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000km à travers le Kampuchea démocratique (Cambodge) (6)
Dans l'usine de latex, le latex sort des fours
où il vient d'être fumé. (Photo HR)
Une plantation
d'hévéas
Nous avons visité une
plantation d'hévéas, l'arbre qui donne le
caoutchouc naturel : c'est celle de Chamcar Andong,
située au Nord-ouest de Kom-pong Cham.
LA PLANTATION DE CHAMCAR ANDONG
Hévéa a
été longtemps synonyme de colonalistes
français au Kampuchea. Michelin possédait
d'immenses plantations qui ont assis sa fortune. Sur les
plantations, les ouvriers agricoles khmers, tous atteints du
paludisme, férocement exploités et
opprimés, vivaient comme de véritables
bagnards. Pendant la guerre de résistance
antiaméricaine, cette plantation n'a jamais
été aux mains des Lonnoliens. Elle a
été beaucoup bombardée, surtout la
route qui conduit à l'usine de latex (caoutchouc).
Elle est défoncée par les mitraillages car
c'était une " route du front " pour les FAPLN. On
utilisait les camouflages et jamais la route n'a
été coupée au plus fort des
bombardements. Les patrons de la plantation, des
colonialistes français, sont restés sur la
plantation jusqu'au début 1972. Quand ils sont
partis, ils ont emporté ou détruit toutes les
machines de l'usine de latex. Exploiteurs jusqu'au bout !
Pendant la guerre, la production a été
arrêtée.
Aujourd'hui, les
plantations d'hévéas ont été
remises en état. Ici, il y a 20 000 hectares
d'hévéas sur 4 plantations et on plante chaque
année 1 000 hectares nouveaux sur cette rive ouest du
Mékong. 23 000 ouvriers travaillent sur la
plantation, y compris ceux des usines de latex. Mais
là aussi, on manque de bras. Deux tiers des arbres
seulement sont exploités actuellement en raison du
manque de main-d'œuvre disponible. Il faut dire que
l'entretien des hévéas et l'exploitation de la
sève qui coule de l'écorce entaillée
exigent beaucoup d'hommes. Il faut sans cesse
débroussailler la base des arbres, prendre soin des
hévéas, " des arbres aussi fragiles qu'une
personne vivante ". Il faut les entailler une fois tous
les deux jours pour recueillir le latex. Chaque ouvrier est
responsable de 800 arbres. Il y a deux mois d'arrêt
d'exploitation en décembre et en janvier quand les
hévéas perdent leur feuilles. La plantation de
Chamcar Andong est fort bien tenue, nous traversons sur des
kilomètres cette futaie sombre d'arbres, tous munis
d'une coupelle qui reçoit le latex blanc. Le
sous-bois est impeccable.
L'USINE DE LATEX
A l'usine de latex, nous
sommes attendus, l'accueil des ouvriers et des
ouvrières est chaleureux. On est fier de nous montrer
le travail réalisé, les premiers
résultats. Il a fallu repartir à zéro :
plus de machines sur place. Seulement un ouvrier sur cinq
est un ancien de l'usine ; il y a beaucoup de femmes oui ont
dû apprendre sur le tas. Il y a 700 ouvriers en tout,
répartis en 3X8. Mais la capacité de la
plantation dépasse la capacité de l'usine.
L'usine produit 30 tonnes de caoutchouc par jour ; elle
devrait en produire 70 à 80 tonnes ; le reste est
traité à Phnom Penh. Par contre, la
qualité s'est sensiblement améliorée.
Il y a trois ans, à la Libération, les
premiers produits étaient de deuxième,
troisième et quatrième qualité ;
aujourd'hui l'essentiel de la production est de
première et seconde qualité. Le caoutchouc
peut ainsi être exporté dans des pays du
Sud-Est asiatique et à Madagascar.
