REVOLUTION PROLETARIENNE n°2. janv 1975
revue politique mensuelle du Parti Communiste Révolutionnaire (m-l)

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A PROPOS DU PARTI DE TYPE NOUVEAU (1)

 

Dans le débat qui a commencé à s'établir depuis quelques temps déjà sur le Parti de type nouveau, de nombreuses questions doivent être éclaircies. Cet article n'en abordera que quelques unes. Qu'entendons-nous par Parti de type nouveau ? Essentiellement deux choses:

1) Que l'édification d'un parti communiste dans une métropole impérialiste est une tâche absolument nouvelle, une tâche qui ne saurait être pensée de la même manière qu'a pu être pensée l'édification des partis communistes dans une situation historique radicalement différente.

2) Que ( et cela en découle) l'édification du parti communiste doit rompre en tous points de manière consciente avec la théorie et la pratique révisionnistes du parti.

Les transformations qui s'opèrent à l'échelle mondiale font de la France un impérialisme secondaire dont le rôle, dans l'ensemble des pays, est de plus en plus réduit. Subissant la pression des superpuissances tentant d'étendre les concessions qu'elles réclament, l'impérialisme français limite chaque jour ses prétentions d'indépendance à leur égard.

 

Favorable à l'une d'entre elles, le gouvernement Giscard en place depuis Mai 74 a déjà liquidé un certain nombre de positions originales et indépendantes du gaullisme, toujours dans le sens d'une plus grande liaison avec l'impérialisme US (système monétaire, conférence sur l'énergie).

Dans le même temps, le mouvement des pays du Tiers Monde pour valoriser leurs ressources naturelles et limiter l'exploitation néo-coloniale porte de rudes coups aux impérialismes secondaires comme la France, qui avaient conçu l'organisation de leur économie sur la base de l'échange inégal avec les pays du Tiers Monde (politique énergétique fondée sur le pétrole, sidérurgie sur l'eau...) De ce fait, la concurrence entre impérialismes s'accroît et les courants d'échange qui restaient les plus importants, ceux concernant les échanges entre impérialismes, sont perturbés. C'est pourquoi l'impérialisme français, comme certains de ses rivaux, doit procéder en toute hâte, à la va-vite, à une restructuration importante de son économie, laquelle se fait au détriment des secteurs produisant des biens de consommation.

 

De tels changements ouvrent une nouvelle période de l'Histoire, ils constituent la base d'un développement rapide des contradictions au sein même de la métropole impérialiste, ils posent en termes nouveaux la question de l'alternative socialiste.

En effet, la dictature qu'exerce la bourgeoisie impérialiste sur son propre prolétariat et sur les masses populaires de la métropole se trouve considérablement secouée par les modifications de la situation internationale. Les fondements de la politique de collaboration de classe sur lesquels reposait l'apparente stabilité de la métropole sont aujourd'hui menacés: modèle de la consommation, progression pacifique vers un ou des socialismes par des réformes graduelles. De la sorte se fait jour une ère de batailles révolutionnaires importantes que préparent depuis plusieurs années les marxistes-léninistes. C'est dans ce contexte que se pose la question du Parti de type nouveau.

Le Parti de type nouveau, c'est d'abord le parti qui s'édifie dans le cadre de la crise politique de l'impérialisme, alors que les partis révisionnistes devenus des instruments de collaboration de classe sont des partis dont le développement et le rôle s'expliquent par la situation de la lutte de classe précédant cette crise. Alors que les partis révisionnistes des métropoles impérialistes articulent bataille parlementaire et syndicalisme réformiste, dans la perspective d'une transformation pacifique et électorale du capitalisme monopoliste d'état, le Parti de type nouveau trouve dans les modifications de la situation mondiale et dans les effets de cette situation sur les contradictions internes de la métropole impérialiste le sens historique de son action, la base de son développement.

Les partis révisionnistes sont des partis de l'histoire passée; le parti de type nouveau, c'est le parti de l'histoire en train de se faire, en ce sens que le processus historique qui s'amorce -avec toutes les sinuosités dues à son caractère nouveau et à la force encore non négligeable de l'ancien- est un processus qui ne conduit pas à la ruine imminente des impérialismes, même secondaires, mais à la remise en question de la perspective dans laquelle la bourgeoisie impérialiste pouvait engager, sous sa direction, les classes exploitées de la

