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000km à travers
le Kampuchea démocratique
(Cambodge) (4)
A travers
les campagnes du
Kampuchea

Dans la campagne du Kampuchea une
nouvelle maison. L'objectif pour 1978 est une
maison neuve pour chaque famille. Celles-ci sont
construites en bois et recouvertes de tuiles
rouges.
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A notre retour, des amis ou
des camarades qui ont vu ici le film " Kampuchea
démocratique " nous ont souvent demandé : "
Le Kampuchea, c'est aussi beau que dans le film ? ".
Eh bien oui, le film n'est pas trompeur, les couleurs sont
aussi lumineuses, la nature est aussi abondante, aussi
généreuse qu'il y parait dans le film.
LES EMPREINTES DE LA GUERRE
Tellement
généreuse même que l'oeil peu
exercé y discerne mal les empreintes de la guerre. Et
pourtant, elles sont partout obstinément
présentes, véritable handicap pour la
construction du pays.
Bien sûr, il y a les
routes cahoteuses, endommagées par les obus, les
ponts détruits, remplacés par des ponts de
bateaux, ou en reconstruction. Cela gêne encore les
transports d'une coopérative à l'autre,
ralentit les échanges. Pour nous, c'est un ennui tout
à fait secondaire, largement compensé par un
plaisir non dissimulé: nous voyageons dans l'ancienne
" dodge " de l'ambassade américaine de Phnom Penh
!
II y a aussi les
palmiers à sucre décapités par les
obus, ou bien ceux touchés par les éclats de
bombes que signalent les longues traces noires le long de
leur tronc. Peu à peu, on reconnaît sous la
végétation luxuriante les trous des bombes des
B 52, les restes des maisons détruites.
Derrière les arbustes et les
légumes grimpants, on distingue les pilotis des
maisons abattues ou brûlées, les restes noircis
d'un enclos.
Depuis trois années, les paysans du
Kampuchea ont fourni un effort gigantesque pour remettre en
état, nettoyer, réparer. Dans bien des zones,
la végétation et le travail des hommes ont
tout effacé. Autour des villes, par contre, dans les
zones de combat, la guerre semble encore proche, au nord de
Phnom Penh, la forêt a été terriblement
touchée, noircie par les bombardements, à Siem
Reap, il ne reste que quelques bâtiments au centre de
la ville. Tous les abords le long des routes No 6 et No 7,
ont été impitoyablement détruits par
l'agression américaine : plus de maisons, plus
d'écoles, des ruines, il a fallu recommencer à
zéro !
Tout au long du
voyage, les camarades qui nous accompagnent évoquent
l'âpreté des combats et les victoires durement
conquises contre des agresseurs puissants et impitoyables.
Nous passons en train à Romea, c'était un nœud
stratégique pour la défense et le
ravitaillement de Phnom Penh ; dès le coup d'Etat du
18 mars 1970, les patriotes ont coupé les voies
ferrées : aussi les Américains et les
Lonnoliens tenaient-ils à cette position. Il y a eu
plusieurs batailles à Romea : peut-être
certains amis du peuple cambodgien se souviennent-ils de ce
nom ? Lon Nol a envoyé des paras en renforts, avant
que la place ne tombe il y a eu un régiment ennemi
entier protègé par les système de
défense habituel : réseau de barbelés,
minés et grenades piégées, levée
de terre avec des nids de mitrailleuses. Là, comme
ailleurs, les combattants ont fixé l'ennemi
jusqu'à épuisement et ont libéré
la place fin 1973 : ce fut l'une des premières
localités libérées dans la province de
Kompong Chang.
Du train, nous
apercevons la chaîne des Cardomones au Sud-ouest,
où s'organisèrent les premières forces
armées révolutionnaires avant 1970 ; l'un de
nos accompagnateurs y a combattu. Dans la région de
Kompong Thom, restent des traces de " l'opération
Chenla II ". Qu'on se souvienne, ce fut la dernière
tentative d'offensive lancée par Washington en 1972 ;
" l'offensive " s'est enlisée lamentablement : on a
conservé deux véhicules blindés de
l'armée de Lon Nol, comme " témoins " ; il a
fallu en expliquer les raisons aux paysans de la
région qui voulaient tout nettoyer !
UN VISAGE NOUVEAU DES CAMPAGNES
Le visage nouveau des
campagnes du Kampuchea, c'est incontestablement dans les
régions anciennement libérées qu'il se
découvre le mieux ; là, les empreintes
visibles de la guerre ont disparu, les transformations sont
plus sensibles. Ainsi, à mi-chemin entre Siem Reap et
Kompong Thom, nous pénétrons dans une
région tôt libérée. La campagne
est plus soignée, les rizières sont abondantes
: il y a partout deux récoltes par an. Il y a
même quelques tracteurs ici.
Nous nous arrêtons dans la campagne : des
enfants chassent les moineaux en poussant des cris de temps
à autres car la récolte de riz est proche.
