"L'exemple de
socialisme le plus avancé, pour moi"
Entretien avec
Alphonse Laux, vétéran communiste
Alphonse Laux, 66 ans, vétéran
communiste, sidérurgiste retraité, de Rombas
(Moselle), est un ami de longue date du peuple chinois.
Ancien militant du PCF, il a adhéré au PCR en
1976. Il nous a fait part ici de son point de vue sur la
lutte du peuple chinois pour s'émanciper, pour
édifier le socialisme.
u Tu es un ami de longue date du peuple
chinois. Peux-tu nous rappeler comment tu t'es
intéressé très tôt à sa
lutte ?
-- Déjà, lorsque
j'allais à l'école du Luxembourg, entre 1920
et 1923, je me souviens qu'on parlait beaucoup de la
jeunesse chinoise qui souffrait de la faim. Par la suite,
j'ai pu mieux comprendre ce qui se passait là-bas.
J'avais 19-20 ans, lors de l'invasion de la Mandchourie par
les fascistes japonais. J'ai suivi de près ce qui se
passait. Je me rappelle, je suivais avec un grand
intérêt les articles concernant ce sujet dans
Le Populaire et Le soir, j'ai été
profondément affecté par la chute de
Pékin, mais le gouvernement central s'était
réfugié à Nankin, alors j'ai
gardé confiance. A l'époque avec l'Espagne
républicaine, la Chine était le pays le plus
avancé dans la lutte contre le fascisme.
u Après la guerre de 1939- 1945,
ton amitié pour la Chine s'est approfondie ?
-- Oui, c'est seulement
après la guerre que l'on a eu connaissance de
l'importance des communistes chinois dans la lutte
anti-fasciste de libération nationale. Les "japs"
battaient en retraite et Tchang apparaissait de plus en plus
nettement comme l'homme des américains. Le Parti
communiste chinois était le seul défenseur
véritable de l'indépendance nationale. Et puis
en 1947, j'ai adhéré au PCF, et dans la
cellule où j'étais, on avait des discussions
régulières sur l'avance des forces
armées de libération sous la direction de Mao
et Zhou Enlai. Je me rappelle que l'on disait: "Plus
l'impérialisme américain envoie d'armement
à Tchang Kai-Chek, plus les révolutionnaires
en auront", tellement l'armée fantoche était
en décomposition, tellement on était sûr
que la guerre populaire menée par les communistes
était assurée de la victoire. La proclamation
de la République populaire de Chine fut une grande
victoire pour les forces progressistes du monde entier. Le
camp socialiste devenait encore plus puissant, les
impérialismes, en perdant tout contrôle sur la
Chine, se trouvaient dans une position déclinante. A
la section de Lagny du PCF en Seine-et-Marne, avec les
camarades, on considérait la Chine comme
l'égale de l'Union Soviétique. Son engagement
dans la guerre de Corée contre la tentative de
l'impérialisme américain de prendre la place
des japonais renforçait son prestige. Je me souviens
qu'en 1950-1951, on étudiait en cellule les
déclarations du camarade Mao Zedong.
u Mais après, il y a eu la
scission dans le mouvement communiste international. Comment
as-tu vécu cette époque ?
-- En fait, cela a
commencé peu de temps après la mort de
Staline, en 1956, il y a eu avec Krouchtchev, les attaques
ouvertes contre le
marxisme-léninisme.
Non seulement Krouchtchev, au
nom de la coexistence pacifique, bradait la
révolution, mais sa vantardise était
grotesque. Je me rappelle son voyage aux Etats-Unis, ses
déclarations tapageuses comme quoi l'ouvrier russe
allait rattraper l'ouvrier américain. Non seulement
il traînait Staline dans la boue mais ses attaques
contre la Chine était un tissu de calomnies. Il
disait que ceux qui voulaient faire la révolution,
promouvoir la lutte armée de libération dans
les pays du Tiers Monde voulaient la guerre mondiale et la
destruction de l'humanité. J'ai vécu alors la
division dans le mouvement communiste international avec
déchirement. Je me posais un tas de questions. Et
puis, il y avait ce qui se passait en
France.
A la Libération,
j'avais cru qu'avec la participation du Parti communiste au
gouvernement, et en mobilisant les masses, on allait
parvenir à transformer la situation en faveur de la
classe ouvrière. Ce n'est pas ce qui s'est
passé, on le sait. Thorez avait fait rendre les armes
et moi en revenant en Lorraine, j'ai vu que le PCF
était gangrené par l'arrivisme, le
révisionnisme. A cette époque, je
n'étais plus un militant très actif, car
j'étais démoralisé. Je me rappelle
avoir eu des altercations avec de vieux membres du PC sur la
scission dans le mouvement communiste international. Ils
refusaient d'en discuter.
