe sur la vie, les problèmes, les idées du peuple.
Une compréhension révolutionnaire du journalisme, qui fait camper le journal parmi les siens: ouvriers, pêcheurs, militants; qui, de façon ouverte et exigeante, lance ses investigations plus loin, pour faire un nécessaire bilan scientifique, pour soumettre à ces questions les "responsables" du plan Polmar si nécessaire.
    Informer, expliquer, réfléchir avec les travailleurs; c'est à ce prix là que le OdP a pu, lors de la marée noire, faire mieux que refléter la vie et accompagner les évènements : utile pour beaucoup de ceux qui luttaient, il a été souvent lui-même un outil pour l'action.


Schlumpf : par les reportages de l'équipe de rédaction, par les articles de nos
correspondants,
Le Quotidien du Peuple a suivi cette longue lutte.

Un outil irremplaçable
Le point de vue d'un militant sur le QdP et les élections de 1978

    Daniel est postier à Paris. Militant du PCRml, il était, pendant la campagne électorale de 1978, candidat de l'UQPDP. Il fait le point sur l'ouverture politique que le Quotidien a été pour lui pendant toute la période de préparation des élections.

    Dans mon service, les discussions allaient bon train pendant la campagne électorale. C'est souvent que le Quotidien sortait de ma poche, pour y chercher un chiffre, une précision. De même, on discutait beaucoup autour du journal, quand nous intervenions devant les boîtes.
    Je me souviens de moments importants: la rupture de l'union de la gauche, avec les différentes phases: les portes qui claquent avec Robert Fabre, puis par la suite la rupture définitive... Le journal était là le lendemain; et même si, sur le coup, c'était parfois difficile de saisir toute la portée de l'événement, il permettait de resituer le pourquoi de l'affaire. Et entre les deux tours, au moment de l'accord PCF-PS: les militants du PCF étaient très offensifs avant; mais là, ils ne savaient plus trop où ils en étaient, et avec le Quotidien, on avait l'impression d'être sur des positions solides.

Faits et points de repère

    C'est que le Quotidien ne s'en est pas tenu au compte-rendu au jour le jour des déclarations des leaders politiques, en mettant à côté nos positions générales. Il confrontait ce qu'ils disaient à la pratique, à leurs prises de position par le passé. Pendant cette période, on a été les seuls à présenter la rupture de l'union de la gauche comme le résultat des deux projets contradictoires du PS et du PC. Ce n'était pas une idée largement répandue. Pour aider à faire tomber des illusions, c'était important d'avoir chaque jour une provision de faits, de points de repère, systématiquement développés. Il y avait eu notamment les dossiers "des chiffres et des mots" sur les programmes des partis.
    Le Quotidien a rendu compte des différents aspects de la campagne: il y avait eu une enquête sur les sondages, une série sur les syndicalistes face à 78. Et aussi une série sur les écologistes :- aux PTT, ce courant d'idées était présent; mais le Quotidien a permis de connaître ses composantes, son débat interne sur son attitude par rapport à la gauche. Cela m'a été utile dans mes rapports avec le candidat écologique de ma circonscription, avec qui j'ai pu nouer des liens très positifs.

Le point de vue

    Un journal, un quotidien surtout, joue un rôle bien différent de réunions internes, d'un bulletin intérieur. On ne peut évidemment pas y trouver le même point de vue d'ensemble sur une question, car l'actualité est trop variée. Mais ce point de vue, on sentait que, dans le Quotidien, il guidait tous les articles. Et, aussi fouillé que soit l'analyse qu'on peut faire d'une situation générale, la réalité est toujours plus complexe, elle réserve des surprises. Le quotidien permet d'embrayer sur l'événement.

    Et puis, dans un journal, les différents aspects de la réalité sont envisagés. On parlait dans le Quotidien des luttes qui avaient quand même lieu pendant la campagne. Je me souviens notamment de la grève de Michelin, en décembre 1977. Quand on discutait, par exemple, avec des militants du PCF, c'était très important pour montrer de quelle position de classe nous partions dans notre critique de la gauche.
    Si nous n'avions pas eu le Quotidien, je crois qu'il nous aurait manqué une arme essentielle pour le travail politique que nous avons fait à cette époque.

Vie et lutte
des peuples
du monde

Entretien entre Jean-Paul Gay et Jean Lermet

    Jean-Paul Gay est actuellement responsable de la section internationale du Quotidien du Peuple. Jean Lermet a participé à cette section au début de notre journal. Ils ont tous les deux travaillé au Quotidien du numéro un au numéro mille. Ils ont essayé de cerner ensemble quelques unes des particularités du travail effectué dans ce domaine depuis quatre ans.

