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          SOLIDAIRE -Hebdomadaire du Parti du Travail de Belgique-
         n°22 (840) 26 mai 1993. page 12 
         
         International 
          
         Un autre regard sur Staline (2ème
         partie)
         
         Soutien massif des
         paysans 
         
         à la collectivisation de
         l'agriculture
         
           
         
         
            
               | 
                   A la campagne, l'impulsion essentielle de la
                  collectivisation provenait des paysans les plus
                  opprimés. (Photo de Arkady Sjiskin, prise
                  dans les années 30)
                 |  
          
         
         Dans son livre "Un autre regard sur Staline" Ludo
         Martens traite longuement de la période de
         collectivisation entamée en Union soviétique
         en 1929. D'innombrables livres anticommunistes nous
         apprennent que la collectivisation a été
         "imposée" par la direction du parti et par Staline et
         comment elle fut réalisée sous la terreur.
         C'est une contre-vérité. L'impulsion
         essentielle pour les épisodes violents de la
         collectivisation fut le fait des masses paysannes les plus
         opprimées.  
         
         "Un paysan de la région des
         Terres noires déclare: "J'ai vécu toute ma vie parmi les
         ouvriers agricoles. La révolution d'Octobre m'a
         donné de la terre, j'ai reçu des
         crédits d'année en année, j'ai
         acheté un mauvais cheval, je ne peux pas travailler
         la terre, mes enfants sont misérables et ont faim, je
         n'arrive simplement pas à améliorer ma ferme,
         malgré l'aide des autorités
         soviétiques. Je crois qu'il n'y a qu'une seule issue:
         rejoindre une colonne de tracteurs et faire que ça
         marche" (1). 
         
         Lynne Viola écrit:
         "La collectivisation,
         quoiqu'elle fut initiée et appuyée par le
         centre, se concrétisait, pour l'essentiel, dans une
         série de mesures politiques ad hoc, en réponse
         aux initiatives débridées des organes du parti
         et du gouvernement au niveau de la région et du
         district. La collectivisation et l'agriculture collective
         ont été modelées, moins par Staline et
         les autorités centrales, que par l'activité
         indisciplinée et irresponsable de fonctionnaires
         ruraux, par l'expérimentation des dirigeants des
         fermes collectives qui devaient se débrouiller et par
         les réalités d'une campagne
         arriérée (...)."
         Lynn Viola poursuit: "L'Etat
         dirigeait par des circulaires et des décrets, mais il
         n'avait ni l'infrastructure organisationnelle ni le
         personnel pour imposer sa voie ou pour assurer l'application
         correcte de sa politique dans la gestion de la campagne. Les
         racines du système de Staline à la campagne ne
         se trouvent pas dans l'expansion des contrôles de
         l'État, mais dans l'absence même de ces
         contrôles et d'un système d'administration
         ordonné, ce qui, en retour, avait comme
         résultat que la répression devenait
         l'instrument principal du pouvoir à la
         campagne".(2) Cette
         conclusion, tirée d'une observation attentive de la
         marche réelle de la collectivisation, permet de faire
         deux remarques. 
         
         La thèse du "totalitarisme
         communiste" exercé par une "bureaucratie du parti
         omniprésente" n'a aucun rapport avec la
         réalité de l'exercice du pouvoir
         soviétique sous Staline. C'est une formule par
         laquelle la bourgeoisie crache simplement sa haine aveugle
         contre le socialisme réel. En 1929-1933,
         l'État soviétique n'avait ni les moyens
         techniques, ni le personnel qualifié
         nécessaire, ni l'encadrement communiste suffisant
         pour diriger de façon planifiée et
         ordonnée la collectivisation; la décrire comme
         un État tout-puissant et totalitaire est
         absurde. 
         
         A la campagne, l'impulsion
         essentielle de la collectivisation provenait des paysans les
         plus opprimés. Le parti a préparé et
         initié la collectivisation, des communistes des
         villes l'ont encadrée, mais ce bouleversement
         gigantesque des habitudes paysannes ne pouvait
         réussir que si les paysans les plus opprimés
         étaient convaincus de sa
         nécessité. 
         
         L'appareil du
         parti 
         
          "terrible machine
         totalitaire"?
         
         "Dire que Staline a
         collectivisé par la terreur et qu'il a
         provoqué les excès est faux. La direction du
         parti a fait tout ce qui était en son pouvoir pour
         que la grande révolution de la collectivisation se
         déroule dans des conditions optimales et aux moindres
         frais. Mais elle ne pouvait pas empêcher les
         antagonismes profonds d'éclater comme elle ne pouvait
         pas "sauter" pardessus l'état d'arriération de
         la campagne. 
         
         Pour comprendre la politique du
         Parti bolchevik lors de la collectivisation, il est
         nécessaire de savoir qu'au seuil de l'année
         1930, l'appareil du parti et du gouvernement à la
         campagne restait extrêmement faible - l'exact
         opposé de la "terrible machine totalitaire"
         imaginée par les anticommunistes dans leur
         délire. La faiblesse de l'appareil communiste a
         été une de ces conditions qui ont permis aux
         koulaks de lancer toutes leurs forces dans un combat
         enragé contre la nouvelle
         société. 
         
