Article de PARTISAN n°128 (mars 1998).

ANTI-PS et ANTI-CAPITALISME


Dans le numéro précédent de partisan, l'analyse du mouvement des chômeurs et de ses limites politiques contient en fait deux propositions tactiques, une dominante : axer sur la dénonciation du gouvernement ; et une autre sous-jacente : définir une politique ouvrière qui dénonce celle du gouvernement et propose au mouvement une autre orientation. On comprend mieux quelles sont nos tâches si on les distingue :

DEUX TACTIQUES SUPERPOSEES

* A l'appui de la première, des phrases comme "
la faille se trouve dans les illusions sur le gouvernement" " Leur demander de "changer leur politique" ne suffit pas, il faut les virer et prendre le pouvoir à leur place "

* Comme exemple de la seconde, "
pour beaucoup d'entre nous, le gouvernement est démasqué. Clairement, il n'est pas dans notre camp". "nous voulons les 32 heures tout de suite,...,non pas parce que ce serait une quelconque solution au chômage dans le cadre actuel...Nous voulons du travail pour tous,...un autre travail,...un travail enrichissant...".

Alors, où est "la faille" ? quel est l'aspect principal des faiblesses du mouvement : les illusions sur le gouvernement, ou le manque d'orientation de classe ? Le dernier numéro choisit clairement la première réponse, et mon analyse du mouvement et de nos tâches me poussent à la seconde.

Que se soit clair, les deux aspects existent et sont évidement liés : l'absence de perspective favorise les illusions sur le gouvernement, les illusions sur la "gauche" évitent de se poser la question de l'alternative dans de bons termes. On doit donc et clarifier où se situe le gouvernement, et faire des propositions anti-capitalistes. Mais quel aspect doit-on principalement saisir ?

PEU D'ILLUSIONS CHEZ LES PARTICIPANTS...

Ce que j'ai perçu des chômeurs que j'ai vu investis dans le mouvement (en région parisienne), c'est un manque d'illusions dans le gouvernement dont il n'attendent rien de bon. Ainsi, lors de l'occupation EDF à Paris 18ème, plusieurs refusaient même d'écouter le discours de réponse de Jospin en direct à la télé. Parmi les occupants d'Ulm et ceux qui continuent les AG parisiennes à Jussieu, il y a aussi un rejet clair du gouvernement. Il est dans le camp des ennemis. Partisan reconnaît d'ailleurs que "
pour beaucoup d'entre nous, le gouvernement est démasqué". Pour moi, il y a des gens intéressant "entre nous", pas tellement ceux qui se désintéressent de Jospin, mais ceux qui luttent sans rien attendre de bon du gouvernement.
Je crois dans cette affaire qu'on a confondu deux choses : les mouvements réformistes organisés qui dirigeaient le mouvement (PC, Verts, majo de la LCR) et le réformisme spontané des chômeurs et des participants investis. Les illusions des premiers ont pesé sur l'arrêt du mouvement, c'est évident. Mais est-ce vrai pour les illusions qui restent parmi les autres ? Est-ce cela qui les a empêché de poursuivre le mouvement contre sa première direction ? Je crois que non.

...MAIS QUELLE CONSCIENCE ANTICAPITALISTE ?

Quand les chômeurs réclamaient le relèvement des minima sociaux, c'était explicitement parce qu'ils n'espéraient pas du travail de la gauche, et exprimaient leur besoin de vivre, même sans travail. Donc, pas vraiment, d'illusion envers une soi-disant gauche différente de la droite de ce côté. Et quand Jospin a proposé comme débouché son réalisme économique à la Juppé (ma politique est la bonne, je n'en changerai pas) et les futurs débats sur les 35 heures et l'exclusion comme os à ronger, on ne peut pas dire que la base du mouvement a mordu à l'hameçon et que le mouvement s'est éteint sur ces espoirs. Le mouvement est mort (sous sa forme première) parce qu'il n'avait pas les forces politiques et numériques (après le départ de ceux qui voulaient ménager le gouvernement) pour continuer, en fait parce qu'il n'avait pas de direction alternative à ceux qui désertaient.
Il ne s'agit pas de prétendre que le mouvement s'était à la base miraculeusement défait du réformisme qui imprègne le reste de la population. Bien sûr que ce n'est pas si pur. Il s'agit simplement de constater que si ce réformisme diffus a été l'élément essentiel qui explique l'échec du mouvement, il ne l'a pas été à cause des illusions envers le gouvernement, mais des limites de sa compréhension du caractère de classe (anticapitaliste) du combat.

On peut penser que la critique du caractère capitaliste du gouvernement est une manière directement politique de faire comprendre cela. C'est en parti vrai, oui. Mais c'est aussi ne pas mener de front notre travail principal de l'heure : relever ce qui dans le mouvement avait le caractère de classe le plu élevé et le généraliser comme direction politique. Ce travail de tri, Partisan ne l'a pas assez fait, justement parce qu'il n'était pas clair sur l'axe à saisir.

