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Voici une interview de Régis Bergeron dont c'est le onzième voyage en Chine populaire. Régis Bergeron est l'auteur de plusieurs livres, dont un sur le cinéma chinois. Il participera le 12 octobre à Beaubourg à un débat sur les minorités en Chine et le 29 octobre, toujours à Beaubourg, à un débat sur le cinéma chinois. è Tu reviens d'un séjour d'une semaine au Tibet. Peux-tu d'abord nous rappeler brièvement l'histoire de cette région, ses relations avec le reste de la Chine, la situation du peuple tibétain, il y a une trentaine d'années ?
Je reviens en effet d'un
séjour d'une semaine au Tibet, début
septembre. C'est une région où, depuis
longtemps, fort peu d'étrangers se rendent. Et
naturellement, j'ai pu mesurer le privilège que
c'était pour moi d'y aller. Deux questions
m'intéressaient en particulier: la façon dont
les Hans respectent l'identité nationale du peuple
tibétain, et aussi comment se pose le problème
religieux à un moment où, à travers le
monde, on parle beaucoup d'un retour éventuel du
Dalaï-Lama à Lhassa. (...) Une histoire ancienne
Il y a longtemps que
l'histoire a tranché cette question: depuis le
septième siècle, le Tibet a fait partie de la
Chine. Et même en 1959, au moment de la
rébellion des féodaux, des
réactionnaires tibétains, en Inde où
beaucoup d'entre eux se sont réfugiés
après l'échec de la rébellion, Nehru,
qui était alors Premier ministre, a lui-même
déclaré que le Tibet n'était pas un
pays en soi, mais faisait partie de la Chine de façon
historique. 1951 : un accord en 17 points
Le Tibet a été
libéré en 1951 par l'Armée populaire de
Libération, soit un peu plus d'un an après le
reste de la Chine. Il a été
libéré pacifiquement aux termes d'un accord en
17 points signé entre les représentants du
gouvernement central de Pékin et cinq envoyés
du Dalaï-Lama, dont son secrétaire
général que j'ai rencontré pendant mon
séjour. Dans le Tibet d'aujourd'hui, les enfants entourés de soins attentifs Aujourd'hui le Tibet est une région autonome comme un certain nombre d'autres régions de Chine où les minorités ethniques sont dominantes dans la population. C'est une région autonome depuis 1965, c'est-à-dire depuis une date relativement récente. Comme je l'ai dit tout à l'heure, en 1956, on avait créé le comité pour la création de la région autonome du Tibet. Mais les obstacles dressés devant les travaux de cette commission ont retardé pour plusieurs années l'établissement des structures d'autonomie. C'est seulement à partir de 1959, après la répression de la rébellion des féodaux, qu'on a vraiment pris en main cette question . è Quels étaient ces obstacles ? Il y a eu la mauvaise volonté des autorités féodales tibétaines, peu soucieuses, malgré leurs engagements, d'ouvrir au Tibet la voie du progrès, Et puis, la prudence des autorités centrales, décidées à respecter les coutumes, les traditions, les croyances du peuple tibétain et à ne pas précipiter cette transformation. è Depuis, le Tibet a beaucoup changé, Quels progrès as-tu constaté, quels retards par rapport au reste de la Chine ? Si le Tibet a beaucoup changé ? Je crois que oui et en même temps on peut répondre oui et non.
Non, par exemple si on se
promène dans les rues de la vieille ville de Lhassa.
Là, on a l'impression de revoir le Tibet tel qu'on le
voit sur des gravures du 19e siècle. D'abord parce
que la vieille ville est conservée intacte, que les
gens sont habillés avec le costume national noir
(...), qu'on trouve encore des tas d'immondices dans les
rues de la vieille ville... Il y a aussi des petits
marchands qu'on croirait sortis tout droit du
Moyen-âge. Si bien qu'on se dit
qu'extérieurement rien n'a changé: les temples
sont toujours là, le palais du Dalaï-Lama est
toujours là. Et puis le fait qu'on ait
réouvert les temples et les monastères il y a
quelques mois, fait qu'on voit à nouveau des gens qui
se promènent avec leur moulin à
prières, des files de croyants qui se prosternent,
quelquefois à plat-ventre, devant les immenses
statues de Bouddha ou de lamas, dans les temples et qui
donnent une petite obole. Développement de l'artisanat
C'est ainsi que la vieille
ville est doublée d'une ville neuve, moderne. Lhassa,
qui n'a que 110 000 habitants, ne ressemble pas à une
capitale, on dirait plutôt un gros
bourg.
