HR n°85 -jeudi 24 décembre 1970-


Journal communiste pour l'application en France
du marxisme-léninisme et de la pensée-maotsétoung. 

50 ANS APRÈS LE CONGRÈS DE TOURS (1920-1970) - (IV)

" AU PARTI S.F.I.C. APPARTENAIENT
LES VÉRITABLES COMBATIFS… "

SOUVENIRS D'UN VÉTÉRAN COMMUNISTE DU MANS

..... Issu d'une famille misérable à un degré extrême comme il y en avait beaucoup à " la belle époque " ( !!), j'ai fréquenté seulement l'école primaire jusqu'à l'obtention du Certificat d'Etudes (classé premier des candidats pour le canton).
..... Avec ce mince bagage, sans métier, j'ai commencé à travailler très jeune en usine : environ 1,35m de hauteur et pesant 35kg tout habillé. Certes, je suis petit mais ces caractéristiques montrent que nous n'avions pas les dents fatiguées en mangeant du beefsteack. Autre preuve : 1,56m et 47kg à la visite d'incorporation à l'armée : durant la guerre de 14-18 c'était suffisant pour faire un aspirant macchabée !
..... Vers l'âge de 11 ans, j'ai subi les conséquences d'une longue grève de l'usine où mon père travaillait dans ma commune natale. Il était plutôt libertaire et le seul héritage qu'il m'a donné est d'être aussi peu enclin à la soumission. Donc, j'ai besogné 10h ½ par jour pour un salaire de 18 sous (monnaie inconnue de nos jours : le Napoléon III). J'endurais mal le paternalisme de la patronne ; cache-nez rouge l'hiver et une soupe chaude au casse-croûte de 9h (pain à chien, venant à l'époque d'un fournisseur de la rue des Francs-Bourgeois à Paris par sacs de 50kg et graisse qui figeait sur les bords de l'assiette en refroidissant).
..... Nous étions une douzaine d'adolescents à connaître ce… supplément de salaire !
..... En contact avec deux vieux socialistes de l'époque (un retraité de l'octroi de Paris), je m'enthousiasmais au récit des conférences de Jaurès : "Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage ". Jamais je n'ai oublié cela, à la différence des " communistes " actuels.
..... Vers l'âge de 17 ans, je devins syndicaliste et adhérai au " Parti Socialiste S.F.I.O. ". Puis du fait de la guerre, celui-ci étant devenu social-patriote sous la houlette des Albert Thomas et autres Jules Guesde qui hélas lui aussi a bien mal tourné, les plus conscients abandonnèrent la lecture de l'" Humanité ". Nous lisions le quotidien " Le Journal du Peuple " dirigé par Henri Fabre (c'était du progressisme véritable) et l'hebdomadaire " Les Hommes du jour " dirigé par Séverine.
..... Naturellement, la censure blanchissait ces vaillants journaux, surtout le deuxième.
..... Puis je lus dès sa parution " le feu " de Barbusse ; cela contribua à renforcer ma conviction. Sensible, j'étais contre la guerre sentimentalement. C'était Romain Rolland, " Au-dessus de la mêlée " ; puis la pacifiste Marcelle Capy, " Une voix de femme dans la mêlée ". Confusément et surtout les jeunes (qui, toujours et même avec leurs erreurs, font avancer l'histoire), nous cherchions la juste voie pour ramener le socialisme sur la marche, vers sa réalisation.
..... Je connus les congrès de Zimmerwald, Kienthal et Stockohlm par la lecture. Octobre 17, la Révolution bolchévique (c'était ainsi qu'on disait alors) nous enthousiasma. Lénine nous inspirait et c'est ainsi que nous allions vers la reconstruction de l'Internationale ouvrière, la IIIe.
..... Je ne me souviens plus bien comment je connus " la Vague " petit hebdomadaire qui eut jusqu'à un million de lecteurs, je crois, répandu beaucoup parmi les soldats, je le fis même connaître dans ma commune.
..... En 1920, je fus de ceux qui oeuvrèrent en faveur de l'Internationale, la IIIe. Dans ma section communale (30 à 35 adhérents) comme dans la plupart des sections socialistes rurales, les trois quarts des adhérents votèrent au Congrès Fédéral Départemental pour le Congrès de Tours, pour la " IIIe Internationale ". C'est ainsi qu'à la naissance du Parti Communiste (Section Française de l'Internationale Communiste) (ce qui est bien différent du " Parti Communiste Français ", n'est-ce pas ?), je fus parmi les adhérents du début.
..... Entre temps j'avais été à l'armée. Au Mans où je vins habiter en 1920, la majorité des socialistes réformistes étaient restée à la " S.F.I.O. " et une bonne partie fit carrière dans la politique bourgeoise de l'époque.