J. L. : En 1975, juste après la mort de Franco, le Quotidien du Peuple en était à ses débuts. Nous avions donné la parole à plusieurs mouvements antifranquistes sur la question de l'avenir de l'Espagne. En octobre dernier, au moment du référendum sur l'autonomie du pays Basque, le Quotidien a présenté le point de vue des deux composantes de l'ETA, du PT d'Euskadi, des comités basques anti-répression. J'y vois la continuité d'une démarche, visant à donner au lecteur les moyens de se forger un point de vue. C'est aussi une question de respect vis- à-vis de nos lecteurs, de la classe ouvrière.

J.-P. G. : Prendre les informations à la source, auprès des composantes d'un peuple en lutte; poser les questions de manière à permettre l'exposé de ce qui fonde les positions de nos interlocuteurs ; partir dans ce travail de questions politiques précises, ce qui évite tout éclectisme : c'est une base essentielle de notre travail. Nous n'avons pas toujours les moyens de faire des reportages. Mais nous essayons d'utiliser toutes les autres possibilités. Récemment, nous avons fait le point sur l'Erythrée en nous appuyant d'une part sur le FPLE et d'autre part, sur des militants qui se consacrent à suivre la situation dans ce pays.

J. L. : C'est la démarche même du Parti sur les questions internationales qui est reflétée par son journal: s'agissant de questions sur lesquelles nous n'avons pas une prise directe, nous avons cherché à éviter deux écueils: un silence embarrassé sur des questions complexes, mais importantes, ou la reproduction pure et simple des positions de telle ou telle organisation avec laquelle nous avons des affinités idéologiques et politiques.

J.-P. G. : Prenons l'exemple de l'Iran : nous n'avons pas pu faire de reportage jusqu'ici. Vu de l'occident, il n'est pas facile de prendre en compte les traditions et la culture du peuple iranien. Les marxistes-léninistes de ce pays nous ont apporté un éclairage sur les efforts de consolidation de l'indépendance après la révolution. En même temps, nous avons rassemblé d'autres matériaux. Par exemple, l'interview de Paul Vieille que nous venons de publier, intéressante parce qu'il a une connaissance directe du pays et de ses dirigeants, et une indéniable honnêteté critique de chercheur. Nous continuons à rassembler d'autres points de vue émanant du peuple iranien, pour les faire connaître et pour progresser nous-mêmes dans notre compréhension de la situation. Cette exigence politique est également importante pour fonder solidement de bonnes relations avec les organisations révolutionnaires étrangères.

J. L. : Et puis, tout ce travail part du soutien que nous apportons aux peuples en lutte.

J.-P.G. : C'est une autre exigence importante, liée aux précédentes: faire saisir au lecteur, de manière vivante, les conditions dans lesquelles les peuples se battent, dans lesquelles ils souffrent et remportent des succès. Ainsi, en décembre 1977, le reportage que des amis nous ont permis de publier sur l'Erythrée, qui décrivait concrètement le cheminement du peuple dans sa lutte, sa mobilisation, ses ressources créatrices. De même, les reportages effectués au Liban nous ont permis de donner une représentation vivante de la lutte conjointe des patriotes palestiniens et libanais; nous avons aussi essayé de faire saisir "de l'intérieur" la continuité de la lutte du peuple palestinien, en interviewant ses dirigeants. En Allemagne de l'Est, Robert Milcat s'était appuyé sur de multiples relations avec des gens du peuple, des ouvriers, des jeunes, pour saisir sans tomber dans le schématisme, les graves points noirs d'un pays parfois présenté comme la vitrine des pays de l'Est.

    Sur la Chine, un petit exemple: voici un an, au moment de l'établissement de relations diplomatiques avec les USA, beaucoup de commentateurs ont cherché à le présenter comme une entrée de la Chine dans le giron occidental. Or, dès 1949, Zhou Enlai proposait d'établir ces relations. Mao Zedong lui-même reçu Nixon dans ce but; nous avons montré cette continuité; nous avons fait ressortir comment l'impérialisme US, sur la défensive, était contraint de reconnaître l'existence d'une seule Chine, de la République populaire chinoise qui, en 30 ans, est allée de l'avant dans la construction du socialisme.

J. L. : J'ai été frappé par la place croissante prise dans notre journal par la situation mondiale considérée dans son ensemble, avec les mutations qu'elle a connues.