Il y a aussi des tentatives de
modifier l'alimentation tibétaine. De tout temps, les
Tibétains se sont nourris surtout de tsampa, qui est
une bouillie de farine d'orge, qu'ils malaxent avec du
thé et du sel. Voilà l'essentiel de leur
nourriture, avec le lait de yack fermenté, et le
thé salé mélangé de beurre
rance. Un peu de viande boucanée,
séchée au soleil, de temps en
temps. Progrès
Mais les progrès -je
dirais les plus grands- sont à coup sûr ceux
qui ont été faits dans le domaine de
l'enseignement. Les enfants tibétains sont
scolarisés à 80%, ce qui est
considérable si l'on tient compte que la population
est essentiellement pastorale, extrêmement
dispersée: le Tibet est grand comme plusieurs fois la
France et il y a 1 600 000 habitants.Il y en avait 1 100 000
il y a trente ans, ce qui signifie que la population est en
pleine croissance. è Les journalistes étrangers qui ont visité cette région en juillet ont parlé de "manifestations de colonialisme" de la part des autorités chinoises à l'égard de la population autochtone. Qu'en penses-tu ?
Moi, je ne pense pas qu'il y
ait des manifestations colonialistes, c'est-à-dire
une tentative de "hanisation" de la population
tibétaine. D'abord parce que les Hans sont vraiment
minoritaires par rapport à la population
tibétaine et qu'il s'agit essentiellement de cadres
venus là pour un nombre d'années
limité: certains sont là pour trois ans,
d'autres pour cinq ans. J'ai bien rencontré des
cadres qui étaient là depuis plus longtemps,
mais c'est l'exception, d'autant plus -raison accessoire
-que le climat tibétain est très rigoureux
pour les Hans qui ne le supportent pas
longtemps. è De quelle sorte d'erreurs a-t-il pu s'agir ?
Peut-être y a-t-il eu
des erreurs, de la part des cadres, dans leur comportement
à l'égard de la population, surtout dans les
années 1966-68, au début de la
Révolution culturelle. Mais s'il y en a eu, elles ne
m'ont pas paru persister maintenant; et surtout, le danger
n'échappe pas à la vigilance des
autorités. On peut considérer qu'il y a
déjà des mesures prises pour rectifier le tir
si des erreurs sont commises. Par exemple, des tendances au
chauvinisme, à la sous-estimation du problème
religieux, des traditions locales, du poids des coutumes,
etc. Sans doute le gauchisme des Quatre a-t-il pu
sévir un temps au Tibet dans ces divers
domaines. La question qui m'intéressait en outre, c'était la question religieuse. Là, peut-être, avec cette question, on se trouve devant une de ces erreurs commises pendant la période de la Révolution culturelle, avec entre autres, la fermeture des temples et des monastères. La religiosité des Tibétains
On n'a peut-être pas
assez évalué à sa juste mesure la
religiosité de l'esprit des Tibétains. Il est
évident que le bouddhisme est encore très
vivant, en particulier chez les vieux. En une
matinée, j'ai vu trois ou quatre vieux qui tournaient
un moulin à prières, dans les rues de l'ancien
Lhassa, des femmes marchant en égrenant leur
chapelet, etc. è Que penses-tu du retour éventuel du Dalai-Lama ?
Ce qu'il faut dire aussi,
c'est que le Dalaï-lama n'avait pas seulement le
pouvoir spirituel, mais aussi le pouvoir temporel et que ce
pouvoir a été brisé en 1959 à
l'issue de la rébellion. Maintenant, si le
Dalaï-lama revenait, il pourrait au mieux retrouver son
statut de chef religieux, mais pas le pouvoir politique
suprême; peut-être pourrait-il être
président ou vice-président de
l'Assemblée populaire de la région autonome.
L'autorité gouvernementale, c'est l'autorité
centrale, naturellement, qui l'exerce. J'ai rencontré
pendant mon séjour un certain nombre de gens dont
l'ancien secrétaire du Dalaï-lama, qui a
participé à la rébellion de 1959 et qui
a passé cinq ans en prison. Et je lui ai posé
la question: " Est-ce que le
peuple tibétain est indifférent à un
retour éventuel du Dalaï-Lama ? ", et il m'a répondu : "Non, bien sûr. Si le Dalaï-Lama
rentrait, ce serait une décision qui aiderait
à renforcer l'unité de la région
autonome et l'unité nationale ".
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