..... Issu d'une famille misérable à un
degré extrême comme il y en avait beaucoup
à " la belle époque " ( !!), j'ai
fréquenté seulement l'école primaire
jusqu'à l'obtention du Certificat d'Etudes
(classé premier des candidats pour le
canton).
.....
Avec ce mince bagage, sans
métier, j'ai commencé à travailler
très jeune en usine : environ 1,35m de hauteur et
pesant 35kg tout habillé. Certes, je suis petit mais
ces caractéristiques montrent que nous n'avions pas
les dents fatiguées en mangeant du beefsteack. Autre
preuve : 1,56m et 47kg à la visite d'incorporation
à l'armée : durant la guerre de 14-18
c'était suffisant pour faire un aspirant
macchabée !
.....
Vers l'âge de 11 ans, j'ai
subi les conséquences d'une longue grève de
l'usine où mon père travaillait dans ma
commune natale. Il était plutôt libertaire et
le seul héritage qu'il m'a donné est
d'être aussi peu enclin à la soumission. Donc,
j'ai besogné 10h ½ par jour pour un salaire de
18 sous (monnaie inconnue de
nos jours : le Napoléon
III). J'endurais mal le paternalisme de la patronne ;
cache-nez rouge l'hiver et une soupe chaude au
casse-croûte de 9h (pain à chien, venant
à l'époque d'un fournisseur de la rue des
Francs-Bourgeois à Paris par sacs de 50kg et graisse
qui figeait sur les bords de l'assiette en
refroidissant).
.....
Nous étions une douzaine
d'adolescents à connaître ce… supplément
de salaire !
.....
En contact avec deux vieux
socialistes de l'époque (un retraité de
l'octroi de Paris), je m'enthousiasmais au récit des
conférences de Jaurès : "Le capitalisme porte
en lui la guerre comme la nuée porte l'orage ".
Jamais je n'ai oublié
cela, à la
différence des " communistes "
actuels.
.....
Vers l'âge de 17 ans, je
devins syndicaliste et adhérai au " Parti Socialiste
S.F.I.O. ". Puis du fait de la guerre, celui-ci étant
devenu social-patriote sous la houlette des Albert Thomas et
autres Jules Guesde qui
hélas lui aussi a bien mal
tourné, les plus
conscients abandonnèrent la lecture de l'"
Humanité ". Nous lisions le quotidien " Le Journal du
Peuple " dirigé par Henri Fabre (c'était du
progressisme véritable) et l'hebdomadaire " Les
Hommes du jour " dirigé par
Séverine.
.....
Naturellement, la censure
blanchissait ces vaillants journaux, surtout le
deuxième.
.....
Puis je lus dès sa parution
" le feu " de Barbusse ; cela contribua à renforcer
ma conviction. Sensible, j'étais contre la guerre
sentimentalement. C'était Romain Rolland, " Au-dessus
de la mêlée " ; puis la pacifiste Marcelle
Capy, " Une voix de femme dans la mêlée ".
Confusément et surtout les jeunes (qui, toujours et
même avec leurs erreurs, font avancer l'histoire),
nous cherchions la juste voie pour ramener le socialisme sur
la marche, vers sa réalisation.
.....
Je connus les congrès de
Zimmerwald, Kienthal et Stockohlm par la lecture. Octobre
17, la Révolution bolchévique (c'était
ainsi qu'on disait alors) nous enthousiasma. Lénine
nous inspirait et c'est ainsi que nous allions vers la
reconstruction de l'Internationale ouvrière, la
IIIe.
.....
Je ne me souviens plus bien
comment je connus " la Vague " petit hebdomadaire qui eut
jusqu'à un million de lecteurs, je crois,
répandu beaucoup parmi les soldats, je le fis
même connaître dans ma commune.
.....
En 1920, je fus de ceux qui
oeuvrèrent en faveur de l'Internationale, la IIIe.
