L'INVASION DU CAMBODGE
PAR LE VIETNAM : éléments d'histoire et points de repère.

(Catherine QUIMINAL) -Editions Potemkine 1979-

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D) LA MISE SOUS TUTELLE DE LA RÉVOLUTION CAMBODGIENNE.

    " Ce document rédigé en Vietnamien ne parlait ni de la lutte de classe, ni de la lutte contre les impérialistes américains. Il y est dit que lorsque le Vietnam aura remporté la victoire, il viendra en aide au Kampuchea. Les Vietnamiens ont entrepris dans ce document une attaque en règle contre la conception et la position révolutionnaire du P.C.K. pour que celui-ci renonçât à la lutte révolutionnaire et attendit que les Vietnamiens aient remporté leur victoire qui apporterait automatiquement la victoire du Kampuchea"

    Une telle ligne n'est pas sans rappeler des positions bien connues des révisionnistes: "Seule la révolution dans les pays capitalistes permettrait la révolution dans les pays colonisés"... ou encore la politique du PCF de "Paix en Algérie".
    "En 1968, lorsque le mouvement de la lutte armée fut déclenché au Kampuchea, les Vietnamiens de nouveau s'y opposèrent...
    1) en organisant en secret des groupes anti-parti qui agissaient ouvertement contre le P.C.K.
    2) en organisant en secret des réseaux clandestins dans les rangs du P.C.K. en vue d'activités futures.
    3) en attaquant eux-mêmes directement le P.C.K. "
    Tout ceci est d'autant plus probable qu'on le sait, de nombreux cadres ont été formés à Hanoï.
    Les vietnamiens eux-mêmes ne cachent pas qu'il y ait eu des contradictions:
    "On sait (disent-ils dans "Études Vietnamiennes"), que les relations entre le Vietnam et le Kampuchea pendant les années de la résistance commune à l'agression américaine étaient assez complexes. D'une part, pour vaincre les américains fantoches, le clan Pol Pot-Ieng Sary devait aider le Vietnam et s'appuyer sur lui. Mais de l'autre, il cherchait par tous les moyens à limiter le prestige et l'influence de la révolution Vietnamienne, étouffer l'amitié sincère entre les peuples et les combattants des deux pays" (p 10 Dossier Kampuchea)
    Ce texte, assez arrogant, tout en voulant masquer l'essence des problêmes ne fait que l'affirmer. Les Cambodgiens luttaient de toutes leurs forces pour l'autonomie de leur révolution contre "l'influence de la révolution Vietnamienne". Les Cambodgiens se regroupent autour des communistes qui à l'époque affirment l'importance de compter sur ses propres forces, de donner le primat aux causes internes, de trouver les formes propres, nationales de la révolution.
    Aussi, un des 'crimes' qui leur est reproché par les Vietnamiens est le suivant:
    "Pendant la révolution culturelle prolétarienne en Chine, le petit Livre Rouge fut chaleureusement acclamé par l'équipe dirigeante du P.C.K. qui en autorisait une large diffusion dans les régions sous son influence. Les mesures "originales" que l'on voit appliquées au Kampuchea à l'heure actuelle, à quelles sources s'inspirent-elles sinon dans cette Révolution Culturelle"
    En 1969, nouvelle rencontre des deux partis. Nouvelle opposition. Rencontre entre Pol Pot et Le Duan, Le Duc Tho, Vo Nguyen Giap, Nguyen Duy Trinh. Les Vietnamiens voulaient que le P.C.K. dépose les armes et ceci pour deux raisons, disent les Cambodgiens. Des raisons d'ordre stratégiques:
    " Ils redoutaient que le P.C.K. n'acquit des forces politiques et militaires et des expériences de lutte armée et ils craignaient que les forces révolutionnaires du Kampuchea puissent se développer et se consolider dans tous les domaines.
