Article de
PARTISAN n°128 (mars 1998).
Depuis la loi aubry et les cris de scandales du patronat, c'est le
silence. Le projet est passé tranquillement au parlement sans
réactions syndicales, et l'actualité a
été occupée tant par les menaces de bombardement
de l'Irak que par le mouvement des chômeurs. Tiens, au fait :
chômage et réduction du temps de travail, c'est quand
même un lien évident, non ? Et pourtant, rien. Passons
en revue ce qu'en disent nos confédérations...
LA CFDT EST UNE DES PLUS FAROUCHE PARTISANE DE LA LOI ROBIEN
Elle ne cesse de vanter les mérites, aujourd'hui encore, des
1500 accords Robien signés jusque là. Elle
défend donc aujourd'hui la totalité du contenu de la
loi :" La CFDT retrouve avec
satisfaction les quatre grands principes qu'elle a toujours
défendus et qui figuraient déjà dans la loi
Robien :
-une réduction du temps de travail massive pouvant aller
jusqu'à 32 heures -un financement collectif -des obligations
de créations ou de maintien d'emplois -un passage
obligé par accord"
(CFDT Magazine, janvier 1998). Et la CFDT n'hésite pas
à aller très loin dans le sens du patronat, pour le
rassurer à l'instar du gouvernement : "Il faut également expliquer que les 35
heures ou les 32 heures hebdomadaires ne signifient pas que la
réduction du temps de travail doit être exclusivement
conçue sous l'angle de la semaine, mais qu'au contraire il
s'agit de raisonner les 35 heures par semaine en moyenne sur
l'année, voire sur une carrière.
D'où l'importance des négociations de branche ou
d'entreprise pour définir les meilleurs ajustements possibles
entre l'intérêt des salariés et
l'intérêt des entreprises qui ont le légitime
souci de faire valoir leur
compétitivité"
(CFDT Magazine, novembre 1997) Ou encore : "La CFDT est prête à
négocier pour aboutir à des accords sur les 35 heures,
voire les 32 heures, réparties sur la semaine, le mois,
l'année, la carrière. L'objectif est de créer de
nombreux emplois, de répondre aux aspirations des
salariés et de renforcer l'efficacité des entreprises.
Alors que se développe une mauvaise flexibilité (
heures supplémentaires, temps partiel contraint, contrat
à durée déterminée, etc...), il est temps
de négocier avec les employeurs un "donnant-donnant" positif .
Oui à une meilleure compétitivité des
entreprises, mais pas par n'importe comment et pas toujours [sic !)
au détriment des salariés et de
l'emploi." ( CFDT Magazine,
décembre 1997).
Notat, Aubry, Gandois, même combat ! Entre une " bonne "
flexibilité syndicale à la sauce Robien ou Aubry et une
" mauvaise " flexibilité à la sauce patronale, cherchez
la différence !
L'OPPOSITION "CFDT EN LUTTE" ADOPTE UNE ATTITUDE MOINS
CARICATURALE
Elle " enregistre avec
satisfaction qu'enfin une loi-cadre fixe une date butoir pour
l'application des 35 heures (...) et qu'une application plus rapide
est nécessaire pour éviter que les gains de
productivité n'atténuent l'ampleur de la
création d'emplois". Elle émet des réserves sur
l'embauche correspondante ( qui doit être équivalente
à la réduction du temps de travail), à l'aide
indifférenciée aux entreprises, au report à 2002
pour les PME ("les salariés de ces entreprises doivent
bénéficier du progrès social (sic !) au
même titre que les autres"), exige des négociations
identiques dans la fonction publique, et "sera vigilante contre tout
ce qui irait à l'encontre de l'emploi : développement
de la flexibilité de l'annualisation, du temps partiel
contraint etc..." En
conclusion CFDT en lutte résume sa position : "
une opportunité est
ouverte pour une avancée vers la réduction du temps de
travail pour créer des emplois. La mobilisation des
salariés et des chômeurs, l'unité d'action des
organisations syndicales sont maintenant nécessaires pour
engranger des résultats" . (communiqué du 10/10/1997).
Autrement dit, le gouvernement à fait son boulot, et pas trop
mal, à nous de jouer pour peser dans le bon sens.
C'est un contresens total sur la loi et son objectif. C'est un
raisonnement qui se situe dans la perspective du gouvernement et qui
cherche, une fois de plus, à ménager la chèvre
de l'exploitation capitaliste et le chou des intérêts
des travailleurs sous la forme un peu plus radicale de la
mobilisation. Mais dans cet état d'esprit, cette mobilisation
ne pourrait servir qu'à détourner les travailleurs de
leur indépendance véritable, à les mettre
à la remorque des partis réformistes. Finalement rien
de très différent de la CGT, du PC ou des VERTS !