J.-P. G. : Au cours des dernières années, on a vu la montée de la rivalité entre les deux superpuissances et des facteurs de guerre, le déploiement de l'offensive soviétique à l'échelle mondiale après le recul des Etats-Unis. La vigilance des peuples sur ces nouveaux facteurs est déterminante pour l'avenir. C'est pourquoi nous nous sommes attachés à y contribuer. Au moment des élections européennes, conjointement avec une réflexion d'ensemble de notre Parti, nous avons montré comment la situation dans notre région du monde devait être envisagée dans ce cadre. Cette rivalité pèse dans les situations particulières elles-mêmes. Il n'y a guère plus de deux ans, le peuple érythréen se battait contre un ennemi principalement soutenu par les USA; aujourd'hui, il est directement confronté à l'autre superpuissance. Cela permet de mesurer l'importance de la résistance des peuples, notamment ceux du Tiers-Monde. Le dernier discours de Brejnev en RDA précise bien les pressions que l'URSS va exercer sur l'Europe de l'Ouest. Nous allons suivre les réactions des différentes bourgeoisies européennes, leurs hésitations : c'est notre peuple qu'il s'agit de mobiliser.

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COMMANDEZ LE COFFRET DES QUARANTE "UNES"

Le Quotidien du Peuple a édité en juillet 1979 un coffret de quarante "unes". En les feuilletant, vous pourrez ainsi vous remémorer quelques-uns des événements qui ont marqué la situation de notre pays et la situation internationale depuis le 29 septembre 1975, date de parution du premier numéro du Quotidien du Peuple.
L'acquisition de ce coffret est également un geste de soutien financier au Quotidien du Peuple, pour qu'il puisse disposer des ressources nécessaires à la poursuite du combat qu'il mène depuis quatre ans.

Passez vos commandes au Quotidien du Peuple Prix : 50 francs + port

Le point de vue d'une abonnée

 

  è Mme P. est enseignante en retraite. Pourquoi se réabonne-t-elle régulièrement au Quotidien du Peuple ?

    Je me suis abonnée à l'origine pour soutenir par mes faibles moyens un journal qui allait être la voix d'un jeune parti communiste qui voulait se démarquer du PCF. Je l'avais d'abord acheté en kiosque pendant quelques semaines... Et j'ai maintenu mon abonnement parce que le journal n'a pas déçu mes espérances.

  è Qu'appréciez-vous le plus ?

    C'est qu'il est le reflet fidèle des luttes ouvrières, ce qu'on trouve fort peu dans les journaux à gros tirage. Des luttes, vous en parlez plus que les autres; mais, en même temps, vous essayez de montrer, à mon avis, que les ouvriers doivent prendre conscience du besoin de luttes mieux coordonnées, plus pensées. Dernièrement à Alsthom, vous montrez bien ce qui peut freiner la lutte, que les mouvements syndicaux ne font pas tout ce qu'il faut pour que les ouvriers obtiennent des patrons ce qu'ils doivent obtenir...

  è Qu'est-ce qui vous a le plus marqué à la lecture du Quotidien ?

    Pour moi, ce sont les articles de politique extérieure qui éclairent la situation mondiale d'une façon originale et qui me semble fort juste. Par exemple sur les périls de guerre venant d'URSS, sur le poids de la Chine dans la paix mondiale et, dans le journal que je viens de recevoir, c'est l'article sur l'Iran qui rappelle ce que Carter disait il y a un an à propos du Shah. On n'a pas lu ou entendu cela ailleurs...

    Je me souviens aussi de vos articles sur la théorie des trois mondes, je les ai bien aimés. J'aime bien aussi ce que vous avez dit sur la Chine dernièrement où vous montrez qu'il ne s'agit pas de "suivre" la Chine parce que la France n'est pas la Chine, mais où vous remettez en place les mauvais bruits qui courent sur elle...

    Vous expliquez nettement les choses et c'est quand même rare. On sent nettement que ça a un son de vérité.

  è Q'uest-ce qui, à votre avis, fait son originalité ? 

    Ce qui est original, c'est la position du journal qui ne cède pas aux idées à la mode et qui garde une foi communiste intacte après le "reflux" de mai 1968. Vous ne cédez pas à un certain pessimisme petit-bourgeois, celui de ces "nouveaux philosophes"...

    Je voudrais que vous soyez à l'écoute des mouvements de contestation pour leur donner une place dans votre pensée politique: marxisme-léninisme enrichi par la pensée de Mao, mais enrichi aussi des apports d'un monde en gestation dans le creuset de la crise de la bourgeoisie.

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