    D'autre part, les Vietnamiens devaient coopérer avec Lon Nol qui était au pouvoir et ils craignaient de compromettre cette coopération si la révolution au Kampuchea engageait la lutte armée". "Le Duan a dit: il vaut mieux que les camarades du Kampuchea attendent que le Vietnam remporte la victoire. A ce moment-là, nous frapperons d'un seul coup et nous libérerons Phnom Penh".
    Lon Nol était alors premier ministre de Sihanouk, et s'il était un farouche anti-Vietnamien, son souci était beaucoup plus d'anéantir les Khmers Rouges. Il ne serait pas étonnant du tout que tout en tentant de discréditer les Khmers Rouges en disant qu'il n'y avait que des Vietnamiens, il encourageait les contradictions entre Vietnamiens et Cambodgiens. Qu'au moins au temps de Sihanouk les Vietnamiens aient obtenu quelques garanties quant à leur présence au Cambodge, c'est chose certaine. A partir de 70, le fait est plus douteux. Mais pourquoi l'U.R.S.S. a-t-elle reconnu jusqu'au dernier jour le gouvernement Lon Nol, sans reconnaître le FUNK, reconnu lui par les Vietnamiens ? Était-ce un partage des tâches ?
    "Pendant le séjour de la délégation à Hanoï, Le Duan voulait l'amener à établir des relations avec le P.C.U.S... La délégation du P. C.K. a dit à Le Duan que le P.C.K. n'était pas contre l'Union Soviétique. Il travaillait seulement à atteindre son objectif qui était de diriger la révolution du Kampuchea à la victoire. Il ne voulait pas non plus intervenir dans le différent sino-soviétique mais l'Union Soviétique a manifesté son hostilité à l'égard du P.C.K. En effet, en 1964, l'ambassade soviétique à Phnom Penh a voulu créer un autre parti communiste au Kampuchea et a accusé le P.C.K. d'être un parti inepte ayant une ligne absurde. Le Parti Communiste que l'URSS voulait mettre sur pied devait comprendre d'une part, les renégats du temps de la lutte contre les colonialistes français, tels que Sivtteng et Pen Youth qui sont devenus des agents de renseignements à la solde de la clique de Lon Nol, et d'autre part des étudiants de l'Institut Technique Supérieur Khméro-Soviétique de Phnom Penh. Mais en fin de compte, ce parti n'a pu voir le jour faute de soutien populaire."
    En définitive, les contradictions qui opposent le PTVN et le P.C.K. portent sur:
    - quelle lutte une fois l'indépendance formelle acquise ?
    - par quelles méthodes ?
    - quel programme ?
    La réponse des Cambodgiens est:
    - lutte contre l'impérialisme américain et contre la classe la plus exploiteuse : les propriétaires fonciers.
    - lutte armée.
    - compter sur ses propres forces donc prendre l'agriculture comme base.
    Celle des Vietnamiens est:
    - soutenir la neutralité du Cambodge.
    - lutte politique légale contre le régime en place.
    - la victoire des Vietnamiens éliminera l'impérialisme américain et rendra la lutte politique plus aisée.
    Par ailleurs qu'il y ait eu des divergences n'étaient pas très grave en soi. Mais ne pas les accepter, tenter par tous les moyens d'éliminer ceux qui vous sont opposés, faire des pressions notamment sur la question des armes, c'est déjà avoir une politique de domination. On sait que les Vietnamiens ont intercepté des armes envoyées par la Chine aux Cambodgiens.
    "Par ailleurs, la délégation du P.C.K. elle-même n'était pas très unie et avait à faire face à des différents en son sein. Son Ngoc Minh qui résidait au Vietnam en faisait partie. Il s'employait à l'instigation des Vietnamiens à soulever des questions telles que "Comment le P.C.K. pourra-t-il mener la lutte armée s'il n'a ni armes ni munitions ni médecins ni médicaments" La délégation lui a répliqué : combien Ho Chi Minh avait-il de fusils lorsqu'il a commencé à lutter ? ".

IV) LA LIGNE DU P.C.K. S'EST IMPOSEE:
            L'ARROGANCE DES VIETNAMIENS DIMINUE.

