L'HUMANITÉ ROUGE n°953- Mercredi 18 octobre 1978
Organe central du Parti communiste marxiste-léniniste

page 8 -rubrique : Reportage

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 1 000km à travers le Kampuchea démocratique (Cambodge) (5)

 La question de l'eau

    La question de l'eau est une question-clé au Kampuchea . Il n'est pas besoin d'être un grand expert agricole pour le comprendre. Comment la maîtriser ? Comment l'utiliser au mieux ? Car elle est à la fois source de vie et calamité naturelle. Oui, une calamité naturelle quand l'inondation annuelle de la saison humide dépasse les limites habituelles, quand elle recouvre toutes les cultures, empêche la croissance des plantes, calamité naturelle à l'inverse quand elle fait défaut d'octobre à juin lors de la saison sèche. Il faut se rendre maitre de la nature, canaliser, emmagasiner l'eau quand elle abonde, la restituer aux terres quand elle manque, et l'eau devient alors source de vie car le soleil est toujours présent au Kampuchea, la plus basse température de l'année, c'est... 16 degrés ! 


Construction d'un barrage dans le nord du Kampuchea. Un travail gigantesque à l'échelon du pays, mais beaucoup de bruit, beaucoup de rires (Photo Kampuchea).

    La maîtrise de l'eau, c'est la clé du développement au Kampuchea. Avec l'eau on a du riz, avec le riz la base d'une agriculture indépendante et l'agriculture est la base d'accumulation de richesses pour édifier l'industrie.
    Dans le passé, au XIe et XIIe siècle, la maîtrise de l'eau a été la base de la puissance de la dynastie d'Angkor. Quand on visite Angkor, il y a ses temples magnifiques, leurs sculptures pleines de finesse ou d'humour, il y a aussi la base de l'une de ces " sept merveilles du monde " : d'immenses réservoirs d'eau, le " Baray occidental ", à partir desquels avaient été mis en place il y a plus de huit siècles, un système d'irrigation complexe et techniquement fort avancé pour l'époque.
    Du temps de Lon Nol, le Baray était devenu un lieu de plaisir et de corruption international, on y venait par charters de Hong Kong ou de Singapour pour y faire du yatching ou s'y dorer sur les plages. Aujourd'hui, le Baray occidental a repris sa fonction première ; à la Libération on l'a recreusé en partie et on l'a réaménagé en réservoir d'eau pour l'irrigation de la région de Siem Reap. Nous sommes allés près de l'un des barrages construits récemment. Le silence est profond près des rives du Baray. On y entend sauter les grenouilles... mais de là s'écoule l'eau qui donne la richesse à deux districts.
    On a construit en trois années bien d'autres barrages, bien d'autres réservoirs. Une quinzaine au total contenant 2 800 millions de m3 d'eau qui permettent d'irriguer 400 000 hectares de terres en toutes saisons. C'est là l'explication du grand changement survenu dans les campagnes du Kampuchea, la verdeur des rizières, leur agencement en carré entre les canaux d'irrigation rectilignes, la boue bénéfique des rizières ou on laboure et où on récolte désormais en toute saison, tiennent à cet effort sans précédent du peuple du Kampuchea pour maîtriser l'eau.
    Nous avons vu des signes de cet effort partout. Certains camarades qui nous accompagnaient ne reconnaissaient pas certains coins tant ils avaient changé par le nouveau système d'irrigation. Il faut faire des barrages, des réservoirs, creuser des canaux, construire des petits ponts car les canaux traversent sans cesse la route. On a parlé de " résille de dentelle " pour décrire ce système d'irrigation, cela est vrai et demande autant de minutie, de courage et de travail. 