Un congrès de la S.F.I.C. des années 20.

Au " Parti communiste " (S.F.I.C.) appartenaient les véritables combatifs, surtout dans les bourgades ; adhérents moins instruits mais désintéressés.
..... Au Mans, nous étions environ deux douzaines, la ville alors comptait environ 63.000 habitants, assez peu industrialisée en dehors de la station ferroviaire importante (triage) et de la manufacture des tabacs :
3 cheminots, 5 ouvriers des tabacs, 3 postiers, un artisan, un commerçant, un représentant, quelques ouvriers métallurgistes, du bois, 2 pensionnés mutilés de guerre, moi-même.
..... Peu nombreux mais ardents, nous influencions parfois assez fortement les ouvriers.
..... J'ai souvenir vers 1925 de nos défilés à travers la ville à l'issue des meetings : poings levés et criant " les soviets partout ". Nous emmenions 300, 400, 500 travailleurs, ce qui à l'époque était un succès réel, impressionnant même.
..... Naturellement, seule " l'internationale " était chantée ; ou quelquefois " la Jeune Garde " et " Bandera Rossa ".
..... Nous étions vraiment des prolétaires ; certains des ventres creux. Peu instruits en général mais non pervertis.
..... En 1924, je crois, aux élections municipales du Mans, le Parti voyait ses candidats recueillir environ 350 suffrages ; la ville était moins peuplée, les femmes ne votaient pas. C'était encourageant vu la pénurie des moyens. En 1921, j'avais dans ma commune natale, aux élections cantonales, voté pour le vaillant et regretté André Marty. Un bulletin écrit en ronde appliquées, manifestation peu efficace mais cependant révélatrice.
..... Lors de la propagande contre la guerre du Rif, la fameuse affiche verte " Fraternisation " fut le point de départ de la répression policière et judiciaire. Un commerçant rural adhérent avait remis au garde-champêtre quelques affiches à coller ! naïveté compréhensible à la campagne à ce moment-là. Résultat : poursuite et condamnation par le tribunal de Saint-Calais (alors sous-préfecture). Nous étions cinq ou six présents à l'audience ; avec peine nous avions pu affréter une auto…
..... Nous diffusions les tracts la nuit dans les casernes du Mans ; j'envoyais sous pli fermé, soigneusement pliée " La Caserne " à un militaire… au Maroc.
..... Vraiment notre action était importante. Je fus arrêté en 1925, 27 et 29. A ce moment-là, nous diffusions beaucoup l'" Humanité ", " La voix paysanne ", hebdomadaire du Parti dirigé par Renaud Jean.
..... Ici, j'étais correspondant de la " Caisse d'économie de l'Huma " à laquelle succéda la " Banque ouvrière-paysanne " dans laquelle disparurent mes économies à la suite de la faillite organisée par Tardieu et ses sbires, régime Poincaré-Tardieu-Chiappe et compagnie.
..... L' " Humanité " des années 25-30 indique en première page mon nom et mon adresse comme tenancier de la " Caisse d'Epargne Huma " et ensuite de la succursale de la " B.O.P. ".
..... Lecteur assidu de l'" Humanité ", des " Cahiers du bolchévisme " et de la "Correspondance internationale ", de maintes brochures et ouvrages du Parti, j'ai quitté ce dernier en démissionnant en 1935 ou 36 par désaccord idéologique. Je n'ai pu participer à la conception fausse du Front Populaire : pour moi " l'Internationale " est le seul chant révolutionnaire comme le drapeau rouge est le seul emblème des travailleurs en lutte pour leur émancipation du capitalisme.
