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000km à travers le Kampuchea démocratique (Cambodge) (3)
Phnom Penh trois ans
après
C'est le 17 avril 1975,
à 9 h 30 le matin, que les Forces armées
populaires de libération pénètrent dans
l'état-major de Lon Nol, au cœur de la capitale.
L'état-major de Lon Nol est resté intact, tel
que les patriotes l'ont investi, sans coup de fusil, le 17
avril au matin. Nous sommes restés plusieurs heures
à l'intérieur.
Nous pénétrons
dans un bunker en béton à toit plat. C'est le
bunker de Sosthène Fernandez, chef des Forces
armées fantoches. A son arrivée en France,
après la victoire des patriotes, Sosthène
Fernandez a fait le fier à bras et craché sur
la résistance cambodgienne. La vérité,
c'est qu'il s'est sauvé comme un lapin : le toit plat
de son bunker était prévu pour
l'hélicoptère de la fuite ; Sosthène
Fernandez avait peur : il s'est fait spécialement
construire cette forteresse !
Tout est resté en
l'état : les cartes militaires qui tapissent les murs
désignant les forces patriotiques sous le nom "
forces ennemies " ; les tableaux comparés des
performances des pièces d'artillerie surestiment les
capacités des patriotes : ceux-ci n'ont jamais
reçu de grosses pièces de la part des
Vietnamiens pendant la guerre et les ont
récupérées sur l'ennemi
américain.
Un combattant qui a
participé à l'offensive sur Phnom Penh et
à la libération de la ville nous explique la
tactique suivie : comment ils ont tenu le Mékong,
clé du ravitaillement et donc de la libération
de la ville, comment la base navale de Meak Luong a
été encerclée par les patriotes,
comment elle est tombée, comment ils ont fait
diversion sur la rive-est du Mékong pour attaquer
à l'ouest et au sud, comment les officiers
subalternes et les soldats de Lon Nol ont hissé le
drapeau blanc sur les casernes et les véhicules
militaires... Le 1er avril, Lon Nol s'est enfui, le 12... ce
sont les Américains... Il faut l'avouer, nous
savourons un plaisir sans mélange de
reconnaître là, au cœur de l'appareil de guerre
et de destruction ennemi, la supériorité
éclatante de la guerre du peuple. Le combattant "
sorti des forêts " nous fait un cours de
théorie militaire. Les agresseurs n'ont qu'à
bien se tenir ; et encore aujourd'hui, ceux qui massent
leurs divisions à la frontière du Kampuchea !

Dans le bunker un combattant explique
à la délégation du PCML la
tactique qui a permis la libération de Phnom
Penh.
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Le bunker de Sosthène
Fernandez, chef des forces armées
fantoches, du temps de Lon-nol.
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Incontestablement, la
libération du Kampuchea, c'est une preuve manifeste
de la toute-puissance de la guerre populaire, de la guerre
d'un peuple uni, dirigé par une ligne politique et
militaire juste, dirigé par un parti communiste. Dans
l'état-major de Lon Nol, on comprend la hargne des
officiels américains, des Mac Govern et autres
aujourd'hui. Le Kampuchea libre de 1978, c'est une gifle
retentissante pour eux, car ils ont mis le paquet. Au
premier étage, il y a le War Room, centre de
direction US de la guerre qui double point par point le
bunker de Fernandez : mêmes cartes, mêmes
chiffres. C'est même plus complet ici : le
détail des unités des Forces armées
fantoches est mis sur les fiches, les données de
logistique, les forces aériennes sont
précisées. C'est là que Fernandez
venait rendre ses comptes et recevoir les ordres. Un peut
mesurer aisément la débandade des derniers
jours : sur les vastes tableaux, la situation de
l'armée de l'air est arrêtée les 10/11
avril, celle de l'armée de terre les 14/15 avril.
Nous pourrions entrer plus
dans le détail de la tactique de la prise de Phnom
Penh. Aujourd'hui, c'est une leçon de grande
portée : la détermination farouche du peuple
et des communistes du Kampuchea, leurs efforts
extraordinaires pour apprendre à faire la guerre
contre un ennemi puissamment armé et
équipé, leur résolution de ne
céder à aucune pression, de ne faire aucun
compromis quand il s'agit de la liberté et de
l'indépendance, ont payé. Après les
accords de Paris de 1973, le peuple du Kampuchea a
continué à se battre seul. Le sol cambodgien a
été alors criblé de bombardements sans
précédent ; le peuple et les communistes ont
tenu bon. Et pourtant, les pressions n'ont pas
manqué. Celle des B52, du sang, de la mort, mais
aussi les pressions des prétendus " amis ". Les
dirigeants du Vietnam ne croyaient pas aux capacités
des communistes cambodgiens : " Vous ne pouvez pas
libérer Phnom Penh, c'est au-dessus de vos forces !
". Ils sont allés même jusqu'à faire une
curieuse proposition : " Laissez-nous faire, nous viendrons
avec nos chars de Saïgon, on mettra des chapeaux
cambodgiens pour dire que vous avez libéré
Phnom Penh ". Les résistants du Kampuchea n'ont
jamais accepté un tel marché ; ils ont
gagné seuls leur libération. La politique
d'indépendance d'un peuple et d'un parti communiste
est un bien très précieux ;
l'expérience du Parti communiste du Kampuchea l'a
prouvé une fois encore.
Notre quotidien a
déjà donné les raisons de cette
évacuation de la capitale dans les jours qui ont
suivi la Libération. Sur place, nous les avons mieux
comprises. De fait, l'évacuation de la ville
était une nécessité impérieuse
pour la survie de la population, pour la survie de la
révolution.