métropole. Amélioration progressive du sort de ces classes, corruption de certaines couches d'entre elles, expansion à la japonaise, c'est dans ces illusions qui laissent aujourd'hui sceptiques les plus retardés des prolétaires, et dans ces recours qui deviennent de plus en plus inefficaces, que s'est maintenue l'exploitation éhontée de la bourgeoisie. Tous ces obstacles ne vont pas être levés d'un coup, et la bourgeoisie cherche aujourd'hui d'autres subterfuges, mais le cours historique qui s'engage fait que ce ne sont plus la collaboration de classe, le pacifisme petit-bourgeois qui triomphent, mais la force encore vague, diffuse, limitée, mais croissante de l'aspiration des masses au changement révolutionnaire, qui s'affirme. Tous ceux qui militent dans les entreprises au contact quotidien de la classe ouvrière, savent bien que l'écho de la propagande socialiste n'est pas le même que voilà quelques années, qu'il y a dans de larges couches des masses un intérêt en développement pour la politique révolutionnaire, que les conceptions révisionnistes ne sont plus admises aussi facilement. Aussi l'édification du Parti de type nouveau signifie-t-elle que la période qui s'ouvre est une période où la fusion du marxisme-léninisme et du mouvement ouvrier peut s'effectuer d'une manière large. Jusque là, la pression dominante du révisionnisme sur la classe ouvrière n'avait pas permis que les brèches ouvertes dans cette domination ne s'élargissent, parce que les conditions objectives de l'influence révisionniste contenues dans les rapports de classe de notre société n'avaient pas été modifiées. Depuis plus d'un an au contraire, les choses sont en train de changer. Bien sûr. Mai 68, les luttes ouvrières qui l'ont suivi ont préparé cet état de choses, mais rien de solide n'a pu être constitué au lendemain immédiat de Mai 68 parce que le révisionnisme a pu s'interposer entre les aspirations des masses au changement et le projet (et aussi les ressources) de la bourgeoisie de continuer comme avant. Révolte et résignation, volonté de changement et résignation aux solutions réformistes ont donc coexisté dans les masses, tandis que l'évolution de la situation mondiale modifiait la position et les plans de l'impérialisme et

de sa sécrétion révisionniste. Du même coup, s'est renforcée la possibilité de voir dans ce processus, qui assombrit considérablement les perspectives de l'impérialisme, la nécessité d'une révolution socialiste. Les actions résolues des masses au lendemain de 68 se sont marquées par une grande fermeté et une grande résolution dans la tactique. Petit à petit, les divers obstacles mis en place par les révisionnistes pour assurer le bon fonctionnement du système à l'intérieur des usines, se sont vus écarter, certes pas dans toutes les luttes, mais dans les plus importantes jusqu'à Lip, qui, en l'affaire, a marqué un pas décisif. Cependant, la transformation de ces luttes en assauts révolutionnaires conscients ne s'est pas encore effectuée. L'élan des masses ne s'est pas porté vers un objectif stratégique clair, vers une remise en question consciente de la société impérialiste dans laquelle nous vivons. Il ne saurait d'ailleurs en être autrement, mais ce qui importe, c'est que dans ces luttes, et particulièrement chaque fois que l'organisation même de la lutte rendait nécessaire un affrontement avec les révisionnistes et le syndicalisme réformiste, de nombreuses questions politiques sont apparues. Un pas, des pas ont été effectués dans le sens d'une compréhension plus large de l'obstacle révisionniste, dans la voie de la révolution prolétarienne.

C'est pourquoi une telle transformation de la réalité politique dans notre pays rend plus que jamais anachroniques ces maladies du marxisme-léninisme naissant : le dogmatisme et le spontanéisme. Le dogmatisme, cette vieille myopie qui consiste à ne pouvoir saisir le mouvement de la réalité, le développement des contradictions autrement que comme principe abstrait, ce qui conduit au rabâchage, au dépérissement sectaire et quasiment toujours à pactiser avec l'ennemi de classe; le spontanéisme, qui ne voit pas plus loin que le bout de son impulsion aveugle et ne peut répondre à qui l'interroge: "où allons-nous, où faut-il aller ? ", que cette piètre indication: "dans le même sens que vous, où vous irez, voilà le chemin."

Ces deux comportements, qui ont compromis le développement du marxisme-léninisme et l'ont rendu trop inoffensif dans la lutte contre le révisionnisme appartiennent, pour l'essentiel au bilan d'ensemble de ce mouvement, bien qu'ils subsistent à l'état résiduel, soit en tant que groupements marginaux en crise, soit - et c'est plus grave -comme idées fausses dans la pratique des communistes révolutionnaires. De fait, ces comportements s'expliquent assez bien par les difficultés à joindre le marxisme-léninisme et le mouvement des masses dans une période où la domination révisionniste pesait aussi fortement sur ce mouvement. Placées entre le choix de propager la perspective révolutionnaire sans apercevoir de lien immédiat entre cette perspective et les mouvements de la classe ouvrière d'une part, ou de s'emparer pleinement de ces mouvements en oubliant constamment l'objectif stratégique de la révolution prolétarienne d'autre part, beaucoup de forces peu éduquées, peu expérimentées se sont fourvoyées dans l'une ou l'autre impasse ouverte par ce choix.