..... Je n'ai pu m'habituer à la " Marseillaise " et au drapeau tricolore qui présageaient la dégénérescence actuelle.
..... Je me souviens d'avoir à l'époque avec quelques autres, tenté de réagir mais la comédie du " Front Populaire " et l'euphorie qu'il engendra, rendirent vaines nos tentatives, hélas…
..... Durant l'occupation allemande, en 1940-41, je fus arrêté et perquisitionné également.
..... Malgré mon éloignement du Parti, j'étais resté " sympathisant " et votais pour ses candidats, comme un moindre mal.
..... En 1956, j'écrivis une longue lettre à mon (?) député communiste Robert Manceau pour lui dire ma rancœur à la suite du vote des pleins pouvoirs au " camarade " Guy Mollet.
..... En mai 1958, je ne pus rester à l'écart peu avant l'avènement du grand Charles et depuis naturellement. J'ai lutté contre l'ignominieuse guerre d'Algérie (comme j'avais fait pour l'aventure en Indochine).
..... Naturellement, depuis longtemps, j'ai plus ou moins cherché des contacts. J'en établis bientôt avec les " Cercles marxistes-léninistes " qui aboutirent au Parti communiste marxiste-léniniste de France.
..... Mai 1968 me rendit heureux et me rajeunit presque de cinquante ans.
..... Pour la première fois de ma vie, je pris contact avec les lycéens et étudiant manceaux qui, pour partie, eurent une attitude excellente. A leur demande, je fis deux causeries sur le mouvement ouvrier des années 1916-1935, qu'ils apprécièrent beaucoup.
..... A la " Maison des étudiants " sur laquelle flotta le drapeau rouge pendant un mois (nos amis s'en étaient emparé et y couchaient), je portai la contradiction à un dirigeant révisionniste à sa vive contrariété. C'était au moment où le ministre de l'intérieur utilisait " l'Huma " pour justifier la répression violente contre les étudiants (Waldeck-Rochet et autres canailles).
..... Naturellement, je fus " embastillé " les 14 et 15 juin ; au lendemain de la libération de Salan : j'étais avec une demi-douzaine d'autres coupable de " complot et atteinte à la sûreté de l'Etat ".
..... Trois commissaires de la " D.S.T. " étaient venus perquisitionner chez moi et m'avaient embarqué. " Je comprends, vous venez de faire du vide (libération de Salan et d'autres), il faut compléter les effectifs ", leur dis-je.
..... Ma santé quelque peu fragile et l'âge ne me permettent guère une activité militante efficace et je le déplore. Mais je suis heureux quand j'apprends que des jeunes ont une attitude digne des anciens qui permirent l'évolution aboutissant à la situation présente.
..... Naturellement, j'ai parfois été l'objet de menaces de la part des révisionnistes et des malheureux qu'ils endoctrinent. Mais les travailleurs ne seront plus longtemps trompés par les réactionnaires et les révisionnistes. En 1968, ils ont secoué leur joug, et la vieille société est bien lézardée.
..... Aujourd'hui pour la bourgeoisie quelle que soit le chemin qu'elle prendra, le communisme est au bout de la route.
..... Les travailleurs, les paysans pauvres, les étudiants révolutionnaires de 1968, continuateurs du combat commencé il y a cinquante ans, par nous autres vétérans, verront se lever le soleil rouge de la Révolution Socialiste.

R.D. - Le Mans

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