Posons la même question autrement : quel est le camarade le plus à même de diriger justement le mouvement : celui qui n'a plus d'illusions sur le gouvernement mais ne sait pas où aller, ou celui qui est assez clair sur comment orienter le mouvement, même s'il s'illusionne encore un peu sur les capacités de la gauche à le satisfaire ? Le deuxième, bien sûr. C'est à lui principalement qu'on va s'adresser, pour l'aider à proposer une orientation de classe au mouvement. Et au cours de cet apprentissage, ses illusions sur le gouvernement tomberont peu à peu et nous l'y aiderons (surtout pour en comprendre la logique de classe). Alors, "équipé" d'une orientation et d'une claire vision des ennemis à combattre, il construira un vrai mouvement anticapitaliste.

SE SITUER DANS LES DEBATS

Ainsi, tant qu'il n'existera pas de perspective de classe mobilisatrice, il restera des illusions sur un gouvernement de gauche comme "moindre mal". Par contre, ne plus avoir d'illusions sur le gouvernement n'offre pas, en soi, de perspective. Cette désillusion est-elle une condition nécessaire à l'affirmation d'un point de vue de classe ?

Nous savons que c'est dialectique, que le rejet du réformisme est d'autant plus fort qu'il s'enracine dans une autre politique. Là où l'on s'aperçoit des limites de la politisation du mouvement des chômeurs, c'est que quand Jospin a repris l'initiative sur les projets de lois sur l'exclusion et les 35 heures, le mouvement s'est mis en attente. Non par illusions sur ces lois, mais par incapacité à en faire une critique de classe, le rattachant à l'ensemble des luttes et à la situation du capitalisme.

Voilà où est notre tâche principale. Comme le dit un article : faire la jonction entre le mouvement des chômeurs et les luttes des travailleurs contre la précarité, les licenciements,... et en montrer les racines dans le capitalisme (ce qui est d'ailleurs fait dans l'extrait de plate-forme de VP citée dans l'article "Partager le travail, c'est changer le travail" du même numéro de partisan). Cela permet d'ailleurs d'avancer l'idée de révolution comme alternative, avec un contenu. La critique du gouvernement devient alors une tâche secondaire (mais nécessaire), parce que les deux camps sont délimités sur le fond.

Cela permet aussi de construire notre camp en se situant à l'intérieur des débats qui s'y passent.
- Il y a ceux qui trouvent la société assez riche pour proposer de vivre en se servant.
- Il y a ceux qui font le lien chômage/capitalisme, mais n'offrent pas une perspective ouvrière (banderole à une manifestation "
nous voulons un boulot de merde payé des miettes").
Ces idées ne sont pas dominantes ni chez les chômeurs, ni parmi les travailleurs, mais c'est la polémique avec elles qui nous permettent d'avancer notre conception du camp ouvrier et de construire une alternative de lutte communiste. Et peut-être alors l'organisation VP aurait-elle pu impulser une série d'actions sur ses bases à elles, comme construction pratique et organique de ce camp, et expérience directe de sa ligne. Une occupation Assedic à côté d'une usine où nous intervenons par exemple.
En tout cas, les propositions actuelles des organisations du mouvement (y compris CGT) sur les marchés en province ou la manif du 7 mars confirment la nécessité d'une telle politique : leur suivisme par rapport au gouvernement ne les empêche pas de proposer une suite aux actions de janvier. C'est en argumentant sur le contenu qu'elles proposent à la lutte qu'on montre qu'elles canalisent en fait le mouvement derrière le gouvernement et que ce gouvernement a lui-même une politique anti-ouvrière. Par contre, si on ne critique que leur mollesse vis-à-vis du gouvernement, on les laisse en fait diriger la lutte sur leur contenu !
Dernier aspect : proposer une alternative politique de classe aurait permis d'éviter de poser la question du pouvoir comme étant la tâche de l'heure ("
il faut prendre le pouvoir à leur place"), mais permis de la poser comme elle se pose : travailler aujourd'hui à la construction d'un parti communiste, pour se donner les moyens de renverser le pouvoir de la bourgeoisie et en inventer un autre.

En conclusion, une politique de classe contient la critique du gouvernement de la fausse gauche, et non l'inverse. Et tactiquement, dans ce mouvement, c'est cette politique anticapitaliste qu'il faut impulser comme axe principal. Cette politique de classe, pour préciser, c'est donc:
la critique des projets gouvernementaux 35h/Exclusion comme projets capitalistes .
Des propositions D'axes, de luttes et D'organisation pour rapprocher le mouvement des chômeurs et les travailleurs (centrées il me semble sur la lutte contre la précarité).
Le lien avec la perspective D'une société fonctionnant sur D'autres règles.
La nécessité de s'organiser indépendamment de la soi-disant gauche et de ses relais pour y parvenir.

RENE FRANKEL

 

 

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