La situation présente permet, au contraire, de bien saisir l'articulation tactique-stratégie, les moyens et les armes de la fusion entre le marxisme-léninisme et le mouvement ouvrier. Organiser cette fusion dans l'état actuel du processus révolutionnaire de notre pays, c'est la tâche qui définît le Parti de type nouveau. A diverses reprises, dans de nombreuses luttes ont commencé à être tracés les contours d'un tel Parti; pour prendre un exemple récent, dans la mobilisation engagée par notre Parti à Liévin, deux traits saillants sont à dégager. D'abord, il s'agit d'une mobilisation qui se fonde sur un fait précis: l'assassinat de 42 mineurs par le Capital. Cet assassinat est un épisode dramatique des conditions d'exploitation que vit la classe ouvrière. La lutte à propos de cet assassinat appartient à la lutte contre les conditions d'exploitation de la classe ouvrière. En ce sens, il s'agit d'une lutte économique au sens large du terme, c'est-à-dire non seulement à propos du salaire, mais aussi des conditions de vie, de travail, de sécurité...

Ensuite, cette mobilisation met directement en cause l'appareil d'Etat qui gère les Houillères, sa justice, les moyens d'information qui lui sont liés et diffusent les informations qui le servent en taisant celles qui le mettent en cause, ceci aux yeux de milliers de mineurs. On ne peut cependant dire pour autant que, dans cette mesure, cette lutte est d'emblée une lutte politique. Il s'agit simplement de l'immixtion fréquente, sous la domination du capitalisme monopoliste d'état, de l'appareil d'Etat dans les luttes de caractère "économique". Ce qui fonde véritablement cette lutte comme une lutte politique, c'est le fait que la place de l'assassinat de Liévin varie considérablement selon le point de vue, la perspective, l'interprétation de classe qui en sont donnés. Précisément, les mineurs se trouvent placés devant deux points de vue fondamentaux ! Le premier, celui diffusé par la bourgeoisie et repris à quelques variantes près par les révisionnistes est celui de la fatalité. Ce qui s'est passé à Liévin devait se passer. Il y a toujours du grisou dans la mine; peut-être des défaillances dans le système de sécurité, mais de caractère secondaire et qui seront, au demeurant, punies; cette idée de fatalité se double d'une autre: la mine est périmée, maudite et en voie de disparition. L'ensemble de cette propagande vise un objectif clair: désamorcer la révolte des mineurs, leur montrer que la situation est sans issue. Les révisionnistes, eux qui ont prôné le salaire au rendement à la Libération, au mépris de la vie et de la sécurité des mineurs, observent une inaction troublante. Leur zèle ne se fait jour que pour attaquer les marxistes-léninistes. En fait, en insistant sans doute sur les erreurs possibles des Houillères dans ce qu'ils considèrent comme une catastrophe, ils développent le même point de vue. Pour eux, lutter, c'est accélérer la fermeture de la mine, c'est donner des arguments aux Houillères. Il faut donc se résigner à ce qui s'est produit.