    Le 18 Mars 1970, le coup d'État éclate au Kampuchea. Les analyses Vietnamiennes ne tiennent plus: l'impérialisme américain est là. Lon Nol prend le pouvoir. Peu après, les américains envahissent le pays. Par la suite, les américains et les troupes de Thieu ont poussé jusqu'au Mékong et à la route nationale No 4 qui relie Phnom Penh à Kampong Thom.
    Le Comité Central du Parti Vietnamien au Sud-Vietnam vient se réfugier au nord de Stung Trang sur la rive Ouest du Mékong. Les Vietnamiens lançaient leurs opérations contre les américains à partir de Prek Prâsap.
    Les relations entre les deux partis, sans doute face à l'offensive généralisée de l'ennemi, s'améliorent.
    Le 18 Mars, la délégation dirigée par Pol Pot au Vietnam se trouve alors à Pékin. Le prince Norodom Sihanouk a quitté Paris, effectué une visite à Moscou et le 19 Mars, il arrive à Pékin. Pham Van Dong arriva quelques jours après.
    Le 23 Mars, par la voix de Sihanouk, est annoncée la constitution du "Front uni National du Kampuchea" le FUNK. La déclaration en 5 points faite ce jour-là semble être le fait d'une négociation entre la délégation Cambodgienne et le prince Sihanouk, par l'intermédiaire des Chinois. Il s'agit pour les "Khmers Rouges" de rassembler toutes toutes les forces nationales au delà de ce qu'ils appellent les forces démocratiques. C'est ensuite la création du Gouvernement Royal d'Union Nationale du Kampuchea, le GRUNK. et de l'armée de Libération nationale- Forces armées de Libération du Kampuchea (FAPLK).
    Outre le ralliement des forces nationalistes proches de Sihanouk, ce qui veut dire que désormais le Front Uni englobe la quasi-totalité de la population, la constitution du Front Uni permet aux Cambodgiens de pouvoir s'affirmer comme les seuls maîtres de leur libération. La voie "Cambodgienne" triomphe. Le gouvernement comporte 19 ministres - 9 résident à Pékin, ils ont le titre mais aucun pouvoir. Les 10 autres dirigent la résistance, contrôlent le pays, assurent une politique offensive contre Lon Nol et les américains. Khieu Samphan est vice premier ministre chargé de la défense nationale. Hou Yuon ministre de l'intérieur. Rath Samoeurn et Saloth Sar (Pol Pot) dirigent le P.C.K. Sien An devient ambassadeur à Hanoï, leng Sary sera à Pékin le représentant de la résistance intérieure.
    Si à la demande de Sihanouk les Vietnamiens envoient 2000 cadres militaires, les anciens résistants, les officiers de l'armée royale passés au maquis forment et encadrent l'armée qui se lève.
    "Au début nous visions les positions les plus faibles de l'ennemi dans les campagnes, en combinant des attaques militaires menées par des forces constituées et des unités de guérilla, avec des insurrections populaires pour prendre le pouvoir au niveau des villages et des communes".

    - A) RECONNAISSANCE DE L'AUTONOMIE DES 2 PARTIES.

    Durant 2 années environ, la direction du P.C.K. s'étant imposée, les rapports entre Vietnamiens et Cambodgiens semblent se consolider. Le P.C.K. dit aujourd'hui: "Les Vietnamiens avaient un besoin pressant de nous" ? L'unité était sans doute une nécessité du combat. La mobilisation des 2 peuples rendait seule possible la victoire.
    Le 25 Avril 1970, conférence au sommet des peuples Indochinois à l'initiative de Sihanouk. Cf à ce sujet le texte édité à Pékin: "Victoire grandiose de la solidarité militante des 3 peuples d'Indochine"; "S'inspirant du principe que la libération et la défense de chaque pays sont l'oeuvre de son peuple, les différentes parties s'engagent à faire tout leur possible pour se prêter un soutien réciproque selon le désir de la partie intéressée et sur la base du respect mutuel"

    - B) PAS DE PARTAGE DU POUVOIR.

