la lutte idéologique au sein du PCML de 1985 à 1986

6e Congrès du PCMLF créant le PAC -Parti pour une Alternative Communiste-

Lettre de Jacques Jurquet sur le Congrès du 21 juin 1986 à Dammarie-Les-Lys

Chers Camarades,

Voici les propos que j'ai tenus le 21 juin devant ce Congrès dans le cadre de la discussion générale sur le texte proposé comme "résolution politique", après le rapport des secrétaires parisiens. ( de mémoire et donc "en substance" )
" A Marseille nous sommes particulièrment concernés par la montée du racisme et du fascisme. Ce courant très inquiétant était déja évident avant les élections législatives du 16 mars dernier. Je l'avais exposé devant le CC, mais à l'époque nos dirigeants parisiens adoptaient ou presque l'attitude des dirigeants socialistes minimisant (objectivement) l'importance du Front national de Le Pen.
Les deux mamelles du fascisme sont le racisme et l'anticommunisme. Depuis maintenant plusieurs années le double développement de ces deux composants a bénéficié du laxisme des grands Partis "de gauche", même si le PCF a parfois dénoncé dans les attaques constantes dont il est l'objet un anticommunisme systématique. Mais ce parti ne s'en plaint qu'en raison des coups que ces campagnes lui portent sur le plan électoral. Alors que l'anticommunisme porte beaucoup plus loin, contribuant à diviser et annihiler la force propre à classe ouvrière. Le PCF a de lourdes responsabilités à ce sujet. Quand la classe ouvrière et ses organisations sont affaiblies, et que la droite classique est elle-même en difficulté, alors la voie est largement ouverte au fascisme. Je ne dis pas que le processus de prise du pouvoir par des forces fascistes est imminent, mais que l'histoire nous enseigne qu'il faut être extrêmement vigilant quand les forces représentatives de courant fasciste atteignent les scores électoraux que nous avons pu constater à Marseille et même dans toute la France.

Vous avez inventé le concept de "pont" pour définir la fonction du PAC vis-à-vis d'autres forces politiques de gauche ou de l'ex-extême-gauche. Le contenu idéologique de votre "pont" est conciliateur et erroné.
Dans les collectifs où j'interviens, je ne joue jamais le rôle de "pont". Mais j'essaye d'avancer des propositions qui donnent à des idées que j'ai toujours défendues en tant que communiste un rôle dirigeant. C'est seulement ainsi que je peux influencer dans un sens positif les autres organisations, les autres militants. C'est ainsi seulement que l'on aboutit à des décisions et actions communes et concrètes allant dans le bon sens.
Par exemple, l'an dernier, au sein du Collectif antifasciste du 29 juin, il m'a fallu lutter contre les positions de la LCR, qui, par opportunisme, se soumettait à l'exigence des socialistes pour que nulle critique ne soit faite dans l'intervention centrale commune aux mesures du gouvernement, à un moment où les décisions de Georgina Dufoix comportaient de graves atteintes, déjà, aux droits humains des travailleurs immigrés (comme l'interdiction pratique du regroupement familial par exemple). A force de lutter au sein des trentes associations présentes, au lieu de "faire le pont", j'ai finalement obtenu gain de cause.

Le PAC central ne ma servi à rien ou très peu. Le défaut du PAC central, comme du PCML central au cours des dernières années, est l'absence quasi constante de directives d'actions concrètes et de caractère national. On débat beaucoup, mais on n'agit pas ou peu. Et quand il a action concrète, la plupart du temps, le mérite en revient aux camarades de la base, localement ou régionalement.

Bauby accuse dans le Monde le PCF d'être gauchiste. Je ne suis pas d'accord. Cette appréciation est celle des milieux socialistes. Je peux critiquer certaines méthodes du PCF, mais il n'est nullement gauchiste. Sa tendance historique est d'être opportuniste de droite. Mais depuis sa sortie du gouvernement, il a essayé de corriger.
Quand les militants communistes de la CGT poussent actuellement à des grèves et autres formes de luttes revendicatives, sont-ils gauchistes ? Nullement.
Quand le PCF, par son organisation de JC, fait manifester 25000 jeunes contre le racisme et le fascisme de l'apartheid en Afrique du Sud, à Bobigny, est-il gauchiste ? Nullement.
Quand le PCF, dans le cadre de l'appel des cents qu'a signé Bauby, organise le rassemblement national pour la paix, contre les armes nucléaires, est-il gauchiste ? Nullement.
Mais vous affirmez aussi que le PCF identifie la droite et le Parti socialiste. Les dirigeants socialistes disent même que les communistes leur réservent plus de coups qu'à la droite. Or c'est faux. A plusieurs reprises, MARCHAIS lui-même a démenti cette version. Il a souligné que le PCF ne confond nullement la droite et le PS, mais que par contre le PS a fait le lit de la droite. Il se peut que les militants de base sectaire du PCF mettent sur le même plan droite et PS, mais ce n'est pas la ligne réelle du PCF. Vous pouvez être assurés que ce Parti n'hésitera pas, le moment venu, à repasser des accords électoraux avec le PS. D'ailleurs à Marseille, tel est déja le cas à la Mairie, par delà les discours publics, la coopération socialo-communiste est effective. J'ajoute que je ne vois pas comment les uns et les autres pourraient agir autrement. L'affirmation de Bauby, publiée dans le Monde est donc parfaitement subjectiviste et correspond à la propagande anticommuniste développée par le PS. En tout cas elle ne repose pas sur la réalité.