Malgré ces offensives conjuguées, un second point de vue se fait jour. Prenant appui sur la révolte des mineurs, sur leur résistance aux arguments bourgeois et révisionnistes, il réfute cette double idée de fatalité; catastrophe ou crime du Capital, reposant sur une organisation méthodique de la rentabilité, sur la négation constante, systématique des conditions de sécurité dans la mine, ce ne sont pas seulement 2 interprétations différentes. Ce sont deux points de vue de classe fondamentalement opposés. Pour construire le point de vue prolétarien, il ne suffit pas de l'affirmer, de même qu'il ne suffit pas de signaler le caractère bourgeois ou révisionniste opposé pour le détruire. Il faut démonter une à une les idées fausses qui résultent du point de vue bourgeois et trouvent une certaine correspondance dans les masses. Pour ce faire, il faut argumenter, preuves à l'appui, construire irréfutablement la démonstration que le point de vue bourgeois est au service d'une classe, bref que les idées ne sont pas gratuites. Pour construire une telle démonstration, il n'est pas d'autre moyen que de trouver dans les masses les preuves, les témoignages que Liévin, ce n'est pas une catastrophe, mais un assassinat, ce n'est pas une fatalité, mais l'illustration tragique d'une politique appliquée à la classe ouvrière. Ce sont donc les masses qui, sous l'impulsion du Parti, rassemblent les éléments nécessaires à la victoire du point de vue prolétarien sur le point de vue bourgeois, qui éclaircissent, définissent ce point de vue. C'est l'étroite liaison du Parti et des masses qui permet d'engager largement la bataille politique, preuves à l'appui, il n'y a pas d'un côté le Parti qui apporte le point de vue prolétarien, de l'autre les masses qui reçoivent ce point de vue. Il y a l'élaboration conjuguée de ce point de vue. Dans le même temps, les idées de résignation: "la mine c'est terminé, c'est une survivance du dix-neuvième siècle", fournissent un précieux appui au thème de la fatalité, en ce sens qu'elles démobilisent les travailleurs, que leur révolte ne s'exprime pas encore dans des luttes correspondantes. Combattre ce point de vue implique une intense propagande du Parti sur les questions stratégiques, sur l'avenir du socialisme en France. Répondre à ces questions pressantes, c'est peser sur le cours des luttes, mais c'est aussi introduire dans ces luttes la perspective politique. De la sorte, la compréhension de la crise politique de la bourgeoisie, les moyens de la résoudre, c'est-à-dire la révolution socialiste, ne sont plus principes généraux, mais perspective vivante, directement reliée à la situation concrète ressentie par chaque travailleur, donc source de mobilisation. En ce sens, la mobilisation de Liévin est incontestablement une mobilisation politique dont nous devrons tirer les enseignements. Elle illustre, malgré ses limites, un certain nombre de caractères du Parti de type nouveau.

 

o Le Parti de type nouveau s'affirme par la lutte incessante entre idées justes et idées fausses au sein des masses dans chaque situation concrète où les masses sont face à la bourgeoisie et au révisionnisme.

Cette lutte met en jeu non seulement l'issue de l'affrontement partiel entre les masses d'une part, la bourgeoisie et le révisionnisme d'autre part, mais la compréhension par les masses du processus historique dans son développement révolutionnaire. De la sorte, la réalité de la crise politique de la bourgeoisie, la nature du révisionnisme, les grands traits de la société socialiste sont un objet permanent de débat, de lutte dans les masses à partir de leurs préoccupations concrètes, à partir des batailles qu'elles engagent sur des objectifs limités. La ligne révolutionnaire du Parti s'enrichit, s'étoffe, se concrétise dans cette bataille.

Le Parti de type nouveau agit en tenant compte constamment de la vigilance légitime des masses, de leur souci de ne pas croire sur parole. Après l'expérience de la restauration du capitalisme en URSS, cruellement ressentie par les travailleurs, il est nécessaire que le Parti ne se contente pas de parler de socialisme, de révolution, il faut qu'il apporte dès maintenant la preuve que le socialisme qu'il propose aux masses d'édifier est d'une nature entièrement différente de ce qui recouvre en URSS une dictature de la nouvelle bourgeoisie sur les masses populaires. Apporter ces preuves, ce n'est pas seulement expliquer largement -ce qui est nécessaire- le processus de la restauration du capitalisme dans les anciens pays socialistes d'Europe orientale, ce n'est pas seulement -ce qui est indispensable- propager la réalité du socialisme en Chine et en Albanie, c'est établir une liaison Parti-masses qui fonde la confiance résolue des masses dans le socialisme et dans le Parti. Une telle liaison implique une réelle participation des masses à l'établissement de la ligne révolutionnaire du Parti, une éducation des masses fondées sur la lutte entre idées justes et idées fausses dans leur sein, que le Parti systématise et porte à un stade supérieur, la concrétisation des propositions alternatives, socialistes dans le cadre des luttes engagées par les masses afin de les éduquer et de renforcer leur détermination. Enfin, te traitement des contradictions apparues dans le Parti comme une partie, avec ses caractéristiques et sa spécificité propres, de la lutte entre idées justes et idées fausses dans les masses. La combinaison du rôle d'avant-garde du Parti et de l'idéologie de servir le peuple qu'il met en application est ainsi un des fondements du Parti de type nouveau, non pour rassurer et apprivoiser les masses, mais comme condition de la solidité de la liaison Parti-masses, comme garantie de la justesse de la ligne politique, comme arme pour la révolution.

(A suivre).

Prochain article: Un Parti en rupture complète avec le révisionnisme.

 

 

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