POUR LA CGT, LA LOI "VA DANS LE BON SENS"
Il faut maintenant l'intervention des travailleurs. "Une source de confiance pour agir
vite", titrait la CGT
à l'issue de la conférence d'octobre. Mais agir, dans
quel sens ? Lors de la conférence d'octobre, Viannet
s'opposait à la précarité et au temps partiel,
mais n'était pas opposé à la négociation
au cas par cas: " nous sommes
évidemment disponibles pour engager de suite des
négociations quant aux conditions de la mise en oeuvre, dont
nous savons qu'elle ne peut être ni uniforme, ni
appliquée partout de la même
façon". Ah, bon ? Et
pourquoi donc, sinon à cause des exigences de la
production...capitaliste ? D'une manière
générale, la CGT reste assez floue sur le contenu
(probablement pour ne pas trop gêner le gouvernement), tout en
mettant en avant la nécessaire mobilisation pour faire avancer
les choses, dans ce cadre ("Ensemble et unis pour peser de toutes nos
forces !"). On retrouve
finalement les mêmes positions que CFDT en lutte.
L'EVOLUTION DE SUD-PTT EST LA PLUS INTERESSANTE
Elle est la plus symptomatique de la période dans laquelle
nous vivons. Qu'on juge des évolutions à partir de
quatre tracts :
"Réduire massivement le
temps de travail: un engagement doit être tenu
!" (tract 01/10/97)
"Réduction du temps de
travail : le CNPF ne doit pas faire la loi, l'Etat doit donner
l'exemple !" (tract 22/10/97)
"Projet de loi sur les 35
heures: à revoir ! Le contenu du projet de loi sur les 35
heures ne répond pas aux exigences de la situation
économique et sociale. Il faut maintenant construire une
mobilisation unitaire des salariés et des chômeurs pour
que le gouvernement modifie profondément son projet de
loi (tract 08/12/97) Et
aujourd'hui : "35 heures : la
loi du plus fort. Il n'y à rien à attendre des
compromis "réalistes" entre la gauche plurielle et le
patronat" (tract SUD-La Poste
de janvier 98). En à peine trois mois on passe du soutien
à peine critique au gouvernement à la
démarcation franche ! Voilà qui reflète les
évolutions de certains syndicalistes combatifs, encore
illusionnés par la gauche, mais sensible au mouvement social,
à la mobilisation des chômeurs et suffisamment
honnêtes pour accepter la réalité en face.
Reste à en tirer toutes les conclusions: "A nous d'être les plus
forts" conclut le dernier
tract de SUD-PTT. Certes, mais pour cela la lutte immédiate
suffit-elle ? Ou ne faut-il pas, un peu plus, une claire conscience
des enjeux et de l'état de la société dans
laquelle nous vivons?
DES SYNDICATS PIEGES DANS LE SOUTIEN CRITIQUE
Globalement, depuis le débat à l'assemblée, on a
bien l'impression que l'attitude générale du mouvement
syndical est désormais d'attendre le débat entreprise
par entreprise, ou branche par branche, selon la vieille tactique de
la division "au cas par cas".
Notons que c'est déjà rentrer dans la logique du
patronat et de la loi, qui récuse toute règle globale
pour la réduction du temps de travail. De même, c'est
empêcher le lien avec le mouvement des chômeurs, et la
construction d'une unité de classe, actifs et chômeurs
réunis, autour d'un mot d'ordre qui favorise l'unité et
la construction d'un camp solide.
Cette attente "au cas par cas" nous entraîne à la
défaite.On ne compte plus les luttes partielles contre la
flexibilité et la précarité, contre les
restructurations et les plans sociaux, mais aucune unité ne se
construit. La responsabilité des confédérations
syndicales, et des courants qui se disent critiques en leur sein, est
énorme : abandonner le combat pour la réduction du
temps de travail, comme revendication de classe, accepter de
déraper sur le terrain de la division, c'est porter une lourde
responsabilité dans la défaite à venir.
Plus que jamais le mot d'ordre doit être
ENSEMBLE TRAVAILLEURS ET CHOMEURS,
REDUCTION MASSIVE DU TEMPS DE TRAVAIL A 32 HEURES
SANS PERTE DE SALAIRE, SANS PRECARITE, SANS FLEXIBILITE
ET AVEC EMBAUCHE CORRESPONDANTE !