UNE MOBILISATION EXTRAORDINAIRE 

    Nous avons vu le barrage " 1er janvier " sur le fleuve Chinit, dans la région de Kom-pong Thom, dont le film " Kampuchea démocratique " montre la construction ; elle a duré cinq mois, mobilisant en permanence 30 000 personnes nuit et jour. La chute d'eau est rapide et permettra une utilisation hydro-électrique plus tard. Pour l'heure, on recueille les poissons qui sautent de la chute dans un filet ! La forêt a été ennoyée sur dix kilomètres de profondeur derrière le canal, de l'autre côté, il y a des rizières impeccables. Avant 1977, il n'y avait pas ces centaines d'hectares de cultures, aujourd'hui, on y expérimente des croisements de semences de riz.
    Du barrage 1er janvier, nous prenons le bateau et pendant plusieurs kilomètres, nous suivons un canal d'irrigation de grande largeur. Sur la berge, il y a encore des travaux, une scierie finie depuis deux semaines, des ponts qu'on termine, des rizières qui scintillent. Partout, on travaille, mais les uns et les autres, et surtout les jeunes, trouvent le temps de nous saluer de la main, d'applaudir. Le conducteur de bateau a 17 ans. Il en parait beaucoup moins, jeune au visage sérieux et souriant à la fois, à l'image du Kampuchea nouveau.
    Bientôt, à l'horizon, nous apercevons une foule de gens ; des centaines de paillotes et de constructions provisoires se pressent sur la berge. Nos accompagnateurs nous en ont fait la surprise : nous arrivons près d'un grand chantier de construction, celui du barrage " 6 janvier " sur une rivière parallèle à la rivière Chinit. Un chantier de construction semblable à celui du film. Quatre mille jeunes y travaillent pour trois mois. Le barrage est bien avancé déjà : on y coule le ciment dans l'armature de fer, la digue de terre prend forme peu à peu. Les jeunes ont de 15 à 22 ans : ils viennent de toute la province pour réaliser cette " action concentrée ". comme on dit ici. On les appelle les " brigades mobiles ", groupes de jeunes toujours prêts à prêter main forte au moment des récoltes ou pour les grands travaux. Brigades mobiles ? C'est un terme bien adapté car c'est bien une guerre que mènent ces jeunes et tout le peuple contre l'exploitation, contre la pauvreté pour le développement. Certains mauvais esprits diront que cela signifie la discipline militaire. Eh bien, ils se tromperont complètement. Ici, sur le chantier, l'atmosphère est faite de travail et d'efforts : en longues files régulières, les jeunes portent qui de la terre, qui du ciment... Mais que de bruits, de rires : c'est beaucoup moins solennel que les scènes du film et aussi plus émouvant encore. Il faut l'avouer, notre arrivée a quelque peu désorganisé le travail, on nous entoure, on parle un peu, on applaudit, les jeunes filles éclatent de rire à entendre les tentatives du camarade Jurquet à prononcer un ou deux mots en khmer.
    Ces jeunes savent qui nous sommes et un vrai courant d'amitié, de fraternité passe entre nous. Ici, on comprend bien que le peuple mobilisé peut accomplir des miracles. " Embrigadés " ces jeunes ? Que non ! Voilà des prétendus " forçats du régime des Khmers rouges " qui ont bien de la gaieté et de l'enthousiasme ! Certains détracteurs du Kampuchea d'aujourd'hui prétendraient encore que " c'était un coup monté " : n'ont-ils pas dit dans la presse américaine, après le retour de nos camarades américains, que les temples d'Angkor avaient été nettoyés pour leur visite et qu'on les avait détruits après leur passage !! On les aura reconstruits pour nous alors ! Où conduit la hargne des réactionnaires ?