Pour éviter qu'ils n'attrapent des coups de chaleur,
on leur a aménagé des abris de feuillages dans
les champs. Ils ont bonne mine et savourent ce droit si
inhabituel de pousser des cris à tout vent ! Toujours
dans cette région, l'eau vient d'un réservoir
de 22 millions de m3, construit en cinq mois par 10 000
personnes. On y voit côte à côte toutes'
les étapes de la croissance du riz : ici, semences
serrées les unes contre les autres, là, jeunes
plants tout récemment repiques, plus loin, c'est
bientôt la moisson, tout à côté,
on laboure. Les potentialités de la terre
cambodgienne apparaissent bien là dans la gamme
variée des multiples couleurs vertes du riz avant
qu'il n'arrive à maturité. On pourrait
même faire trois récoltes si on avait assez de
bras.
Des bras, il en
manque cruellement. Il y a les hommes tombés pendant
la Résistance, disparus ou aujourd'hui invalides, il
y a ceux qui sont mobilisés sur le front de l'Est et
du Sud-Est pour faire front à une nouvelle agression
vietnamienne. Aussi, y a-t-il beaucoup de femmes dans les
champs. Elles participent à tous les travaux :
labours, repiquages, transports des semences, on les voit
aller ensemble dans les rizières, faire la pause de
midi et manger rassemblées à l'ombre de
quelques arbres, par petits groupes de vingt à
trente-femmes où domine le noir qui est la couleur de
la tenue traditionnelle des paysans khmers.
Pourquoi le cacher ?
Les paysans et les paysannes du Kampuchea travaillent dur.
Le lever est matinal, mais la nuit tombée, nous avons
souvent vu des jeunes gens et des jeunes filles transporter
du bois ou des semences le long des routes. Ils travaillent
dur car il faut faire vite : assurer l'alimentation de tout
le peuple mais aussi accumuler les richesses pour
édifier la société socialiste et tenir
bon face à une nouvelle invasion. Ils travaillent dur
car ils manquent de moyens, d'instruments pour produire
davantage, les outils aratoires sont rudimentaires, les
moyens de transport souvent réduits aux anciennes
charrettes au profil antique ; le féodalisme et le
colonialisme ont tout pris au peuple khmer. Les
colonialistes français comme les impérialistes
américains n'ont rien laissé des
prétendus " bienfaits de la civilisation ". Le
Kampuchea démocratique est pauvre, très
pauvre, non pas en raison de son sol, ni de son climat : ce
sont les forces féodales et coloniales qui l'ont
maintenu en cet état. Aussi les choses qui ont
changé, les signes des progrès accomplis en
trois ans sont-ils difficiles à distinguer par des
yeux d'occidentaux. Un regard superficiel pourrait s'en
tenir aux enfants qui courent pieds nus devant les maisons
pour nous regarder, à ceux qui se baignent tous nus
dans les canaux d'irrigation ou y pèchent des
grenouilles ou du poisson, au dur labeur des hommes et des
femmes qui les pieds dans la boue, repiquent le riz ou
poussent une charrue archaïque. C'est vrai, le
Kampuchea comme bien d'autres pays du tiers monde est
très pauvre, mais il met les bouchées doubles
pour s'en sortir.
LES NOUVEAUX VILLAGES
Les nouveaux villages
témoignent bien de ce gigantesque effort . Ils sont
alignés le long des routes et enfouis sous les
cultures grimpantes, les légumes, les arbres
fruitiers et les palmiers. Cela aussi a une histoire. La
première année après la
Libération, l'objectif a été de nourrir
chacun : 312 kg de riz en moyenne par habitant dans
l'année. La question des vivres a été
ainsi résolue ; l'année suivante, l'effort
s'est diversifié, on a multiplié les cultures
de légumes, on a commencé l'élevage en
grand des cochons, l'alimentation s'est diversifiée,
on a soufflé un peu et on a pu se préoccuper
quelque peu du logement de chaque famille paysanne : une
maison neuve par famille, c'est l'objectif en passe
d'être réalisé en 1978. La guerre avait
aussi détruit les maisons : les paysans vivaient et
vivent encore dans des abris sur des pilotis dont la
carcasse de bois est recouverte de feuilles de palmiers ou
de bananiers séchées : c'est très
sommaire. Aujourd'hui, des maisons nouvelles se sont
écloses le long des routes : toujours sur pilotis,
faite de bois travaillé, elles ont les toits rouges
en tuile. C'est coquet et bien plus spacieux. L'effort
collectif est sérieux. Dans de nombreux villages, on
distingue le dôme rougeâtre du four à
brique, l'entassement de bois de petites scieries en plein
air : là encore le matériel est très
rudimentaire. Nous nous sommes arrêtés
près de l'une d'elles, avons salué les
menuisiers - c'est l'heure de la pause - et avons
visité l'une de ces maisons nouvelles. Un autre
bâtiment au toit rouge éclatant de
nouveauté : la cantine ou l'école, parfois
aussi le bâtiment où la coopérative
traite les plantes pour en faire des médicaments
usuels.
Camille GRANOT
(Demain : la
question de l'eau)

Nous sommes partis de Phnom Penh en train
jusqu'à Sisophon, puis nous avons pris la
route de Siem Reap, près des temples
d'Angkor Wat. Toujours par route, nous avons
rejoint Kompon Cham, tout en faisant plusieurs
tours au sud de Kompon Thom. Nous avons rejoint
Phnom Penh par le Mékong. Autrement dit :
près de 1 000 km en trois jours et demi de
voyage.
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