Et puis, plus tard, il y a eu
l'exclusion de militants, dont Régis Bergeron que
j'avais connu personnellement en Seine-et- Marne.
J'étais sans perspective mais je continuais à
défendre, de façon isolée,
auprès des membres du PCF que je connaissais, les
positions révolutionnaires de la Chine. Je me
souviens de discussions orageuses que j'ai eu par la suite,
avec certains d'entre eux en 1960, 1970, lors du conflit
frontalier entre la Chine et l'URSS.
u Que représente la Chine
socialiste pour toi, aujourd'hui ?
-- Je pense qu'il s'agit d'une
expérience unique, très riche d'enseignements.
Tous ceux que je connais, ou qui y sont allés, en
sont revenus enthousiasmés par la gentillesse et la
fraternité de ce peuple travailleur, par les
réalisations qu'il a entreprises en partant du plus
grand dénuement. Ces camarades ont conforté
mon jugement. Non seulement le régime socialiste
chinois a aboli le féodalisme, le colonialisme,
supprimé la famine, mais il a posé avec Mao
Zedong le problème crucial de la lutte contre la
restauration du capitalisme.
Pour moi, la Chine est
l'exemple de socialisme le plus avancé parce qu'elle
est éduquée dans l'esprit que rien n'est
acquis d'avance, que la lutte de classe se poursuit sous le
socialisme. C'est là un apport décisif de Mao
Zedong pour l'édification d'une société
socialiste.
Bien sûr, il y a
toujours des questions. S'il n'y avait plus de questions
à se poser, cela deviendrait grave. Non seulement il
faut réfléchir individuellement et dans le
parti, mais aussi avec tous les camarades ouvriers. Et c'est
ce que l'on fait. Par exemple, on parle du profit en Chine,
moi cela me gêne, mais c'est plus le terme qu'autre
chose, parce que je sais ce que c'est une usine dans une
société socialiste, elle ne peut pas
être déficitaire, sinon comment les ouvriers
vont-ils être rétribués, comment
pourraient-ils développer la production et investir
pour moderniser leur entreprise ? Dans une
société socialiste, pour avancer vers le
communisme, il faut que les forces productives progressent.
Je suis sûr que l'orientation de la Chine aujourd'hui
est fondamentalement juste. Il faut qu'elle se modernise
pour devenir puissante. Elle n'est plus dans une situation
d'isolement comme avant, alors si elle a les moyens de
profiter du développement technique des pays
capitalistes en commerçant avec eux sur une base
d'égalité pour aller plus vite, eh bien, c'est
juste qu'elle le fasse. J'espère seulement que les
étudiants et techniciens chinois qui viennent dans
les pays capitalistes occidentaux ne se laisseront pas
influencer par l'idéologie de ces pays car sinon,
à leur retour en Chine, cela pourrait créer
pas mal de problèmes, et nuire à leur
contribution au développement du
socialisme.
Ce que j'apprécie aussi
dans la Chine d'aujourd'hui, c'est la lutte menée
pour la démocratie, condition pour que la classe
ouvrière dirige et que les contradictions au sein du
peuple soient bien réglées. Je crois que les
ouvriers français sont très sensibles à
la question des libertés démocratiques. Ils
ont raison ! On sait bien que des millénaires de
féodalisme ne peuvent pas être
éliminés par un coup de baguette magique,
alors il faut mener la lutte et édicter un certain
nombre de règles, pour que le débat
d'idées ne soit pas réprimé,
étouffé par des gens qui y ont
intérêt.
La Chine, c'est l'exemple le
plus avancé, le plus vivant du socialisme, pour moi.
Non seulement on prend en compte l'amélioration des
conditions de vie et de travail du peuple, et la
nécessité que le peuple chinois devienne
effectivement le maître collectif de sa
destinée mais aussi, le Parti communiste chinois, par
l'analyse de la situation internationale qu'il fait, la
lutte qu'il mène contre les deux super-puissances et
les dangers de guerre, nous apporte une aide
irremplaçable. L'exemple de la Chine ne nous
empêche pas, bien au contraire, de
réfléchir par nous-même, afin d'agir
chez nous, dans des conditions différentes, pour
faire progresser les choses dans le sens de la
révolution, du socialisme.
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