Camille GRANOT

(Demain : une plantation d'hévéas)

Les coopératives

    La coopérative c'est l'organisation de base de la société socialiste au Kampuchea dans les campagnes, En ville, le syndicat joue le même rôle. L'un comme l'autre organise le pouvoir révolutionnaire à l'échelon le plus bas. De plus la coopérative remplit des fonctions économiques (agricole, artisanale, industrielle et de transport) et sociales (santé, hygiène, éducation, culture, etc.)
    Les coopératives au Kampuchea regroupent de 300 à 1 000 familles, selon la situation concrète ; elles sont plus nombreuses quand les villages sont concentrés sur un petit territoire.
Chaque coopérative applique la politique définie par le Parti dans tous les domaines, notamment dans les tâches de la période : défense de l'indépendance nationale, poursuite de la révolution socialiste et édification du socialisme. Ainsi, chaque coopérative possède son unité de défense ; celle-ci est plus importante dans les coopératives frontalières.
    La coopérative est dirigée par un " comité de direction " de trois à dix membres qui se répartissent les tâches : politiques, idéologiques, d'organisation, de production, culturelles, etc. Elle fonctionne sur la base du centralisme démocratique. Exemple, pour l'application du plan quadriennal (défini pour quatre ans) : on discute à l'intérieur de la coopérative pour savoir si l'on peut accomplir le plan ou le dépasser. Peut-on obtenir l'objectif de 3,5 tonnes par hectares de riz si on fait une seule récolte et 7 tonnes si l'on en fait deux ? On discute des points forts, des points faibles de la coopérative ; on confronte les avis de tous et on présente l'avis de la coopérative à l'échelon supérieur. De la même façon on répartit les forces de travail selon les possibilités de chacun, sa force, son âge, son état de santé, ses compétences propres.
    Pour ce qui est de la répartition des fruits du travail, elle est collective. Il n'y a pas de salaire. La moyenne pour chacun est de 312 kilogrammes de riz par an ; bien sûr cela est réparti : sur les chantiers de construction de barrages, elle est de 30 kilogramme par mois, pour les enfants de 15 kilogrammes. Les fruits, les légumes, les produits de l'élevage, les poissons complètent l'alimentation de base en riz ; dans les coopératives on mange tous ensemble dans la cantine du village ou sur les champs à midi.
    Les vêtements indispensables pour chacun sont fournis et peu à peu, on construit une maison neuve par famille. Ainsi ce que le pays possède pour la satisfaction des besoins élémentaires, nourriture, logement, habillement, est réparti au sein du peuple. C'est la grande pauvreté et l'économie de pénurie qui conditionnent une telle politique. Quand, en 1973, le Front uni et le PCK ont constitué les coopératives dans les zones libérées, c'était une nécessité pour faire face à la spéculation liée à la guerre ; ainsi les villages libérés produisaient le riz en quantité suffisante et pourtant les paysans en manquaient car il était acheté à des prix exorbitants par des marchands le faisant passer dans la zone de Lon Nol ; l'organisation en coopératives a stoppé cela et diminué considérablement le rôle de la monnaie. Aujourd'hui encore, on n'utilise pas la monnaie au Kampuchea.
    Pour bien comprendre la vie et l'organisation dans les coopératives du Kampuchea, il faut connaître les traditions anciennes de la société rurale khmere. De tout temps, pour se défendre des féodaux, des propriétaires fonciers, pour organiser collectivement l'utilisation de 1'eau pour irriguer, il y a eu entraide, coopération entre les familles pour les travaux des champs. Les cinq dernières années de guerre, les privations les bombardements, le départ et la mort des siens, ont terriblement renforce ces liens. On s'appelle " sœur ", " frère ", " oncle ", " neveu " dans les villages. De fait, la création des coopératives n'a pas rencontré beaucoup de difficultés dans l'esprit des paysans ! cela correspondait aux nécessités de la guerre. Aujourd'hui, la conscience et l'éducation viennent renforcer ce qui a été approuvé dans des conditions particulières. L'accord avec le système coopératif devient raisonné.
    Voilà ce que nous ont expliqué les camarades du Kampuchea concernant l'édification des coopératives :
    " Les problèmes qui peuvent surgir sont résolus par l'explication par l'éducation politique et idéologique, pour que chacun comprenne la situation. On s'efforce de travailler pour augmenter la production, le niveau de vie. Comme on a le pouvoir, on peut le faire ; chacun se sent les maîtres de l'avenir ".

C.G.

 

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suite du reportage -partie 6- (HR 954)è

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