    71, 72, les communiqués de reconnaissance et de soutien abondent. Cependant, à bien les lire, le souci d'indépendance et de reconnaissance réciproque des particularités de chaque État est sans cesse réaffirmée. "Les parties Vietnamiennes et Kampuchéenne affirment que les problèmes de chaque pays d'Indochine doivent être réglés par son propre peuple. C'est là un droit sacré inaliénable. Les 2 parties respectent strictement et soutiennent résolument leur position respective en vue de la solution de leurs propres problèmes conformément aux particularités et intérêts de chaque pays et à la situation générale en Indochine".
                (p103 "Dossier Kampuchea" Hanoi)

    Si ces déclarations étaient nécessaires afin d'affirmer l'authenticité des mouvements de libération nationale à l'opinion mondiale et aux nationalistes Cambodgiens et Vietnamiens, elles indiquent aussi un problème réel. La solution retenue étant celle imposée par les Cambodgiens.
    Mais de nouvelles contradictions surgissent sur le terrain. Les Vietnamiens proposent aux Cambodgiens de créer dans certaines provinces des commandements mixtes Vietnamiens-Cambodgiens dans les villages, les communes, les districts, voire même les hôpitaux. Cette idée partait du fait qu'il existait au Cambodge des lieux où les cadres locaux étaient Vietnamiens. Il s'agissait de pouvoir d'État parallèle notamment dans la zone Nord-Est.
    Les Cambodgiens non seulement refusèrent ces commandements mixtes, mais c'est à ce moment qu'ils lancent un plan de réorganisation administrative et politique éliminant les Vietnamiens des pouvoirs locaux. Cela ne se fera pas sans heurts.
    "En 1972, une véritable bataille rangée oppose près de Siem Reap des unités Khmers Rouges et leurs alliés d'hier qui refusent de quitter la place et d'abandonner les cadres locaux qu'ils ont imposé. L'écho de ces combats va jusqu'à Hanoï où le représentant du FUNK réussit à convaincre Pham Van Dong de donner à ses troupes l'ordre de se replier. L'arrêt des bombardements américains sur le Cambodge en été 73 ne justifie plus leur éparpillement et la majeure partie des 40 000 Nord-Vietnamiens ira lentement réoccuper les zones stratégiques qu'ils avaient quittées en 1970"
                p. Debré ouvrage cité p 145

    - C) REFUS DES NÉGOCIATIONS.

    Le deuxième point d'opposition des années 70-75 surgit au moment où les négociations de Paris se tiennent.
    A partir de 72, les Vietnamiens commencèrent à exercer des pressions sur le P.C.K. pour qu'il engage des négociations pour cesser la guerre.
    "A cette époque les négociations entre Le Duc Tho et Kissinger ont abouti à un accord de principe sur le cessez-le-feu. Le Comité Central du PTVN chargea Pham Hung de négocier avec le P.C.K.... pour qu'il ouvre des négociations. Au mois d'Octobre 1972, les pressions Vietnamiennes se sont faites plus impératives. En effet, les américains et les Vietnamiens ont déjà mis au point le projet des accords de Paris dans ses grandes lignes. La raison pour laquelle Kissinger a refusé de signer les accords en Octobre 1972, c'était le refus du P.C.K. de se soumettre aux pressions Vietnamiennes..." Enfin "Les vietnamiens nous firent savoir que Kissinger a demandé à Le Duc Tho d'informer la partie du Kampuchea que si elle ne cessait pas le feu, les avions stratégiques et tactiques US détruiraient le Kampuchea en 72 heures".
    Le même jour, Lon Nol déclara: "il est demandé à l'autre côté de venir négocier le cessez-le-feu dans les 3 jours. Si l'autre côté ne cessait pas le feu des mesures seraient prises pour le détruire".
Lon Nol
    Les Cambodgiens se refusaient à toute négociation. Pour eux, la paix ne pouvait intervenir qu'après une victoire militaire complète de façon à rendre impossible tout compromis à la fois avec les Vietnamiens et avec les forces conservatrices.
    Sur le terrain, les Khmers Rouges détenaient toute l'autorité sur les maquis et les populations des zones libérées, les 3/4 du pays, notamment toutes les rives du Mékong. Les convois d'armes, de pétrole et de riz ne pouvaient plus ravitailler Phnom Penh.
    "Seul le maréchal Lon Nol, cloué sur une chaise roulante, muré dans sa ville transformée en bunker, protégé par une garde particulière, entouré d'astrologues de mages et de devins continuait à croire à un retournement miraculeux de la situation"
                F. Debré ouvrage cité p 201 ainsi qu'extraits page précédente.