Nous suivons le
processus de fabrication du caoutchouc. Ici, on fait de la
crêpe et des lamelles de caoutchouc. Il y a les bains
avec différentes acides, le " laminage " et enfin "
le fumage " qui donne la couleur brune au caoutchouc. Ici
aussi, on comprend les difficultés qu'affronté
le peuple du Kampuchea. Il faut faire avec rien, pour
séparer le latex en feuilles dans certains bains, il
faudrait des plaques de métal mais on utilise du
bois. Plusieurs machines ont été
bricolées par les ouvriers eux-mêmes. Dans
l'usine, le tonus est élevé, nous parlons de
Michelin en France, de la victoire qu'eux, ouvriers du
Kampuchea, ont remporté sur ce colonialiste, ce
capitaliste. Nous leur parlons de nos camarades qui se
battent contre Michelin à Clermont. L'émotion
est grande, de part et d'autre, quand le camarade
responsable de la plantation nous dit :
" Vous avez fait
un détour pour nous rencontrer, c'est un grand
encouragement pour tous les ouvriers de l'usine. Cela nous
touche. Je transmettrai ce que vous avez dit à tous
les ouvriers. Votre venue resserrera les liens entre nos
deux peuples et nos deux partis. "
Nous serions bien
restés davantage, mais il a fallu se séparer
et poursuivre la route.
FORMER DES TECHNICIENS NATIONAUX
Dans son entretien avec notre
délégation, le camarade Pol Pot,
secrétaire du Parti communiste du Kampuchea nous a
expliqué les objectifs fixés pour
l'édification du pays :
" Transformer le
Kampuchea d'un pays arriéré en un pays
agricole moderne en 15 à 20 ans et en un pays
doté des industries de base en 20 à 25
ans. "
II a souligné
les difficultés rencontrées, les insuffisances
du Parti qui manque d'expérience dans le domaine
économique, notamment de l'industrie. Les cadres se
sont forgés au combat, dans la guerre du peuple. Il
faut apprendre de multiples autres choses aujourd'hui.
Quelques usines ont été réparées
et remises en marche dans les villes. L'industrie doit
être au service du développement agricole : on
fait en priorité des vannes pour les canaux
d'irrigation, des instruments aratoires. On prépare
maintenant des usines textiles, la mise en service d'usines
moyennes, des cimenteries, des usines de machines-outils, de
petits moteurs Diesel. Déjà une usine textile
de 800 ouvriers agricoles fonctionne à Kompong
Cham.
Un des points sur
lesquels le secrétaire Pol Pot a insisté,
c'est la formation des techniciens nationaux, il faut former
et vite, des cadres de l'économie :
" Si notre
révolution n'avançait pas, le Vietnam pourrait
nous écraser, nous éliminer et nous abattre.
Aussi, l'ennemi nous oblige-t-il à aller vite. Nous
devons faire vite. C'est pourquoi nous formons nos
techniciens suivant le principe d'allier la théorie
à la pratique. Nous pensons que ce n'est pas
contraire à la théorie
marxiste-léniniste ! "
II a poursuivi
:
" Un exemple :
avant, pour avoir le niveau mathématique du
baccalauréat, il fallait douze années
d'études. En trois ans ici, des élèves
ont atteint le niveau de la première et les autres
celui de la troisième. C'est une méthode
rapide, très positive. C'est ainsi que nous la
jugeons , comme hommes politiques. Les camarades enseignants
s'en félicitent également. Celui qui est
arrivé à cette conclusion est docteur es
sciences et ancien élève de Polytechnique ! Il
trouve que ses élèves savent
réfléchir et raisonnent bien en
mathématiques ".
Quant à nous,
nous avons visité l'Ecole nationale
d'électricité de Phnom Penh. Elle a
déjà formé deux promotions de quelques
150 à 200 jeunes dans les différentes
techniques de l'électricité : installations
électriques dans les maisons, pose des fils et
montage des pylônes, montage de moteurs pour
réfrigérateurs, etc. Nous avons vu la
troisième promotion au travail, ils ont de 12
à 17 ans, garçons et filles. Il y a environ
une fille pour deux garçons. Ces jeunes viennent de
tout le pays, ils habitent collectivement dans une
cité de villas près de l'Ecole, y cultivent
leurs légumes, y élèvent des poissons
et de la volaille. Surtout, ils étudient, alliant les
cours théoriques aux travaux pratiques et à
des séjours dans des entreprises de la capitale. Nous
allons d'une salle à l'autre. Les circuits
électriques qu'ils dessinent ou qu'ils montent
semblent fort compliqués à nos yeux
d'ignorants en électricité ! Et quelle
attention, quelle soif d'apprendre, de participer à
l'effort de transformer le Kampuchea. Cela n'a pas
manqué de nous impressionner.
Camille GRANOT
Demain : la
santé.
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La troisième promotion de
l'École nationale
d'électricité au travail. On allie
dans cette école les cours théoriques
aux travaux pratiques et a des séjours dans
les entreprises. (Photo HR)
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