Dans ma section communale (30 à 35 adhérents)
comme dans la plupart des sections socialistes rurales, les
trois quarts des adhérents votèrent au
Congrès Fédéral Départemental
pour le Congrès de Tours, pour la " IIIe
Internationale ". C'est ainsi qu'à la naissance du
Parti Communiste (Section Française de
l'Internationale Communiste) (ce qui est bien
différent du " Parti Communiste Français ",
n'est-ce pas ?), je fus parmi les adhérents du
début.
.....
Entre temps j'avais
été à l'armée. Au Mans où
je vins habiter en 1920, la majorité des socialistes
réformistes étaient restée à la
" S.F.I.O. " et une bonne partie fit carrière dans la
politique bourgeoise de l'époque.
Un congrès de la
S.F.I.C. des années 20.
Au " Parti communiste " (S.F.I.C.)
appartenaient les véritables combatifs, surtout dans
les bourgades ; adhérents moins instruits mais
désintéressés.
.....
Au Mans, nous étions
environ deux douzaines, la ville alors comptait environ
63.000 habitants, assez peu industrialisée en dehors
de la station ferroviaire importante (triage) et de la
manufacture des tabacs :
3 cheminots, 5 ouvriers
des tabacs, 3 postiers, un artisan, un commerçant, un
représentant, quelques ouvriers
métallurgistes, du bois, 2 pensionnés
mutilés de guerre, moi-même.
.....
Peu nombreux mais ardents, nous
influencions parfois assez fortement les
ouvriers.
.....
J'ai souvenir vers 1925 de nos
défilés à travers la ville à
l'issue des meetings : poings levés et criant " les
soviets partout ". Nous emmenions 300, 400, 500
travailleurs, ce qui à l'époque était
un succès réel, impressionnant
même.
.....
Naturellement, seule "
l'internationale " était chantée ; ou
quelquefois " la Jeune Garde " et " Bandera Rossa
".
.....
Nous étions vraiment des
prolétaires ; certains des ventres creux. Peu
instruits en général mais non
pervertis.
.....
En 1924, je crois, aux
élections municipales du Mans, le Parti voyait ses
candidats recueillir environ 350 suffrages ; la ville
était moins peuplée, les femmes ne votaient
pas. C'était encourageant vu la pénurie des
moyens. En 1921, j'avais dans ma commune natale, aux
élections cantonales, voté pour le vaillant et
regretté André Marty. Un bulletin écrit
en ronde appliquées, manifestation peu efficace mais
cependant révélatrice.
.....
Lors de la propagande contre la
guerre du Rif, la fameuse affiche verte " Fraternisation "
fut le point de départ de la répression
policière et judiciaire. Un commerçant rural
adhérent avait remis au garde-champêtre
quelques affiches à coller ! naïveté
compréhensible à la campagne à ce
moment-là. Résultat : poursuite et
condamnation par le tribunal de Saint-Calais (alors
sous-préfecture). Nous étions cinq ou six
présents à l'audience ; avec peine nous avions
pu affréter une auto…
.....
Nous diffusions les tracts la nuit
dans les casernes du Mans ; j'envoyais sous pli
fermé, soigneusement pliée " La Caserne "
à un militaire… au Maroc.
.....
Vraiment notre action était
importante. Je fus arrêté en 1925, 27 et 29. A
ce moment-là, nous diffusions beaucoup l'"
Humanité ", " La voix paysanne ", hebdomadaire du
Parti dirigé par Renaud Jean.
.....
Ici, j'étais correspondant
de la " Caisse d'économie de l'Huma " à
laquelle succéda la " Banque ouvrière-paysanne
" dans laquelle disparurent mes économies à la
suite de la faillite organisée par Tardieu et ses
sbires, régime Poincaré-Tardieu-Chiappe et
compagnie.
.....
L' " Humanité " des
années 25-30 indique en première page mon nom
et mon adresse comme tenancier de la " Caisse d'Epargne Huma
" et ensuite de la succursale de la " B.O.P.
".
.....