    La chute du régime était proche. Les menaces des américains de détruire le pays étaient peu sérieuses. Par contre, le Prince Sihanouk qui savait que la victoire était proche, probablement sans lui, tentait de convaincre les U.S.A. d'abandonner Lon Nol et de hâter son retour. Finalement, des conversations eurent lieu à Pékin avec John Holdridge, chef de l'United States Liaison Office (USLO). et l'émissaire de Sihanouk.
    Le 30 Mars, les américains forcent Lon Nol à abandonner Phnom Penh.
    "Le 11 Avril, tout était réglé, les U.S.A. acceptaient les exigences de Sihanouk et étaient prêts à participer au "scénario du retour". Sihanouk venait de recevoir de la Maison Blanche le télégramme suivant:
    - le gouvernement des U.S.A. soutient tout projet et initiatives répondant aux aspirations du peuple Cambodgien. Il est convaincu que seul le prince Sihanouk répond aux suffrages unanimes du peuple Cambodgien.
    - le gouvernement des U.S.A. prépare tout ce qui est en son pouvoir pour transférer au Prince Sihanouk et à ses partissans le leadership de Phnom Penh
(...)
    - une fois le transfert du leadership effectué, les U.S.A. exerceront toute leur autorité pour faire accepter les exigences politiques du prince. "
                F. Debré p 209

    leng Sary, représentant de la résistance à Pékin était au courant de ce qui se tramait. De tout côté, on voulait arracher la victoire au peuple Cambodgien.
    Quel intérêt aurait-il eu à négocier, et avec qui ?
    "Si le P.C.K. cessait le feu ne serait-ce qu'un jour, la clique Lon Nol aurait l'occasion de reprendre du souffle. Si le P.C.K. poursuit le combat, les américains et la clique Lon Nol ne pourront transporter que 20 à 30% de leurs besoins en armements et en vivres... Par ailleurs, un cessez-le-feu sèmerait la confusion dans la détermination de lutte du peuple et de l'armée révolutionnaire du Kampuchea .
    D'autre part, dans la géographie politique de l'ensemble de l'Asie du Sud-Est le Kampuchea jouait un rôle-clé. Si la révolution du Kampuchea acceptait un cessez-le-feu, la clique Lon Nol pourrait alors élargir la zone sous leur contrôle, avoir plus de population, s'étendre davantage jusqu'à ce que la révolution s'effondre. Si la révolution du Kampuchea continue sa lutte et sa marche en avant, elle serait en mesure quelle que soit la situation, d'apporter sa contribution au développement de la situation révolutionnaire en Asie du Sud-Est".
    Pour les Vietnamiens, c'était un échec. Ils montraient notamment aux États-Unis qu'ils n'étaient pas les maîtres au Cambodge. La révolution Cambodgienne affirmait son indépendance et la possibilité de voie différentes dans la manière de mener un mouvement de libération à la victoire contre les U.S.A. Le 17 Avril ils pénètrent dans Phnom Penh. Le 12 Avril les américains avaient évacué leurs conseillers, leur manoeuvre avec Sihanouk avait échoué, seuls quelques maréchaux attendent encore le Prince. Ce sont les Khmers Rouges qui libèrent la capitale. Les Khmers Rouges, c'est-à-dire les révolutionnaires Cambodgiens ayant rompu toute dépendance à l'égard des Vietnamiens. Ceux qui refusent de passer de l'hégémonie américaine au social-impérialisme, à l'hégémonie Soviétique prennent le pouvoir.
    Et l'on assiste, sans doute pour la première fois dans l'histoire, à la tentative, par ceux qu'on pourrait appeler les pro-Vietnamiens - comme on dit les pro-soviétiques - avec l'appui des Vietnamiens sinon à leur initiative, de récupérer le pouvoir dont leur incapacité à mener une lutte de libération nationale indépendante les avait évincés.
    Il ne reste plus comme armes aux réactionnaires de tous poils que les assauts ignominieux de la presse et de la propagande.

    -D) LES DIFFICULTÉS DE LA VICTOIRE.