OU SONT PASSEES LES ASSOCIATIONS DE CHOMEURS ?
A l'heure où nous écrivons se prépare pour le 7
mars une manifestation de plus contre le chômage et
l'exclusion, à l'initiative des quatre que sont AC!, le MNCP,
l'APEIS et la CGT chômeurs. Dans l'affiche d'appel, dans les
journaux, dans les mots d'ordre, la réduction du temps de
travail est absolument absente. Il faut aller chercher en fin de page
d'un journal d'AC! pour avoir un petit article sur le projet de loi
sans aucun lien avec le mouvement actuel.
Ceci est absolument extraordinaire si l'on se souvient de
l'importance des débats sur ce sujet dans AC! Voilà
deux ans de travail passés à la poubelle de l'histoire,
au nom du consensus, du refus d'attaquer le gouvernement et de la
réduction des revendications au minimum acceptable : il ne
s'agit plus que de "partager les richesses", plus aucune remise en
question de l'exploitation ! Il y a 150 ans, le manifeste du parti
communiste considérait que la nouvelle société
se devait d'être un partage des richesses, et l'abolition des
classes !
Voilà aujourd'hui où nous en sommes revenus, du fait de
la direction des associations, qui ont toujours refusé
l'orientation clairement anticapitaliste nécessaire. D'une
certaine manière, le "tous ensemble", pour positif qu'il soit,
a aussi provoqué l'alignement sur les revendications les plus
en retrait des chômeurs, c'est à dire quelques miettes
de plus.
Certes, la situation catastrophique des chômeurs rend
nécessaire ces mesures d'urgence. C'est d'ailleurs pour cette
raison, au sein de AC! que la réduction du temps de travail a
été mise en retrait. Depuis le début, deux
orientations se sont affrontées au sein du mouvement des
chômeurs:
* L'une, qui triomphe actuellement, encouragées par tous ceux
qui veulent ménager la gauche au gouvernement (et au premier
chef la LCR), qui considère qu'il faut être au plus
près des revendications et abandonner toute radicalité
au nom de l'unité. Pour eux, combat des chômeurs et loi
sur les 35 heures sont deux choses différentes. Le mot
d'ordre, c'est la réquisition des richesses (autrement dit, le
partage des miettes)
* L'autre qui voulait construire une unité de classe
anti-capitaliste, dans l'unité des travailleurs et des
chômeurs, et qui mettait donc la revendication de la
réduction du temps de travail au premier plan,
complémentaire aux revendications d'urgence légitimes.
Ce courant mettait en avant non pas la réquisition des
richesses, mais la réquisition d'emplois liée aux 32
heures, en lien avec travailleurs fixes et précaires. C'est
dans ce sens que nous devons continuer à nous battre !
DEHORS LES DIRECTIONS REFORMISTES !
Dans les syndicats comme dans les associations, travailleurs et
chômeurs sont confrontés aux même dirigeants qui
noient le poisson et veulent surtout éviter la radicalisation
politique du combat de classe. Ils sont prêts à toutes
les trahisons, bien entendu cachées sous un discours de
lutte.
Les syndicalistes honnêtes, les militants sincères sont
désorientés, parfois dégoûtés et
abandonnent le terrain ou renforcent les courants sans issue ,comme
celui "du refus du travail". Ils sont isolés, ont du mal
à savoir comment se battre et dans quel sens.
L'heure est à la recomposition syndicale, qui n'a rien
à voir avec des manoeuvres d'appareil, des histoires
d'étiquette, des scissions ou regroupements bureaucratiques.
L'heure est à élaborer une orientation syndicale de
classe, permettant de regrouper toutes ces forces
éparpillées et néanmoins actives.
A partir de l'expérience syndicale de nos camarades, Voie
Prolétarienne a élaboré un manifeste pour un
syndicalisme de classe, que nous avons mis en débat.
Voilà le chemin qu'il faut prendre, pour mener le combat
contre la loi des 35 heures, pour l'unité de classe des
travailleurs et des chômeurs autour de la réduction du
temps de travail !
Camarades syndicalistes, camarades chômeurs et
précaires, regroupons nos forces ! Discutons sur quelles bases
avancer, pour pouvoir nous débarrasser de ces dirigeants qui
nous mènent à l'impasse !
Demandez notre Manifeste syndical !
Pour l'unité de classe des travailleurs et des chômeurs,
battons-nous pour la réduction du temps de travail, contre la
précarité et la flexibilité !
Un revenu décent pour tous !
ALBERT DESAIMES