Lecteur assidu de l'"
Humanité ", des " Cahiers du bolchévisme " et
de la "Correspondance internationale ", de maintes brochures
et ouvrages du Parti, j'ai quitté ce dernier en
démissionnant en 1935 ou 36 par désaccord
idéologique. Je n'ai pu participer à la
conception fausse du Front Populaire : pour moi "
l'Internationale " est le seul chant révolutionnaire
comme le drapeau rouge est le seul emblème des
travailleurs en lutte pour leur émancipation du
capitalisme.
.....
Je n'ai pu m'habituer à la
" Marseillaise " et au drapeau tricolore qui
présageaient la dégénérescence
actuelle.
.....
Je me souviens d'avoir à
l'époque avec quelques autres, tenté de
réagir mais la comédie du " Front Populaire "
et l'euphorie qu'il engendra, rendirent vaines nos
tentatives, hélas…
.....
Durant l'occupation allemande, en
1940-41, je fus arrêté et perquisitionné
également.
.....
Malgré mon
éloignement du Parti, j'étais resté "
sympathisant " et votais pour ses candidats, comme un
moindre mal.
.....
En 1956, j'écrivis une
longue lettre à mon (?) député
communiste Robert Manceau pour lui dire ma rancœur
à la suite du vote des
pleins pouvoirs au " camarade
" Guy Mollet.
.....
En mai 1958, je ne pus rester
à l'écart peu avant l'avènement du
grand Charles et depuis naturellement. J'ai lutté
contre l'ignominieuse guerre d'Algérie (comme j'avais
fait pour l'aventure en Indochine).
.....
Naturellement, depuis longtemps,
j'ai plus ou moins cherché des contacts. J'en
établis bientôt avec les " Cercles
marxistes-léninistes " qui aboutirent au Parti
communiste marxiste-léniniste de
France.
.....
Mai 1968 me rendit heureux et
me rajeunit presque de cinquante ans.
.....
Pour la première fois de ma
vie, je pris contact avec les lycéens et
étudiant manceaux qui, pour partie, eurent une
attitude excellente. A leur demande, je fis deux causeries
sur le mouvement ouvrier des années 1916-1935, qu'ils
apprécièrent beaucoup.
.....
A la " Maison des étudiants
" sur laquelle flotta le drapeau rouge pendant un mois (nos
amis s'en étaient emparé et y couchaient), je
portai la contradiction à un dirigeant
révisionniste à sa vive
contrariété. C'était au moment
où le ministre de l'intérieur utilisait "
l'Huma " pour justifier la répression violente contre
les étudiants (Waldeck-Rochet et autres
canailles).
.....
Naturellement, je fus "
embastillé " les 14 et 15 juin ; au lendemain de la
libération de Salan : j'étais avec une
demi-douzaine d'autres coupable de " complot et atteinte
à la sûreté de l'Etat ".
.....
Trois commissaires de la " D.S.T.
" étaient venus perquisitionner chez moi et m'avaient
embarqué. " Je comprends, vous venez de faire du vide
(libération de Salan et d'autres), il faut
compléter les effectifs ", leur
dis-je.
.....
Ma santé quelque peu
fragile et l'âge ne me permettent guère une
activité militante efficace et je le déplore.
Mais je suis heureux quand j'apprends que des jeunes ont une
attitude digne des anciens qui permirent l'évolution
aboutissant à la situation
présente.
.....
Naturellement, j'ai parfois
été l'objet de menaces de la part des
révisionnistes et des malheureux qu'ils endoctrinent.
Mais les travailleurs ne seront plus longtemps
trompés par les réactionnaires et les
révisionnistes. En 1968, ils ont secoué leur
joug, et la vieille société est bien
lézardée.
.....
Aujourd'hui pour la bourgeoisie
quelle que soit le chemin qu'elle prendra, le communisme est
au bout de la route.
.....
Les travailleurs, les paysans
pauvres, les étudiants révolutionnaires de
1968, continuateurs du combat commencé il y a
cinquante ans, par nous autres vétérans,
verront se lever le soleil rouge de la Révolution
Socialiste.
R.D. - Le Mans
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