Pierre Bauby a encore orienté tout ce Congrès vers l'assurance que l'alliance avec le PS est incontournable. Or c'est là encore totalement inexact. Il peut y avoir des actions convergentes ponctuelles, quand le PS adopte, sous la pression des masses et de ses militants de base, des positions positives. Mais c'est très rare. Des alliances sont possibles et efficaces à l'heure actuelle avec le très large courant de l'opinion ouvrière et populaire que la politique du PS a indigné et qui n'a pas confiance dans la politique, même rectifiée, du PCF.
Mieux, dans certaines circonstances, les dirigeants PS peuvent prendre des initiatives dont les réalités les dépassent. Ainsi la semaine dernière à MARSEILLE, ayant invité au colloque d'Echanges Méditerranée, des militants comme Samir AMIN ou Gustave MASSIAH, ceux-ci, sans la nommer, ont recouru à une analyse fondée sur la théorie de MAO sur les trois mondes, de manière remarquable, ... sous la présidence du Premier adjoint socialiste de la ville, CORDONNIER !
Ceci prouve que si je récuse l'idée que l'alliance avec le PS est incontournable, c'est essentiellement parceque vous n'en faites pas l'application concrète résultant des enseignements de MAO : vous ne pratiquez que l'alignement, critique de façon verbale, mais vous ne recourez pas à la pratique de l'unité combinée avec la lutte. En dehors de cette tactique, vous ne pouvez rien obtenir et vous ne conduisez les militants du PAC qu'à l'opportunisme néfaste et désagrégateur. Le PAC disparait peu à peu, et la plupart de ses adhérents n'aura finalement plus aucune raison de ne pas rejoindre le PS, "incontournable" !

Il Importe de partir des réalités politiques et sociales et économiques de la situation actuelle en France et dans le monde. Presque trois millions et demi de chômeurs, une politique réactionnaire tous azimuts que la politique opportuniste et de gestion du capitalisme des socialistes a rendue inéluctable. D'ailleurs la politique de "cohabitation", qu'est-ce que c'est, sinon l'union objective des dirigeants socialistes avec les réactionnaires dans de nombreux domaines.

Vous voyez que je suis en désaccord avec toute votre orientation vers le Parti socialiste, même si vous la dissimulez, de bonne foi, sous une phraséologie critique de gauche. Entre le verbe et l'action, il n'y a pas vraiment concordance depuis des années. L'excellent numéro de Prolétariat que vous aviez réalisé sur la social-démocatie n'établissait nullement que l'alliance avec le PS était incontournable, non ?

Pour conclure, bien que j'aurai énormément à vous dire encore, je vous fais savoir que ma position de rester ou non dans ce PAC dépendra des résultats de ce Congrès et que je tiendrai compte de la position des camarades de MARSEILLE.
Je fixerai ma position définitive à la fin. Il est tout à fait possible que je ne reconnaisse pas du tout dans vos positions et que je suive les camarades de MARTIGUES et de GRENOBLE, déja précédés par de nombreux militants qui sont partis sur la pointe des pieds un peu partout dans le pays.
Je suis communiste depuis ma jeunesse et ne me laisserai jamais entrainer vers la social-démocratie, ce qui ne signifie pas que je sois sectaire ou dogmatique, car je sais distinguer stratégie et tactique, et je sais aussi distinguer les militants socialistes ou PCF avec lesquels je peux faire un bout de chemin utile. Toute mon activité militante en cours à MARSEILLE en témoigne et les résultats positifs obtenus ne peuvent que me conforter dans mon point de vue fondamental.

21 juin 1986

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