    Terreur, massacres, déportation; on crie au scandale. D'un seul coup de propagande on voudrait faire oublier les atrocités perpétrées dans toute la région par les américains. Phnom Penh a été vidée. C'es sans doute vrai. Mais qu'était Phnom Penh ?
    Très vite après les débuts de leur intervention, les américains ne tenaient plus qu'1/l0ème du pays. En 73, ils passent, tactique bien connue, à la khmérisation de la guerre. Mais là, pas de "hameaux stratégiques" de concentration de population. Dès qu'un village était prêt à tomber, l'armée ramenait la population vers Phnom Penh. Là pas de travail. Les jeunes hommes étaient immédiatement enrôlés dans l'armée, et comme ils étaient mal payés, dès qu'ils avaient une arme entre les mains, ils la vendaient. Quant aux familles, on leur distribuait de temps en temps du riz. Misère, maladie, mort, était monnaie courante dans ces camps de réfugiés. Et ce n'était pas quelques poignées de gens, mais des millions. De 600 000 habitants en 70, Phnom Penh était passée à 3 millions !! Il y a en tout environ 7 millions d'habitants au Cambodge.
    Lorsque les Khmers Rouges arrivent, ils trouvent donc une situation catastrophique. Catastrophique en ce qui concerne la population.
    Comment la nourrir ? Le problème était de taille, les américains le savent bien, eux qui ne réussissaient pas à enrayer la famine malgré les 40 000 tonnes de riz qu'ils faisaient parvenir à Phnom Penh.
    Les révolutionnaires Cambodgiens avaient prévu la chose. Les paysans des zones libérées avaient préparé depuis longtemps l'accueil des populations urbaines, bien sûr, il y avait les nombreuses régions bombardées, mais l'accueil était prévu: il fallait partir.
    Comment s'est fait le départ. Écoutons le témoignage de 2 coopérants français à Phnom Penh.
    "Un groupe de maquisards passe devant la poste et dit 'il faut partir'. Si on ne les écoute pas, on en voit passer un deuxième qui répète ,il faut partir', puis un 3ème... et ainsi de suite toute la journée, toutes les heures la même phrase. Jusqu'au jour où le quartier doit être totalement vide: alors, prêt ou pas, il faut partir tout de suite. Mais même à ce moment là, pas une brutalité, pas une vexation. Dans les rues où marchent d'un côté les gens à pied ou ceux qui poussent un véhicule, où roulent de l'autre ceux qui ont encore de l'essence et de la place dans leur automobile, il est difficile de se frayer un chemin. Des jeeps, des camions chargés de maquisards suivent ou croisent lentement, sans bousculer personne, sans même klaxonner. Cela ne laisse pas de surprendre, dans cette ville où régnaient en maître les militaires d'un temps révolu qui imposaient leur passage tous phares allumés, klaxon bloqué et même trop souvent à coup de rafales de mitraillettes lorsqu'ils n'entraient pas à toute volée dans la circulation, grillant délibérément tous les feux rouges".
                (Phnom Penh libérée de Jérôme et Jocelyne Steinbach p 41 Ed. Sociales)

    Mais dans cette ville d'horreur, il n'y a pas que l'immense majorité de la population pour qui l'entrée des maquisards était la libération. Il y a aussi les autres. Ceux qui ne se sont pas enfuis à temps. Soit qu'ils attendaient Sihanouk, soit qu'ils avaient quelques missions déléguées par le CIA. Sabotages et attentats se multipliaient: incendies, centrales électriques, station d'épuration de l'eau, banques attaquées.
    De véritables réseaux de la contre-révolution avaient été organisés. Ils agissaient encore, et tentaient de rendre sanglante la libération de Phnom Penh.
    "On peut imaginer leur dépit lorsqu'ils ont perdu tout moyen de se dissimuler dans une ville déserte, le désarroi de leurs agents aujourd'hui disséminés à la campagne, immobilisés dans une des 30 000 coopératives"
                Phnom Penh Libérée p 44

    Que tout ceci ne se soit pas passé sans heurts est évident. Aller gagner son pain à la campagne, le produire, quand on a été un parasite pendant plusieurs années, on ne le fait pas toujours de bon gré.

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suite pages 38 à 45 è

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