         Au 1er janvier 1930, on compte
         339.000 communistes sur une population rurale d'environ 120
         millions de personnes ! Vingt-huit communistes pour une
         région de 10.000 habitants(3). Des cellules du parti
         n'existent que dans 23.458 des 70.849 soviets de village et,
         d'après le secrétaire de la région de
         la Volga Centrale, Khataevich, certains soviets de village
         sont "des agences directes des koulaks"(4). Les anciens
         koulaks et les anciens fonctionnaires du tsar, mieux
         formés aux ficelles de la vie publique, ont largement
         infiltré le parti. Le noyau du parti est constitue de
         jeunes paysans qui ont combattu dans l'Armée rouge
         lors de la guerre civile. Cette expérience politique
         a façonné leur manière de voir et
         d'agir. Ils ont l'habitude de commander et savent à
         peine ce qu'éducation et mobilisation politique
         veulent dire. "La structure de
         l'administration rurale était lourde, les lignes de
         commandement confuses, la démarcation des
         responsabilités et des fonctions vague et peu
         définie. Par conséquent, dans l'application de
         la politique rurale, on virait souvent soit vers l'inertie
         extrême, soit vers le style de mobilisation comme lors
         de la guerre civile".(5) 
         
         C'est avec cet appareil, qui
         sabotait ou dénaturait souvent les instructions du
         comité central, qu'il fallait livrer combat aux
         koulaks et à la vieille société.
         "Pour l'essentiel, dit
         Kaganovitch le 20 janvier 1930, nous avons à
         créer une organisation du parti à la campagne,
         capable de gérer le grand mouvement pour la
         collectivisation"(6).
          
         
         Un soutien
         colossal 
         
         La collectivisation de la campagne a
         coupé court à la tendance spontanée de
         la petite production marchande à polariser la
         société en riches et en pauvres, en
         exploiteurs et exploités. Les koulaks, les bourgeois
         ruraux, ont été réprimés et
         éliminés en tant que classe sociale. Le
         développement d'une bourgeoisie rurale dans un pays
         où 80% de la population vivait toujours à la
         campagne aurait asphyxié et tué le socialisme
         soviétique. La collectivisation a
         empêché cela. La collectivisation et
         l'économie planifiée ont permis à
         l'Union soviétique de survivre dans la guerre
         barbare, la guerre totale que les nazis allemands lui ont
         livrée. Pendant les premières années de
         la guerre, la consommation de blé a dû
         être réduite de moitié mais, grâce
         à la planification, les quantités disponibles
         étaient équitablement distribuées.
         Ainsi, entre 1942 et 1944, 12 millions d'hectares de terres
         nouvelles ont été mises en culture en
         Sibérie(7). Les régions occupées et
         ravagées par les nazis représentaient 47% de
         la superficie des terres cultivées. Les fascistes y
         détruisirent 98.000 exploitations collectives.
         Grâce à la supériorité du
         système socialiste, la production agricole a pu, pour
         l'essentiel, rattraper le niveau de 1940 dès
         l'année 1948(8). 
         
         "La
         majorité écrasante des paysans s'est
         montrée très attachée au nouveau
         régime d'exploitation. On en a eu la preuve au cours
         de la guerre, puisque dans les régions
         occupées par les troupes allemandes, et en
         dépit des efforts faits par les autorités
         nazies, la forme d'exploitation kolkhozienne s'est
         maintenue"(9). C'est l'avis
         d'un sympathisant du système communiste, qui peut
         être utilement complété par cet autre
         témoignage d'Alexandre Zinoviev, un adversaire de
         Staline. Enfant, Zinoviev avait été
         témoin de la collectivisation. Il écrit:
         "Lors de mes retours au
         village, et aussi bien plus tard, je demandais souvent
         à ma mère et à d'autres kolkhoziens
         s'ils auraient accepté de reprendre une exploitation
         individuelle au cas où cette possibilité leur
         aurait été offerte. Tous me répondirent
         par un refus catégorique". "L'école du bourg
         ne comptait que sept classes mais servait de passerelle vers
         les écoles techniques de la région qui
         formaient des vétérinaires, des agronomes, des
         mécaniciens, des conducteurs de tracteurs, des
         comptables. A Tchoukhloma, il y avait une école
         secondaire. Tous ces établissements et ces
         professions étaient des éléments d'une
         révolution culturelle sans précédent.
         La collectivisation avait contribué directement
         à ce bouleversement. Outre ces spécialistes
         locaux relativement formés, les villages virent en
         effet affluer des techniciens venant des villes,
         dotés d'une formation secondaire ou même
         supérieure. La structure de la population rurale se
         rapprocha de celle de la société urbaine. Je
         fus témoin de celte évolution dès mon
         enfance. Cette transformation extrêmement rapide de la
         société rurale fournit au nouveau
         système un soutien colossal dans les larges masses de
         la population. Et cela malgré toutes les horreurs de
         la collectivisation et de
         l'industrialisation"(10). Les
         réalisations extraordinaires du régime
         soviétique lui valurent "un soutien colossal" parmi
         les travailleurs et un "dégoût des horreurs"
         parmi les classes exploiteuses."  
         
         LUDO MARTENS 
         
         1) Davis, RW., "The socialist offensif, the
         collectivisation of soviet agriculture", 1929-1930,
         MacMillan Press, 1980, p. 160. 
         
         2) l.ynne Viola, "The Best sons of the fatherland -
         Workers in the vanguard of soviet collectivisation", Oxford
         University press, New York, 1987, p. 215-216. 
         
         (3) Viola, p. 29. 
         
         (4) Davies, p. 226. 
         
         (5) Viola, p.29. 
         
         (6) Davies, p. 225-226. 
         
         (7) Bettelheim, "L'économie soviétique",
         éd. Recueil Sirey, Paris, 1950, p. 83 - 90. 
         
         (8) Bettelheim, p.84. 
         
         (9)Bettelheim,p.113-114. 
         
         (10) Zinoviev Alexandre,"Les confessions d'un homme en
         trop", ed. Olivier Orban, 1990, pp.53,56. 
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