Avant 1970, il y
avait 600 000 habitants à Phnom Penh. En 1975, il y
en a 3 millions. En avril près de 2,5 millions de
personnes entassées dans des camps, dans les rues,
dans les parcs, n'étaient pas des habitants de Phnom
Penh ; c'étaient des paysans. Même avant la
directive d'évacuation, beaucoup sont partis
dés le 17 avril, spontanément pour retrouver
leur province, leur village. Pourquoi une
nécessité impérieuse de partir ? Il
fallait manger : 5 jours de vivres d'avance dans la ville,
le Mékong encombré d'épaves, les routes
coupées : il était impossible de transporter
les vivres stockées dans les zones
libérées et la saison humide approchait... Il
fallait préserver la population des manœuvres
ennemies : bombardements et aussi subversion. Quand ils ont
fouillé la ville vidée, les patriotes ont
retrouvé des caches d'armes ; des réseaux
étaient organisés pour créer des
troubles. L'évacuation les a
démantelés.
L'évacuation
s'est faite sans brutalité, sans violence, sans cris.
Bien des journalistes - et encore Jean Lacouture à
France Inter mercredi dernier - s'indignent sur "
l'horreur sans précédent dans l'histoire de
l'évacuation d'une ville comme Phnom Penh ". Mais
se sont-ils véritablement renseignés, ont-ils
écouté tous les témoins. Deux d'entre
eux, Jérôme et Jocelyne Steinbach,
coopérants français présents à
Phnom Penh lors de sa libération, ont raconté
la quinzaine de jours qu'ils ont vécus dans la
capitale avant leurs retour en France. C'est un
témoignage passionnant qui s'inscrit totalement en
faux contre tous les mensonges diffusés en Occident.
Leur livre intitulé " Phnom Penh
libérée " a été
publié au printemps 1976 aux Editions sociales ; il
est presque introuvable aujourd'hui et nous sommes
tentés d'ajouter : et pour cause ! Nous en publions
ci-contre quelques extraits.
Camille Granot
Demain :
à travers les campagnes
L'évacuation de
Phnom Penh
Deux
coopérants
français
témoignent
Bien
sûr, la mise en route est rapide, on ne prend
pas le temps de s'étendre sur toutes ces
raisons, les explications viendront plus tard. S'il
reste encore au bout d'une semaine des Phnompenhois
qui s'enferment chez eux, alors seulement il faudra
leur dire la nécessité de partir ;
cette tâche reviendra aux militants de la
résistance intérieure, qui
connaissent bien la ville et ses
habitants.
Pour
l'instant, en ce 18 avril, un groupe de maquisards
passe devant la porte et dit : " II faut partir ".
Si on ne l'écoute pas, on en voit passer un
deuxième qui répète " il faut
partir ", puis un troisième... et ainsi de
suite toute la journée, toutes les heures,
la même phrase. Jusqu'au jour où le
quartier doit être totalement vide : alors,
prêts ou pas, il faut partir tout de suite.
Mais même à ce moment-là, pas
une brutalité, pas une vexation. Dans les
rues où marchent d'un côté les
gens à pied ou ceux qui poussent un
véhicule, où roulent de l'autre ceux
qui ont encore de l'essence et de la place dans
leur automobile, il est difficile de se frayer un
chemin. Des jeeps, des camions chargés de
maquisards suivent ou croisent lentement, sans
bousculer personne, sans même
klaxonner.
Cela ne
laisse pas de surprendre dans cette ville où
régnaient en maîtres les militaires
d'un temps révolu, qui imposaient leur
passage tous phares allumés, klaxon
bloqué, et même trop souvent à
coup de rafales (de mitraillettes), lorsqu'ils
n'entraient pas à toute volée dans la
circulation, grillant
délibérément les feux
rouges.
Cependant,
tous ceux qui refusaient de quitter la ville, aux
alentours du 23 avril, n'avaient peut-être
pas les mêmes motifs. Quelques-uns
craignaient simplement un départ dont ils ne
connaissaient pas les raisons. Il fallait leur en
expliquer la nécessité. Cette
tâche fut confiée aux militants de la
capitale : des groupes de propagande furent
constitués, qui allaient trouver les
derniers résidents de Phnom
Penh.
D'autres
s'effrayaient du voyage, tels ces quatre vieillards
que deux jeunes infirmiers de Terre des hommes ont
vu partir. Ils se tenaient au fond de leur
appartement bouclé. Des maquisards sont
entrés et les ont trouvés
:
" Pourquoi
restez-vous ici, alors que tout le monde est hors
de Phnom Penh ?
- Voyez,
nous sommes des vieillards, nous marchons
difficilement, nous ne saurons même pas faire
un kilomètre à pied.
- Prenez vos
affaires, nous allons vous conduire en voiture
".
De cette
façon, tous quatre ont été
emmenés en jeep à une quinzaine de
kilomètres de chez eux, sur la route
N°1 (celle de Saïgon). Il y a là
deux pagodes au bord du Mékong. C'est en
quelque sorte un centre de regroupement. Les
citadins qui sont partis vers le sud de Phnom Penh
y parviennent plus ou moins rapidement, chacun
à son rythme. Ils se sont
arrêtés en route pour manger et se
reposer là où ils le
désiraient (...)
De notre
côté, nous pourrons voir le gardien,
ainsi que d'autres habitants khmers ou vietnamiens
du bâtiment revenir chaque matin après
leur départ, le 18, pour reprendre diverses
choses oubliées, récupérer un
vélo, demander des bougies.
(" Phnom Penh
libérée " - pages 40-41-44-45)
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